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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49945a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2024, 49945a


Tribunal administratif Numéro 49945a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49945a 4e chambre Inscrit le 18 janvier 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49945 du rôle et déposée le 18 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal QURAI

SHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif Numéro 49945a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49945a 4e chambre Inscrit le 18 janvier 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49945 du rôle et déposée le 18 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, à …(Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2024 ;

Vu le jugement du 9 février 2024, inscrit sous le numéro 49945 du rôle, rendu par le vice-président au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal, renvoyant l’affaire devant la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 mai 2024.

En date du 23 mars 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait franchi la frontière de l’espace Schengen à Lampedusa en Italie, où ses empreintes avaient été relevées en date du 2 novembre 2020.

Par une ordonnance du juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement, Maître Faisal QURAISHI fut désigné administrateur ad hoc dans le cadre de la demande de protection internationale de Monsieur ….

Les 1er février et 11 décembre 2023, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministère, en vue de l’entendre sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 janvier 2024, notifiée à l’intéressé le 9 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« (…) En mains, l'Ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc du 9 février 2022, le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 mars 2022, le rapport d'entretien du 1er février 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport d'entretien complémentaire du 11 décembre 2023, les documents relatifs au « Family Tracing » de l'Organisation Internationale pour les Migrations ainsi que tous les documents versés à l'appui de votre demande.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que lors de votre arrivée au Luxembourg, vous étiez mineur d'âge. En tant que mineur non accompagné un administrateur ad hoc a été désigné par le Juge aux Affaires familiales pour vous assister.

Depuis le 22 décembre 2023, vous êtes majeur d'âge.

Lors de l'introduction de votre demande de protection internationale vous déclarez, Monsieur, vous nommer …, être né le … à … en Tunisie, être de nationalité tunisienne, de confession musulmane et d'ethnie Arabe. Vous auriez depuis toujours vécu dans le village de …, qui se situe dans le gouvernorat de … en Tunisie avec toute votre famille, notamment vos parents, vos grands-parents et votre fratrie (p. 2/11 du rapport d'entretien).

Vous expliquez avoir quitté votre pays d'origine aux alentours de la fin de l'année 2020, mais précisez que vous en auriez déjà eu l'idée « trois ans avant » (p.9/11 du rapport d'entretien). Vous auriez uniquement attendu le bon moment pour partir, étant donné que vous détesteriez votre pays d'origine « parce qu'il n'y a rien » (p.9/11 du rapport d'entretien).

Dans cette lignée, vous expliquez que vous souhaiteriez avoir un meilleur avenir et pouvoir venir en aide financièrement à votre famille (p.6/11 du rapport d'entretien). Vous auriez donc « quitté [la Tunisie] dans le but de chercher une meilleure vie. Pour [vous] et [votre] famille. Et pour réaliser [vos] rêves » (p.7/11 du rapport d'entretien). Vous continuez dans ce sens en affirmant que vous voudriez « donner le maximum pour arriver à un niveau excellent pour pouvoir réaliser [votre] rêve » et pour pouvoir « réussir » et acquérir « une force économique pour aider [votre] famille » (p.5/11 et 7/11 du rapport d'entretien).

Finalement, vous confirmez que vous auriez uniquement quitté votre pays d'origine pour lesdites raisons ci-dessus, en précisant cependant également que votre pays d'origine serait sujet à des faits de corruption et qu'il n'y aurait pas de droits, ni de justice (p.7/11 du rapport d'entretien).

Vous expliquez encore, que lors de votre arrivée en Italie, les personnes responsables de vous à Rome vous auraient aidé à effectuer les démarches pour l'obtention de votre passeport tunisien (p.7/11 du rapport d'entretien). Désormais, votre frère cadet, le dénommé …, se trouverait également au Luxembourg, alors qu'il aurait souhaité vous rejoindre pour les mêmes raisons que vous, notamment « difficultés de vie, misère, pas de travail, pas d'école (…) pas de futur » (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire).

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- L'original de votre passeport tunisien émis en date du 29 avril 2021 à Rome ;

- l'original de votre acte de naissance tunisien ;

- l'original de votre passeport sportif de la Fédération tunisienne de … et des disciplines associées ;

- deux lettres d'avis de vos professeurs luxembourgeois du Lycée ….

Plusieurs de vos documents ont été envoyés pour authentification à l'Unité de Police de l'Aéroport (ci-après dénommé « UPA »), qui, en date du 29 août 2022, a déclaré votre passeport tunisien et votre acte de naissance comme étant des documents authentiques. En revanche, l'UPA n'a pas pu donner de résultat concluant concernant votre passeport sportif faute de matériel de comparaison. (…) ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée en application du point a) de l'article 27 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu'il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Le ministre refusa ensuite d’accorder une protection internationale à Monsieur …, au motif que, d’un côté, ce dernier ne remplirait pas les conditions requises pour l’octroi d’un statut de réfugié, alors que les faits invoqués ne rentreraient pas dans un des critères de l'article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, la demande de protection internationale présentée au Luxembourg serait motivée par des considérations purement personnelles et économiques, du fait que Monsieur … aurait indiqué vouloir, d'une part, un meilleur avenir afin de pouvoir réaliser ses rêves et, d'autre part, vouloir aider financièrement sa famille. Le ministre releva encore que la simple affirmation que son pays d’origine serait sujet à des faits de corruption et qu'il n'y aurait ni droits ni justice, ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié, à défaut d’actes concrets, individuels et personnels de nature à corroborer de telles allégations. Il souligne encore que l’absence de craintes de persécution en Tunisie se déduirait encore du fait que Monsieur … aurait facilement pu effectuer des démarches en vue d'obtenir un passeport tunisien auprès des autorités consulaires de son pays en Italie.

Sur base des mêmes considérations, les faits invoqués ne pourraient pas non plus être qualifiés d’atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Finalement le ministre ordonna à Monsieur … de quitter le territoire luxembourgeois endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la décision litigieuse sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2024, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

Par un jugement du 9 février 2024, inscrit sous le numéro 49945 du rôle, le vice-

président au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal, considéra que le recours n’était pas manifestement infondé et renvoya en conséquence l’affaire devant la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever qu’il a été jugé par la Cour administrative qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Ainsi, si le juge unique estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. De plus, le renvoi devant la formation collégiale doit rendre possible l’examen de tous les moyens présentés par le demandeur et la formation collégiale doit pouvoir statuer sur la totalité des moyens présentés en relation avec le fond du litige1.

Il s’ensuit que le tribunal de céans est dispensé de toiser le volet du recours contestant le choix du ministre de procéder à l’analyse de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions précitées du ministre du 4 janvier 2024, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur passe en revue certains rétroactes relevés ci-avant.

En droit et quant au fond, le demandeur fait plaider que sa situation serait conforme aux exigences de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, 1 Cour adm., 11 février 2020, n° 43786C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 58 et l’autre référence y citée.

dénommée ci-après « la Convention de Genève », sinon au statut conféré par la protection subsidiaire repris par la loi du 18 décembre 2015, alors que la situation humanitaire et plus spécialement la discrimination subie en Tunisie en raison de son origine constitueraient des motifs rentrant dans le cadre d'une demande en protection internationale.

Il soutient qu’il aurait fait état d’une crainte réelle de persécutions, de menaces sinon d'attentat à sa vie en Tunisie au vu de ses déclarations selon lesquelles ledit pays serait corrompu, sans justice et sans aucun avenir pour lui en raison de ses origines modestes.

Il soutient encore, dans ce contexte, que ses déclarations n'auraient pas été prises en compte par le ministre qui aurait ainsi pris une décision dépourvue de toute motivation et manquant de respecter le droit à un examen effectif de sa demande en protection internationale. Il rappelle qu’il aurait dû fuir la Tunisie alors qu'il n'y aurait aucun avenir en raison de son origine sociale et qu’il y serait exposé à une vie sans avenir, de sorte qu’un retour dans son pays d’origine l'exposerait à des traitements inhumains dans un laps de temps plus ou moins court.

Quant à l’ordre de quitter le territoire, le demandeur estime que ce dernier n’aurait pas lieu d’être du fait qu’il remplirait les conditions en vue de l’octroi d’un des statuts de la protection internationale. En tout état de cause, suivant le principe de précaution, il resterait préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu'elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il échet d’abord de relever que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Aux termes de l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave » – et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il y a lieu de préciser que le tribunal doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, force est cependant de relever que si le demandeur fait certes mention de « crainte réelle de persécution, menaces sinon d'attentat à la vie » en Tunisie, ainsi que de « traitements inhumains » qu’il risquerait de subir dans un laps de temps plus ou moins court, de même qu’il souligne que son pays d’origine serait corrompu, sans justice et qu’il y serait discriminé en raison de ses origines modestes, force est au tribunal de relever que le demandeur reste cependant en défaut de contredire le constat du ministre selon lequel il n’a pas invoqué de faits rentrant dans un des critères de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, étant relevé que le simple fait d’être d’origine modeste ne saurait être considéré, faute d’explications circonstanciées y relatives, comme correspondant à un certain groupe social au sens de la prédite disposition.

Ensuite, le demandeur reste encore en défaut de préciser le moindre fait concret de nature à rentrer dans la définition d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, respectivement la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, sinon des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, l’affirmation non autrement circonstanciée selon laquelle son pays d’origine serait corrompu et sans justice ne se base sur aucun élément concret et objectif, de même que le demandeur laisse d’établir en quelle manière il y serait discriminé en raison de ses origines modestes.

Finalement, le demandeur n’énerve pas non plus l’analyse du ministre selon laquelle la demande de protection internationale du demandeur se baserait exclusivement sur des raisons économiques et de convenance personnelle, étant relevé qu’un tel constat se voit plutôt corroboré par les explications du demandeur données lors de son entretien du 1er février 2023, selon lesquelles il a décidé de quitter son pays d’origine « dans le but de chercher une meilleure vie. Pour moi et ma famille. Pour réaliser mes rêves »2, ainsi que pour « réussir dans ma vie afin d’aider ma famille »3. Or des raisons purement économiques ne rentrent pas dans les prévisions d’aucun des deux statuts de la protection internationale.

En tout état de cause, le fait d’être issu d’une famille modeste ne saurait suffire, à défaut d’autres explications y relatives, à établir un risque de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves, de même que les affirmations non autrement circonstanciées du 2 Rapport d’audition du 1er février 2023, p. 7 3 Rapport d’audition du 1er février 2023, p. 7 demandeur relatives à un problème de corruption et d’absence de justice dans son pays d’origine.

Il y a partant lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur, à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de ses auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, prise dans ses deux volets, de sorte que le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est à déclarer comme infondé.

Quant à la décision portant ordre de quitter le territoire, il échet de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale n’est pas fondé, de sorte que c’est, à juste titre, que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur dès lors qu’un retour dans son pays d’origine ne l’exposerait ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.

Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen y relatif dans la requête introductive d’instance, le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi par le jugement du 9 février 2024, inscrit sous le numéro 49945 du rôle, rendu par le vice-

président, en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal administratif ;

vidant le jugement du 9 février 2024 ;

au fond, déclare recevable le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire, au fond, le déclare non justifié et en déboute en tous ses volets ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 49945a
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-09;49945a ?

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