Tribunal administratif N° 50811R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50811R Inscrit le 26 juillet 2024 Audience publique du 31 juillet 2024 Requête en obtention de mesures provisoires introduite par Madame …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50811R du rôle et déposée le 26 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant à L-…, tendant à l’obtention d’une mesure de sauvegarde et/ou d’un sursis à exécution par rapport à une décision de départ du ministre des Affaires intérieures du 17 juillet 2024, déclarant son séjour irrégulier et retenant qu’elle est tenue de se rendre immédiatement vers la Grèce, Etat-membre qui lui a délivré un titre de séjour en tant que bénéficiaire de la protection internationale, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit au fond contre ladite décision par requête introduite le même jour, inscrite sous le numéro 50810 du rôle ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;
Maître Pascale PETOUD, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du mardi 30 juillet 2024 à 9.00 heures.
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Le 28 mai 2024, Madame …, ci-après dénommée « la requérante », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, la requérante fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de la police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il ressort d’une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC que la requérante avait auparavant déjà déposé une demande de protection internationale en Grèce en date du 22 février 2024.
En date du 7 juin 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités grecques en vue d’obtenir de plus amples informations sur la situation administrative de la requérante en Grèce, demande à laquelle les autorités grecques répondirent, par retour de courrier du 26 juin 2024, que la requérante bénéficie du statut de réfugié depuis le 4 mars 2024 et qu’elle dispose d’un titre de séjour en cette qualité, valable du 4 mars 2024 jusqu’au 10 mars 2029, ainsi qu’un document de voyage afférent valable du 11 mars 2024 jusqu’au 10 mars 2029.
Le 2 juillet 2024, la requérante fut entendue par un agent du ministère dans le cadre d’un entretien concernant la recevabilité de sa demande de protection internationale.
Par décision du 4 juillet 2024, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée en date du 8 juillet 2024, le ministre informa la requérante que sa demande de protection internationale a été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’une protection internationale lui a été accordée par un autre Etat-membre de l’Union européenne, en l’occurrence la Grèce où elle est bénéficiaire du statut de réfugié.
Par un courrier du 16 juillet 2024, le ministre demanda aux autorités grecques de bien vouloir réadmettre la requérante sur leur territoire en application de l’article 6, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, demande à laquelle les autorités grecques accédèrent en date du 18 juillet 2024.
Par un arrêté du 17 juillet 2024, le ministre prit une décision de départ à l’encontre de la requérante constatant l’irrégularité de son séjour sur le territoire luxembourgeois, tout en informant cette dernière qu’elle est tenue de se rendre immédiatement vers la Grèce, Etat-
membre qui lui a délivré un titre de séjour en tant que bénéficiaire de la protection internationale. Cet arrêté, notifié à l’intéressée en mains propres le 24 juillet 2024, est libellé comme suit :
« (…) Vu les articles 100, 109 et 110 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vue la décision d'irrecevabilité du 4 juillet 2024 ;
Considérant que l'intéressée est démunie de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant qu'il résulte du système Eurodac que l'intéressée a introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 22 février 2024 ;
Considérant que l'intéressée est bénéficiaire du statut de réfugié en Grèce depuis le 4 mars 2024 ;
Considérant que l'intéressée n'est pas en possession d'une autorisation de travail ;
Considérant que l'intéressée ne justifie pas l'objet et les conditions du séjour envisagé;
Arrête:
Art. 1er.- La nommée …, née le … à … / Erythrée et de nationalité érythréenne, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.
Art. 2.- L'intéressée est tenu de se rendre immédiatement vers la Grèce, Etat membre qui lui a délivré un titre de séjour en tant que bénéficiaire de la protection internationale.
Art. 3.- Copie du présent arrêté est remise à l'intéressée. (…) ».
Par requête déposée le 28 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50810 du rôle, la requérante a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle du 17 juillet 2024 et, par requête déposée le même jour et inscrite sous le numéro 50811R du rôle, elle a également fait introduire un recours tendant à voir suspendre l'obligation de quitter le territoire prévue dans l'arrêté déféré du 17 juillet 2024 et à l’autoriser à résider sur le territoire luxembourgeois dans l'attente du jugement du tribunal administratif à intervenir au fond concernant la légalité de l'arrêté déféré du 17 juillet 2024.
La requérante affirme que l'exécution de l’arrêté litigieux du 17 juillet 2024, risque de lui causer un préjudice grave et définitif dans la mesure qu’en cas de retour en Grèce, elle serait exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dénommée ci-après « la Convention torture », alors que malgré son statut de réfugié en Grèce, elle n'aurait, en pratique, aucun droit à bénéficier d'une assistance financière, à obtenir un hébergement ou une aide à l'hébergement et partant à accéder aux soins médicaux, comme le confirmerait une note de l'Organisation Suisse d'Aide aux Réfugiés (OSAR) du 29 septembre 2023, qu’elle verse en tant que pièce. L'existence du préjudice grave et définitif serait encore accrue par l'injonction lui adressée par l'Office national de l'accueil (ONA), suivant courrier du 17 juillet 2024, de quitter la structure d'hébergement au plus tard le 25 juillet 2024.
Elle estime encore que les moyens invoqués en soutien de son recours au fond apparaîtraient comme sérieux et seraient susceptibles d’aboutir à la réformation, sinon à l’annulation de la décision déférée, alors que cette dernière aurait été prise en violation :
(i) de l’article 100 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », alors que son séjour aurait été régulier au jour de la décision déférée, en ce qu’elle, en sa qualité de bénéficiaire d'une protection internationale et d'un titre de séjour délivrés par la Grèce, ne se serait trouvée sur le territoire luxembourgeois que depuis le 28 mai 2024, jour du dépôt de sa demande de protection internationale, soit depuis moins de trois mois ;
(ii) de l'article 111, paragraphes (2) et (3), point c) de la loi du 29 août 2008 du fait de ne pas contenir de motivation relative à l'urgence de son départ, la requérante estimant encore ne pas tomber dans l'un des cas énumérés au précité article, justifiant qu'elle doive quitter le territoire sans délai et non endéans les 30 jours normalement prévus ; et (iii) de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, alors qu'au vu de ses développements précédents relatifs au préjudice grave et définitif, elle craindrait, en cas de retour en Grèce, d'être exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH, ou à des traitements prohibés par les articles 1er et 3 de la Convention torture. La requérante soulignant encore que ce risque devrait être évalué sur base de sa situation individuelle, personnelle et particulière de femme seule, n'ayant aucune famille en Grèce et partant qualifiable de personne vulnérable au sens de l'article 15 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l'accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire. Elle invoque encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 10 juillet 2024, inscrit sous le numéro 50474 du rôle, ayant annulé une décision déclarant irrecevable une demande de protection internationale introduite par une personne bénéficiaire d'une protection internationale en Grèce en raison d'une violation des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », et 3 de la CEDH.
Finalement la requérante soutient que le recours au fond ne saurait être considéré comme pouvant être plaidé à brève échéance.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses aspects, mettant en doute le préjudice allégué qui ne serait ni grave ni définitif, tout en réfutant le caractère sérieux des moyens invoqués au fond de l’affaire.
En l’espèce, force est d’abord au soussigné de constater, à l’instar du délégué du gouvernement que la décision sous examen constitue a priori une décision de départ au sens de l’article 100, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 comportant deux volets, à savoir une décision constatant l’irrégularité du séjour de la requérante, ainsi qu’une décision ordonnant à la requérante de quitter le territoire en retournant en Grèce.
Comme la requérante sollicite tant un sursis à exécution qu’une mesure de sauvegarde, il échet de relever, tel que discuté entre parties à l’audience des plaidoiries, que la décision du ministre du 17 juillet 2024 déclarant le séjour de la requérante irrégulier constitue essentiellement une décision négative ; or, le sursis à exécution ne saurait être ordonné par rapport à une décision administrative négative qui ne modifie pas une situation de fait ou de droit antérieure : ainsi, la demande en ce qu’elle tend à obtenir le sursis à exécution de la décision ministérielle du 17 juillet 2024 constatant le séjour irrégulier de la requérante est d’ores et déjà à rejeter. Par contre une mesure de sauvegarde est envisageable dans ce cas de figure, tout en étant relevé que les pouvoirs du juge du provisoire en matière de mesures de sauvegarde sont délimités par la ou les décisions déférées aux juges du fond, alors que le juge du provisoire ne pourra pas ordonner de mesures allant au-delà du cadre tracé par ces décisions, et notamment au-delà du cadre légal de ces décisions.
En ce qui concerne l’autre volet de la décision tel que déféré, à savoir l’obligation de quitter le territoire et de regagner la Grèce, il s’agit en revanche d’une décision pouvant le cas échéant faire l’objet d’un sursis à exécution.
Le soussigné rappelle ensuite qu’en vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance. Par ailleurs, une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L’affaire au fond ayant été introduite le 26 juillet 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, de surcroît suspendus par la même loi pendant les vacances judiciaires, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés et accorder le sursis lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.
Pour l’appréciation du sérieux des moyens invoqués à l’appui d’un recours au fond, le président du tribunal doit se livrer à une évaluation des chances de succès de la demande au fond. Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
A cet égard, en ce qui concerne d’abord le moyen tenant à une violation de l’article 100, paragraphes (1) et 1(bis) de la loi du 18 décembre 2015, disposant que « (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire la présence d’un ressortissant de pays tiers:
a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;
b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou de son autorisation de voyage ou au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois d) qui relève de l’article 117.
(1bis) Une décision de retour est prise conformément à l’article 111 à l’encontre de tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire, sans préjudice des paragraphes (2) et (3). », force est de retenir que ce moyen ne paraît pas être suffisamment sérieux.
En effet, au-delà du constat que la requérante, même en sa qualité de bénéficiaire d’un statut de réfugié reconnu par la Grèce, est a priori bien à considérer comme étant en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois notamment pour y être rentrée et s’y trouver sans être en possession d’un titre de voyage valable, tel que cela ressort du rapport de la police grand-
ducale du 28 mai 2024, de sorte à ne déjà pas remplir, d’après une analyse sommaire, la première condition de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, force est de relever que la décision litigieuse n’est pas une décision de retour au sens du paragraphe (1bis) du précité article 100, mais une décision de départ au sens de l’article 100, paragraphe (2) aux termes duquel « 2) Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois qui sont titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement et au plus tard dans les soixante-douze heures sur le territoire de cet État membre sur base d’une décision de départ prise par le ministre. En cas de non-respect de cette prescription ou lorsque le départ immédiat est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, une décision de retour est prise à l’encontre des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, à l’exception des bénéficiaires d’une protection internationale pour lesquels la décision de départ peut être exécutée d’office et par la contrainte. (…) », article auquel renvoie, à première vue, l’article 34, paragraphe (2), dernier alinéa de la loi du 18 décembre 2015, en conséquence de l’irrecevabilité d’une demande protection internationale prononcée en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la même loi.
Ce premier moyen manque dès lors du sérieux nécessaire pour pouvoir aboutir à la sanction de la décision déférée par les juges du fond, de sorte qu’en raison du constat que ledit moyen est le seul moyen dirigé contre le volet de la décision déclarant le séjour irrégulier, la demande de la mesure de sauvegarde afférente visant à autoriser la requérante à résider sur le territoire luxembourgeois en l’attente d’une décision au fond y relative, est d’ores et déjà à rejeter faute de moyens sérieux dirigés contre ce volet de la décision sous examen.
Il semble ensuite découler de l’applicabilité du précité article 100, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 que la décision déférée, ne constitue pas une décision de retour, mais une décision de départ qui n’est a priori pas soumise à un délai de principe 30 jours, pouvant être ramené à zéro lorsqu’une des conditions de l’article 111, paragraphes (2) et (3) de la loi du 29 août 2008 est remplie, alors que le paragraphe (2) de l’article 100 précité prévoit, à première vue, expressément un départ immédiat et au plus tard dans les soixante-douze heures, de sorte que le deuxième moyen tablant sur une violation du délai de 30 jours prévu par l’article 111, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, applicable aux seules décisions de retour, n’a pas le sérieux nécessaire pour pouvoir mettre en cause la légalité de l’ordre de départ contenu dans la décision sous examen dans le cadre de l’analyse future par les juges du fond.
En ce qui concerne le dernier moyen tenant à une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, en ce que l’éloignement de la requérante risquerait de lui faire subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, prohibant la torture et les traitements inhumains et dégradants, respectivement au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture, interdisant les expulsions, refoulements et extraditions de personnes vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risquent d’être soumises à la torture, force est au soussigné de relever que ce moyen n’est a priori pas non plus de nature à devoir amener les juges du fond à sanctionner l’ordre de départ figurant dans la décision litigieuse.
En effet, il y a, tout d’abord, lieu de relever qu’il résulte a priori de la jurisprudence des juges du fond que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1, principe confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », dans un arrêt du 19 mars 20192, et impliquant notamment une confiance mutuelle entre les Etats membres dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment à l’article 4 de celle-ci, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs ou aux bénéficiaires d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.
Les juges du fond semblent encore retenir qu’il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale soient traités, dans cet Etat membre, d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux. Dans ce contexte, les juges du fond relèvent que, eu égard au caractère général et absolu de l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte, qui interdit, sans aucune possibilité de dérogation, les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes, il est indifférent, aux fins de l’application de cet article 4, que ce soit au 1 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M.
E. et autres c. Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-493/10, point 78.
2 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.
moment même d’un transfert, au cours de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait un risque sérieux de subir un tel traitement.
Les juges du fond se basent encore, à première vue, dans leurs jugements sur des recours visant des décisions d’irrecevabilité de demandes de protection internationale bénéficiant déjà d’un tel statut dans un autre Etat membre, sur la circonstance que dans ses arrêts du 19 mars 2019, rendus dans les affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, ainsi que dans l’affaire C-163/17, la CJUE a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union européenne, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes3. La CJUE a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, correspondant à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe (3) de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable du demandeur n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.
La requérante remettant en question la présomption du respect par les autorités grecques de ses droits fondamentaux tels que consacrés notamment par la Charte et la CEDH, puisqu’elle affirme risquer des traitements inhumains et dégradants en Grèce, il lui incombe, devant les juges du fond, de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, éléments qu’il appartient au soussigné d’examiner avec parcimonie, dans le cadre de l’analyse du caractère sérieux du moyen afférent.
Dans ce contexte, le soussigné doit, tout d’abord, constater que les éléments mis en avant par la requérante afin d’établir la situation générale des bénéficiaires de protection internationale en Grèce, ne semblent pas suffire pour établir une violation généralisée de l’article 3 de la CEDH dans le chef des bénéficiaires d’un statut de protection internationale en Grèce4 du fait de se limiter à une note assez succincte de l’OSAR sur les difficultés des 3 Ibidem, point 88.
4 Cette conclusion prima facie n’est a priori pas non plus énervée par les considérations de l’arrêt de la CJUE du 18 juin 2024, dans l’affaire C-753/22, encore invoqué, dans ce contexte, par la requérante à l’audience des plaidoiries, alors que ledit arrêt ne retient pas une violation généralisée de l’article 4 de la Charte en Grèce en ce bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce d’accéder au marché de travail, à un logement et aux soins médicaux, et que les autres articles de presse versés relatifs aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale ne sont a priori pas pertinents en l’espèce, de même que la requérante ne fournit effectivement aucune explication circonstanciée et concrète sur des problèmes qu’elle aurait personnellement rencontrés en Grèce suite à l’attribution de son statut de réfugié en mars 2024, ni n’établit une situation de particulière vulnérabilité dans son chef, la requérante faisant principalement valoir ne jamais avoir eu l’intention de rester en Grèce, alors qu’elle aurait toujours voulu venir au Luxembourg.
Il y a, par ailleurs, lieu de relever que les juges du fond, dans le cadre de leur analyse quant au bien-fondé du moyen tiré d’une violation des articles 1er et 4 de la Charte, retiennent encore que les difficultés rencontrées pour trouver un logement, respectivement un emploi rémunéré, ne peuvent pas être considérées comme étant contraires à l’article 4 de la Charte, dans la mesure où il n’existe a priori dans aucun pays une obligation de l’Etat de pourvoir un emploi à l’un de ses résidents, et, par extension, à un bénéficiaire d’une protection internationale, ou même de lui garantir l’accès à un logement. Les juges du fond vérifient également si le fait pour des bénéficiaires d’une protection internationale d’être dépourvus de logements résulterait d’agissements systématiques des autorités de l’Etat membre concerné, preuve qui ne ressort cependant a priori pas des éléments soumis à l’analyse du soussigné en ce qui concerne la situation particulière de la requérante en Grèce.
Cette conclusion prima facie n’est a priori pas non plus énervée par le jugement précité du tribunal administratif du 10 juillet 2024, invoqué par la requérante, alors que les faits à base de ladite décision ne semblent pas comparables à la situation de la requérante, étant donné que l’annulation de la décision d’irrecevabilité dont il était question dans ladite affaire était justifié exclusivement par la situation de vulnérabilité particulière d’un enfant en bas âge courant le risque de ne pas pouvoir, de manière efficace, avoir un accès aux soins dès son retour en Grèce, étant encore relevé que la décision d’irrecevabilité de la mère dudit enfant a seulement été annulée par ricochet pour éviter une séparation de la mère et de son enfant en bas âge.
Il en va de même des considérations de l’arrêt de la CJUE du 18 juin 2024, dans l’affaire C-753/22, encore invoqué, dans ce contexte, par la requérante à l’audience des plaidoiries, alors que ledit arrêt ne retient, à première vue, pas une violation généralisée de l’article 4 de la Charte en Grèce en ce qui concerne les bénéficiaires d’un statut de protection internationale, mais se limite à dire pour droit que le deuxième Etat, n’ayant pas retenu l’irrecevabilité de la demande de protection internationale d’une personne, déjà bénéficiaire d’un tel statut dans un autre pays, en l’occurrence la Grèce, au motif que cette personne risque, en cas de retour dans ce premier pays d’asile, des traitements contraires à l’article 4 de la Charte, n’est pas tenu de reprendre de plano la décision prise par le premier pays ayant octroyé un statut de protection internationale, mais doit procéder à un nouvel examen individuel, complet et actualisé de la demande de protection internationale de la personne concernée.
qui concerne les bénéficiaires d’un statut de protection internationale, mais se limite à dire pour droit que le deuxième Etat, n’ayant pas retenu l’irrecevabilité de la demande de protection internationale d’une personne, déjà bénéficiaire d’un tel statut dans un autre pays, en l’occurrence la Grèce, au motif que cette personne risque, en cas de retour dans ce premier pays s’asile, des traitements contraires à l’article 4 de la Charte, n’est pas tenu de reprendre de plano la décision prise par le premier pays ayant octroyé un statut de protection internationale, mais doit procéder à un nouvel examen individuel, complet et actualisé de la demande de protection internationale de la personne concernée.
L’ensemble des considérations qui précédent amènent, dès lors, le soussigné à retenir que les moyens de la requérante ne peuvent pas être considérés comme ayant de chances sérieuses de conduire à la sanction de la décision ministérielle litigieuse du 17 juillet 2024.
Les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant pas, au stade actuel de la procédure, comme suffisamment sérieux et pour justifier une mesure provisoire, il y a lieu de débouter la requérante de sa demande en institution d’une mesure provisoire, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne l’échec de la demande.
Il suit de toutes les considérations qui précèdent que la demande est à rejeter.
Par ces motifs, le soussigné, vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne la requérante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 juillet 2024 par Olivier Poos, vice-
président du tribunal administratif, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9