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05/07/2024 | LUXEMBOURG | N°47050,47307

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2024, 47050,47307


Tribunal administratif Nos 47050 et 47307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47050+47307 4e chambre Inscrits les 21 février 2022 et 12 avril 2022 Audience publique du 5 juillet 2024 Recours formé par Madame …, … (D), contre deux décisions du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de stage

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47050 du rôle et déposée le 21 février 2022 au greffe du

tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’...

Tribunal administratif Nos 47050 et 47307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47050+47307 4e chambre Inscrits les 21 février 2022 et 12 avril 2022 Audience publique du 5 juillet 2024 Recours formé par Madame …, … (D), contre deux décisions du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de stage

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47050 du rôle et déposée le 21 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 23 novembre 2021 portant résiliation de son stage avec effet au 1er novembre 2021 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2022 par Maître Jean-Marie Bauler au nom et pour le compte de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2022 ;

Vu la constitution de nouvel avocat de Maître David Giabbani, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2022 pour le compte de Madame …, demeurant actuellement à D-… ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent Staudt en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 février 2024, Maître David Giabbani s’étant excusé.

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47307 du rôle et déposée le 12 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 21 février 2022, prise sur recours gracieux, confirmant sa décision du 23 novembre 2021 portant résiliation de son stage avec effet au 1er novembre 2021 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2022 par Maître Jean-Marie Bauler au nom et pour le compte de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2022 ;

Vu la constitution de nouvel avocat de Maître David Giabbani, préqualifié, déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2022 pour le compte de Madame … ;

I. + II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 avril 2024, Maître David Giabbani s’étant excusé.

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En date du 14 septembre 2018, Madame … fut engagée, avec effet au 15 septembre 2018, sous le statut de l’employé de l’Etat, par un contrat à durée indéterminée en qualité de chargée d’enseignement à …, conformément à la loi modifiée du 23 juillet 2016 portant création d’une réserve nationale des employés enseignants des lycées, dénommée ci-après « la loi du 23 juillet 2016 ».

Par courrier du 18 juillet 2019, Madame … adressa une demande d’octroi d’un congé sans traitement pour raisons professionnelles au ministre de l’Education nationale de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé « le ministre », pour une durée d’un an à partir de la rentrée scolaire 2019/2020, accordée par arrêté ministériel du 2 septembre 2019 à partir du 1er septembre 2019 jusqu’au début de l’année scolaire 2021/2022.

En date du 22 août 2019, Madame … fut engagée, avec effet au 1er septembre 2019, par un contrat à durée indéterminée en qualité de chargé de cours de la réserve de suppléants de l’enseignement fondamental, conformément aux dispositions des articles 20bis et 22 de la loi modifiée du 6 février 2009 concernant le personnel de l’enseignement fondamental, dénommée ci-après « la loi du 6 février 2009 ».

Suite à sa demande de décharge du 22 juin 2020, le ministre accorda, par le biais d’un courrier du 24 juin 2020, une décharge correspondant à 24 leçons hebdomadaires d’enseignement à Madame …, chargée de cours, membre de la réserve de suppléants, pour la période du 15 septembre 2020 au 14 septembre 2021.

Par le biais d’un courrier du 23 septembre 2020, Madame … demanda au ministre de bien vouloir lui accorder démission de son poste de chargée d’enseignement dans l’enseignement secondaire à partir du 1er novembre 2020 au motif qu’elle aurait changé d’orientation professionnelle, demande à laquelle le ministre fit droit par courrier du même jour.

Par courrier du 9 juillet 2021, le ministre refusa de donner une suite favorable à la demande de décharge présentée par Madame … pour l’année scolaire 2021-2022 pour le poste au secrétariat de la commission d’inclusion de la direction générale de ….

Le 8 septembre 2021, à l’occasion d’un entretien d’appréciation, Madame … se vit attribuer le niveau de performance professionnelle 1.

Par courrier de son mandataire de l’époque du 15 septembre 2021, Madame … fit valoir ses observations, tout en sollicitant une entrevue.

Par un courrier recommandé du 27 septembre 2021, le ministre informa Madame … de son intention de résilier son stage dans les termes suivants :

« (…) Je tiens à vous informer du fait que j'ai l'intention de procéder à la résiliation de votre stage, suite à votre entretien d'appréciation lors duquel vous vous êtes vue attribuer un niveau de performance 1 par application de l'article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État.

En effet, Monsieur …, Directeur de la Direction de l'enseignement fondamental -

région …, m'a transmis une proposition d'appréciation motivée vous concernant. Suite à l'entretien d'appréciation, auquel vous avez refusé de participer, qui a eu lieu en date du 8 septembre 2021, en présence de Madame …, de Monsieur …, votre patron de stage, et de Monsieur … lui-même, ce dernier a proposé de retenir le niveau de performance 1 équivalent à « ne répond pas aux attentes ».

Or, selon l'article 7, paragraphe 1er de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et le traitement des employés de l'État, le contrat peut être résilié avec préavis dans un tel cas de figure.

Selon l'appréciation remise par votre supérieur hiérarchique, dont l'entièreté se trouve dans la proposition d'appréciation précitée et qui fait partie intégrante de la présente, il ressort que vous afficheriez de trop nombreuses déficiences, qui sont notamment les suivantes :

• lacunes importantes quant à la réalisation des tâches confiées (défaut de mise à jour des dossiers CI physiques et électroniques des élèves à besoins spécifiques, refus de suivre les lignes directrices ministérielles en matière de traitement des dossiers d'élèves) ;

• usage d'un comportement inadapté envers votre hiérarchie et certains membres de l'équipe du secrétariat se traduisant par l'utilisation d'un ton déplacé au téléphone, par e-mail, par le refus d'exécuter certains ordres, par la remise en question des instructions données par le responsable du service, par l'envoi d'une demande de décharge CI, sans autorisation préalable de la direction, aux services du ministère ;

Eu égard aux considérations exposées ci-dessus et au vu de votre dossier, une évolution satisfaisante n'a pu être constatée au courant de l'année scolaire, voire même pendant l'entièreté de la durée de votre stage, et la qualité du travail fourni semble ne pas répondre ni aux attentes ni aux exigences du métier de secrétaire.

Finalement, je tiens à vous informer du fait qu'en vertu de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, vous disposez d'un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendue en personne. Dans ce dernier cas, je vous prie de bien vouloir contacter Madame (…) en vue de la fixation d'une date pour cet entretien. (…) ».

Suite à une entrevue ayant eu lieu au sein du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé « le ministère », en date du 15 octobre 2021, en présence de fonctionnaires de la Direction générale des ressources humaines, Madame …, par courrier de son mandataire de l’époque du 22 octobre 2021, présenta encore ses observations écrites, tout en transmettant des attestations testimoniales, et en sollicitant une nouvelle entrevue avec le ministre lui-même afin de pouvoir présenter personnellement son point de vue.

Par un courrier recommandé du 11 novembre 2021, le ministre résilia le stage de Madame … avec effet au 1er octobre 2021.

Par courrier recommandé du 23 novembre 2021, le ministre annula sa décision du 11 novembre 2021 et la remplaça par une nouvelle décision de résiliation du stage de Madame …, en fixant la date d’effet de la résiliation au 1er novembre 2021. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) La présente décision annule et remplace mon courrier du 11 novembre 2021 par lequel vous étiez informée de la résiliation de votre stage avec effet au 1er octobre 2021, qui contenait une erreur matérielle relative à la date d'effet de la résiliation du stage précitée.

Par courrier recommandé du 27 septembre 2021, je vous ai informée de mon intention de procéder à la résiliation de votre stage, en indiquant les motifs à la base de cette intention. Je vous ai de même informée du fait que vous disposiez d'un délai de 8 jours pour présenter vos observations ou être entendue en personne.

C'est dans ce contexte que vous avez été reçue, le vendredi 15 octobre 2021, sans préjudice quant à la date exacte, au sein des locaux du Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse, accompagnée votre avocat, Maître …, afin d'être entendue en vos explications.

Après analyse de votre dossier, suite à votre entretien d'appréciation lors duquel vous vous êtes vue attribuer un niveau de performance 1, et au vu de vos observations, présentées lors de l'entrevue précitée, et par écrit, je tiens à vous informer du fait que j'ai pris la décision de procéder à la résiliation de votre stage, en application de l'article 7, paragraphe 1er de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et le traitement des employés de l'État. Par conséquent, et conformément aux dispositions de l'article 2, paragraphe 3, alinéa 5, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, votre stage est résilié avec effet au 1er novembre 2021.

Les motifs m'ayant amené à prendre cette décision, tels qu’exposés déjà dans mon courrier du 27 septembre 2021, sont notamment les suivants :

• lacunes importantes quant à la réalisation des tâches confiées, alors que vous n'avez pas effectué la mise à jour correcte des dossiers CI physiques et électroniques des élèves à besoins spécifiques, que vous avez refusé de suivre les lignes directrices ministérielles en matière de traitement des dossiers d'élèves en envoyant directement le dossier aux parents de l'élève, et non pas à la nouvelle direction de région ; il convient de relever le fait que la pièce fournie par vous pour étayer le fait que ce serait Monsieur … qui aurait envoyé le document est un courrier électronique de ce dernier disant que « nous avons envoyé le dossier … » et n'est pas de nature à prouver que c'est Monsieur … qui est à l'origine de l'envoi ; en envoyant des documents d'évaluation aux parents d'élèves, avant que les enseignants n'aient pu les présenter, en bonne et due forme, auxdits parents, et ce alors même que la procédure à respecter avait été convenue antérieurement, en ayant clôturé le dossier d'un élève, et remis son dossier, le 20 avril 2021, sans préjudice quant à la date exacte, à une personne qui n'est pas le représentant légal dudit enfant ;

• usage d'un comportement inadapté envers votre hiérarchie et certains membres de l'équipe du secrétariat se traduisant par l'utilisation d'un ton déplacé au téléphone, par courriel, par le refus d'exécuter certains ordres ( tel que le refus d'inscription de certains enfants à l'ordre du jour d'une réunion), par la remise en question des instructions données par le responsable du service, notamment au cours d'un échange de message sur l'interface « Teams » le 19 mai 2021, sans le préjudice quant à la date exacte, par l'envoi d'une demande de décharge CI, sans autorisation préalable de la direction, aux services du ministère, alors même que cette demande aurait dû être transmise sur ordre, et avec accord de vos supérieurs hiérarchiques.

En conclusion et au vu de tout ce qui précède, vos capacités professionnelles et votre adaptation aux métiers de ce critère sont fortement mises en doute. En effet, l'on ne peut que constater, à la lecture des éléments du dossier, que votre qualification professionnelle est insuffisante.

Aussi, et alors que la possibilité de fournir des attestations testimoniales rapportant la preuve que votre travail était réalisé à l'entière satisfaction d'un bon nombre de vos collègues vous avez été laissé, le contenu des attestations fournies par vous n'a pas suffi à énerver les reproches formulés à votre égard. En effet, ces attestations, bien qu'elles reflètent une certaine satisfaction émanant de quatre personnes différentes, sont établies, pour au moins deux d'entre elles (celles de Madame … et de Monsieur …), par des personnes n'ayant que peu de contact avec vous. D'ailleurs, les éloges qui vous sont faits par Monsieur …, quant à la préparation exemplaire de vos unités d'enseignement, à la qualité de votre contact avec les élèves et votre empathie, ne vise en rien le poste et les fonctions que vous assumez actuellement et qui font l'objet de la présente procédure. (…) ».

Par courrier du 14 décembre 2021, la Confédération générale de la Fonction publique, ci-après dénommée « la CGFP », fit part de ses observations concernant la situation de Madame … au ministre.

Le 3 février 2022, Madame … forma, par le biais de son mandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre du 23 novembre 2021.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 février 2022, inscrite sous le numéro 47050 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 23 novembre 2021 portant résiliation de son stage avec effet au 1er novembre 2021.

En date du 21 février 2022, le ministre prit encore la décision de rejeter le recours gracieux de Madame … dans les termes suivants :

« (…) Par la présente, je fais suite à votre courrier du 3 février 2022 par lequel vous sollicitez l'annulation de la décision de résiliation du stage de Madame …, du 23 novembre 2021.

Tout d'abord, je vous informe du fait que je ne partage absolument pas votre avis quant au fait que la décision précitée ait pu violer les dispositions de l'article 9 de la PANC.

En effet, tel que vous le précisez, votre mandante a bel et bien été entendue en ses explications, en présence de son avocat, conformément aux dispositions de l'article 9 précité.

Votre argumentaire relatif au fait que la décision du 11 novembre 2021, qui comportait une erreur matérielle relative à la date d'effet de la résiliation de votre stage, ne serait que révélatrice du fait que la décision de résiliation avait été prise au moment de la convocation à l'entretien du 15 octobre 2021 n'a aucun sens.

En effet, les dispositions légales en la matière sont extrêmement claires. L'article 2, paragraphe 3, alinéa 5, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État énonce clairement que « le stage est résiliable, la résiliation du stage est prononcée soit pour motifs graves, soit lorsque le stagiaire s'est vu attribuer une appréciation professionnelle insuffisante par application des dispositions de l'article 4bis.

Sauf dans le cas d'une résiliation pour motifs graves, le stagiaire a droit à un préavis d'un mois à compter du premier jour du mois qui suit celui de la constatation de l'insuffisance professionnelle. ». Cette constatation est effectuée par le chef d'administration, lors de l'entretien d'évaluation qui conduit à l'appréciation du stagiaire ; entretien auquel votre mandante n'a pas daigné assister, et qui s'est tenu au mois de septembre 2021. Le fait que votre mandante ait volontairement essayé de gagner du temps en faisant durer la procédure n'a aucun effet sur ces dispositions. Une fois la décision de résiliation prise, et ce, à la suite de l'entretien du 15 octobre 2021, il est tout à fait correct que le délai de préavis ait commencé à courir le 1er octobre 2021, et que le stage ait été résilié avec effet au 1er novembre 2021.

Au vu de ce qui précède, je confirme évidemment la décision litigieuse. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 avril 2022, inscrite sous le numéro 47307 du rôle, Madame … a encore fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 21 février 2022.

Il échet à titre liminaire de constater que lors de l’audience des plaidoiries du 16 avril 2024, le tribunal a soulevé la question de la jonction des affaires inscrites sous les numéros 47050 et 47307 du rôle, au motif que la première affaire concerne le recours dirigé contre la décision initiale du ministre du 23 novembre 2021 portant résiliation du stage de Madame … avec effet au 1er novembre 2021 et la deuxième affaire concerne le recours dirigé contre la décision confirmative du ministre du 21 février 2022, prise sur recours gracieux, portant sur le même objet.

La partie étatique ne s’oppose pas à la jonction des deux affaires en question.

Par son courrier du 16 avril 2024, Maître David Giabbani s’est rapporté à prudence de justice quant à cette question.

Une jonction entre différentes affaires est susceptible d’être prononcée, dans le souci d’une bonne administration de la justice, dans l’hypothèse où ces affaires concernent les mêmes parties et où elles ont trait au même objet1.

En l’espèce, il est constant en cause que les deux recours concernent Madame … et portent sur le même objet, à savoir la résiliation de son stage avec effet au 1er novembre 2021, la deuxième étant confirmative de la première, étant précisé que dès lors que la décision du 21 février 2022 ne constitue que la confirmation pure et simple de la première décision du 23 novembre 2021, les deux décisions forment un seul tout indivisible2,de sorte qu’il y a lieu de joindre les deux affaires inscrites sous les numéros 47050 et 47307 du rôle et de statuer sur le mérite desdites affaires par un seul et même jugement.

Aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », « Les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond.

Le délai de recours est de trois mois à partir de la notification de la décision. ».

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation dirigé contre les décisions déférées des 23 novembre 2021 et 21 février 2022 par lesquelles la résiliation du stage de Madame … fut prononcée.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation dirigés contre les décisions déférées du 23 novembre 2021, respectivement du 21 février 2022.

Dans le cadre de ses mémoires en réponse déposés respectivement dans les deux rôles, la partie gouvernementale conclut, dans le cadre du dispositif, à l’irrecevabilité desdits recours, sans pour autant fournir le moindre moyen à ce sujet dans le corps de ses mémoires où elle se limite à se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité des recours et quant à l’intérêt à agir de Madame ….

1 Trib. adm., 12 juin 2003, n° 15385 du rôle, et trib. adm., 15 mai 2003, n° 14299 du rôle, confirmé par Cour adm., 15 juillet 2003, n° 16468C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1007 et 1013 et les autres références y citées.

2 Trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, conf. par Cour adm. 23 octobre 1997, n° 10040C du rôle, Pas. adm.

2023, V° Procédure contentieuse, n° 279 et les autres références y citées.

Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors que la partie gouvernementale est restée en défaut de formuler un moyen concret y relatif, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office, l’intérêt à agir n’étant pas sérieusement contestable dans le chef de Madame …, destinataire des prédites décisions qui lui causent grief pour avoir comme effet direct la résiliation de son stage.

Il s’ensuit que les recours principaux en réformation dirigés contre les décisions déférées du ministre des 23 novembre 2021 et 21 février 2022 sont encore recevables pour avoir été, par ailleurs, introduits selon les formes et délai de la loi.

A l’appui de ses recours et en fait, la demanderesse reprend les rétroactes passés en revue ci-avant, tout en précisant qu’elle aurait débuté sa période d’initiation en qualité de chargé de cours de la réserve de suppléant de l’enseignement fondamental en date du 1er septembre 2019, mais qu’elle aurait bénéficié d’une décharge correspondant à 24 leçons hebdomadaires à partir du 15 septembre 2020 jusqu’au 14 septembre 2021.

Elle fait encore répliquer dans le deuxième rôle qu’elle viendrait d’être réengagée en tant qu’enseignante au sein de son ancienne direction à … pour l’année académique 2022-

2023, décision du ministre ne faisant, d’après elle, que corroborer son doute quant à l’illégalité, sinon la disproportionnalité de la décision de résiliation de son stage du 23 novembre 2021.

Il y a d’abord lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par la demanderesse, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant, tout d’abord, du moyen invoqué par la demanderesse, dans le cadre de son mémoire en réplique, tenant à une violation des articles 4 et 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après désignée par « le statut général », du fait que l’intégralité des fonctions qu’elle aurait initialement assumées auraient fondamentalement changé à compter du début de la seconde année de sa période d’initiation, de sorte que, dans ces circonstances, la description initiale de ses fonctions, arrêtée par le chef d’administration, conformément à l’article 4, alinéa 3 du statut général, ne correspondrait plus aux fonctions exercées dans le cadre de la décharge CISEC des travaux de secrétariat de la commission d’inclusion, ci-après dénommée « la décharge CISEC ». Elle considère qu’elle se serait vue attribuer un niveau de performance 1, alors même que les éléments d’appréciation auraient été défaillants et qu’une évaluation conforme des performances conformément aux articles 4 et 4bis du statut général aurait été impossible en raison de l’absence de description de fonction et de plan de travail individuel.

Le délégué du gouvernement rétorque, à cet égard, que le changement de l’intégralité des fonctions initialement assumées par la demanderesse serait intervenu sur demande expresse de cette dernière, tout en précisant qu’elle aurait été appréciée quant à son travail en tant que secrétaire de la commission d’inclusion, cette appréciation s’étant basée sur ses performances telles que constatées par le chef d’administration. Il critique, par ailleurs, le fait qu’à aucun moment la demanderesse n’aurait fait état d’une quelconque défaillance des éléments d’appréciation, ni lors de son entretien d’appréciation le 8 septembre 2021, ni lors de son entretien préalable du 15 octobre 2021 en application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

L’article 4, alinéa 3 du statut général prévoit que « La description de fonction, arrêtée par le chef d’administration, définit les missions et les rôles liés aux fonctions identifiées dans l’organigramme ainsi que les compétences techniques et les compétences comportementales exigées pour l’accomplissement de ces missions et rôles. » Force est d’abord au tribunal de relever qu’il ressort du contrat de travail de chargé de cours à durée indéterminée de la réserve de suppléants de l’enseignement fondamental signé en date du 22 août 2019, que la demanderesse a été engagée, sous le statut de l’employé de l’Etat, régi par la loi du 25 mars 2015, dont l’article 20, paragraphe (1) disposait, à l’époque de l’engagement de la demanderesse, que « Sans préjudice de l’application de l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat et de l’article 19, alinéa 2, de la présente loi, les employés sont considérés comme étant en période de stage pendant les trois premières années de service. (…) ».

Il ressort également du contrat de travail que la demanderesse en qualité de chargée de cours de la réserve de suppléants de l’enseignement fondamental, était soumise à la loi du 6 février 2009 et notamment à son article 20bis qui dispose que « Les chargés de cours membres de la réserve de suppléants, occupant un des emplois définis à l’article 16, point 2, suivent la formation du certificat de formation pédagogique d’un volume d’au moins 246 heures organisée conformément à la loi modifiée du 30 juillet 2015 portant création d’un Institut de formation de l’éducation nationale » et que cette formation est réglée, dans le cas de la demanderesse, par les articles 65 et suivants de la loi modifiée du 30 juillet 2015 portant création d’un Institut de formation de l’éducation nationale, dénommée ci-après « la loi du 30 juillet 2015 », disposant, à l’époque de l’engagement de la demanderesse, que « Le cycle de formation de début de carrière défini au présent chapitre concerne les employés enseignants, éducatifs et psycho-sociaux de l’éducation nationale, en période d’initiation pendant les trois premières années de service selon l’article 20 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’État. ».

Or, si la formation organisée par l’institut de formation de l’éducation nationale, dénommé ci-après « l’IFEN », est a priori spécifique notamment aux chargés de cours, tel que la demanderesse, et que le déroulement et l’organisation de son stage ne suit dès lors pas nécessairement les mêmes règles que celles applicables aux employés de l’Etat de droit commun, il échet toutefois de relever qu’il n’est pas contesté en l’espèce que si la demanderesse a exercé, au cours de sa première année de stage, à savoir l’année scolaire 2019/2020, exclusivement des fonctions d’enseignement dans le cadre de la loi du 6 février 2009, cette dernière s’est vue accorder une décharge CISEC en date du 24 juin 2020, correspondant à une décharge de 24 leçons hebdomadaires d’enseignement pour l’année scolaire 2020/2021, et ce en vue d’exercer des fonctions purement administratives dans le cadre d’un poste de secrétaire dans la commission d’inclusion de la direction générale de ….

Dans ce contexte, il échet ensuite de constater que la demanderesse s’est vue attribuer un niveau de performance 1, à l’occasion d’un entretien d’appréciation du 8 septembre 2021, lequel lui a été attribué, tel que confirmé par la partie gouvernementale, sur base de son seul travail en tant que secrétaire de la commission d’inclusion.

Or, comme il n’est pas contesté par les parties au litige que la demanderesse n’a jamais disposé d’une description de fonction arrêtée par son chef d’administration pour son poste de secrétaire à la commission d’inclusion, telle que prévue à l’article 4, alinéa 3 du statut général, précité, et qu’une évaluation conforme des performances professionnelles d’un agent conformément aux articles 4 et 4bis du statut général présuppose cependant l’existence d’une description de fonction, respectivement d’un plan de travail individuel, c’est à bon droit que la demanderesse a conclu à une défaillance des éléments d’appréciation permettant d’aboutir à l’attribution d’un niveau de performance 1.

Ainsi, la procédure d’appréciation des performances professionnelles, telle qu’appliquée à Madame …, a été viciée, sans que l’affirmation de la partie étatique, selon laquelle le changement des fonctions serait intervenu sur demande expresse de la demanderesse, ne soit pertinente en l’espèce.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que la demanderesse a invoqué une violation de la procédure d’appréciation prévue aux articles 4 et 4bis du statut général, de sorte que la résiliation du contrat de travail de la demanderesse est à considérer comme étant intervenue en violation de la loi et que le recours est d’ores et déjà à accueillir sur ce point, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, l’examen de l’ensemble des autres arguments devenant par conséquent surabondant.

S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par la demanderesse au dispositif de son recours sur le fondement de l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal constate que la partie étatique a déposé, ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut par la demanderesse de remettre en question le caractère complet du dossier mis à sa disposition à travers ledit mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.

La demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 3.500 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qui est toutefois à rejeter en ce qu’il n’est pas justifié à suffisance en quoi il serait inéquitable de laisser à son unique charge les frais non compris dans les dépens.

Enfin, s’agissant de la demande de Madame … à voir ordonner l’effet suspensif du recours tel que prévu par l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. (…) », cette demande est également rejetée, alors que la demanderesse reste en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir un quelconque préjudice qu’elle risquerait de subir du fait de l’exécution de la décision litigieuse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

joint les affaires inscrites sous les numéros 47050 et 47307 du rôle ;

reçoit en la forme les recours principaux en réformation dirigés contre les décisions du ministre des 23 novembre 2021 et 21 février 2022 ;

au fond les déclare justifiés ;

partant par réformation des décisions du ministre des 23 novembre 2021 et 21 février 2022, dit que c’est à tort que le stage de Madame … a été résilié avec effet au 1er novembre 2021 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation ;

rejette la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par la demanderesse ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par la demanderesse ;

rejette la demande de la demanderesse basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2024 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47050,47307
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-05;47050.47307 ?

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