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15/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50091

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mars 2024, 50091


Tribunal administratif N° 50091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50091 4e chambre Inscrit le 23 février 2024 Audience publique du 15 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2024 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, né le … à …, de nationalité vietnamienne, ayant élu domicile en l’ét...

Tribunal administratif N° 50091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50091 4e chambre Inscrit le 23 février 2024 Audience publique du 15 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2024 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …, de nationalité vietnamienne, ayant élu domicile en l’étude de Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établi à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 mars 2024, Maître Louis Tinti s’étant excusé.

Le 3 août 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée -

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 16 janvier 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 février 2024, notifiée au litismandataire de l’époque de l’intéressé le 9 1février 2024, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur … pour les motifs suivants :

« (…) J'ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 3 août 2023 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, vous déclarez vous nommer …, être né le … à … (province de …)/Vietnam et être de nationalité vietnamienne. Vous auriez vécu à … avec votre épouse et vos quatre enfants et auriez travaillé en tant que pêcheur. Puisque la mer aurait été polluée suite à un incident provoqué par une société taiwanaise en 2016, vous n'auriez plus pu aller pêcher et auriez cherché à trouver un emploi en Europe.

Fin novembre 2018, vous auriez quitté le Vietnam pour la Roumanie moyennant un visa et vous y auriez travaillé en tant que maçon pendant deux années et neuf mois. Dans la mesure où vous n'auriez alors plus eu d'emploi en Roumanie, vous seriez parti en Ukraine où vous seriez resté jusqu'en mai ou juin 2022. Vous auriez quitté l'Ukraine en raison de la guerre et seriez arrivé au Luxembourg début 2023 pour introduire une demande de protection internationale en août 2023.

Invité par l'agent en charge de votre entretien d'expliquer où vous auriez séjourné entre juin 2022 jusqu'à l'introduction de votre demande de protection internationale en août 2023, vous estimez « je suis parti en voiture et en bateau » (entretien page 2). Vous auriez dormi dehors et auriez essayé de trouver à manger. Sur question répétitive de l'agent ministériel d'expliquer où vous vous trouviez entre juin 2022 et août 2023, vous estimez ne pas savoir dans quels pays vous auriez été et affirmez avoir « suivi les bateaux et les voitures » (entretien page 2). Au Luxembourg, vous auriez rencontré une femme vietnamienne qui vous aurait dit d'introduire une demande de protection internationale.

Vous déclarez avoir introduit une demande de protection internationale parce que vous vous sentiriez en sécurité au Luxembourg et « ici je pense que je pourrais trouver mieux au niveau travail qu'au Vietnam. C'est pour ça que j'aimerais rester » (entretien page 7). Vous ne pourriez pas retourner au Vietnam alors que vous n'y trouveriez pas de travail en tant que pêcheur ou autre.

Ce serait difficile de trouver un emploi. Vous rajoutez que, lorsqu'il y aurait eu la pollution d'eau en 2016, il y aurait eu des manifestations et des bagarres avec la police. Quelques-uns des pêcheurs auraient été arrêtés par la police et du coup, vous auriez peur d'y retourner parce que « cela se peut qu'ils m'arrêtent » (entretien page 7). Convié à expliquer pourquoi la police devrait vous arrêter en cas de retour dans votre pays d'origine, vous expliquez alors que vous-même auriez aussi participé à une manifestation en 2016 et que vous vous seriez bagarré avec la police. Rien de particulier ne vous serait arrivé néanmoins après cette manifestation en 2016.

2Invité à donner des explications sur vos déclarations concernant « le poison dans la mer », vous estimez que la Chine et le Taiwan auraient « mis du poison » dans la mer au Vietnam, mais « je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça » (entretien page 7).

Vous déclarez en outre ne pas vouloir travailler au Vietnam dans un autre domaine que la pêche, à l'instar de vos frères par exemple, parce que vous n'auriez pas de permis de conduire et pas de diplôme de maçon non plus. Vous ne vous seriez en outre pas installé dans une autre région de votre pays d'origine alors que vous n'auriez pas les moyens financiers pour ce faire.

A l'appui de votre demande, vous remettez les documents suivants :

- Un passeport vietnamien valable du 9 février 2015 au 9 février 2025, considéré comme étant un document authentique suivant rapport n° 2023_1572 du 21 novembre 2023 établi par l'Unité de Police de l'Aéroport, Service Expertise Documents ;

- Une carte d'identité vietnamienne, considérée comme étant un document authentique suivant rapport n° 2023_1573 du 21 novembre 2023 établi par l'Unité de Police de l'Aéroport, Service Expertise Documents ;

- Diverses copies de captures d'écran d'une émission télévisée, non datées et non traduites ;

- Divers articles de presse datant de 2016 et 2017 concernant la pollution d'eau occasionnée par la société ….

2. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

h) « le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans motif valable, ne s'est pas présenté aux autorités ou n'a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée ; » Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez quitté le Vietnam fin 2018 pour aller travailler en Roumanie alors que vous n'auriez plus eu de travail au Vietnam où vous auriez travaillé en tant que pêcheur jusqu'en 2016. Or, ce n'est qu'en août 2023 que vous avez décidé d'introduire une demande de protection internationale après avoir séjourné de manière illégale au Luxembourg depuis plusieurs mois alors que vous déclarez être arrivé au Luxembourg début 2023.

Non seulement que vous séjournez en Europe depuis 2018, soit depuis plusieurs années, vous avez de surcroît mis huit mois à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, prétendument sur conseil d'une femme vietnamienne que vous auriez rencontrée au Luxembourg.

Or, une personne réellement persécutée ou à risque d'être la victime d'atteintes graves dans son pays d'origine introduit une demande de protection internationale dès son arrivée sur le territoire d'un Etat sûr, ce que vous n'avez manifestement pas fait. En effet, vous avez quitté le Vietnam en 2018, de surcroît non pas parce que vous auriez été persécuté ou parce que vous y auriez subi des atteintes graves, mais parce que vous n'auriez plus eu d'emploi depuis 2016, pour 3partir travailler en Roumanie. Or, vous n'avez jamais sollicité en Roumanie une forme quelconque de protection, mais y auriez travaillé en tant que maçon. Après avoir perdu votre emploi en Roumanie, vous seriez parti en Ukraine où vous auriez séjourné et travaillé illégalement, étant précisé dans ce contexte que vous restez en défaut de rapporter la moindre preuve que vous auriez réellement vécu en Ukraine. En tout cas, vous n'y avez également pas ressenti le besoin de solliciter une aide quelconque auprès des autorités ukrainiennes. Vous auriez ensuite, selon vos prétentions, quitté l'Ukraine en mars ou avril 2022, sinon en mai ou juin 2022, selon l'une ou l'autre des versions retenue. Vous seriez par la suite arrivé au Luxembourg début de l'année 2023, sans que vous ne vous souviendriez de la date exacte, pour seulement introduire une demande de protection internationale en août 2023, donc après avoir séjourné illégalement au Luxembourg depuis environ huit mois, également sans que l'idée de solliciter une forme quelconque de protection auprès des autorités luxembourgeoises ne vous serait venue à l'esprit. Vous laissez en outre de répondre clairement à la question de savoir où vous auriez séjourné de juin 2022 à août 2023 et répondez par des affirmations évasives et contradictoires laissant planer des doutes sur la sincérité de vos dires quant à votre séjour ces dernières années, ce d'autant plus que vous ne présentez de surcroît aucune pièce justificative dans ce contexte.

Il peut aussi être relevé que vos explications concernant les raisons pour ne pas avoir introduit une demande de protection internationale plus tôt au motif que vous auriez ignoré pouvoir introduire une telle demande ne sont pas convaincantes, mais prouvent tout au plus que vous n'aviez pas fui le Vietnam en 2018. En effet, la recherche d'une protection constitue la cause pour un ressortissant de pays tiers l'obligeant à fuir son pays d'origine. Partant, si vous deviez avoir été amené à fuir le Vietnam pour rechercher une protection en Europe, vous auriez manifestement réussi à vous débrouiller pour solliciter une aide, notamment après un séjour en Europe depuis plus de cinq années et sans que le conseil d'une ressortissante vietnamienne ne vous aurait été nécessaire.

Il est dès lors manifeste que vous séjournez en Europe depuis plusieurs années, dont huit mois de manière illégale sur le territoire luxembourgeois et que vous laissez de faire état de motifs valables pour ne pas vous être présenté aux autorités dans les délais les plus brefs, constat permettant de conclure que vous n'avez introduit une demande de protection internationale dans le seul but de prolonger votre séjour en Europe, sinon au Luxembourg.

« a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27(1) se trouve également être d'application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié 4Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, outre le fait que vous avez donc pris cinq années depuis le départ de votre pays d'origine pour introduire une demande de protection internationale, il ressort de vos déclarations que vous avez quitté le Vietnam en 2018 alors que vous n'y auriez plus eu de travail depuis 2016 suite à une pollution des eaux causée par une société implantée dans votre région d'origine. Or, et hormis le constat que vous laissez de rapporter la moindre preuve de vos dires dans ce contexte, il échet de relever que, même à admettre que vous auriez perdu votre emploi suite à cette pollution, cet incident, si déplorable qu'il soit, n'a aucun lien avec l'un des motifs de fond énumérés par la Convention de Genève, à savoir que vous auriez dû quitter le Vietnam pour avoir subi des persécutions en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de vos opinions politiques ou de votre appartenance à un certain groupe social, mais votre départ du Vietnam trouve son origine dans des considérations de nature économique. Vous êtes ainsi clair au départ pour affirmer avoir introduit une demande de protection internationale parce que « je pense que je pourrais trouver mieux au niveau travail qu'au Vietnam. C'est pour ça que j'aimerais rester » (entretien page 7) et puisque « là-bas c'est difficile de trouver un nouveau travail » (entretien page 7).

Ce constat n'est pas énervé par les différents articles de presse que vous versez dans ce contexte. En effet, il n'en ressort ni que le gouvernement vietnamien, ni même la société fautive, aurait pollué la mer pour l'un des motifs prévus à la Convention de Genève ni même que vous auriez personnellement été visé par cet événement. Plutôt, il s'agit d'un événement qui a concerné toute une région en 2016 sans qu'il ne s'agirait pour autant d'un acte de persécution justifiant l'octroi du statut de réfugié.

Ensuite, vous laissez de faire état d'une persécution quelconque dont vous auriez été victime en lien avec cet événement. En effet, vous déclarez que vous auriez donc perdu votre emploi en 2016, mais vous n'avez quitté le Vietnam qu'en 2018 pour aller travailler en Europe sans que rien ne vous serait arrivé. Si vous déclarez encore avoir peur de retourner au Vietnam parce que vous auriez participé à une manifestation en 2016, il échet de relever en premier lieu que votre participation personnelle à cette manifestation peut être mise en doute, sinon du moins le fait que vous vous seriez bagarré avec la police dans ce contexte. En effet, vous ne faites nullement état d'avoir participé à une manifestation ou de vous être bagarré avec la police, ni sur votre fiche des motifs, ni lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire, ni même au départ lors de 5votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande mené quelques mois après l'introduction de votre demande. Vous invoquez en effet au départ simplement ne pas vouloir retourner au Vietnam parce que quelques manifestants auraient été arrêtés en 2016 et qu'il y aurait eu des bagarres avec la police et que « cela se peut qu'ils m'arrêtent » (entretien page 7). Vous laissez donc de faire la moindre allusion au fait que vous auriez vous-même participé à une manifestation quelconque et ce n'est que lorsque l'agent ministériel vous demande pourquoi la police devrait vous arrêter en cas de retour dans votre pays d'origine que vous estimez - de manière tout à fait vague - que vous auriez vous-même participé à une telle manifestation et que vous vous seriez bagarré avec la police. Or, une personne craignant une arrestation dans son pays d'origine fait état de cette crainte dès l'introduction de sa demande de protection internationale et n'ajoute pas des motifs en cours de route, cette façon de procéder étant à considérer comme tentative de rendre votre vécu plus dramatique aux fins d'augmenter vos chances de voir votre demande couronnée de succès.

Que vos déclarations dans ce contexte sont sujettes à doute ressort en outre du constat que vous affirmez ne pas vous être installé dans une autre région de votre pays d'origine par manque de moyens financiers. Or, une personne craignant une arrestation par les autorités de son pays d'origine met en avant une impossibilité de s'installer ailleurs dans son pays au risque de se faire arrêter sur l'ensemble du territoire et non pas un manque de moyens financiers.

Quoiqu'il en soit, et même à admettre que vous auriez réellement participé à une manifestation à l'instar de milliers d'autres personnes, vos déclarations quant à votre prétendue bagarre avec la police sont d'autant moins crédibles alors qu'une telle bagarre vous aurait valu une arrestation immédiate, étant par ailleurs précisé que le fait de se bagarrer avec la police constitue une infraction dans tout pays et non seulement au Vietnam. En outre, il peut également être mis en doute que les autorités de votre pays d'origine vous en voudraient alors que vous auriez donc prétendument participé à cette manifestation en 2016 tout en ayant attendu fin 2018 pour quitter le pays sans que vous n'auriez été importuné d'une manière ou d'une autre ce d'autant plus que vous auriez également pu quitter le Vietnam sans rencontrer le moindre problème. Partant, si la police ne s'est pas intéressée à votre personne en 2016, ni entre 2016 et 2018, elle ne s'intéressera manifestement pas non plus à vous en 2024.

Dans la mesure où vous avez donc manifestement quitté votre pays d'origine et que vous refusez d'y retourner pour des considérations de nature purement économique le statut de réfugié ne saurait vous être accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

6 L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Au vu des considérations qui précèdent, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour au Vietnam, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, sinon des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Enfin, vous restez également en défaut d'établir qu'il existerait dans votre chef un risque réel d'être la victime de menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34(2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Vietnam, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2024, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre la décision de refus d’une demande de protection internationale prise dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 8 février 2024 telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, en précisant être d’origine vietnamienne et d’avoir quitté son pays d’origine le 29 novembre 2018 moyennant un visa lui délivré par les autorités roumaines lui ayant permis d’y résider et d’y travailler pendant 2 ans et 9 mois avant de s’installer en Ukraine jusqu’en mai, respectivement juin 2022 avant de venir au Luxembourg début 2023 afin d’y introduire, le 3 août 2023, une demande de protection internationale. Il expose encore, dans ce contexte, qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine, alors qu’il n’y aurait plus pu exercer son métier 7de pêcheur en raison de la pollution de la mer par l’activité d’une société taïwanaise, Monsieur … affirmant encore ne disposer d’aucune formation ni de moyens financiers afin de subvenir aux besoins de son épouse et de ses quatre enfants. Il explique finalement risquer d’être arrêté par la police vietnamienne du fait d’avoir participé, en 2016, à une manifestation en relation avec la pollution de la mer, manifestation au cours de laquelle il aurait été impliqué dans des altercations avec les forces de l’ordre.

En droit et à titre liminaire, le demandeur, tout en se référant à l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, invoque plusieurs articles de presse, à savoir plus particulièrement un article publié en date du 1er mai 2016, intitulé « Vietnam : manifestation contre une société accusé d’avoir ravagé la pêche », un article publié le 3 octobre 2016, intitulé « Thousands of Vietnamese Protest at … in … », un article publié par « The Diplomat » en date du 30 avril 2016 et intitulé « Fish Deaths Cast Suspicion on … », ainsi qu’un article publié sur internet le 8 novembre 2017 et intitulé « Timeline : The … Environmental Disaster » pour établir non seulement la réalité de la pollution des eaux à … par la société … en 2016, mais également les effets néfastes dudit incident sur la faune maritime et le travail des pêcheur de cette région.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir à tort appliqué la procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 pour examiner sa demande de protection internationale, alors que les motifs à la base de sa demande de protection international devraient tomber sous le champ d’application de l’article 48, point b) de la même loi en ce que la destruction de ses moyens de subsistance, même accidentelle, devrait relever d’un « comportement dégradant », dans la mesure où les autorités vietnamiennes ne prendraient aucune mesure pour compenser le désagrément causé par cette pollution d’eau dans son chef.

En se référant encore à un jugement du tribunal administratif du 19 février 2019, inscrit sous le numéro 42252 du rôle, le demandeur conclut ainsi que son recours ne saurait être considéré comme manifestement infondé et demande le renvoi de son affaire devant une formation collégiale conformément à l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Il critique encore le fait, pour le ministre, d’avoir eu recours à l’article 27, paragraphe (1), h) de la loi du 18 décembre 2015, alors que ceci heurterait ses droits les plus élémentaires en ce sens qu’à l’occasion de l’instruction de sa demande de protection internationale, il ne lui aurait pas été clairement demandé de s’expliquer et le cas échant d’exposer les raisons expliquant légitimement le dépôt tardif de sa demande de protection internationale. Le demandeur en conclut que sa demande de protection internationale aurait fait l’objet d’une instruction défaillante, Monsieur … précisant encore, dans ce contexte, ne comprendre que le vietnamien et n’avoir côtoyé au Luxembourg que des personnes qui n’auraient elles-mêmes pas été en mesure de le renseigner quant à la possibilité d’introduire une demande de protection internationale, ce qui aurait expliqué le délai pris pour ce faire.

Quant au refus du ministre de lui octroyer l’un des statuts de la protection internationale, le demandeur précise d’abord renoncer explicitement à sa demande de bénéficier du statut de réfugié.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, après avoir cité des extraits des décisions déférées, le demandeur estime tomber sous l’hypothèse prévue à l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’un traitement dégradant au sens dudit article serait celui qui suscite chez sa victime des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité, sinon celui qui peut briser la résistance physique ou morale de la victime ou qui pourrait la conduire à se comporter 8d’une manière contraire à sa volonté ou sa conscience, le demandeur se référant encore à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH » du 16 décembre 1997, Ranien c Finlande, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après « la CJUE ». Le demandeur réitère ensuite ses développements quant à la définition des motifs à la base de sa demande de protection internationale comme traitement dégradant, pour conclure que les autorités vietnamiennes seraient à considérer comme « auteurs » du traitement qu’il risque de subir en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que toutes les conditions seraient remplies pour pouvoir conclure à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire dans son chef.

En s’appuyant sur l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et en se référant à la réunion spéciale de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 du Conseil européen, le demandeur souligne que le respect du principe de non-

refoulement serait repris en droit interne luxembourgeois à travers l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur considère, qu’il y aurait lieu de réformer la décision du ministre portant sur l’ordre de quitter le territoire, comme conséquence de la reconnaissance, dans son chef, du statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en son triple volet.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé.

Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement 9infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Le soussigné doit, à titre liminaire, constater que le demandeur, dans le cadre de son recours sous analyse, a expressément renoncé à sa demande tendant à se voir octroyer le statut de réfugié, de sorte que l’analyse du soussigné doit se limiter à l’examen des conditions d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et h) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que :

« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou (…) h) le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités ou n’a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a) et h) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande ou si le demandeur, tout en se trouvant de manière irrégulière sur le territoire luxembourgeois, est resté en défaut d’introduire sa demande de protection internationale dans les meilleurs délais.

Le soussigné est dès lors amené à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par le demandeur ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a) et h) de la loi du 18 décembre 102015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

S’agissant plus particulièrement du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il y a lieu de rappeler, tel que retenu ci-avant, que le demandeur, dans le recours sous analyse, a expressément déclaré renoncer à sa demande tendant à se voir octroyer le statut de réfugié, de sorte que l’analyse du soussigné se limitera à l’examen des conditions d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Aux termes de l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

11(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage de ces dispositions légales que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire suppose, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité - lequel est déterminé, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave » - et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée.

Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Dans la mesure où le demandeur affirme baser sa demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur l’unique point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, l’analyse du soussigné se limitera à l’examen dudit point, à l’exclusion des points a) et c) du même article.

A cet égard, le demandeur soutient, en substance, que le fait d’être privé de ses moyens de subsistance tirés de son activité de pêcheur en raison de la pollution des eaux de pêche à … par une société taïwanise, même si ladite pollution aurait été d’origine accidentelle, combinée à une absence de volonté des autorités vietnamiennes d’en dédommager les pêcheurs, devrait s’analyser comme un traitement dégradant de la part de son pays d’origine.

Il échet à cet égard au soussigné de rappeler que la notion de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, qui reprend la terminologie de l’article 15, point b) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), n’est pas à interpréter de manière autonome, mais correspond, en substance, à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH »,1 de sorte que l’interprétation de ladite notion doit se faire conformément à la jurisprudence de ladite Cour.

Or, la CourEDH a, dans un arrêt Virgilu Tãnase contre Roumanie du 25 juin 2019 retenu que « (…) des lésions corporelles et des souffrances physiques ou mentales subies par une personne à la suite d’un accident qui est le simple fruit du hasard ou d’un comportement négligent ne peuvent être considérées comme la conséquence d’un « traitement » auquel une personne aurait été « soumise » au sens de l’article 3. (…)En effet, (…) pareil traitement se caractérise essentiellement, quoique non exclusivement, par une intention de blesser, d’humilier ou de 1 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji, Noor Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie, C-465/07.

12rabaisser l’individu, par un mépris ou un ravalement de sa dignité, par l’intention de faire naître en lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique. (…) ».

Le soussigné doit constater que le demandeur reste, en l’espèce, manifestement en défaut d’établir un tel traitement de la part des autorités de son pays d’origine, dans la mesure où il ne ressort par des éléments soumis à son analyse, et plus particulièrement des articles de presse versés en cause, que les autorités vietnamiennes auraient été motivées par une volonté de blesser, d’humilier ou de rabaisser les pêcheurs, dont le demandeur, touchés par l’accident de pollution en question, la simple lenteur de l’enquête en relation avec ledit accident étant tout au plus à qualifier de négligence de leur part, mais non pas comme un acte intentionnel et ciblé à l’encontre des pêcheurs, dont le demandeur. Il s’ensuit que ledit accident de pollution des eaux de pêche dans la région du demandeur, ainsi que l’ensemble des conséquences en découlant, ne sont pas à qualifier d’actes intentionnels ou de traitements auxquels le demandeur aurait « soumis » et ne tombent dès lors manifestement pas sous la définition d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que c’est manifestement à bon droit que le ministre a décidé que le demandeur n’a, en exposant les faits à la base de sa demande de protection internationale, soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire et que le recours, en ce qu’il est dirigé contre ce volet de la décision litigieuse, est à déclarer manifestement infondé.

2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Tel que retenu ci-avant, le demandeur, en renonçant à sa demande relative à l’octroi du statut de réfugié, a limité son recours au seul volet de la décision ministérielle lui ayant refusé l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Force est au soussigné de retenir, pour les mêmes motifs exposés dans le cadre du volet du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par le demandeur ne sont pas, en ce qu’il ne s’agit pas d’actes intentionnels ou de traitements auxquels le demandeur aurait « soumis », susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48, b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé une protection internationale.

Dès lors, le volet du recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder au demandeur une protection internationale est à déclarer comme étant manifestement infondé.

Il s’ensuit que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas 13expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir ci-avant que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur … et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement, tel qu’invoqué par le demandeur.

Il s’ensuit, à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 mars 2024 par le soussigné, Paul Nourissier, vice-président présidant la quatrième chambre, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50091
Date de la décision : 15/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-15;50091 ?

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