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05/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50222R

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2024, 50222R


Tribunal administratif N° 50222R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50222R Inscrit le 19 mars 2024 Audience publique du 5 juillet 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics et de la B, …, en présence des sociétés C, …, et D, … en matière d’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg

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ORDONNANCE

Vu la requête in

scrite sous le numéro 50222R du rôle et déposée le 19 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par...

Tribunal administratif N° 50222R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50222R Inscrit le 19 mars 2024 Audience publique du 5 juillet 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics et de la B, …, en présence des sociétés C, …, et D, … en matière d’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50222R du rôle et déposée le 19 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Thibault CHEVRIER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société par actions simplifiée de droit français A, établie et ayant son siège à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de … sous le n° …, représentée par son président actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution de 1) la décision de refus de sélection lui communiquée le 6 mars 2024 via le Portail des Marchés Publics, par laquelle la B l’a informé du rejet de son offre, dans le cadre d’un processus de sélection pour une licence permettant la fourniture des services d’assistance en escale sur l’aéroport de Luxembourg, 2) la décision d’attribution de licences aux sociétés C et D, telle que matérialisée par un communiqué du gouvernement du 7 mars 2024 et 3) les arrêtés d’octroi d’agrément aux sociétés C et D, dans l’hypothèse où ceux-ci matérialiseraient l’octroi des licences aux prédites sociétés, cette requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation, déposé au fond en date du même jour, inscrit sous le numéro 50221 du rôle, dirigé contre les mêmes actes ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 22 mars 2024, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la B ainsi qu’aux sociétés C et D ;

Vu l’attestation de signification du 23 mai 2024 émise conformément au règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, du 21 mars 2024 ;

1 Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG SARL, inscrite sur la Liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats de Luxembourg, représentée par Maître Vincent WELLENS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la C, en abrégé C, établie et ayant son siège à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, du 19 avril 2024 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins des présentes par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la B, établie et ayant son siège à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, du 25 avril 2024 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Eric PERRU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la société D, établie et ayant son siège social à …, inscrite au RCS de … sous le numéro …, du 29 mai 2024 ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries communiquée en date du 1er juillet 2024 par la société à responsabilité limitée NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG SARL, représentée par Maître Vincent WELLENS, pour compte de la C, en abrégé C ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Maître Thibault CHEVRIER, ainsi que Maître Brice OLINGER, en remplacement de Maître Patrick KINSCH, Maître Serge MARX, Maître Vincent WELLENS et Maître Sami BEN MAHMOUD, en remplacement de Maître Eric PERRU, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2024.

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Par avis du 5 avril 2023, la B, connue sous le nom commercial de « B », publia un appel à candidatures (« Request for Qualification (RFQ) ») afin de présélectionner des opérateurs économiques pour un marché intitulé « Awarding two licences for providing ground handling services (passenger) at Luxembourg Airport » dans le cadre de la loi modifiée du 19 mai 1999 ayant pour objet de réglementer l’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg.

La société par actions simplifiée de droit français A, ci-après « la société A », y ayant participé et y ayant été présélectionnée, se vit remettre par B le cahier des charges détaillant notamment les attentes et les critères d’évaluation qui seraient d’application pendant cette seconde phase dite de « Request for Proposal » ; la société A y répondit en remettant son offre le 29 septembre 2023.

Le 6 mars 2024, la société A reçut via le Portail des Marchés Publics l’information qu’elle n’était pas sélectionnée, ladite information étant libellée comme suit :

2 « Dear A, We regret to inform you that your offer has not been retained for this tender. Your offer was thoroughly evaluated and the results thereof transmitted with a full report to the Ministry of Mobility and Public works. Your offer obtained a score of 717 out of a total of 1000. The scores of your competitors that were retained ranged from 720 to 740 (confidential information). The Ministry of Mobility and Public works has confirmed its decision not to award A with a passenger ground handling licence at Luxembourg Airport. The SLA agreements with the awarded ground handlers will be signed after the end of the legal stand -

still period of 14 days. We thank you for your efforts and the interest you have shown for this tender ».

En date du 7 mars 2024, le gouvernement publia sur son site le communiqué de presse suivant :

« Dans le cadre d’une procédure d’adjudication européenne, conformément à la loi du 19 mai 1999 régissant l’accès au marché de l’assistance en escale en matière de passagers à l’aéroport de Luxembourg, quatre dossiers de candidature ont été soumis. La fourniture de ces services à l’aéroport de Luxembourg est limitée à deux prestataires, en accord avec la réglementation en vigueur.

Sur proposition de l’entité gestionnaire B (…) et après consultation du comité des usagers aéroportuaires, la ministre de la Mobilité et des Travaux publics, Yuriko Backes, vient de décerner les deux licences respectivement à D et à C ».

Le même jour, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics prit deux arrêtés agréant tant la société C que la société D « pour pratiquer l’assistance en escale en matière de passagers à l’aéroport de Luxembourg conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 19 mai 1999 », les arrêtés en question annonçant encore à chaque fois que les modalités de l’agrément seraient précisées dans un contrat conclu entre B et la société retenue.

Par courrier de son mandataire du 15 mars 2024, la société A sollicita, outre les motifs gisant à la base de la décision de rejet de son offre, des informations complémentaires ainsi qu’une prolongation du délai de stand-still, ledit courrier étant formulé comme suit :

« […] Je vous contacte en ma qualité de défenseur des intérêts de la société A, ayant remis une offre à l’occasion du processus de sélection pour les services d’assistance en escale sur l’aéroport de Luxembourg.

Selon le message reçu le 6 mars 2024 sur le Portail des Marchés Publics, ma mandante a reçu l’information laconique que son offre aurait reçu 717 points sur 1000 et que les scores obtenus par ses concurrents, sans les nommer, auraient été compris entre 720 à 740 (ce qui serait selon vous une information confidentielle) et que des contrats de services seraient signés à la fin de la période légale de stand-still de 14 jours.

J’ai néanmoins pu constater que des arrêtés ministériels ont déjà été publiés et indiquent que des agréments ont été décernés aux sociétés C et D.

3 Même si l’attribution d’un agrément est à mon sens juridiquement distincte de la conclusion de conventions, cette information a néanmoins été accompagnée par un communiqué de presse publié sur le site du gouvernement le 7 mars 2024 indiquant que :

Dans le cadre d’une procédure d’adjudication européenne, conformément à la loi du 19 mai 1999 régissant l’accès au marché de l’assistance en escale en matière de passagers à l’aéroport de Luxembourg, quatre dossiers de candidature ont été soumis. La fourniture de ces services à l’aéroport de Luxembourg est limitée à deux prestataires, en accord avec la réglementation en vigueur.

Sur proposition de l’entité gestionnaire B (…) et après consultation du comité des usagers aéroportuaires, la ministre de la Mobilité et des Travaux publics, Yuriko Backes, vient de décerner les deux licences respectivement à D et à C.

Étant donné que le niveau de motivation du courrier de rejet reçu ne respecte pas un niveau élémentaire de transparence, je dois vous signaler le fait que vous soyez une entité privée ne saurait vous exonérer - sinon à tout moins le Ministère de la Mobilité et des Travaux Publics qui est votre actionnaire à 100 % - des obligations découlant du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes (règlement « PANC »).

Dans ce contexte - et même si les résultats semblent être déjà quelque peu acquis - je voulais vous demander un certain nombre d’informations, l’article 9 de la loi du 19 mai 1999 ayant pour objet de réglementer l’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg prévoyant que les critères d’attribution doivent être transparents, impliquant que les résultats doivent également suivre cette transparence, gage d’un processus de sélection régulier et valable.

A titre complémentaire, ma mandante estime qu’elle est en droit d’obtenir, de la part de vous sinon du Ministère de la Mobilité et des Travaux Publics à qui j’adresse une copie de ce courrier, les éléments inhérents à l’application des articles 4, 6, 7, 11 et 12 de la PANC, un certain nombre d’informations et d’éléments.

Sur cette base, je voudrais en premier lieu que vous me fassiez parvenir :

1) les points obtenus sur chacun des critères d’adjudication fixés dans le dossier de soumission (par ma mandante et par les sociétés C et D) 2) la/les raisons pour laquelle/lesquelles le maximum des points sur ces critères n’a pas été alloué, ou, à tout le moins, pourquoi des notes moindres que celles des opérateurs sélectionnés ont été données, permettant également de comprendre quelles ont été les notes des adjudicataires et les raisons pour lesquelles des notes supérieures leur ont été attribuées.

3) la manière dont vous avez réussi le tour de force de donner une note n’étant pas un multiple de 10 à A - correspondant à un nombre inférieur de ± 0,4 % du deuxième opérateur sélectionné - lorsque les critères prévus au RFP devaient être multipliés :

o par 100 pour les critères commerciaux o par 40 pour le critère du concept de déploiement de personnel, ainsi que pour celui du concept GSE o par 20 pour le concept organisationnel 4 étant précisé que pour les critères non-commerciaux, des points entiers devaient être attribués aux opérateurs retenus pour répondre au RFP… En deuxième lieu, le processus impliquant un rôle consultatif du comité des usagers aéroportuaires, je voudrais que vous m’informiez de la démarche qui a été suivie par rapport à cette consultation, notamment :

1) quels sont les documents qui ont été soumis au comité des usagers ;

2) qui a siégé à ce comité ;

3) quelle a été la position de ce comité, en indiquant le sens des voix exprimées;

En troisième lieu, je voudrais que vous m’informiez des mesures qui ont été prises pour éviter la caractérisation d’une situation de conflit d’intérêts, au regard des nombreux éléments apparaissant comme problématiques au niveau des mêmes personnes présentes - sinon des personnes liées - au sein :

- du conseil d’administration de la B, entité organisant le processus de sélection ;

- du conseil d’administration de la société C, entité ayant reçu une licence via le processus de sélection, et aussi présente dans le comité des usagers ;

- du Ministère de la Mobilité et des Transports, entité validant le choix opéré par la B ;

Enfin, et afin de pouvoir examiner et tenir compte utilement de ces informations, je sollicite également :

[1] que vous me confirmiez que vous suspendrez volontairement le délai de suspension de signature des SLA dans l’attente de la fourniture de ces réponses ;

[2] qu’un nouveau délai de 14 jours sera accordé à ma mandante, une fois les informations fournies ;

A défaut de réponse favorable sur cette suspension du délai de stand-still ainsi que de l’octroi d’un nouveau délai par après, avant le lundi 18 mars 2024 à 12h, ma mandante m’a donné instruction d’introduire, de façon conservatoire, des recours devant les juridictions administratives. […] » A défaut de réponse à ce courrier, la société A, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2024, inscrite sous le numéro 50221 du rôle, a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre telle que matérialisée à travers le prédit courrier électronique du 6 mars 2024, des décisions corrélatives d’attribution de licences aux sociétés C et D, telles que matérialisées par le communiqué de presse gouvernemental du 7 mars 2024 ainsi que des arrêtés ministériels d’agrément des sociétés C et D datés du 8 mars 2024.

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50222R du rôle, la société A sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre de son recours au fond.

5 La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

A cet égard, elle estime en effet que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler les décisions querellées.

La société A excipe en guise de premier moyen du fait que la décision de sélection des sociétés C et D et la décision de rejet de sa propre offre seraient irrégulières alors que le nombre de points lui alloués apparaîtrait comme ne résultant matériellement pas des critères fixés dans le cahier des charges relatif à l’appel d’offres.

En effet, le cahier des charges aurait prévu un certain nombre de critères devant aboutir à une notation globale de l’offre sur 1000 points.

En premier lieu, un critère commercial devait conduire à l’attribution de 500 points, sur base d’une appréciation de la fiabilité économique (Reliability) et de l’efficience économique (Economic efficiency), les points attribués au vu de ces critères devant ensuite être divisés par deux, sur base de la formule suivante : « The total score of the sample quantity calculation is calculated from the arithmetic mean of the individual scores for reliability and economic efficiency : ([Single point rating reliability + single point rating economic efficiency] / 2) Note:

If the requirements with regard to reliability or economic efficiency have net been met (single point rating equal to 0 or 1), only a maximum total rating of two point can be achieved ».

Une fois le nombre de points alloués, et afin d’arriver à un score sur 500 points, une multiplication par 100 devait être opérée ; enfin, sur base des points figurant dans le tableau, les opérateurs se seraient vus allouer pour ce critère des points qui ne pouvaient être selon la requérante que des multiples de 50 points : 0, 50, 100, 150, etc. jusqu’à 500 points.

En second lieu, des critères d’ordre qualitatif auraient été prévus dans le cahier des charges, divisés en trois sous-critères, à savoir le concept de déploiement du personnel (sur 200 points), le concept GSE (« Ground Support Equipement ») (sur 200 points) ainsi que le concept organisationnel pour le début des opérations et la phase d’implémentation, notamment en termes d’assurance qualité (sur 100 points).

En ce qui concerne la manière de déterminer les points pour chacun de ces sous-critères, le cahier des charges aurait précisé que « The scoring categories are each scored with 0 to 5 points (see the following illustration in detail). The number of points achieved is multiplied by the weighting factors given below and added up in order to determine the overall result (evaluation score) of the respective candidate ».

Selon le cahier des charges, les points obtenus pour les deux premiers sous-critères auraient dû ensuite être multipliés par 40 (« The number of points achieved is multiplied by 40 to determine the final result (evaluation points) ») de sorte qu’un opérateur n’aurait pu mathématiquement obtenir que des multiples de 40 points pour ce 1er sous-critère, soit : 0, 40, 80, 120, 160 ou 200 points. En ce qui concerne le troisième sous-critère qualitatif, lié au concept organisationnel pour le début des opérations et la phase d’implémentation, les points obtenus auraient dû être multipliés par 20, de sorte qu’un opérateur ne pouvait mathématiquement 6 obtenir que des multiples de 20 points pour ce 3e sous-critère, soit : 0, 20, 40, 60, 80 ou 100 points.

Enfin, le total des points alloués aurait dû être additionné.

Comme les points alloués en fonction des différents critères seraient censés être des multiples de 20, de 40 ou de 50, et donc des multiples de 10, il serait mathématiquement incompréhensible que la requérante se soit vu allouer 717 points ; si elle avait interpellé en ce sens le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que B, aucune réponse ne lui aurait été fournie quant à ce résultat et quant au détail de chaque critère.

Or, en prenant en compte le fait que les notes des opérateurs sélectionnés C et D oscilleraient entre 720 et 740 points, nombres constituant quant à eux des multiples de 10, elle aurait donc obtenu 3 points de moins (soit une différence de l’ordre de 0,4%) que la société placée en seconde position, sans que cela ne trouve une quelconque justification selon les critères d’adjudication, de sorte qu’il conviendrait d’en conclure que l’application des critères d’adjudication n’aurait pas été faite de manière conforme aux prescriptions du cahier des charges, impliquant le caractère manifestement irrégulier et partant vicié des décisions entreprises.

A titre subsidiaire à une application irrégulière des critères, la partie requérante estime encore qu’un tel traitement devrait en tout état de cause s’assimiler à un manquement quant aux obligations de traitement égalitaire, obligations se retrouvant à la fois dans les grands principes de la commande publique mais également dans les principes constitutionnels de traitement égal, ce qui justifierait à son tour l’annulation par les juges du fond des décisions visées par le recours.

La société A fait ensuite plaider que les dispositions violeraient un certain nombre de garanties prévues par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce compris une défaillance flagrante de la motivation intrinsèque des décisions visées au recours, la partie requérante se prévalant à ce sujet plus particulièrement d’une violation de l’article 6 de ce règlement qui prévoit une obligation de motivation des décisions administratives, une violation de l’article 12 du règlement qui prévoit une obligation d’obtention d’une copie des éléments d’informations sur lesquels l’Administration s’est basée, ainsi qu’une violation de l’article 14 du règlement qui prévoit une obligation de transmettre une information utile sur les voies et des délais de recours en cas de refus de faire droit à une requête d’une partie, ce qui serait le cas en l’espèce, puisque la société A se serait vue refuser sa demande d’obtention d’une licence pour exploiter les services d’escale.

La société A se prévaut enfin du fait que le résultat du processus ferait apparaître un potentiel conflit d’intérêt, qui aurait dû conduire à la disqualification d’une des deux entités ayant été sélectionnée par le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics, sur proposition de B, en relevant que l’on retrouverait le même haut fonctionnaire, en charge de la coordination générale au sein du ministère de la Mobilité et des Travaux Publics, au sein du conseil d’administration de la société C, société ayant été retenue suite à l’appel d’offres, et au sein de B, société ayant proposé au ministre l’octroi d’une licence à la société C, la société requérante relevant de surcroît que les différentes offres auraient été revues et la proposition d’octroi de licence avisées par un Comité des usagers présidé et vice présidé, selon l’arrêté ministériel du 10 novembre 2017, par des membres de …, où siègerait également ledit haut fonctionnaire, et de C.

7 La société A, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, se prévaut d’abord d’un préjudice financier au niveau de la perte d’opportunité commerciale, préjudice qui serait d’une gravité substantielle, et ce au vu tant de la valeur absolue du montant du marché que de sa proportion par rapport à la requérante.

A cet égard, elle explique que le chiffre d’affaires annuel projeté était d’environ 16 millions d’euros, avec une marge annuelle d’environ 1 million d’euros ; aussi, en prenant en compte la durée d’octroi de la licence de sept années, et en y intégrant l’inflation, la non-

attribution de cette licence représenterait pour elle une perte de chiffre d’affaires d’environ 130 millions d’euros et près de 10 millions d’euros de perte de bénéfices.

Elle relève encore qu’au vu des incidences d’un point de vue commercial, combinées à l’absence d’une réparation adéquate et en temps utile, ce préjudice serait également à caractériser de définitif.

Au-delà de ce préjudice financier et commercial, il s’agirait encore d’un préjudice sur le plan stratégique. En effet, la taille relative de l’Aéroport de Luxembourg et sa position stratégique au cœur de l’Europe représenterait un atout particulièrement important pour une entreprise d’assistance à escale, alors qu’elle permettrait de disposer d’un effet de réseau pour servir les compagnies aériennes au départ et à l’arrivée, la société A relevant encore que l’Aéroport de Luxembourg se classerait parmi les 80 plus grands aéroports d’Europe, de sorte qu’il représenterait donc un intérêt stratégique majeur pour elle en sa qualité de n° 1 du secteur de l’assistance en escale en Europe continentale : par conséquent, le non-octroi d’une licence lui occasionnerait également un préjudice au niveau de l’impossibilité, pendant une période de sept années, de se positionner stratégiquement sur cet aéroport.

Enfin, les décisions déférées entraineraient encore une perte d’ordre réputationnel à défaut pour elle d’être sélectionnée pour l’exploitation de cette licence sur une période longue, à savoir 7 années, puisqu’elle risquerait ainsi d’apparaître comme « la » société qui n’a pas remporté ce marché. Dès lors, au-delà de l’aspect financier, il s’agirait également d’une question d’image de marque et de prestige, alors qu’elle serait empêchée injustement de pouvoir réaliser ce marché qui devrait être considéré comme particulièrement représentatif.

La société A en conclut qu’une simple réparation par équivalent intervenant au terme d’une procédure civile, longue et coûteuse, ne lui procurerait pas une entière satisfaction, de sorte que son préjudice serait grave.

Le représentant de l’Etat, rejoint en ses développements par les représentants respectifs de la société B, de la société C et de la société D, pour sa part, conclut au rejet du recours au motif que les conditions du caractère sérieux des moyens et d’un risque de préjudice grave et définitif ne seraient pas remplies en cause.

En ce qui concerne le risque de préjudice grave et définitif de la société A, ces différentes parties rappellent que la société A se serait vue délivrer dès 2016 un agrément pour la fourniture de services d’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg pour une durée de 7 ans, agrément prolongé par arrêté ministériel du 31 mars 2023, sans qu’A n’ait à ce jour exécuté une seule prestation à l’aéroport du Luxembourg, la société B relevant en particulier que la société requérante n’aurait, à ce jour et depuis 2016, jamais sollicité des badges de sécurité pour 8 l’aéroport de Luxembourg, condition sine qua non pour accéder au périmètre de l’aéroport et y prester des services d’assistance en escale.

Le représentant de la société C, pour sa part, relève encore l’absence de toute détérioration de la situation antérieure de la société A qui disposait d’une licence qu’elle n’aurait pas utilisé, de sorte que les décisions actuellement litigieuses n’auraient en rien impacté cette situation antérieure. La société C conteste encore tout préjudice stratégique grave dans le chef de la société A, qui à défaut d’avoir opéré au Findel malgré le fait qu’elle détenait une licence à cet effet, ne saurait actuellement valablement affirmer que l’aéroport du Luxembourg présenterait une importance stratégique, alors qu’elle n’aurait durant les 8 dernières années pas entrepris d’efforts pour mettre en place ses activités au Findel et pour attirer les compagnies aériennes desservant l’aéroport du Luxembourg.

En ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

En ce qui concerne le caractère grave du préjudice, la perte d’une chance de se voir attribuer un marché public, ou, comme en l’espèce, d’être retenu au terme d’une procédure de sélection, ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire1.

Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, d’autant que même un soumissionnaire dont l’offre a été retenue doit s’attendre à ce que le pouvoir adjudicateur, procède, avant la signature du contrat, soit à la renonciation du marché, soit à l’annulation de la procédure de passation du marché, sans que ce soumissionnaire puisse, en principe, prétendre à une quelconque indemnisation. En effet, avant la signature du contrat avec le soumissionnaire sélectionné, le pouvoir adjudicateur n’est pas engagé et peut ainsi, dans le cadre de sa mission relevant de l’intérêt général, renoncer librement au marché ou annuler la procédure d’appel d’offres, sans être tenu d’indemniser ledit soumissionnaire2.

1 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R ; Trib. U.E., 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T 511/08 R.

2 Trib. U.E., 11 mars 2013, Communicaid Group / Commission, aff. T-4/13 R.

9 Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face3 indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce4.

En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante5.

En ce qui concerne plus particulièrement la matière des soumissions publiques, un préjudice peut être qualifié de grave notamment lorsqu’il est d’une envergure telle qu’il menace la survie même d’une entreprise, ou lui impose une restructuration néfaste ou encore lorsque les circonstances du refus d’attribution entraînent une perte de réputation réelle pour l’entrepreneur du fait de la publicité donnée à la mesure.

Ainsi, un préjudice financier peut se révéler grave, lorsque la privation du marché compromet la survie sur le plan économique du soumissionnaire, ou l’accule à la faillite6.

Il s’agit d’une évaluation in concreto, reposant notamment sur la prise en compte de la taille de l’entreprise concernée et de l’importance du manque à gagner, exigeant une démarche probatoire concrète et chiffrée de la part du requérant, cette exigence étant la contre-partie du principe selon lequel le juge des référés ne saurait faire une application mécanique et rigide de la condition liée au caractère définitif du préjudice - ni, d’ailleurs, au caractère grave du préjudice invoqué -, mais doit tenir compte des circonstances qui caractérisent chaque affaire.

La preuve de la gravité du préjudice implique ainsi en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice7.

Or, en l’espèce, la société A se borne à mettre en avant le montant important du marché litigieux, qui représenterait un chiffre d’affaires annuel escompté d’environ 16 millions d’euros, avec une marge annuelle d’environ 1 million d’euros, de sorte que sur une durée de sept ans ce marché de l’assistance en escale aéroportuaire représenterait un chiffre d’affaires d’environ 130 millions d’euros et environ 10 millions d’euros de bénéfices escomptés, le fait qu’il s’agirait d’un marché stratégique et que sa perte engendrerait encore dans son chef un dommage réputationnel.

Il est certes vrai qu’un préjudice financier objectivement considérable ou même non négligeable peut être considéré comme grave, sans qu’il soit nécessaire de le rapporter systématiquement au chiffre d’affaires de l’entreprise qui craint de le subir8.

3 Par analogie : Trib. U.E., 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, aff. T 211/07 R.

4 Par analogie : Trib. U.E., 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T 195/05 R.

5 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R.

6 voir. C.E. belge, 9 novembre 2007, SA Mexys c/ CHU de Liège, n° 176.607.

7 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 696.

8 Voir en ce sens trib. U.E., 18 janvier 2018, Strabag Belgium c. Parlement, T-784/17 R.

.

10 En l’espèce toutefois, il résulte d’abord des contestations circonstanciées de l’Etat, de B, de C et de la société D, que la société A est l’une des sociétés dominantes européennes d’assistance aéroportuaire, s’agissant apparemment de la société la plus importante sur ce marché en Europe continentale, desservant quelques 53 aéroports européens et qu’elle, respectivement le groupe A, présentait en 2022 un chiffre d’affaires global de quelques 215 millions d’euros, de sorte que les services d’assistance en escale à l’aéroport à Luxembourg ne représentent pour le groupe A qu’une part d’importance moindre, voire minime.

Il appert ensuite que la société A disposait précédemment, et ce d’avril 2016 à ce jour, d’un agrément pour la fourniture de services d’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg, l’arrêté ministériel initial du 28 avril 2016 d’une durée de 7 ans ayant été prolongé en date du 31 mars 2023 jusqu’à ce que les nouveaux prestataires soient opérationnels, sans qu’elle n’ait pour autant exécuté pendant cette période une seule prestation à l’aéroport du Luxembourg, de sorte qu’elle n’a, depuis 2016, pas fourni le moindre service d’assistance en escale à l’aéroport du Luxembourg, la société A n’ayant manifestement pas réussi à ou voulu attirer des compagnies aériennes desservant l’aéroport du Luxembourg, alors que, tel que souligné par la société C, la société A, pour obtenir la licence en 2016, avait nécessairement, en conformité avec l’article 9, point a) de la loi du 19 mai 1999 ayant pour objet de réglementer l’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg, dû établir un plan d’entreprise portant sur, au moins, les deux premières années d’exploitation, et qu’elle aurait partant dû disposer nécessairement de clients prospects.

Il s’ensuit que la perte du marché de l’assistance aéroportuaire doit, d’une part, être considérée comme ne représentant hypothétiquement qu’une part peu importante du chiffre d’affaires global de A et, d’autre part, comme ne représentant concrètement, au vu de l’inactivité de la société requérante depuis 2016 sur ce même marché, qu’un préjudice purement symbolique.

Par ailleurs, il y a encore lieu de constater, tel que mis en exergue par le représentant de la société B, que le marché litigieux ne constitue pas un marché onéreux, en ce sens que l’Etat ne se procure pas contre rémunération des travaux, ou services ou fournitures, mais qu’il accorde un droit à des prestataires sélectionnés pour fournir des services d’assistance en escale, ces prestataires n’étant pas rémunérés par l’Etat ou par un autre acteur public, mais par leurs clients, à savoir les compagnies aériennes opérant à partir de l’aéroport du Luxembourg.

Il s’ensuit que le préjudice mis en avant par la société A, à savoir un manque à gagner, ne résulte pas directement des décisions litigieuses, puisque la perte de l’agrément ne signifie pas ipso facto et directement la perte d’une quelconque rémunération, mais de la faculté d’A à faire fructifier cet agrément en trouvant des clients, faculté que la société requérante n’a pas mise à profit depuis 2016.

Or, un sursis ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours9.

9Trib. adm. (prés.) 13 août 2009, n° 25975, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 701, et les autres références y citées.

11 Dans la mesure où la société requérante entend encore invoquer une atteinte à sa réputation, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, comme retenu ci-

dessus par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation10.

Par ailleurs, des considérations relatives à la réputation du soumissionnaire retenu et à la possibilité pour lui d’utiliser l’attribution d’un marché prestigieux comme référence dans d’autres contextes concurrentiels ne concernent que des éléments accidentels et accessoires du contrat conclu à l’issue de la procédure d’appel d’offres. Or, si le fait pour un soumissionnaire écarté de subir un manque à gagner grave en n’obtenant pas la somme prévue contractuellement, élément par ailleurs, comme relevé ci-avant, absent du marché en cause, ne saurait justifier per se l’octroi d’une mesure provisoire, il doit en aller de même, à plus forte raison, en ce qui concerne la perte desdits éléments accidentels et accessoires11.

Enfin, concrètement, dans le cas d’espèce, la non-attribution de ce marché à la société A, ou plutôt le non-renouvellement de ce marché à son profit, ne saurait non plus être considéré comme portant atteinte à sa réputation, la non-activité de la société A depuis 2016, relayée par la presse, devant, de ce fait, être considérée en tout état de cause comme davantage néfaste pour sa réputation.

Si, certes, la possibilité - théorique - de s’implanter au Luxembourg et, soit de développer davantage ses propres activités, soit d’écarter un concurrent potentiel du marché luxembourgeois, peut constituer un élément commercial important, le préjudice résultant de la non-sélection de la société A et le préjudice indirect éventuel en résultant, ne peuvent toutefois, comme indiqué ci-avant, être considérés comme justifiant une mesure provisoire qu’à la condition que la partie qui sollicite la mesure provisoire démontre un risque de modification irrémédiable des parts de marché présentant également un caractère grave12, ce qui en l’espèce n’est toutefois pas le cas.

Si cette solution peut paraître sévère, il convient de rappeler que le sursis d ’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, de sorte que les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère. Cette sévérité s’impose d’autant plus en la matière des marchés publics, de sorte à exiger une atteinte effective grave à la pérennité d’une entreprise, sous peine d’aboutir à la paralysie générale des marchés publics dont l’adjudication fait l’objet d’un recours contentieux et, au-delà, de risquer de porter atteinte au bon fonctionnement de l’administration, l’objet final de toute soumission publique n’étant non pas de servir les intérêts économiques des soumissionnaires concurrents, mais de pourvoir aux besoins d’une entité publique.

10 Par analogie : Trib. U.E. 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T-511/08 R.

11 Par analogie : Trib. U.E. 3 juillet 2017, Proximus / Conseil, aff T-117/17 R ; trib. adm. (prés.) 24 février 2021, n° 45601.

12 Trib. U.E., 10 novembre 2012, Intrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12.

12 Il convient en effet de rappeler le principe de l’absence d’effet suspensif, lequel constitue l’une des pierres angulaires du contentieux administratif en droit luxembourgeois.

Cette spécificité a été explicitement justifiée en France13 par le fait qu’il serait contraire à l’intérêt général de concevoir un système dans lequel une requête tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision administrative s’accompagnerait d’une suspension automatique des effets de la décision litigieuse jusqu’à ce que le juge ait statué. Une telle solution conduirait à la paralysie de l’action administrative, de sorte que le caractère exécutoire des actes administratifs a été qualifié par le Conseil d’Etat français de « règle fondamentale du droit public », le Conseil d’Etat considérant que le sursis reste « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »14. La Cour administrative15, de son côté, a rappelé que l’administration risquerait d’être paralysée si l’exécution de ses décisions était suspendue par des recours et que ce serait pour cette raison que le législateur a instauré la règle du préalable administratif et que la suspension de l’exécution des décisions administratives est enfermée dans des limites très strictes, le recours contentieux ne suspendant pas, en principe, l’exécution de la décision.

En d’autres termes, le juge du provisoire doit toujours veiller à ce que son intervention soit exceptionnelle au regard de la nécessité de préserver l’intérêt public exigeant, sauf exception, la préservation de l’action administrative.

En l’espèce toutefois, tel que retenu ci-avant, la non-sélection de la société A, au vu de son inactivité sur le site aéroportuaire luxembourgeois depuis 2016, ne saurait générer dans son chef qu’un préjudice virtuel et théorique, sinon à tout le moins purement hypothétique, de sorte à ne pas pouvoir être considérée dans ce cas d’espèce déterminé comme susceptible de constituer dans son chef un préjudice suffisant justifiant le sursis sollicité.

En revanche, la suspension dudit marché de l’assistance aéroportuaire est, en l’état, de nature à risquer de porter atteinte à l’intérêt général desservi par l’activité faisant l’objet du marché, voire de porter atteinte à l’objectif même poursuivi par la loi modifiée du 19 mai 1999 ayant pour objet de réglementer l’accès au marché de l’assistance en escale à l’aéroport de Luxembourg, à savoir celui de permettre une saine concurrence en prévoyant la sélection de deux prestataires, dans la mesure où la candidature de la société A et le présent recours ne viserait, à des fins commerciales et stratégiques, qu’à chercher à écarter un potentiel concurrent et à éviter l’implantation d’un concurrent de niveau européen au Luxembourg tel que la société D, l’autre prestataire, local, C, n’étant pas de nature à concurrencer A au niveau global européen.

La solution retenue n’est pas non plus, tel qu’allégué par la société A, de nature à porter atteinte au principe du recours effectif.

En effet, d’une part, tel que relevé ci-avant, le juge des référés ne fait pas une application mécanique et rigide de la condition liée au caractère définitif du préjudice, sous peine qu’il soit porté une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle effective dont le requérant, soumissionnaire évincé, bénéficie au titre de l’article 47 de la Charte des droits 13 Conseil d’Etat fr.,2 juillet 1982, n° 25288.

14 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190).

15 Avis sur l’avant-projet de loi portant organisation de la Cour suprême.

13 fondamentaux, conformément aux enseignements de la Cour de Justice de l’Union européenne16 en matière de marchés publics, de sorte que la condition du préjudice grave et définitif telle qu’appliquée n’exige qu’une démarche probatoire concrète et chiffrée de la part du requérant, à la portée de tout un chacun, par rapport au critère de gravité.

La condition du préjudice grave et définitif telle qu’appliquée par la jurisprudence ne constitue dès lors pas une entrave à l’accès du juge du provisoire.

D’autre part, la disposition ainsi contestée par la partie requérante, à savoir l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, ne fait pas obstacle à ce qu’un candidat irrégulièrement évincé exerce, parmi les voies de recours de droit commun, une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé, procédure qui peut être exercée même malgré l’absence d’introduction préalable d’un référé précontractuel ou en cas d’échec de celui-ci et qui permet de pallier les insuffisances du recours précontractuel17, notamment dans les hypothèses où la procédure de passation du marché n’a pas été suspendue ou lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté cette suspension.

Il convient enfin de relever que si le recours, tel qu’exigé par l’article 13 de la CEDH et par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur18 , toutefois cette effectivité n’est pas subordonnée à la certitude qu’une issue favorable soit réservée à la requête19.

En d’autres termes, le droit à un recours effectif n’impose aucunement que le recours aboutisse dans le sens souhaité par le requérant, mais il exige que ce recours existe en théorie, mais surtout en pratique, et ce quelle que soit l’issue du litige20, ce qui est le cas en l’espèce.

La société requérante est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros tel que formulée par la société A laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

16 Voir notamment Trib. U.E., 4 décembre 2014, Vanbreda Risk & Benefits c. Commission, T-199/14 R ainsi que CJUE, 23 avril 2015, Commission c.Vanbreda Risk & Benefits, C-35/15 P(R), ou encore Trib. U.E., 24 mars 2015, Europower c. Commission, T-383/14.

17 CEDH, 17 septembre 2013, Novabat-OI c. France, Req. n° 11693/10.

18 Voir notamment Cour EDH, 19 février 1998, Kaya c. Turquie, Req. n° 22729/93 ou encore Cour EDH, 9 mai 2006, Pereira Henriques c. Luxembourg, Req. no 60255/00.

19 Cour EDH, 27 janvier 2015, Neshkov et autres c. Bulgarie, Req. n° 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13.

20 Trib. adm. (prés.) 17 décembre 2021, n° 46630.

14 Les demandes reconventionnelles en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000.- euros de la société C et d’un montant de 5.000.- euros de la société D laissent également d’être fondées, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause. Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de ces parties n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, -

étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours en obtention d’un sursis à exécution ;

rejette également la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société A ;

rejette encore les demandes reconventionnelles en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées par la société C et par la société D ;

condamne la société A aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50222R
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-05;50222r ?

Source

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