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02/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50375R

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2024, 50375R


Tribunal administratif N° 50375R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50375R Inscrit le 25 avril 2024 Audience publique du 2 mai 2024 Requête en instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de police des étrangers

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50375R du rôle et déposée le 25 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne GARY, avocat à la Cour, assistée de Maître Deborah SOAR

ES SACRAS, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 50375R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50375R Inscrit le 25 avril 2024 Audience publique du 2 mai 2024 Requête en instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de police des étrangers

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50375R du rôle et déposée le 25 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne GARY, avocat à la Cour, assistée de Maître Deborah SOARES SACRAS, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité brésilienne, actuellement placée au Centre de rétention établi à L-1751 Findel, 10, beim Haff, tendant à l’instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 mars 2024, lui ayant ordonné de quitter sans délai le territoire et lui ayant interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, un recours en réformation sinon en annulation ayant été par ailleurs introduit au fond contre cette décision par requête introduite le même jour, inscrite sous le numéro 50374 du rôle ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;

Maître Sarah BESSAH, en remplacement de Maître Fabienne GARY et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2024.

___________________________________________________________________________

Par décision du 28 mars 2024, le ministre des Affaires intérieures constata le séjour irrégulier de Madame …, ressortissante brésilienne au Luxembourg et lui ordonna de quitter sans délai le territoire ; cette décision étant encore assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de 3 ans, ledit arrêté ministériel étant libellé comme suit :

« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu le rapport numéro … du 28 mars 2024 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale, C3R Luxembourg ;

Considérant que l'intéressée s'est maintenue sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Considérant que l'intéressée ne justifie pas l'objet et les conditions du séjour envisagé;

Considérant que l'intéressée n'est ni en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d'une autorisation de travail ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressée ;

Arrête :

Art. 1er - La personne nommée, …, née le … à … au Brésil et de nationalité brésilienne, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Art. 2.- L'intéressée devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, le Brésil ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d'un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner.

Art. 3.- Copie du présent arrêté est remise à l'intéressée.

Art. 4.- Une interdiction d'entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans est prononcée à l'égard de l'intéressée à partir de la sortie de l'Espace Schengen. […] » Par requête déposée le 25 avril 2024 et inscrite sous le numéro 50374, Madame … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle datée du 28 mars 2024, identifiée comme « portant ordre de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, le Brésil ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d'un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner et interdiction de territoire », et par requête déposée le même jour et inscrite sous le numéro 50375R du rôle, elle a encore fait introduire un recours tendant à voir instituer un sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision en question jusqu’à l’intervention d’une décision au fond, ladite requête visant ainsi principalement à se voir « autoriser provisoirement à se maintenir sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ».

Après avoir rappelé les rétroactes et les circonstances particulières du présent dossier, consistant en substance à soutenir qu’elle aurait été victime de traite des êtres humains, ainsi que de proxénétisme et de viol en France et au Luxembourg, faits pour lesquels elle aurait déposé une plainte pénale en date du 24 avril 2024 et sollicité un report à l’éloignement en date du même jour, alors que son éloignement par la voie aérienne aurait été prévu pour le 26 avril 2024, elle estime que les moyens invoqués en soutien de son recours au fond apparaîtraient comme sérieux.

A cet égard, tel que figurant dans son recours en réformation, sinon en annulation, elle se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre de l'Immigration et de l'Asile ayant prétendument pris la décision litigieuse, pour ensuite se prévaloir d’une violation de l’article 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, qu’elle cite comme prévoyant qu’une interdiction d'entrée sur le territoire peut être prononcée « par le ministre pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », ce qu’elle conteste, pour exposer avoir déposé plainte, d’une part, pour avoir été victime de traite des êtres humains et pour proxénétisme et viol, et, d’autre part, pour avoir été victime de graves dysfonctionnements de la part des autorités de police dans le processus d'identification en tant que victime de traite des êtres humains ainsi que dans le processus de déposition de plainte.

Elle affirme que sa présence sur le territoire luxembourgeois serait dès lors requise et primordiale dans le cadre de l'enquête, suite à la déposition de la plainte susmentionnée, puisqu’il ne serait pas exclu qu'elle soit citée en tant que témoin vu l'ampleur de l'affaire, mais qu’elle ne constituerait pas une menace à l'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, la requérante concluant à titre subsidiaire à une réduction de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire.

Madame … en conclut que l’exécution de la mesure d'éloignement envisagée pour le 26 avril 2024 l’exposerait à un risque de traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union européenne, alors qu'elle courrait une réelle menace pour sa vie et sa liberté en cas d'éloignement forcé, du fait des actes de prostitution auxquels elle aurait été contrainte au Luxembourg et des violences sexuelles qui lui auraient été infligées en France, actes qui en diraient long sur la détermination du réseau de prostitution à se venger d’elle.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 25 avril 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Il appert du dossier administratif que la décision litigieuse comporte un triple volet, à savoir le constat du séjour irrégulier de la requérante sur le territoire luxembourgeois, l’ordre de quitter ce même territoire sans délai et une interdiction d’entrée sur le même territoire d’une durée de trois ans.

Le soussigné se doit à cet égard de constater, au stade actuel, nécessairement sommaire de l’instruction de l’affaire, que, d’une part, la requérante ne semble formuler aucun moyen de droit critiquant d’une manière ou d’une autre la décision de retour ministérielle, comportant constat d’un séjour irrégulier et ordre de quitter le territoire, les seuls moyens semblant viser l’interdiction du territoire.

Or, les deux moyens formulés ne présentent pas, en l’état actuel, un quelconque sérieux.

Ainsi, si la requérante se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre de l'Immigration et de l'Asile ayant prétendument pris la décision litigieuse, il échet de constater que l’auteur de la décision du 28 mars 2024 est le ministre des Affaires intérieures, de sorte que ce moyen, outre que le fait de se rapporter sans autre précision à prudence de justice ne constitue pas de manière générale un moyen sérieux, n’est manifestement pas sérieux in specie.

En ce qui concerne le second moyen, tiré d’une violation de l’article 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, il échet de constater que celui-ci repose sur une version de l’article 112 n’existant plus suite aux modifications apportées par la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, la version actuelle de cette disposition, outre de ne pas soumettre l’interdiction du territoire à une condition d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, prévoyant à première vue dans le cas d’espèce une interdiction non pas facultative (« peut »), mais obligatoire (« Une interdiction d’entrée sur le territoire est prononcée par le ministre à l’encontre du ressortissant de pays tiers auquel aucun délai n’a été accordé pour le retour volontaire »).

Ce moyen ne présente dès lors pas non plus le sérieux nécessaire.

Le soussigné tient encore, à titre surabondant, tout particulièrement à rappeler qu’en ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, un sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde, ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par la partie demanderesse résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours : or, il appert en l’espèce que la situation de fait critiquée, à la base du présent litige, se situe dans l’éloignement de la requérante vers son pays d’origine, éloignement qui ne sera toutefois pas effectué en exécution de l’interdiction d’entrée, mais de la décision de retour, non énervée.

Il s’ensuit que la requérante est à débouter de sa demande en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde, l’exécution de la décision telle que critiquée étant étrangères au préjudice mis en avant par la requérante et découlant de son éloignement.

La requérante est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire ;

condamne la requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier en chef.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50375R
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-02;50375r ?

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