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20/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50142

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2024, 50142


Tribunal administratif N° 50142 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50142 Inscrit le 5 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Défense en matière de discipline dans la force publique

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50142 du rôle et déposée le 5 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, militaire, demeur...

Tribunal administratif N° 50142 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50142 Inscrit le 5 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Défense en matière de discipline dans la force publique

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50142 du rôle et déposée le 5 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, militaire, demeurant à …, tendant à voir ordonner le sursis à exécution d’une décision du ministre de la Défense du 5 février 2024 ayant prononcé la sanction disciplinaire de la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à pension à son encontre, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en réformation sinon en annulation ayant été déposé au fond le même jour, inscrit sous le numéro 50141 du rôle, dirigé contre la même décision ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;

Maître Daniel BAULISCH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 mars 2024.

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Monsieur …, 1er caporal-chef auprès de l’Armée luxembourgeoise, se vit adresser en date du 14 septembre 2020 un arrêté du ministre de la Défense libellé comme suit :

« Vu la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, et notamment ses articles 31, 32, 33 et 45 ;

Vu l’avis du Conseil de Discipline de la Force Publique du 20 décembre 2023 ;

Considérant que Monsieur …, 1er caporal-chef auprès de l’Armée luxembourgeoise, né le … à …, demeurant à …, a fait l’objet d’une instruction disciplinaire conformément à l’article 31 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique ;

Considérant que Monsieur … a manqué aux devoirs résultant des articles 2, 3 alinéa 5 et 6, 6, 8, 9 alinéa 1er et 12 alinéa 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique et aux articles 1er, 9 alinéa 1er et 2, et 10 alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État pour 1- Avoir donné l’ordre à ses subordonnés de détourner du carburant pour son usage personnel ;

- Avoir chargé régulièrement sa voiture de produits ménagers en provenance du stock de l’armée et pour avoir donné l’ordre à ses subordonnés de faire en sorte qu’il puisse se servir à des fins privées dans les restes de nourriture de l’armée ;

- Avoir donné l’ordre à des subordonnés de l’aider dans l’importation d’une voiture privée d’Allemagne pendant les heures de service ;

- Avoir donné l’ordre à des subordonnés de procéder au sablage des jantes de sa voiture privée et au nettoyage de roues de tracteur lui appartenant, après les avoir récupérées à son domicile privé et pour avoir donné l’ordre à un subordonné de réparer deux pelles de son tracteur privé (travail d’une semaine), le tout pendant les heures de service ;

- Avoir obligé ses subordonnés à échanger avec lui des éléments de leur tenue militaire ; voir emprunté sans autorisation des voitures de l’armée pour les utiliser à des fins privées ;

- Avoir exercé un chantage moral envers ses subordonnés en les menaçant de refuser le prochain avancement de carrière en cas de refus d’exécution de ses ordres illégaux ;

- Avoir traité de manière irrespectueuse des subordonnés lors de rassemblements publics et pour les avoir dénigrés en employant des expressions péjoratives pour les désigner ;

- Avoir menacé physiquement ses subordonnés.

Considérant que l’extrême gravité des faits, la répétition et la diversité des fautes retenues à l’égard de Monsieur … sont incompatibles avec sa fonction ;

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de prononcer à l’encontre de Monsieur …, la peine de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à la pension ;

Arrête Art. 1er. La sanction de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à pension, prévue à l’article 19A, point 11 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique est appliquée à Monsieur …, 1er caporal-chef auprès de l’Armée luxembourgeoise.

Art. 2. Conformément à l’article 20 paragraphe 2, sub d) de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, Monsieur … est suspendu de l’exercice de son emploi jusqu’à ce que la présente décision soit définitive.

Art. 3. Conformément à l’article 45 de la modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, les frais de la procédure sont à charge de Monsieur … et s’élèvent à 14,90.- euros.

Art. 4. Le présent arrêté est expédié à l’intéressé, une copie en sera transmise à Monsieur le Général, Chef d’état-major de l’Armée pour information, à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et au Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat pour exécution. » 2Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 mars 2024, inscrite sous le numéro 50141 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre le prédit arrêté ministériel du 5 février 2024 lui ayant infligé la sanction disciplinaire de la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à pension, et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50142 du rôle, il sollicite le sursis à exécution par rapport à cette décision, le dispositif de cette requête étant libellé comme suit :

« ordonner le sursis à exécution à l’encontre de l’arrêté ministériel daté au 5 février 2024 portant la référence DEF-2024-005499 émis par la Ministre de la Défense, ordonner l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir (…) » Le requérant expose d’abord que la décision critiquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, alors que la privation de la moitié de son salaire en vertu de l’article 20, paragraphe 5) de la loi du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique le placerait dans une situation financière délicate qui serait à qualifier de préjudice grave, le requérant mettant à cet égard ses différents prêts en exergue.

Il affirme encore souffrir d’ores et déjà de la situation alors que la décision prise par le ministre de la Défense l’aurait sérieusement bouleversé, et ce d’autant plus qu’il serait actuellement hautement motivé à ne plus décevoir son employeur, à savoir l’Armée luxembourgeoise.

Il expose enfin craindre qu’une suspension prolongée, lui imposant de demeurer à la maison en attendant la décision définitive à prononcer dans la présente affaire disciplinaire, ne saurait avoir un effet bénéfique sur son état psychologique, de sorte que cette attente forcée constituerait encore d’un point de vue humain un préjudice grave.

Il affirme ensuite que le moyen soulevé serait de nature à entraîner une annulation sinon une réformation de la décision faisant l’objet du recours au fond, de sorte que ce moyen serait à considérer comme sérieux, le requérant en substance, estimant que la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à pension lui infligée serait manifestement disproportionnée eu égard à la situation de fait, le requérant, sans contester la réalité des faits lui reprochés, considérant pouvoir toutefois se prévaloir de circonstances atténuantes tirées de ses états de service ainsi que de son propre état psychologique et de sa situation familiale compliquée qui expliqueraient les faits lui reprochés.

Le délégué du gouvernement estime que les conditions légalement prévues pour ordonner un sursis à exécution ne seraient pas remplies en l’espèce en contestant tant l’existence d’un préjudice grave et définitif que le sérieux des moyens invoqués.

L’Etat insiste en particulier sur le fait que l’article 20, paragraphe 2, point d) de la loi du 16 avril 1979 imposerait une suspension de plein droit, automatique, du militaire gravement sanctionné, jusqu’à la cessation définitive de ses fonctions à travers la prise d’une décision définitive, passée en force de chose jugée.

3Il estime dès lors qu’au vu de cette suspension automatique, le requérant n’aurait aucun intérêt à agir en obtention d’une autre suspension, et ce d’autant plus qu’une éventuelle suspension par le juge des référés de la sanction disciplinaire ne lui permettrait pas de recouvrer son emploi au sein de l’armée, ni de toucher sa pleine rémunération.

La partie étatique relève ensuite la gravité des faits reprochés au requérant, à savoir des vols domestiques, des abus de confiance avec des menaces physiques et morales, ainsi que l’obligation essentielle pour un agent public et en sus militaire de faire preuve d’une probité absolue pour conclure à l’adéquation et la proportionnalité manifestes de la sanction infligée, la partie étatique relevant encore qu’une plainte pénale aurait été déposée contre le requérant.

Elle conteste enfin tout risque de préjudice grave et définitif en considérant que la rémunération versée à hauteur de la moitié du traitement normal du requérant couvrirait le remboursement des prêts et lui permettrait encore de vivre, de sorte qu’il s’agirait essentiellement d’une situation d’inconfort passagère ; quant au préjudice moral, dans la mesure où le requérant affirmerait mal vivre la situation, il s’agirait d’une conséquence intrinsèque de la sanction infligée.

En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond a été introduite le 5 mars 2024, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Force est au soussigné de constater que la requête sous analyse pose différentes questions de compétence du juge du provisoire, respectivement de recevabilité, tels que discutés à l’audience au vu des moyens soulevés par le délégué du gouvernement, respectivement soulevés d’office conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999.

En effet, comme indiqué ci-dessus, une mesure provisoire ne peut être décrétée en vertu de l’article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, ces deux conditions devant impérativement être remplies cumulativement.

Il convient à cet égard d’abord de relever que la décision du 5 février 2024 du ministre comporte un double volet, à savoir d’une part, l’application de la sanction disciplinaire de la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale sans diminution de son droit à pension à son encontre, et, d’autre part, la suspension du requérant de l’exercice de son emploi jusqu’à ce que la présente décision soit définitive, et ce « Conformément à l’article 20 paragraphe 2, sub d) de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique ».

4Il échet encore de constater que conformément à l’article 20 paragraphe 2, sub d) de la loi modifiée du 16 avril 1979 « 2. La suspension de l´exercice de son emploi a lieu de plein droit à l´égard du militaire : […] d) condamné disciplinairement à la révocation ou à la mise à la retraite d´office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale par une décision non encore passée en force de chose jugée, jusqu´à la décision définitive », tandis que selon l’article 20, paragraphe 5, de la même loi « 5. Pendant la durée de la détention prévue sous b), c) et au cas prévu sous d) du même paragraphe, la privation est réduite à la moitié du traitement et des rémunérations accessoires ».

Enfin, l’article 21, paragraphe 1er, précise que « Dans les cas prévus sous b), c) et d) du paragraphe 2 de l´article 20, la moitié retenue a) est payée intégralement en cas de non-lieu ou d´acquittement ».

Plusieurs conclusions s’imposent dès lors au vu de ces dispositions.

Ainsi, et de première part, il échet de constater que la sanction disciplinaire infligée à Monsieur … n’est pas encore appliquée, mais que le requérant, dans l’attente d’une décision définitive passée en force de chose jugée, est uniquement suspendu de ses fonctions.

Il résulte en effet à cet égard d’un jugement du tribunal administratif1, prononcé par rapport à l’ancien2 article article 48, paragraphe 2, d) du statut général des fonctionnaires, au contenu alors identique de l’article 20 paragraphe 2, d) de la loi du 16 avril 1979, que cette suspension d’office constitue un mécanisme de protection ad hoc bénéficiant aux fonctionnaires, confrontés à la révocation ou à la mise à la retraite d’office, mécanisme appelé à produire ses effets jusqu’au moment où la décision disciplinaire est passée en force de chose jugée3, dans la mesure où un fonctionnaire frappé d’une condamnation disciplinaire d’une certaine gravité, en l’occurrence la révocation ou la mise à la retraite d’office, voyait ces mesures suspendues de plein droit, avec corrélativement la suspension de l’exercice des fonctions et privation de la moitié du traitement et des rémunérations accessoires, à partir de la décision « non encore passée en force de chose jugée jusqu’à la décision définitive », cette disposition ayant alors été saluée par la jurisprudence comme s’inscrivant « dans la logique d’une mesure protectrice des intérêts du fonctionnaire, qui, confrontée aux effets et conséquences des sanctions disciplinaires les plus sévères que sont la révocation et la mise à la retraite d’office, continue de bénéficier, au travers de la suspension de plein droit prévue par l’article 48, paragraphe 1, d), de la moitié de son traitement et des rémunérations accessoires jusqu’à intervention d’une décision passée en force de chose jugée ».

Ce même jugement avait encore retenu que cette disposition constituait une disposition légale spéciale, d’exception, qui par rapport à des hypothèses spécifiques limitativement énumérées revenait à inverser le principe inscrit à l’article 11 (1) de la loi du 21 juin 1999 qui dispose que « le recours n’a d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le président du tribunal ou par le juge qui le remplace ».

Or, le référé a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif ; les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue : en l’espèce, l’exécution de la sanction disciplinaire 1 Trib. adm. 11 juillet 2007, n° 21635.

2 Modifié par la loi du 30 mai 2008 modifiant notamment la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat.

3 Trib. adm. (prés), 8 février 2023, n° 48470.

5infligée étant suspendue de plein droit, de sorte que, tel que soulevé par le délégué du gouvernement, la requête en obtention d’un sursis à exécution doit être, à ce titre, rejetée.

En effet, le soussigné ne saurait accorder de sursis à exécution par rapport à la sanction disciplinaire infligée alors que le requérant en bénéficie d’ores et déjà de plein droit.

Il est vrai que le requérant s’est opposé à une telle conclusion, en faisant plaider qu’en cas de suspension de la sanction disciplinaire infligée, à savoir la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale, la conséquence automatique de cette sanction, à savoir la suspension de ses fonctions et la retenue de la moitié de son traitement, tomberaient également.

Cette argumentation est toutefois à rejeter dans la mesure où le sursis à exécution pouvant être ordonné par le juge des référés suspend, par définition, l’exécution de la décision déférée, mais ne l’anéantit pas, ne serait-ce que provisoirement.

Il appert en effet que l’une des caractéristiques essentielles de la suspension est de laisser subsister dans l’ordre juridique l’acte suspendu qui ne peut toutefois plus être mis à exécution4. Ainsi, à la différence d’un jugement d’annulation, une décision prononcée ne produit pas ses effets rétroactivement mais seulement pour l’avenir, de sorte que l’acte suspendu subsiste dans l’ordre juridique, mais il ne peut plus être exécuté5.

Il en découle que même en cas de suspension de la décision ayant prononcé la mise à la retraite d’office de Monsieur …, celle-ci n’aurait pas disparu de l’ordonnancement juridique, de sorte que ses conséquences de plein droit perdureraient.

Il convient encore de rappeler à cet égard que le tribunal administratif, dans son jugement précité du 12 juillet 20136, jugement dont le juge du provisoire ne saurait faire abstraction, a explicitement retenu que l’effet suspensif dont a été assorti la sanction disciplinaire par le juge des référés n’implique pas que la suspension devrait être anéantie et que le fonctionnaire concerné devrait être réintégré dans ses fonctions en attendant l’issue du recours au fond introduit contre la décision disciplinaire, les mêmes juges ayant encore pris soin de préciser que la suspension de l’exercice des fonctions opère non pas à titre facultatif, mais de plein droit, partant sans pouvoir d’appréciation de l’autorité appelée à prendre la décision de suspension, dans des hypothèses spécifiques limitativement énumérées et plus particulièrement celle d’une condamnation disciplinaire d’une certaine gravité, en l’occurrence la révocation ou la mise à la retraite d’office.

De deuxième part, dans la mesure où le requérant souhaite voir suspendre le second volet de la décision déférée, à savoir la suspension de l’exercice de son emploi, il convient d’abord de relever que le juge du provisoire ne saurait pas suspendre une mesure prévue de plein droit par la loi.

Il convient ensuite de relever que ladite suspension telle que prévue par la loi constitue une mesure conservatoire et provisoire.

4 Dominique Lagasse, Le référé administratif devant le Conseil d’État ou Le Conseil d’État face à l’accélération du temps juridique in Philippe Gérard, François Ost, Michel Van de Kerchove (dir.), L’accélération du temps juridique, Presses de l’Université Saint-Louis, 2000, p. 405.

5 Idem, p.410 ; voir trib. adm. (prés.) 7 mars 2023, n° 48578.

6 Trib. adm. 12 juillet 2013, n° 32061.

6 Or, en ce qui concerne le sursis à exécution tel que prévu par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, il convient de rappeler que le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond, le juge devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-ci.

La procédure en référé a en effet pour effet de conserver une situation juridique dans l’attente d’un jugement au fond : pour ne pas entraver l’action du juge du fond, le juge du référé ne peut pas prendre des mesures au caractère irrémédiable. La nature de son office en tant que juge du provisoire est partant incompatible avec la prise de mesures définitives, tandis que sa fonction est de rendre le jugement au fond pratiquement et juridiquement possible7.

Plus particulièrement, le juge des référés ne peut pas, sans excéder ses compétences, ordonner des mesures qui auraient des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l’exécution d’un jugement annulant la décision contestée8 : il lui est interdit de vider le fond de l’affaire, mais il est tenu de prendre toutes les mesures conservatoires nécessaires qui permettent, « précisément, au juge du fond, de se prononcer le plus efficacement possible, avant que la situation ne soit devenue irréversible, avant que le fait ne l’emporte sur le droit »9 : il faut qu’il arrive à préserver l’utilité du recours du fond et ne pas le vider de tout intérêt.

La même limite s’impose d’ailleurs au président lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, ledit article limitant explicitement la compétence du président à des mesures provisoires qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond.

La mesure provisoire est par définition celle qui présente un caractère réversible, celle qui peut être remise en cause par le juge du fond. Toutefois, pour que la mesure prononcée présente bel et bien un caractère réversible, il est nécessaire que la possibilité de remise en cause de la décision ne soit pas seulement virtuelle mais effective, ce qui suppose, par conséquent, que le litige ne s’éteigne pas par le seul prononcé de cette décision10.

En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.

Or, le soussigné, à admettre qu’il puisse accorder la suspension de la mesure conservatoire en cause, permettrait au requérant de créer une situation de droit et de fait définitive, à savoir de lui permettre de reprendre ses fonctions au sein de l’armée grand-ducale : le juge siégeant au provisoire aurait de la sorte épuisé le fond, en ce sens que le futur jugement au fond relatif à ce volet de l’arrêté ministériel déféré aurait totalement, sinon 7 Assem Ayede Hussein, Le juge administratif, juge du référé-suspension, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014, p.406.

8 CE fr., 14 mai 2003, n° 245628.

9 Y. Aguila, concl., sur CE fr., 15 février 2006, n° 288801 et 288811, cité dans Assem Ayede Hussein, op.cit., p.412.

10 Trib. adm (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 587.

7très largement perdu son objet à la date des plaidoiries devant les juges du fond, en ce sens qu’une éventuelle confirmation ex post de cette décision aurait perdu tout objet et toute utilité, puisque le requérant aurait, à cette date, pu demeurer en poste, sans aucune possibilité pour l’armée grand-ducale, en cas de confirmation du volet de suspension, de revenir sur ladite présence du requérant à son poste respectivement de voir celle-ci mise à néant.

En d’autres termes, la suspension de l’arrêté ministériel du 5 février 2024 ayant notamment suspendu Monsieur … de ses fonctions entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision serait rejeté par le tribunal, une éventuelle confirmation de cet arrêté ministériel n’ayant plus aucune incidence matérielle et juridique sur la situation de fait entretemps créée, la présence du requérant à son poste et son éventuelle incidence sur le service ne pouvant plus être révoquées nonobstant l’éventuelle confirmation au fond de l’arrêté ministériel. Ainsi, en l’espèce, le sursis accordé à l’exécution au volet de la suspension provisoire équivaudrait à son annulation, créant une situation en fait et en droit irrévocable, alors pourtant que le rôle du juge des référés est, aussi, tel que souligné par la partie étatique, d’éviter que la mesure ordonnée ne crée au profit du requérant une situation irréversible et fasse ainsi perdre à l’Etat le bénéfice d’un succès éventuel au fond.

Partant, le soussigné ne saurait en tout état de cause accueillir une telle demande incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire11.

Enfin, et de troisième part, il échet encore de constater que le requérant ne saurait être considéré comme répondant à la seconde condition pour l’obtention d’un sursis à exécution conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, à savoir celle d’être exposé à un risque de préjudice grave et définitif.

En effet, comme indiqué ci-avant, l’article 20, paragraphe 5, de la loi du 16 avril 1979 prévoit « au cas prévu sous d) du même paragraphe [1er], la privation est réduite à la moitié du traitement et des rémunérations accessoires », tandis que l’article 21, paragraphe 1er, précise que « Dans les cas prévus sous b), c) et d) du paragraphe 2 de l’article 20, la moitié retenue a) est payée intégralement en cas de non-lieu ou d’acquittement », de sorte que le requérant bénéficie actuellement, et ce jusqu’au moment où la décision disciplinaire sera passée en force de chose jugée, toujours de la moitié de son traitement, tandis que s’il devait obtenir gain de cause devant les juges du fond, la partie ainsi retenu de son traitement lui sera intégralement reversée.

Il s’ensuit que le préjudice financier du requérant n’est en tout état de cause pas définitif.

Si le requérant fait certes état de l’existence de divers prêts qu’il devrait rembourser, la seule existence de ces prêts ne saurait ipso facto établir un risque de préjudice grave et définitif.

En effet, il convient de rappeler qu’un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, étant donné qu’il peut être réparé à la suite d’une éventuelle décision judiciaire de réformation ou d’annulation par des dommages et 11 Voir en ce sens : trib. adm. (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954 ; trib. adm. (prés.) 9 mars 2017, n° 39148 ; trib.

adm. (prés.) 24 août 2017, n° 40046 ; trib. adm. (prés.) 3 octobre 2017, n° 40218, ainsi que tout particulièrement trib. adm. (prés.) 14 novembre 2017, n° 40323, trib. adm. (prés.) 17 janvier 2022, n° 46876 ou encore trib. adm.

(prés.) 8 février 2023, n° 48470 ainsi que trib. adm. (prés.) 10 février 2023, n° 48451 et trib. adm. (prés.) 10 février 2023, n° 48452.

8intérêts. Il ne saurait être dérogé à cette règle que si le requérant peut établir qu’il risque de subir un préjudice matériel irréversible ou difficilement réparable. A cet égard, s’il est incontestable que la sanction infligée au requérant se traduit actuellement concrètement par la retenue, éventuellement provisoire, de la moitié de son revenu, le requérant n’a toutefois pas produit de pièce attestant des conséquences irrémédiables alléguées d’une telle perte, puisqu’en cas de réformation ou d’annulation de la décision, respectivement de réformation de cette décision en faveur d’une sanction moindre, il sera a priori rétroactivement remis dans une situation telle que toutes les conséquences de cette décision seront effacées et il se verra restituer la moitié de sa rémunération jusque-là retenue.

Aussi, s’il est certes concevable que la privation de la moitié de ses revenus jusqu’à ce que les juges du fond aient tranché le litige engendre un inconfort important, une telle perte de revenu, le cas échéant provisoire, ne saurait toutefois être admise comme entraînant ipso facto des conséquences irrémédiables, mais exige la production de précisions, le cas échéant étayées, sur la situation d’(in)fortune concrète de l’administré visé - le requérant n’ayant en l’espèce pas précisé la hauteur de son traitement -, établissant par exemple l’absence de toute autre source de revenus, de tous actifs rapidement mobilisables ou encore de tout autre soutien financier, la preuve de la gravité du préjudice impliquant en effet en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice.

Ainsi, outre qu’il n’appert pas que le requérant se trouve dans l’impossibilité de solliciter un échelonnement du remboursement de ses prêts, faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice matériel grave et définitif n’est par conséquent pas justifié à suffisance de droit.

En ce qui concerne le préjudice psychique et moral, mis en avant, préjudice que le requérant affirme avoir d’ores et déjà été causé, puisqu’il souffrir d’ores et déjà de la situation, il convient d’une part de rappeler que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi du 21 juin 199912.

Or, une telle impossibilité de réparation n’existe en l’espèce pas : en effet, outre, comme retenu ci-dessus, que les effets matériels de la décision incriminée ne sont pas destinés à perdurer, s’agissant par définition d’une décision provisoire, le rétablissement éventuel de Monsieur … dans ses fonctions sera de nature à mettre un terme immédiat au préjudice immatériel prétendument actuellement subi ; par ailleurs, indépendamment d’une telle issue administrative, en cas de réformation ou d’annulation de la décision de suspension, le requérant sera a priori rétroactivement remis dans une situation telle que toutes les conséquences 12 Trib. adm. (prés.) 28 mai 2001, n° 13446 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 687, et les autres références y citées.

9matérielles de la décision seront effacées et le jugement ou arrêt afférent permettra en principe également de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation.

En tout état de cause, le requérant ne saurait se prévaloir d’un préjudice moral résultant de l’absence d’activité professionnelle, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales, le risque de préjudice grave et définitif s’appréciant au contraire in concreto, de sorte qu’il aurait appartenu au requérant d’apporter des éléments concrets et précis propres au cas d’espèce, tel que par exemple des certificats médicaux, étant par ailleurs relevé que l’inconfort actuellement ressenti doit être considéré comme intrinsèquement propre à une perte d’emploi, de sorte à ne pas pouvoir ipso facto, automatiquement, en dehors de circonstances particulières, être considéré comme justifiant une mesure provisoire.

Dès lors, le préjudice moral d’ores et déjà subi, respectivement celui auquel il serait éventuellement exposé durant la procédure contentieuse ne saurait être considéré comme admissible pour prétendre au bénéfice d’une mesure provisoire, s’agissant d’un préjudice d’ores et déjà consommé, auquel une mesure provisoire ne saurait porter remède, sinon d’un préjudice par nature temporaire, le cas échéant terminé par un jugement d’annulation définitif, partant un préjudice non définitif.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Le recours sous analyse est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Il en va nécessairement de même de la demande tendant à voir « ordonner l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir », la présente ordonnance étant exécutoire de plein droit.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure, condamne le requérant aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

10 s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50142
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-20;50142 ?

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