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14/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50477R

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juin 2024, 50477R


Tribunal administratif Numéro 50477R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50477R Inscrit le 22 mai 2024 Audience publique du 14 juin 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution présentée par la société …, …, contre des actes du ministre de la Santé en matière d’agrément d’un service d’imagerie médicale

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50477R du rôle et déposée le 22 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Thibault CHEVRIER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe

mbourg, au nom de la société …, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre...

Tribunal administratif Numéro 50477R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50477R Inscrit le 22 mai 2024 Audience publique du 14 juin 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution présentée par la société …, …, contre des actes du ministre de la Santé en matière d’agrément d’un service d’imagerie médicale

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50477R du rôle et déposée le 22 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Thibault CHEVRIER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société …, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’obtention d’un sursis à exécution par rapport à la décision, ainsi qualifiée, du ministre de la Santé du 9 juin 2023 l’ayant informé qu’elle n’était pas autorisée à exploiter ses appareils d’imagerie médicale et, pour autant que de besoin, la décision du ministre de la Santé du 9 avril 2024, lui ayant confirmé la non-conformité de l’exploitation de certains de ses appareils d’imagerie médicale, cette requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation introduit le 22 mai 2024 et inscrit sous le numéro 50476 du rôle, dirigé contre les actes en question ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes déférés ;

Maître Thibault CHEVRIER, pour la requérante, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2024.

La société … exploite à …, un centre d’imagerie médicale comprenant un scanner (tomodensitométrie à rayons X), un CBCT (Cone Beam Computed Tomography) dentaire, un poste de radiologie avec mode de radioscopie, un mammographe avec tomosynthèse ainsi qu’un échographe.

En date du 9 janvier 2023, le ministre de la Santé délivra à la société … un arrêté libellé comme suit :

« Vu la demande introduite en date du 27 septembre 2022, complétée le 8 décembre 2022, par Monsieur …, pour le compte de …, désigné ci-après « l'établissement », à l'effet d'obtenir l'autorisation, selon la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection, la mise en œuvre à l'adresse … des pratiques cités à l'article 1er ;

Vu la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection et notamment ses articles 44, 45, 49 et 52 ;

Vu le règlement grand-ducal du 1er août 2019 relatif à la radioprotection et notamment ses articles 19 et 20 ;

Vu l'arrêté ministériel de justification de pratique n° J 20/01 relatif à la pratique suivante : utilisation d'un équipement de mammographie avec acquisition d'images en mode tomosynthèse à des fins de radiodiagnostic sur patient symptomatique ;

Vu l'autorisation ministérielle No Cl 21/01 du 4 juin 2021 ;

Vu l'avis de la Direction de la santé du 28 décembre 2022 ;

Arrête :

Article 1er.- L'autorisation de mise en œuvre de pratiques entraînant son appartenance à la classe II, au sens de l'article 44 de la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection, est accordée à l'établissement pour la mise en œuvre des pratiques suivantes, conformément à la demande introduite :

- Utilisation de générateurs de rayons X, pour la mise en œuvre d'expositions à des fins médicales, suivant les spécifications et finalités décrites dans l'annexe « Liste des générateurs de rayons X autorisés » ;

Article 2.- Pour la mise en œuvre des pratiques autorisées à l'article 1er, l'établissement veille au respect des dispositions de la loi modifiée du 28 mai 2019 relative à la radioprotection et du règlement grand-ducal du 1er août 2019 relatif à la radioprotection, ainsi qu'au respect des conditions d'autorisation décrites dans les documents suivants :

-

Annexe « Conditions générales d'autorisation d'un service de radiologie » ;

-

Annexe « Conditions d'autorisation pour l'utilisation d'un équipement de mammographie avec acquisition d'images en mode tomosynthèse (digital breast tomography ; DBT) à des fins de radiodiagnostic sur patient symptomatique » ;

-

Annexe « Conditions d'autorisation pour l'utilisation d'un équipement CBCT à des fins de radiodiagnostic dentaire » ;

Article 3.- Monsieur … est désigné comme personne chargée de la radioprotection.

Article 4.- Afin de garantir le respect du principe de justification (art. 5.(2) et 76-80), l'établissement assure également le fonctionnement d'une IRM (tomographe à résonance magnétique nucléaire) et d'un échographe dans l'établissement.

Article 5.- Le présent arrêté d'autorisation, qui remplace l'arrêté d'autorisation Cl 21/01 du 4 juin 2021 et qui se base sur les documents introduits lors de la demande initiale, tenant compte du changement d'exploitant, est valable jusqu'au 31 mars 2026. L'autorisation peut être retirée si l'une des conditions d'autorisation n'est pas respectée ou si l'établissement contrevient d'une façon quelconque aux dispositions de la loi modifiée du 28 mai 2019 relative à la radioprotection ou du règlement grand-ducal du 1er août 2019 relatif à la radioprotection. » Par courrier du 31 janvier 2023, le ministre de la Santé précisa que cette autorisation ne comprenait pas l’autorisation d’exploitation d’une IRM, ledit courrier étant libellé comme suit :

« Je me permets de revenir à l'arrêté d'autorisation No Cl 22/02 du 9 janvier 2023 pour vous fournir un certain nombre de précisions quant à l'interprétation de celui-ci.

Selon l'arrêté précité, votre établissement est autorisé à utiliser les générateurs de rayons X suivants :

-

scanner (tomodensitométrie à rayons X), -

CBCT dentaire, -

poste de radiologie avec mode de radioscopie, mammographie avec tomosynthèse et ce conformément aux spécifications et finalités décrites dans l'annexe « Liste des générateurs de rayons X autorisés » dudit arrêté.

En toute logique, aucune disposition dudit arrêté ne saurait être interprétée comme valant autorisation d'exploitation d'une IRM (tomographe à résonance magnétique). En effet, en application de la loi du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière et du règlement grand-ducal du 12 juin 2004 fixant les normes pour un service d'imagerie médicale travaillant avec un tomographe à résonance magnétique nucléaire, l'installation d'une IRM n'est actuellement permise que dans le service d'imagerie médicale d'un centre hospitalier. Or, votre établissement ne répond pas à la définition d'un tel établissement hospitalier.

En d'autres termes, le respect du principe de justification par votre établissement ne saurait être lié à la mise en fonctionnement d'une IRM dans votre établissement.

Nonobstant ce qui précède, votre établissement reste bien évidemment tenu de respecter la législation applicable en matière de radioprotection et notamment le principe de justification défini aux articles 76 à 80 de la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection, de même que les termes de l'arrêté No Cl 22/02 recadré suivant ce qui précède. […] » Juste avant l’ouverture du centre d’imagerie médicale par la société …, prévue pour le 15 juin 2023, le ministre de la Santé adressa encore à cette société un courrier daté du 9 juin 2023, rédigé comme suit :

« Par la présente, je tiens à vous informer que mes services m'ont rapporté la mise en place d'un service d'imagerie médicale au sein de votre …, sis …, dont le démarrage de l'activité est prévu en date du 15 juin 2023.

Le … a fait l'objet d'une inspection par les médecins de la Direction de la santé en date du 1er juin 2023.

Un rapport a été établi en date du 6 juin 2023, selon lequel trois structures distinctes sont identifiables, à savoir un centre médical, un centre de médecine dentaire et un centre d'imagerie.

Le centre d'imagerie dispose entre autre d'une salle avec un appareil de mammographie, une salle avec un échographe, une salle pour la radiologie conventionnelle, un CBCT (Cone Beam Computed Tomography) ainsi qu'une salle avec un scanner.

Je constate qu'il est prévu que les médecins spécialistes en radiodiagnostic presteront des services dans ce centre de façon indépendante, mais sous forme d'une association (…). Le matériel, les appareils d'imagerie et les locaux seraient mis à leur disposition sous forme locative.

Je tiens à vous informer que sur base de l'article 2 du règlement grand-ducal du 12 juin 2004 fixant les normes pour un service d'imagerie médicale, l'activité visée par le … n'est possible que dans le cadre d'un service d'imagerie médicale ; ceci au sens de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière.

Je vous rappelle dès lors que l'autorisation et l'exploitation d'un tel service d'imagerie médicale sont réservées aux établissements hospitaliers visés à l'article 1erde la loi modifiée du 8 mars 2018 précitée.

Etant donné que le … n'est pas un établissement hospitalier au sens de cette disposition, il ne saurait remplir les conditions d'exploitation définies par le règlement grand-ducal du 12 juin 2004.

En l'absence de collaboration avec un établissement hospitalier, votre Centre n'est pas autorisé à exploiter les appareils de mammographie ni autorisé à utiliser un scanner.

Au vu de ce qui précède, je constate que votre Centre ne serait dès lors pas en conformité avec la loi modifiée du 8 mars 2018 précitée au jour du démarrage de votre activité.

[…] » Par courrier du 14 juin 2023, la société … y répondit par le biais de son mandataire en les termes suivants :

« Je vous contacte en ma qualité de mandataire de la société … qui m'a remis une copie de votre lettre du 9 juin 2023 relative à l'ouverture de son service d'imagerie médicale dans le … au ….

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler que ma mandante a sollicité - et obtenu - une autorisation qui a été délivrée le 9 janvier 2023 par votre Ministère aux fins de permettre à des médecins d'exploiter dans son centre un certain nombre d'appareils, à savoir :

-

Un scanner (tomodensitométrie à rayons X) -

Un CBCT (Cone Beam Computed Tomography) dentaire -

Un poste de radiologie avec mode de radioscopie -

Un mammographe avec tomosynthèse Par courrier du 31 janvier 2023, il a été précisé par votre Ministère que cette autorisation ne comprenait pas l'autorisation d'exploitation d'une IRM - un tomographe à résonnance magnétique nucléaire - celle-ci n'étant permise que dans un centre hospitalier C'est donc avec un grand étonnement que ma mandante a pris connaissance du fait que votre Ministère considère désormais, à quelques jours de l'ouverture envisagée de son centre d'imagerie, que l'exploitation des appareils de diagnostic autorisés et repris dans la liste ci-

avant ne pourrait, aussi, qu'être autorisée dans un centre hospitalier, ou à tout le moins via la mise en place d'une collaboration avec un centre hospitalier.

Ma mandante a réalisé, sur base des autorisations dûment obtenues après de multiples démarches et études approfondies, des investissements matériels très substantiels et se retrouve désormais dans une totale incertitude quant à leur exploitation face à un tel changement d'attitude de dernière minute.

A défaut de pouvoir ouvrir, il faut être conscient que ma mandante subira un préjudice particulièrement important, en raison de la perte totale de revenus en l'absence d'exploitation de son centre, cette situation étant nécessairement aggravée par les charges qui sont actuellement acquittées, notamment le remboursement d'emprunts et le paiement des salaires pour le personnel qui a été engagé.

Cette situation est également hautement préjudiciable pour les patients qui sont en attente d'un rendez-vous pour un examen et qui font face à des délais qui s'accroissent quotidiennement sans que la situation ne se résorbe, faute de moyens suffisants au Grand -

Duché de Luxembourg.

D'un point de vue juridique, et à la lecture de votre correspondance du 9 juin, je comprends que cette appréciation repose sur l'article 2 du « règlement grand-ducal du 12 juin 2004 fixant les normes pour un service d'imagerie médicale », qui serait à analyser sous la toile de fond de l'article 8 de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière.

Dans ce contexte, j'estime qu'il est important de souligner que, selon l'intitulé exact du prédit règlement grand-ducal du 12 juin 2004, celui-ci fixe « les normes pour un service d'imagerie médicale travaillant avec un tomographe à résonance magnétique nucléaire ».

Aucun système d'IRM n'ayant été ni installé, ni ne faisant l'objet de la prédite autorisation, cette règlementation - dont le champ d'application ne concerne par les appareils de ma mandante - ne saurait par conséquent justifier une quelconque restriction légale ou réglementaire.

A titre supplémentaire, si la loi du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière fixe un cadre légal pour les services hospitaliers, il ne saurait être admis que celui-ci soit unilatéralement et discrétionnairement étendu au centre d'imagerie qui a été mis en place par ma mandante.

Ceci aboutirait en effet à matérialiser une restriction injustifiée à la liberté d'exercice des médecins souhaitant mener leur activité au sein du …, liberté ayant, pour rappel, une valeur constitutionnelle, conformément à l'article 11, paragraphe 6 de la Constitution qui dispose : « (6) La loi garantit la liberté du commerce et de l'industrie, l'exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif ».

Nonobstant les oppositions formelles qui ont été soulevées par le Conseil d'Etat dans son avis du 25 avril 2023, ce constat est d'ailleurs confirmé par la lecture des travaux parlementaires du dossier n° 8009 visant à modifier la prédite loi du 8 mars 2018, les commentaires des articles évoquant la volonté du législateur de réserver l'exploitation d'un certain nombre d'équipements aux centres hospitaliers, ce qui signifie par conséquent que le cadre légal actuel n'établit, de facto, aucune restriction à cet égard.

Au vu de ce qui précède, et dans une optique de bonne entente avec vos services et en toute transparence, ma mandante souhaiterait obtenir une confirmation expresse, avant le 22 juin 2023, que votre Ministère n'entend pas interdire à des médecins de pratiquer dans le centre d'imagerie de ma mandante, avec des équipements dûment autorisés et en conformité avec toutes les lois et réglementations existantes.

Dans l'hypothèse où le Ministère entendait maintenir sa position, il vous appartiendra d'émettre une décision administrative en bonne et due forme, comportant les délais et voies de recours.

Enfin, à défaut de réponse à la présente, je vous informe que ma mandante ouvrira les portes de son centre d'imagerie le lundi 26 juin 2023. […] » Suite à ce courrier et dans le contexte de discussions notamment avec un centre hospitalier, la société … aurait décidé de mettre en stand-by ses opérations par rapport à l’utilisation du mammographe et du scanner pendant quelques mois.

Ces discussions ne s’étant toutefois pas avérées fructueuses, la société … aurait décidé de reprendre le démarrage de ses activités en utilisant le mammographe, ce qui aurait provoqué une réunion de la Commission parlementaire de la Santé et de la Sécurité Sociale en date du 28 février 2024, à l’occasion de laquelle auraient été discutés ces examens de mammographie effectués dans le centre médical. En parallèle, une réunion se serait tenue le 11 mars 2024 entre la société … et le ministre de la Santé, réunion au cours de laquelle le ministre de la Santé l’aurait informé qu’elle considérait que le centre d’imagerie ne serait pas en droit d’utiliser et d’exploiter les équipements présents sur place, en particulier son scanner (tomodensitométrie à rayons X) ainsi que son mammographe avec tomosynthèse.

Suite à cette réunion, la société … fit adresser en date du 14 mars 2024 le courrier suivant au ministre de la Santé :

« Je vous contacte en ma qualité de mandataire de la société … qui m’a fait part des échanges tenus lors de la réunion du 11 mars 2024 en lien avec l’exploitation du service d’imagerie médicale dans le … au ….

Selon ce qui m’a été rapporté et de ce que j’ai pu lire dans la presse, je comprends que vous considéreriez que le centre d’imagerie ne serait pas en droit d’utiliser et d’exploiter les équipements présents sur place, en particulier son scanner (tomodensitométrie à rayons X) ainsi que son mammographe avec tomosynthèse.

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler que ma mandante avait sollicité - et obtenu - les autorisations par votre Ministère aux fins de permettre à des médecins de « mise en œuvre de pratiques » portant entre autres sur ces appareils.

L’article 2 de l’autorisation du 9 janvier 2023 faisait référence à un certain nombre d’annexes, notamment les « Conditions d’autorisations pour l’utilisation d’un équipement de mammographie avec acquisition d’images en mode tomosynthèse (digital breast tomography ; DBT) à des fins de radiodiagnostic sur patient symptomatique ».

Suite à une initiative de la précédente Ministre de la Santé, un courrier avait été adressé à ma mandante le 9 juin 2023 pour l’informer que son centre ne serait pas autorisé à exploiter ces appareils, et ce en référence à l’article 2 du règlement grand-ducal du 12 juin 2004.

J’avais répondu à ce courrier le 14 juin 2023 en pointant - notamment - l’absence d’une quelconque pertinence de cette disposition réglementaire et en invitant votre Ministère, avant le 22 juin 2023, à confirmer expressément que cette position n’était pas maintenue, sinon à émettre une décision administrative en bonne et due forme, avec des délais et voies de recours.

Anticipant une absence de réponse, il avait été indiqué à votre Ministère qu’à défaut de réaction écrite, le centre d’imagerie ouvrirait ses portes le lundi 26 juin 2023.

Comme vous devez le savoir, aucune décision administrative n’a été portée à la connaissance de ma mandante pour l’informer d’un retrait de son autorisation ou d’une quelconque interdiction.

Selon ma compréhension, votre Ministère considérerait désormais que l’exploitation de son centre ne pourrait se faire que dans les conditions de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers, c’est-à-dire en devenant un site supplémentaire rattaché à un centre hospitalier.

Une telle obligation ne résultant cependant que de l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2023 portant modification de la prédite loi de 2018, elle ne saurait s’appliquer de façon rétroactive à l’autorisation donnée à ma mandante le 9 janvier 2023, la loi ne disposant que pour l’avenir, conformément à ce principe fondamental du droit codifié à l’article 2 du Code civil.

Toujours dans une optique de bonne entente avec vos services et en toute transparence, je vous demande donc, officiellement et formellement, et au nom et pour le compte de ma mandante, de prendre une décision administrative écrite, motivée en fait et en droit, comportant des délais et des voies de recours, justifiant votre décision de vouloir interdire à ma mandante d’exploiter les appareils dont l’utilisation a fait l’objet de toutes les autorisations requises.

Aux fins de vous laisser un temps utile, mais en prenant néanmoins en compte les enjeux économiques pour ma mandante, mais aussi - et surtout - les conséquences subies pour les très nombreux patients qui sont toujours en attente d’un rendez-vous pour un examen dans un délai décent, je suppose que vous ne manquerez pas de me transmettre une réponse, avant le 31 mars 2024.

Dans l’intervalle, et toujours en bonne intelligence, ma mandante a décidé de mettre en suspens l’exploitation de ces appareils.

En tout état de cause, si ce délai de quinzaine n’était pas suffisant pour vous permettre de prendre une telle décision - même si je suis persuadé que vous devez déjà disposer d’un argumentaire parfaitement étoffé vu les déclarations qui ont apparemment été faites aux journalistes de RTL indiquant une interdiction d’exploitation - n’hésitez pas à me le signaler, pour des questions d’organisation des activités de ma mandante, qui sont mises en péril par ces tergiversations administratives (…) ».

Les discussions entamées avec un centre hospitalier aboutirent à un échec, tandis qu’en date du 9 avril 2024, le ministre de la Santé adressa le courrier suivant à la société … :

« Je reviens à votre courrier du 14 mars 2024 dans l'affaire émargée qui fait suite à mon entrevue avec les représentants du … qui a eu lieu en date du 11 mars 2024.

Je tiens tout d'abord à confirmer mes propos tenus lors de cet échange au cours duquel j'ai insisté sur le caractère de la non-conformité de l'exploitation d'un appareil de mammographie et d'un scanner à qualifier d'équipement de tomodensitométrie à rayons X eu égard à la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers.

En effet, il convient de préciser que la loi précitée du 8 mars 2018 a été adaptée par une loi du 29 juillet 2023 en introduisant la possibilité pour les centres hospitaliers de demander l'autorisation d'exploiter des sites supplémentaires destinés à accueillir des antennes de certains services bien définis dont en particulier le service d'imagerie médicale.

Aussi l'article 14 a été reformulé et dispose notamment que des équipements et appareils exigeant des conditions d'emploi particulières ou du personnel hautement qualifié, sont réservés aux centres hospitaliers et que la liste des équipements et appareils réservés est déterminée à l'annexe 3.

Ainsi, entre autres, le mammographe et le scanner, continuent à rester soumis à une autorisation ministérielle sur base dudit article 14 et ne peuvent dès lors être exploités que sur des sites hospitaliers. Pour l'exploitation sur un site supplémentaire, le législateur permet au centre hospitalier de conclure « avec un ou plusieurs médecins autorisés à exercer la médecine en vertu de la loi modifiée du 29 avril 1983 relative à l'exercice de la profession de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire un contrat précisant les modalités de gestion et d'utilisation des équipements et appareils visés à l'annexe 3, ainsi que des parties d'infrastructures les hébergeant. » Au moment de la présente, le Ministère n'a pas été saisi d'une demande émanant d'un centre hospitalier qui se proposerait d'exploiter, au sein de l'établissement de votre cliente, une antenne de service relevant d'un site supplémentaire.

Je me dois encore de vous rappeler que l'autorisation (No CI 22/02), délivrée en date du 9 janvier 2023 et à laquelle vous vous référez dans votre courrier, a pour seul objectif de certifier la conformité technique des appareils au sens de l'article 44 de la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection. […] » Par requête déposée en date du 22 mai 2024, enrôlée sous le numéro 50476, la société … a fait déposer un recours en annulation contre « la décision du 9 juin 2023, par laquelle l’État a informé la société requérante qu’elle n’était pas autorisée à exploiter ses appareils d’imagerie médicale ; pour autant que de besoin, la décision du 9 avril 2024 de l’État, confirmant à la requérante une prétendue non-conformité de l’exploitation de certains de ses appareils d’imagerie médicale ».

Par requête déposée et enregistrée le même jour sous le numéro 50477 du rôle, la société … demande dans l’attente de la décision sur le mérite de son recours au fond l’instauration d’un sursis à exécution.

La société requérante fait exposer que l’exécution des décisions déférées, ainsi qualifiées, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.

Il s’agirait ainsi d’abord d’un préjudice financier important lié à la perte de possibilité de faire exploiter les différents appareils d’imagerie médicale par des médecins au sein du centre d’imagerie, en contrepartie d’un prix de location, la société … donnant à cet égard à considérer avoir réalisé à cette fin des investissements substantiels d’un total de …- euros. Elle expose avoir tablé sur un excédent brut d’exploitation de l’ordre de 45 % du chiffre d’affaires à réaliser, mais qu’en raison des interdictions lui opposées, et malgré les investissements importants réalisés, ses résultats auraient été particulièrement mauvais, puisque son compte annuel de résultat pour l’année 2023 ferait ainsi apparaître une perte de …- euros.

Elle considère ensuite que confrontés aux décisions de l’Etat, et de la médiatisation qui aurait été donnée aux différentes prises de position gouvernementales, il serait évident qu’aucun médecin spécialiste ne souhaiterait prendre le risque d’exploiter des appareils dans un centre d’imagerie considéré comme « interdit » d’exploitation. Dès lors, privée de toute rémunération pour l’exploitation des appareils de scanner et de mammographie, la société … serait contrainte à se limiter à l’exploitation des appareils d’échographie, de son CBCT dentaire et du poste de radiologie avec mode de radioscopie, des appareils qui ne seraient pas aussi prisés par les médecins spécialistes.

Par ailleurs, elle serait depuis quelques semaines confrontée à des demandes de remboursement de la part de patients, la Caisse Nationale de Santé leur indiquant qu’elle refuserait toute prise en charge du coût des examens réalisés au centre d’imagerie, même pour les appareils hors scanner et de mammographie, de sorte qu’après lui avoir interdit d’exploiter certains de ses appareils en dépit de sa détention des autorisations nécessaires, lui occasionnant un préjudice considérable, l’Etat viendrait à présent essayer de lui faire prendre en charge les coûts des actes des patients qui viennent dans son centre d’imagerie.

La société requérante relève ensuite avoir procédé à l’embauche de personnel afin d’opérer le centre d’imagerie, personnel qui aurait, pendant une certaine période, été payé sans pouvoir être affecté à un poste, au vu des incertitudes pesant sur les possibilités d’exploitation, dont certains auraient démissionné, tandis que d’autres n’auraient pas pu travailler de manière complète, tout en étant payé l’intégralité de leur salaire.

Enfin, la société … relève être ciblée depuis le mois de mars 2024 et depuis les décisions prises par l’Etat, par des articles de presse faisant état de ses activités présentées comme « hors-

la-loi », publicité négative qui caractériserait nécessairement un préjudice, puisqu’elle se verrait erronément présentée comme ne disposant pas des autorisations requises qu’elle aurait pourtant demandées et obtenues.

La société … entend encore attirer l’attention sur le fait que le préjudice le plus important serait peut-être celui des patients qui subiraient des délais très longs pour obtenir des rendez-vous à un examen d’imagerie médicale, la société requérante affirmant avoir reçu depuis l’annonce de son ouverture un nombre considérable de demandes de rendez-vous, de l’ordre de 15.000, signe que les solutions existant à l’heure actuelle seraient insatisfaisantes et qu’il serait anormal, dans une société où les médecins devraient disposer d’une liberté d’exercice de la profession libérale, que la patientèle subisse indirectement les conséquences de décisions qui encourent manifestement l’annulation, la société requérante rappelant que l’augmentation des délais serait tout sauf anodine, puisqu’une détection tardive serait quasi systématiquement synonyme d’une impossibilité de traitement, sinon à tout le moins d’une diminution des résultats obtenus grâce à un traitement effectué dans les temps.

La société … en conclut qu’une simple réparation par équivalent de tous ces préjudices intervenant au terme d’une procédure civile, longue et coûteuse, ne lui procurerait pas une entière satisfaction, de sorte que son préjudice serait grave.

La société …, reprenant à cette fin les moyens développés dans son recours au fond, estime encore que ceux-ci seraient suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution sollicité.

Dans ce contexte et en premier lieu, la société … fait soutenir que les décisions visées seraient dépourvues d’une motivation suffisante.

En ce qui concerne le courrier du 9 juin 2023, la société … relève que le ministre de la Santé lui aurait indiqué que l’interdiction d’exploiter certains de ses appareils reposerait sur l’article 2 du « règlement grand-ducal du 12 juin 2004 fixant les normes pour un service d'imagerie médicale », qui serait à analyser sous la toile de fond de l’article 8 de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière. Or, ledit règlement grand-ducal du 12 juin 2004 fixerait « les normes pour un service d'imagerie médicale travaillant avec un tomographe à résonance magnétique nucléaire », de sorte que le ministre aurait tenté d’amputer l’intitulé du règlement afin de le rendre applicable, de manière générale, à tout service d’imagerie médicale.

Or, comme elle-même ne chercherait pas à exploiter un système d’imagerie par résonance magnétique (IRM), cette règlementation ne saurait justifier une quelconque restriction légale ou réglementaire.

Par extension, et au moment de l’émission du courrier du 9 juin 2023, si certes la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière fixait un cadre légal pour les services hospitaliers, il ne saurait être admis que ce cadre soit unilatéralement et discrétionnairement étendu à un centre d’imagerie en dehors d’un établissement hospitalier, à défaut d’une disposition légale afférente.

La société requérante en conclut que la décision d’interdiction d’exploitation qui aurait été prise le 9 juin 2023 ne serait partant pas motivée, ni en droit, ni en fait, pour la justifier, et caractériserait en réalité une violation de la loi et de la réglementation en vigueur ne contenant aucune restriction afférente.

En ce qui concerne la seconde décision visée au recours, la société requérante donne à considérer qu’elle aurait indiqué que l'autorisation n° Cl 22/02 du 9 janvier 2023 « aurait pour seul objectif de certifier la conformité technique des appareils au sens de l'article 44 de la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection. », alors pourtant qu’aucune référence à la seule conformité technique ne ressortirait de cette disposition légale, ni directement, ni indirectement par le biais d’un renvoi, la société … estimant au contraire que l’autorisation citée couvrirait la pratique et la mise en œuvre des appareils y cités, et non pas une simple conformité technique.

Dès lors, il ne serait pas admissible qu’après avoir donné des autorisations de mise en œuvre de pratique, fixant des conditions d’utilisation, permettant « notamment de réduire l’exposition des patients », à qui il doit être « possible de donner des instructions », l’Etat considérerait désormais qu’il ne s’agirait en réalité que de la délivrance d’une sorte d’agrément technique relatifs aux machines à exploiter au sein du centre d’imagerie, la société requérante estimant qu’il s’agirait d’une interprétation erronée, caractérisant une motivation défaillante quant aux interdictions d’exploiter lui opposées, l’Etat n’étant pas en mesure de déterminer quelle(s) serai(en)t la ou les autorisation(s) supplémentaire(s) qui aurai(en)t été nécessaire(s) au moment de la délivrance de l’autorisation du 9 janvier 2023, ce qui caractériserait une défaillance flagrante de motivation correspondant à une violation sinon un détournement de la loi.

En second lieu, la société … relève que la première décision visée au recours viserait à lui voir appliquer un projet de loi en gestation - qui contenait une restriction à l’exercice des activités d’imagerie médicale aux établissements hospitaliers et à leurs sites supplémentaires -

en dépit du fait qu’elle détenait déjà une autorisation en bonne et due forme sur le fondement et conformément à la législation et à la réglementation en vigueur. Or, il serait évident qu’il ne saurait être admis qu’il puisse être imposé à un administré de devoir respecter une législation hypothétique et que les lois ne sont d’application, sauf disposition contraire, que 4 jours après leur publication, faisant suite à leur adoption et à leur promulgation.

Dès lors, la société requérante estime qu’à défaut d’une restriction légale existante au sein de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers - telle qu’elle était en vigueur au moment de l’interdiction d’exploitation du 9 juin 2023 - la première décision visée au recours devrait encourir l’annulation.

En troisième lieu, la société … entend se prévaloir d’une violation du principe de non-

rétroactivité des lois par la seconde décision déférée, dans la mesure où celle-ci ferait référence à un potentiel non-respect par rapport à la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière, mais dans sa version postérieure aux autorisations lui délivrées, ce qui reviendrait à vouloir donner un effet rétroactif aux modifications de la loi inhérente à la législation du 29 juillet 2023, de manière contraire au principe de non-rétroactivité des lois.

La société … se prévaut en quatrième lieu du non-respect du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, et plus particulièrement de ses articles 6 - obligeant l’administration de fournir les motifs -, ainsi que 8 et 9, prévoyant un certain nombre de garanties, tenant à l’information de l’administré quant à l’intention de l’administration, à la possibilité qui lui est laissée de prendre position, le droit d’être entendu en personne s’il en fait la demande, etc, puisque, dans la mesure où les décisions visées au recours caractériseraient un retrait de l’autorisation initialement donnée, aucune des garanties invoquée n’aurait été respectée, mais qu’au contraire tant la première décision que la seconde auraient bafoué l’intégralité de ses droits, la mettant dans une situation de fait accompli.

A titre additionnel, la société … estime que les décisions d’interdiction d’exploiter lui infligées caractériseraient nécessairement une restriction injustifiée à la liberté d’exercice des médecins souhaitant mener leur activité au sein du centre d’imagerie, liberté ayant une valeur constitutionnelle, conformément à l’article 11, paragraphe 6, (sic) de la Constitution.

L’Etat conclut à titre principal à l’irrecevabilité du sursis telle que demandée par la partie requérante, au motif que les deux courriers déférés ne constitueraient pas des décisions administratives susceptible de faire grief, et encore moins des décisions portant interdiction d’exploiter certains appareils d’imagerie médicale, mais contiendraient uniquement des informations quant à la portée de l’autorisation accordée à la société … qui certifierait uniquement la conformité technique de ces appareils mais n’aurait pas pour portée d’autoriser l’utilisation d’un IRM ou d’un mammographe.

A titre subsidiaire, le représentant de l’Etat conclut au rejet du recours au motif que les conditions du caractère sérieux des moyens et d’un risque de préjudice grave et définitif ne seraient pas remplies en cause, l’Etat contestant en particulier tant la gravité que le caractère définitif du préjudice, pris en ses différents volets, tel que mis en avant par la société ….

En vertu de l’article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés et accorder le sursis lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.

L’irrecevabilité du recours, question discutée contradictoirement à l’audience après avoir été plus particulièrement soulevée par le représentant étatique, ne vise cependant pas spécifiquement la mesure provisoire, mais le recours introduit au fond contre la décision, ainsi qualifiée, que le requérant entend voir annuler, sinon réformer.

Ce moyen touche partant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et il est à examiner sous ce rapport.

Ceci dit, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen devrait être favorablement accueilli par les juges du fond.

Un examen superficiel des deux courriers déférés semble en effet révéler l’absence de caractère décisionnel de ceux-ci, lesdits courriers en question apparaissant en effet plutôt comme des courriers contenant le point de vue du ministre de la Santé par rapport à la question de la légalité ou de la conformité du centre d’imagerie médicale exploité par la société …, et sur la toile de fond de l’arrêté d’autorisation du 9 janvier 2023 pris sur base de la loi du 28 mai 2019 relative à la radioprotection.

Ainsi, le courrier du 9 juin 2023 indique non seulement formellement vouloir informer la société requérante que « l'activité visée par le … n'est possible que dans le cadre d'un service d'imagerie médicale » ainsi que lui rappeler les termes de l'article 1er de la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière, pour ensuite retenir que le … n'est pas un établissement hospitalier, de sorte qu’« en l'absence de collaboration avec un établissement hospitalier, votre Centre n'est pas autorisé à exploiter les appareils de mammographie ni autorisé à utiliser un scanner », mais aussi que le centre d’imagerie médicale ne serait en conséquence pas en conformité.

Il convient d’ailleurs de relever que la société …, dans le courrier de son mandataire du 14 mars 2024, a indiqué qu’« un courrier avait été adressé à ma mandante le 9 juin 2023 pour l’informer que son centre ne serait pas autorisé à exploiter ces appareils, et ce en référence à l’article 2 du règlement grand-ducal du 12 juin 2004 », et qu’en dépit de la demande de son mandataire d’« émettre une décision administrative en bonne et due forme, avec des délais et voies de recours » « aucune décision administrative n’a été portée à la connaissance de ma mandante pour l’informer d’un retrait de son autorisation ou d’une quelconque interdiction ».

Le second courrier, daté du 9 avril 2024, s’inscrit d’abord à première vue dans le contexte d’un échange précédent entre la société … avec le ministre de la Santé et plus particulièrement dans le cadre d’une réponse apportée au courrier de la société en question du 14 mars 2024, le ministre y ayant, à première vue, uniquement précisé sa position quant à la non-conformité de l'exploitation d'un appareil de mammographie et d'un scanner à qualifier d'équipement de tomodensitométrie à rayons X eu égard à la loi modifiée du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers, et plus particulièrement eu égard aux modifications apportées à cette loi par la loi du 29 juillet 2023, tout en rappelant à la société … la portée, à ses yeux, de l'autorisation n° CI 22/02, délivrée en date du 9 janvier 2023.

Ce second courrier, en particulier, ne paraît pas contenir un quelconque élément décisionnel, tel qu’une interdiction, un retrait d’autorisation ou autre, mais semble uniquement s’inscrire dans le contexte d’une discussion en cours entre le ministre de la Santé et la requérante relative à la (non)-conformité de l’exploitation de divers appareils d’imagerie médicale.

Or, en ce qui concerne la question de la recevabilité du recours au fond, le soussigné se doit de rappeler que l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, aux termes duquel « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

Selon la jurisprudence constante, l’acte émanant d’une autorité administrative, pour faire l’objet d’un recours contentieux, doit dès lors constituer dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2. Il a ainsi été jugé que n’ont pas cette qualité de décisions faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires à une décision3. Ainsi, une lettre par laquelle une autorité se borne à exprimer une intention ou à s’expliquer sur une intention qu’elle révèle ne constitue pas un acte administratif de nature à faire grief, qu’elle soit adressée à un administré ou à une autre autorité4. De même, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques5. Dans le même ordre d’idées, il a été jugé que l’annonce de la prise éventuelle de décision ne peut pas être déférée au juge administratif, seule la décision effective étant susceptible de l’être6.

Il est, par ailleurs, admis que lorsque l’administration se borne à exprimer ses prétentions, essentiellement lorsque, à propos d’un litige, elle indique les droits qui lui paraissent être les siens ou dénie ceux dont se prévaut son adversaire, un tel acte ne constitue qu’une prise de position qui ne lie ni le juge ni les intéressés et qui ne saurait dès lors donner lieu à un recours7. Toujours dans le même ordre d’idées, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer le requérant sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique8 n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. De même, le seul fait pour une administration de répondre à des contestations formulées par rapport à un avis exprimé n’est pas suffisant à lui seul pour conférer à la réponse fournie le caractère d’une décision administrative, étant donné qu’une simple prise de position n’est pas de nature à affecter l’ordonnancement juridique, mais ne fait qu’expliciter un point de vue déterminé par rapport à une situation déterminée9.

Enfin, même une invitation adressée à un administré à se conformer aux règles en vigueur avec comme conséquence la cessation de l’activité illicite a été jugée comme ne constituant pas des décisions autonomes de nature à faire grief10.

1 Trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 5 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 45 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 24 juillet 2013, n° 32031C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 69 et les autres références y citées.

4 J. Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 30, p.41.

5 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 2018, n° 10263C, Pas. adm.

2022, V° Actes administratifs, n° 69 et les autres références y citées.

6 Cour adm. 20 janvier 2015, n° 34959C, Pas. adm. 2023 V° Actes administratifs, n° 61 et les autres références y citées.

7 J. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, 1962, T. II, n° 1014, p. 463 8 J. Falys, op.cit., n° 34, p.45.

9 Trib. adm., 28 septembre 2009, n° 25262, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 83 et les autres références y citées.

10 Cour adm. 14 juin 2011, n° 27726C, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 130 et les autres références y citées.

Dans ces conditions et au vu de la jurisprudence, il semble en l’état actuel du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire que le recours au fond parait à première vue être irrecevable, les deux courriers déférés ne constituant à première vue qu’une prise de position de l’administration relative à une question déterminée, qui fondera éventuellement, soit, en cas de demande formelle, une décision administrative de refus formelle, soit une décision de fermeture du centre d’imagerie médicale, soit une interdiction d’exploiter certains équipements, décisions en l’état actuel du dossier toutefois manifestement inexistantes et en tout état de cause non déférées au soussigné, conclusion rejaillissant sur le caractère sérieux global de la requête en obtention d’une mesure provisoire.

La société requérante est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle d’un risque de préjudice grave et définitif, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande, encore qu’il faille également constater l’absence de risque de préjudice grave et définitif tel que résultant des courriers déférés, une information ou prise de position n’étant par nature, à défaut de matérialisation ou concrétisation à travers une décision administrative, pas susceptible d’entrainer un risque de préjudice grave et définitif.

En effet, en ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, une mesure provisoire ne saurait être ordonnée que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours.

Il y a à ce sujet lieu de constater concrètement que si la société requérante affirme que l’exécution des deux courriers lui causerait un préjudice grave et définitif, le soussigné a constaté, aux termes d’une lecture même superficielle que ces courriers ne contiennent pas de décision lui interdisant l’exploitation totale ou en partie du centre d’imagerie médicale : aussi, le préjudice allégué par le requérant ne trouve pas son origine dans les prises de position du ministre de la Santé, mais dans une éventuelle future décision d’interdiction ou de refus que le ministre de la Santé serait le cas échéant amené à prendre, mais qui n’a pas encore été prise à la date de la présente ordonnance, décision pouvant par ailleurs en tout état de cause faire l’objet d’un recours contentieux.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros telle que formulée par la société … laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, rejette également la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société … ;

condamne la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juin 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50477R
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-14;50477r ?

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