Tribunal administratif N° 50660R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50660R Inscrit le 28 juin 2024 Audience publique du 19 juillet 2024 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par la société à responsabilité limitée SOCIETE A, …, par rapport à un bulletin émis par l’administration des Contributions directes en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50660 du rôle et déposée le 28 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Alex PHAM, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée SOCIETE A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … tendant à voir instituer un sursis à exécution par rapport au bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020, émis le 7 juin 2023 par le bureau d’imposition … un recours au fond contre le bulletin de la retenue d’impôt précité, inscrit sous le numéro 50463 du rôle, ayant par ailleurs été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 mai 2024 ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux déféré ;
Maître Alex PHAM ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juillet 2024.
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Le 18 novembre 2020, la société à responsabilité limitée SOCIETE A, désignée ci-après par « la société SOCIETE A », déposa la déclaration de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020 auprès du bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le bureau d’imposition », lequel réceptionna la déclaration en question en date du 23 novembre 2020.
Par un courrier du 26 novembre 2020, le bureau d'imposition invita la société SOCIETE A de « justifier par toute pièce à l'appui, que SOCIETE B remplit les conditions de l'article 147 L.I.R. à la date de la mise à la disposition des allocations » en affirmant que la retenue d’impôt n’avait « pas été opérée sur les dividendes de …€ alloués au profit de SOCIETE B ».
Par courrier du 18 décembre 2020, le bureau d’imposition informa la société SOCIETE A sur le fondement du § 205 (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée« Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’en cas de défaut de réponse à son courrier du 26 novembre 2020, il envisageait d’évaluer par voie de taxation le prix d’acquisition des parts de la société SOCIETE A par la société à responsabilité limitée SOCIETE B, désignée ci-après par « la société SOCIETE B » à 5,1% de … euros « (étant le montant total de son capital social) », soit à … euros, et de soumettre le dividende distribué à la société SOCIETE B à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux au taux de 15%.
Par courrier électronique du 12 janvier 2021, le représentant de la société SOCIETE A transmit un courrier du 21 décembre 2020 de la société SOCIETE B au bureau d’imposition aux termes duquel la société SOCIETE B s’engagea à détenir une participation ayant un prix d'acquisition de plus de 1.200.000,00 euros dans le capital de la société SOCIETE A pendant une période ininterrompue d'au moins 12 mois.
Par courrier du 19 avril 2023 le bureau d’imposition s’adressa à la société SOCIETE A dans les termes suivants : « En vertu du §205(3) de la loi générale des impôts, je vous informe préalablement que le bureau d'imposition … procède à la fixation de la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux suite à la distribution de dividendes le 02 novembre 2020.
Les allocations mises à disposition en date du 02 novembre 2020 par SOCIETE A S.A R.L. au bénéficiaire SOCIETE B avec siège à …, L- …, sont passibles de la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux en vertu de l'article 146 L.I.R.
Vu les articles 147 et 149 L.I.R. qui définissent les conditions nécessaires pour qu'une retenue ne soit pas opérée, la société bénéficiaire doit détenir pendant 12 mois ininterrompus soit au moins 10% de la société débitrice, soit que le prix d'acquisition de la participation soit au moins égal à 1.200.000,00€.
Considérant que SOCIETE B (la société bénéficiaire) détient 5,10% de SOCIETE A S.A R.L. (la société débitrice), que le prix d'acquisition est inférieur à 1.200.000,00€, que le capital social de SOCIETE A S.A R.L. étant de …€ (suivant les documents déposés auprès du Registre de commerce et des sociétés Luxembourg) et que le prix d'acquisition étant évalué à …€ * 5,10% = …€, la retenue d'impôt sur les dividendes est à opérer.
Considérant que la retenue d'impôt doit être opérée à la date de la mise à disposition des revenus en vertu de l'article 149 L.I.R. et que le taux de la retenue est fixé à 15% en vertu de l'article 148 L.I.R, les retenues suivantes sont fixées :
Date de mise à la disposition Montant alloué Retenue d’impôt (15%) des revenus suivants la déclaration de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux du 18 novembre 2020 02.11.2020 …€ …€ En cas de désaccord avec la fixation de la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux, je vous prie de formuler vos objections éventuelles pour le 10 mai 2023 au plus tard. (…) ».
En date du 7 juin 2023, le bureau d’imposition émit le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020 à l’égard de la société SOCIETE A en fixantune retenue d’impôt à opérer d’un montant de … euros. Ledit bulletin précisa sous la rubrique « Motif et remarques » ce qui suit : « Fixation de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux suivant la lettre du 19 avril 2023 du bureau d’imposition ».
Par courrier de son mandataire du 5 septembre 2023 adressé au bureau d’imposition, la société SOCIETE A déclara introduire une réclamation1 contre le prédit bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020 émis à son égard. La direction de l’administration des Contributions directes réceptionna ledit courrier en date du 11 septembre 2023. La société SOCIETE A argumenta notamment que : « (…) Der Steuerbescheid setzt eine Kapitalertragsteuer von … € mit der Begründung fest, dass die SOCIETE B S.à r.l. die Voraussetzungen für die Steuerbefreiungen gem. Artikel 147 und 149 L.I.R. nicht erfüllt.
Die folgenden Unterlagen haben wir Ihnen bereits per E-Mail am 27. Juni 2023 zukommen lassen:
· Kaufvertrag aus dem November 2019 · Kaufpreisermittlung · Bestätigungsschreiben (hinsichtlich der Haltefrist).
Basierend auf vorgenannten Dokumenten beträgt der anteilige Kaufpreis der SOCIETE B S.à r.l. aus dem Kaufvertrag … € (5,1% vom finalen Gesamtkaufpreis von … €). Die SOCIETE B hat die Beteiligung an der SOCIETE A S.à rl. am 20. Dezember 2019 erworben.
Verkauft wurden die Anteile von der SOCIETE B am 12. März 2021. Die Konditionen für die Steuerbefreiung der Dividende gem. Art. 147 L.I.R. sind demnach erfüllt und die Dividende ist steuerfrei.
Bitte finden Sie nachstehend noch einmal die Berechnung des finalen Kaufpreises lt.
Kaufvertrag:
SPA 9.1 Closing Payment; True up of Purchase Price Closing Payment … Down Payment (SPA 20.1) … Retention Amount (SPA 14.13) … Hold-back Amount (SPA 7.4) … Preliminary Purchase Price … Final Settlement Agreement (…) Final Purchase Price … Auf Grundlage der vorgenannten Informationen beantragen wir hiermit die Aufhebung der Kapitalertragsteuerbescheides 2020 vom 07.06.2023 in dem Sinne, dass die Dividende steuerfrei ist. (…) », A défaut de réponse à sa réclamation par le directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », la société SOCIETE A introduisit par requête déposée le 17 mai 2024, inscrite sous le numéro 50463 du rôle, au greffe du tribunal administratif un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation du bulletin précité de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020, émis le 7 juin 2023 et, 1 « (…) legen wir hiermit gegen den beigefügten Kapitalertragssteuerbescheid 2020 vom 07.06.2023 Einpruch ein. (…) ».par requête déposée le 28 juin 2024, inscrite sous le numéro 50660 du rôle, elle a encore fait introduire un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution du bulletin de la retenue d’impôt en question.
Moyens et arguments des parties La société requérante estime que les deux conditions légalement requises par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », seraient remplies en cause.
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, la société SOCIETE A expose en substance que le règlement du montant total d'impôts réclamé de …euros risquerait de sceller définitivement son sort au point de la mettre en faillite, ce qui lui causerait un préjudice grave, définitif et irrémédiable. Elle développe son argumentation en se référant à la jurisprudence des juridictions administratives selon laquelle le sursis pourrait être accordé si en plus de l’existence des moyens sérieux invoqués à l'appui du recours au fond, un préjudice grave et définitif risquerait d'être causé au demandeur. Afin de démontrer qu’en l’espèce, le paiement de …euros d’impôts lui causerait un tel préjudice la société demanderesse fait état de sa situation financière précaire et renvoie à cet égard au projet final de ses comptes annuels au 31 décembre 2023 renseignant au niveau de l’actif du bilan un total de créances de … euros, ainsi qu’un total de liquidités de … euros. Le passif du bilan renseignerait des pertes de l'exercice d’un montant de -… euros ainsi que des dettes s’élevant à … euros.
De même, le plus récent arrêté de ses comptes annuels au 31 mars 2024, ferait ressortir au niveau de l’actif du bilan un total de créances de … euros, ainsi qu’un total de liquidités de .. euros. Le passif du bilan renseignerait des pertes de l'exercice d’un montant de -… euros ainsi qu’un total de dettes s’élevant à … euros.
La société demanderesse se réfère encore à son dernier relevé bancaire au 10 mai 2024, lequel ferait apparaître un solde négatif de -… euros.
Aux yeux de la société demanderesse sa situation financière ne lui permettrait pas objectivement de payer le montant total d'impôts réclamé de …euros puisqu’elle ne disposerait pas de tels moyens. De surplus, alors que ses dettes s’élèveraient presque au double du montant de ses créances, il serait très difficile voire impossible d'obtenir un emprunt auprès d'un établissement bancaire de la place.
Dès lors, le paiement de …euros risquerait de la mener à la faillite et lui causerait donc un préjudice grave, définitif et irrémédiable.
Face aux contestations du préjudice grave et irrévocable avancés par le délégué du gouvernement à l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de la société demanderesse a expliqué qu’elle n’aurait pu déposer qu’un projet de ses comptes annuels alors qu’au mois de juillet, l’année civile serait toujours en cours et qu’il lui serait donc impossible de verser une version définitive de ses comptes ou de son bilan. Il a encore avancé qu’il serait impossible de connaître la situation financière de l’intégralité du groupe de société dont la société demanderesse ferait partie. Enfin, il a attiré l’attention sur le dernier état des comptes de la société demanderesse, affichant un solde négatif et démontrant ainsi que la société demanderesse ne pourrait pas payer les impôts sollicités.
La société SOCIETE A estime aussi que son recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès et ceci à plusieurs égards :
• Tout d’abord elle souligne que le directeur n’aurait jamais répondu à la réclamation qu’elle aurait introduite contre le bulletin de la retenue d’impôt litigieux. Elle se réfère dans ce contexte à la jurisprudence du président du tribunal administratif, dont la solution serait transposable en l’espèce, pour conclure qu’en ne répondant pas à la réclamation, le directeur nierait au contribuable l'instruction de sa réclamation, et viderait de cette manière ce préalable administratif obligatoire de tout sens en le transformant en simple chicane administrative imposée au contribuable. Ainsi, le comportement du directeur, en refusant de rencontrer l'argumentation du contribuable, serait non seulement susceptible de constituer un dysfonctionnement, mais, outre de témoigner d'un désintérêt manifeste à l'issue du litige et d'un manquement flagrant à l'obligation primordiale de collaboration du pouvoir exécutif à la bonne administration de la justice, devrait être considéré comme constituant une admission du sérieux des moyens opposés aux bulletins d'imposition, l'autorité administrative n'ayant manifestement pas d'argument valable à opposer aux moyens du contribuable. La société SOCIETE A en conclut que les moyens dont elle se prévaut seraient sérieux et solides au fond.
A l’audience publique des plaidoiries le litismandataire de la société demanderesse a précisé que le défaut du directeur de répondre à une réclamation ne pourrait pas être rattrapé par le dépôt, en cours de la phase contentieuse, d’un mémoire en réponse de la partie étatique dans le cadre de l’affaire au fond. Il s’est interrogé dans ce contexte sur la raison de l’absence de réponse du directeur à la réclamation, si pourtant l’administration déclare avoir des arguments à avancer. Selon le litismandataire de la société demanderesse il ne pourrait s’agir que du désintérêt par le directeur du cas d’espèce, sinon d’un défaut d’arguments à avancer face à la réclamation introduite.
• S’agissant du caractère sérieux des moyens avancés au fond, la société demanderesse argumente en second lieu que la société SOCIETE B aurait acquis en date du 20 décembre 2019, 1.275 de ses parts sociales, correspondant à 5,1% du capital social de la société demanderesse. Cette cession aurait été actée par le « Share sale and Purchase Agreement » conclut entre les parties concernées. Elle explique ensuite avoir distribué en date du 2 novembre 2020 un dividende de … euros à la société SOCIETE B.
Aux termes de l’article 146 loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (« LIR »), les dividendes seraient certes passibles d’une retenue à la source au titre de l’impôt sur le revenu, l’article 147 LIR prévoirait tout de même que la retenue d’impôt en question ne serait pas à opérer lorsque certaines conditions seraient remplies. Selon la société requérante lesdites conditions seraient remplies en l’espèce, de sorte qu’elle n’aurait pas été obligée d’opérer la retenue d’impôt à la source lors de la distribution du dividende en question.
Ainsi, en vertu des dispositions de l'article 147 LIR pour être exempt de la retenue à la source, la société bénéficiant du dividende devrait détenir une participation d'au moins 10% ou d’un prix d'acquisition d’au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des dividendes. Ces conditions seraient alternatives. Si, certes, la société SOCIETE B ne détiendrait qu’une participation de 5,1% dans le capital social de la société demanderesse, le prix d’acquisition des parts qu’elle détiendrait dans le capital social de la société demanderesse s’élèverait toutefois, selon le « Share sale and Purchase Agreement », à … euros (« … = 5,1% x … »), de sorte à être supérieur à 1.200.000 euros.
A l’audience publique des plaidoiries le litismandataire de la société demanderesse a affirmé, face aux contestations du délégué du gouvernement, que même si des incertitudes au niveau du calcul du prix d’acquisition des parts sociales par la société SOCIETE B pouvaient exister, le prix d’acquisition finalement retenu par l’administration serait en tout état de cause supérieur à 1.200.000 euros, de sorte que la condition de l’article 147 LIR serait remplie, peu importe la méthode de calcul du prix d’acquisition appliquée. Le litismandataire de la société demanderesse a reproché dans le même contexte à la partie étatique d’être contradictoire dans son argumentation.
La société demanderesse affirme ensuite qu’aux termes de l’article 147 LIR le dividende serait exempt de la retenue à la source à une seconde condition, à savoir celle que la participation dans le capital social serait détenue pendant une durée d’au moins 12 mois à la date de mise à disposition du dividende ou, à défaut sous condition que le bénéficiaire s’engage à détenir pendant une période ininterrompue d’au moins douze mois ladite participation dans le capital social.
Selon la société demanderesse cette condition serait également remplie en l’espèce, étant donné que la société SOCIETE B aurait pris un engagement de détenir sa participation dans le capital social de la société demanderesse pendant au moins douze mois.
Enfin, en l’espèce, tant le débiteur du dividende, à savoir la société demanderesse, que le bénéficiaire du dividende, à savoir la société SOCIETE B, revêtiraient une des formes juridiques exigées par l’article 147 LIR afin de pouvoir bénéficier de l’exemption de la retenue à la source du paiement du dividende.
• En troisième et dernier lieu, la société demanderesse reproche à l’administration d’avoir violé le principe du contradictoire et plus particulièrement de ne pas s’être conformée aux dispositions du paragraphe 205, alinéa (3) AO au motif que le bureau d’imposition ne l’aurait pas informé à suffisance des points sur lesquels il envisageait de diverger en sa défaveur de sa déclaration de l’impôt. A l’audience publique des plaidoiries le litismandataire de la société demanderesse a encore répondu dans le même contexte au délégué du gouvernement qu’il ne suffirait pas que l’administration envoie deux ou trois courriers au contribuable pour l’informer qu’elle envisageait de diverger sur certains points de sa déclaration d’impôt, mais qu’il faudrait qu’un vrai dialogue ait lieu entre l’administration et le contribuable pour satisfaire aux conditions du paragraphe 205, alinéa (3) AO.
La société demanderesse renvoie encore au développement de ses moyens contenu dans son recours en réformation, sinon en annulation, introduit au fond pour souligner le sérieux desdits moyens.
Le délégué du gouvernement quant à lui a soutenu à l’audience publique des plaidoiries qu’aucune des conditions requises pour l’institution d’une mesure provisoire ne serait remplie en l’espèce.
Il a insisté tout d’abord plus particulièrement sur l’absence de préjudice grave et définitif dans le chef de la société SOCIETE A, en soulignant tout d’abord que la société demanderesse ferait partie d’un groupe international de sociétés, dénommé « … », lequel serait un acteur de taille importante sur le marché de l’immobilier. Ledit groupe de société serait appelé, le cas échéant, à soutenir financièrement la société demanderesse. Par ailleurs, selon le délégué du gouvernement, la situation financière du groupe ne serait pas précisée, de sorte que lesaffirmations de la société demanderesse selon lesquelles sa situation financière serait telle que le règlement de la retenue à la source lui causerait un préjudice grave et irrévocable ne seraient pas établies.
Le délégué du gouvernement a encore argumenté que la société demanderesse ne verserait qu’un projet de ses comptes et de son bilan, lesquels ne seraient pas approuvés, et ne permettraient dès lors pas de fournir une image fidèle de la situation financière de la société demanderesse ni de conclure à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la société demanderesse du fait de l’obligation d’opérer une retenue d’impôt sur une distribution de dividende.
Toujours dans le même contexte, le délégué du gouvernement a soulevé que la société demanderesse disposerait selon ses propres explications de créances s’élevant à un montant de 1,2 millions d’euros, lesquelles lui permettraient aisément de s’acquitter de ses dettes fiscales d’un montant de …euros, sans qu’un préjudice grave et définitif risquerait de lui être causé de ce fait.
Enfin, le délégué du gouvernement a contesté l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la demanderesse en raison du paiement de la retenue d’impôt sollicitée au motif que la dette d’impôt consisterait en l’espèce en une retenue d’impôt laquelle aurait dû être opérée sur la distribution d’un dividende. Il ne s’agirait, en effet, que d’une retenue à la source à opérer par la société demanderesse suite à la décision prise par elle-même de distribuer un dividende dont elle aurait également elle-même fixé le montant. Le délégué du gouvernement a expliqué que le montant du dividende serait en tout état de cause à régler dans son intégralité par la société demanderesse, que ce soit à hauteur de 100% au bénéficiaire du dividende, en l’occurrence à la société SOCIETE B, ou, à hauteur de 85% au bénéficiaire du dividende et à hauteur de 15% à l’administration fiscale. Au-delà du montant du dividende, la société demanderesse ne serait partant redevable d’aucun frais supplémentaire, de sorte que la retenue d’impôt en elle-même ne créerait dans son chef aucun préjudice grave et définitif. Dans le même contexte, le délégué du gouvernement a reproché à la société demanderesse de ne pas avoir vérifié, préalablement à la prise de la décision de distribuer un dividende, si elle disposait de moyens financiers suffisants pour assumer une telle distribution.
Le délégué du gouvernement a encore contesté le sérieux des différents moyens avancés par la société SOCIETE A à l’appui de son recours au fond.
• Concernant le moyen invoqué par la société demanderesse selon lequel le directeur n’aurait pas répondu à sa réclamation, de sorte que ses moyens invoqués au fond seraient à considérer comme étant sérieux et solides, le délégué du gouvernement renvoie à une ordonnance du président du tribunal administratif relative à une situation comparable, dans le cadre de laquelle le directeur n’aurait pas non plus répondu à la réclamation introduite par le contribuable, mais dans le cadre de laquelle le président du tribunal administratif aurait tout de même procédé à une appréciation des conditions énoncées par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, sans retenir qu’en raison du seul défaut de réponse du directeur les moyens avancés seraient à considérer comme sérieux. D’ailleurs, la partie étatique aurait en l’espèce déposé un mémoire en réponse dans le cadre de l’affaire introduite au fond, ce qui démontrerait à suffisance que les moyens de la demanderesse seraient contestés.
• Le délégué du gouvernement a encore contesté que les conditions de l’article 147 LIR, permettant une exemption de la retenue d’impôt à la source en cas de distribution de dividende,seraient remplies dans le chef de la société demanderesse. Il a contesté plus particulièrement que la société SOCIETE B détienne une participation dans le capital social de la société demanderesse dépassant le montant de 1.200.000 euros. Ainsi, le montant du prix d’acquisition payé par la société SOCIETE B pour les parts détenues dans le capital social de la société demanderesse ne serait ni déterminé ni déterminable à partir du « Share sale and Purchase Agreement », lequel subordonnerait la détermination du prix d’acquisition à plusieurs conditions, dont il ne serait nullement établi qu’elles seraient remplies. Il ressortirait de surplus des comptes annuels d’une autre société ayant acquis des parts dans le capital social de la société demanderesse à travers le « Share sale and Purchase Agreement », que cette dernière aurait réglé la quasi-totalité du prix d’acquisition, de sorte que l’affirmation de la société SOCIETE B d’avoir acquis des parts pour un montant dépassant 1.200.000 euros serait fortement mise en question.
Le délégué du gouvernement a ajouté que la société demanderesse aurait elle-même admis dans le cadre de sa requête introductive d’instance ainsi qu’à l’audience publique des plaidoiries l’existence potentielle de divergences dans le calcul du prix d’acquisition des parts dans son capital social par la société SOCIETE B.
• En dernier lieu, le délégué du gouvernement a contesté toute violation du principe du contradictoire, en affirmant en substance que la société demanderesse aurait à deux reprises été invitée par l’administration de fournir des explications quant au paiement du dividende litigieux et à la retenue d’impôt corollaire, sans qu’elle n’ait répondu auxdites invitations. Elle n’aurait, en effet, et encore de manière lacunaire, pris position que suite à l’envoi par l’administration d’un troisième courrier. D’une part, l’administration se serait donc parfaitement conformée aux dispositions du paragraphe 205, alinéa (3) AO et d’autre part, la société demanderesse serait désormais malvenue de reprocher un défaut d’information au bureau d’imposition, alors qu’elle aurait elle-même failli à son obligation de collaboration avec l’administration.
Appréciation En vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 17 mai 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne le préjudice grave et définitif, il convient de rappeler, indépendamment de toute considération relative au fait que le directeur n’a pas répondu à la réclamation introduite par la société demanderesse, que l’existence du préjudice allégué, sa gravité et son caractère difficilement réparable doivent s’apprécier au cas par cas, sur le vu de l’exposé du demandeur d’une mesure provisoire, ensemble les pièces justificatives produites par celui-ci2.
2 Trib. adm. (prés.) 16 mai 2012, n° 30478, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 689 (1er volet) et l’autre référence y citée.
Si un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, compensable par l’allocation de dommages et intérêts, il en est différemment lorsque le requérant établit l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable.
La dette d’impôt, de … euros, consacrée en l’espèce par le bulletin litigieux, peut a priori être considérée comme étant susceptible d’être qualifiée d’importante au vue de son ampleur, ainsi qu’au vu des capacités financières dont la société demanderesse fait état, étant relevé que ces dernières sont précisément contestées par le délégué du gouvernement.
Il appert, toutefois, tel que relevé par le délégué du gouvernement et non contesté sur ce point par la société demanderesse, que la société SOCIETE A appartient à un groupe d’entreprises d’une certaine envergure opérant au niveau international sur le marché de l’immobilier. Or, l’appartenance de la société demanderesse à un groupe de sociétés appelle la soussignée en tout état de cause à ne pas la suivre dans son raisonnement dans la mesure où elle entendrait voir dégager l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans son chef d’une analyse limitée à sa seule situation financière, alors qu’il conviendrait au contraire aussi d’avoir égard aux ressources dont le groupe d’entreprises dispose, étant donné que le groupe et spécialement la société-mère de la société demanderesse ont un intérêt évident à voir garantir sa pérennité3.
Faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.
Au-delà de cette considération, le délégué du gouvernement affirme à juste titre que la dette d’impôt consiste en l’espèce dans une retenue d’un impôt à la source à opérer lors de la distribution d’un dividende. C’est dans ce contexte, encore à juste titre que le délégué du gouvernement affirme que la société demanderesse est en tout état de cause obligée de payer l’intégralité du montant du dividende afférent. La question de savoir si ce dividende est à payer à 100% à la société SOCIETE B ou si seule une part de 85% est à payer à SOCIETE B tandis que les 15% restants sont à retenir à la source comme impôt et à transmettre à l’administration fiscale, ne s’analyse en définitive qu’en une différence des destinataires du paiement sans pour autant modifier le montant du paiement en lui-même ni par conséquent la situation financière de la société demanderesse. Contrairement aux affirmations de la société demanderesse la retenue à la source de l’impôt à opérer lors de la distribution du dividende litigieux ne lui cause donc aucun préjudice grave et définitif alors qu’elle aurait en tout état de cause dû s’acquitter du montant afférent.
Les considérations qui précèdent amènent encore la soussignée à suivre le délégué du gouvernement dans son raisonnement lorsqu’il affirme qu’en l’espèce ce n’est pas la retenue d’impôt qui est à l’origine du préjudice allégué par la société demanderesse mais plutôt la décision de la société demanderesse elle-même de distribuer un dividende d’un montant de … euros. Si la société demanderesse bénéficie, certes, d’une pleine liberté de gestion, elle ne saurait toutefois actuellement se prévaloir d’un manque de trésorerie, alors que ce dernier résulte notamment de ses propres choix économiques et de sa propre gestion. De ce point de vue, la société demanderesse est dès lors également malvenue de soutenir que ce serait la retenue de l’impôt sur les revenus de capitaux qui lui causerait un préjudice.
3 trib.adm. prés. 25 mars 2014, n° 34149.
Il suit de ce qui précède que la société demanderesse n’a pas établi que le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant l’année 2020, émis le 7 juin 2023 risque de lui causer un préjudice grave et définitif, de sorte qu’il y a lieu de la débouter de sa demande en institution d’un sursis à exécution, sans examiner davantage la question du sérieux des moyens soulevés au fond à l’encontre dudit bulletin, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une des conditions légales entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, la soussignée, premier vice-président du tribunal administratif, agissant en remplacement du président du tribunal administratif, légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juillet 2024 par Françoise Eberhard, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
Paulo Aniceto Lopes Françoise Eberhard 10