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13/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50090

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2024, 50090


Tribunal administratif N° 50090 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50090 3ème chambre Inscrit le 23 février 2024 Audience publique du 13 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50090 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2024 par Maître Louis TINTI, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 50090 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50090 3ème chambre Inscrit le 23 février 2024 Audience publique du 13 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50090 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2024 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Vietnam), de nationalité vietnamienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 mars 2024.

Le 3 août 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration une première demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section Criminalité organisée - Police des Etrangers, dans un rapport du même jour, occasion à laquelle celui-ci déclara avoir quitté le Vietnam en octobre 2020 pour se rendre en Roumanie pour y travailler, avant de se rendre en Ukraine à cette même fin en 2021, pour finalement venir au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale.

En date du 19 janvier 2024 Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes – Direction de l’immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

1Par décision du 8 février 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », entretemps compétent, résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Monsieur, vous déclarez vous nommer …, être né le … à … (province de …)/Vietnam et être de nationalité vietnamienne. Vous auriez vécu dans le quartier de … à … avec votre épouse et vos cinq enfants et auriez travaillé en tant que pêcheur. Vous ne vous rappelleriez pas pendant quelle période exactement vous auriez vécu à cette adresse. Vous auriez déjà été marié et auriez eu vos cinq enfants lorsque vous seriez emménagé à votre dernière adresse. Lorsque l'agent en charge de votre entretien vous fait remarquer que votre dernier enfant serait né le …, mais que vous auriez déjà quitté le Vietnam en octobre 2020, vous déclarez alors « on était à quatre, le cinquième est venu après. Le cinquième je ne l'ai pas vu ». Rendu attentif au fait que vous ne pourriez donc pas être le père du cinquième enfant, né en …, vous estimez « je ne sais pas trop.

Ma femme m'ai dit qu'il était de moi. Donc pour moi c'est comme ça » (entretien page 2). Au Vietnam, vous auriez travaillé en tant que pêcheur.

Vous auriez quitté le Vietnam pour la Roumanie en date du 2 octobre 2020 moyennant un visa roumain et vous y auriez travaillé dans la construction en tant que maçon pendant un an. Par la suite, fin 2021, vous seriez parti en Ukraine où vous auriez également travaillé en tant que maçon pendant un an et lorsque la guerre aurait commencé vous seriez parti « avec les gens en bus et en bateau » (entretien page 7). Invité à expliquer où exactement vous seriez parti, vous estimez ne pas savoir. Vous auriez été dans différents pays et auriez essayé de « trouver de l'argent » et à manger. Vous seriez alors arrivé au Luxembourg, Etat que vous n'auriez pas connu jusqu'à ce que vous auriez rencontré une femme d'origine vietnamienne qui vous aurait dit de venir au « bureau de l'immigration ». Vous n'auriez pas introduit de demande de protection internationale dans un des pays traversés avant votre arrivée au Luxembourg au motif que « je ne savais pas où je me trouvais » (entretien page 7).

Vous auriez introduit une demande de protection internationale parce que vous voudriez rester ici alors qu'au Vietnam « il y avait du poison dans la mer » (entretien page 7).

Si vous deviez retourner au Vietnam, vous ne pourriez pas travailler en tant que pêcheur. Il y aurait beaucoup de maladies qui se seraient développées de sorte que vous ne voudriez pas y retourner. Ce serait aussi la raison pour laquelle vous auriez quitté le Vietnam en 2020 pour aller travailler dans un autre pays. Et si vous deviez retourner, vous auriez du mal à trouver un emploi. Invité à expliquer que trois de vos frères travailleraient toujours en tant que pêcheurs, vous estimez qu'ils travailleraient moins alors qu'il y aurait moins de poissons dans la mer.

Invité à donner des détails sur vos déclarations concernant « le poison dans la mer », vous affirmez qu'il y aurait une société dénommée Formosa qui aurait jeté du poison dans la mer. Ce serait une « société de Chine et de Taiwan, je ne sais pas pourquoi elle a fait ça » (entretien page 8). Cet incident aurait eu lieu « à partir de 2016 » (entretien page 8).

Vous auriez encore quitté le Vietnam parce que la qualité de vie dans le village où vous auriez vécu n'aurait pas été très bonne. Vous ne vous seriez pas installé dans une autre région du Vietnam parce que les emplois au Vietnam ne seraient pas bien payés de sorte que vous auriez décidé de partir en Europe.

Sur question suggestive de votre mandataire si vous éprouviez une crainte pour votre santé ou celle de votre famille par rapport à l'ingestion de poisson contaminé, vous déclarez que « je n'ai pas de crainte » et « depuis cette histoire », vous ne mangeriez plus de poisson 2qui viendrait de la mer. Vous rajoutez encore que vous auriez préféré déménager mais que n'auriez pas les moyens financiers de sorte que vous voudriez rester au Luxembourg pour travailler.

A l'appui de votre demande, vous remettez une carte d'identité vietnamienne, considérée comme étant un document authentique suivant rapport n° … du 17 novembre 2023 établi par l'Unité de Police de l'Aéroport, Service Expertise Documents.

Votre passeport aurait été volé en Roumanie. Vous ne disposeriez en outre aucune autre pièce susceptible de soutenir vos dires. […] ».

A travers la même décision, le ministre l’informa qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre releva tout d’abord que Monsieur … aurait, d’après ses propres affirmations quitté son pays d’origine en octobre 2020 en raison d’une pollution des eaux de pêche dans sa région par une société taïwanaise en 2016 pour se rendre en Roumanie, où il aurait travaillé pendant environ un an, sans y déposer de demande de protection internationale, pour se rendre ensuite en Ukraine en 2021, pays qu’il aurait fui en février 2022 avant de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg en 2023, le ministre estimant qu’un tel comportement ne correspondrait pas à celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection. A cet égard, il fit valoir que ce constat ne serait pas ébranlé par l’affirmation du demandeur de ne pas avoir su où il se trouverait, le ministre estimant que Monsieur … aurait manifestement quitté le Vietnam pour des raisons économiques, à savoir afin de rechercher un travail. Le ministre releva ainsi que le seul constat qu’il ne serait pas présenté aux autorités pour déposer une demande de protection internationale dans les plus brefs délais permettrait de conclure au rejet de sa demande de protection internationale pour manquer de tout sérieux.

Le ministre constata encore que l’incident de pollution dont se prévaudrait Monsieur … aurait eu lieu en 2016, tandis que ce dernier n’aurait quitté son pays d’origine qu’en 2020, ce alors qu’il aurait perdu son emploi de pêcheur à la suite dudit incident, soit quatre années après l’événement en question.

Le ministre releva ensuite que les raisons de fuite de Monsieur … ne seraient pas empreintes d’un des motifs de fond énumérés par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », alors qu’il ne serait pas établi que la société prétendument fautive aurait pollué la mer pour l’un desdits motifs, ni que Monsieur … aurait été personnellement ciblé par cet acte qui aurait touché toute une région. Le ministre estima ensuite, dans ce contexte, que Monsieur … aurait affirmé être parti du Vietnam alors que les emplois n’y seraient pas suffisamment bien payés et qu’il préfèrerait rester au Luxembourg pour travailler, de sorte que des motifs économiques se trouveraient à la base de sa demande de protection internationale. Le ministre précisa, à cet égard, qu’il appartiendrait au demandeur de s’orienter vers un autre secteur si, en effet, l’événement en question s’opposerait au fait qu’il travaille en tant que pêcheur dans son pays d’origine, le ministre en concluant au rejet de sa demande d’octroi du statut de réfugié.

3Sur base des mêmes considérations, le ministre conclut au refus du statut conféré par la protection subsidiaire, alors qu’il n’y aurait pas de motifs sérieux et avérés de croire que Monsieur … courrait, en cas de retour au Vietnam, un risque réel de subir des atteintes graves, alors qu’il n’établirait pas y risquer la peine de mort ou l’exécution, sinon des actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumaines ou dégradants, de même qu’il ne ferait pas état d’une situation de conflit armé interne au national dans son pays d’origine.

Finalement, le ministre lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant aux recours en réformation dirigés contre la décision du ministre du 8 février 2024 de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée ainsi que contre la décision du ministre de refuser l’octroi d’une protection internationale contenue dans le même acte Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître des recours en réformation dirigés contre les décisions du ministre du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du concerné dans le cadre d’une procédure accélérée ainsi que contre le refus d’octroi de la protection internationale au concerné contenu dans le même acte.

Lesdits recours sont encore à déclarer recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ces deux volets de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, tout en précisant qu’il aurait quitté son pays d’origine le 2 octobre 2020 moyennant un visa délivré par les autorités roumaines, qu’il aurait résidé et travaillé en Roumanie jusqu’à fin 2021, moment auquel il serait parti en Ukraine, pays qu’il aurait quitté à son tour en février 2022 suit au conflit armé qui y aurait débuté.

Il explique ensuite avoir été contraint de quitter son pays d’origine, alors qu’il n’y aurait plus pu exercer l’activité de pêcheur qu’il aurait exercée toute sa vie en raison d’une pollution des eaux de pêche par l’activité d’une société taïwanaise. En sa qualité de père de cinq enfants, il n’aurait pas vu d’autre solution que de quitter le Vietnam « pour aller travailler dans la plupart des pays dans lesquels il a séjourné avant d’arriver au Luxembourg ».

En droit et à titre liminaire, le demandeur, tout en se référant à l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, se prévaut de différents articles de presse, dont un article publié en date du 1er mai 2016, intitulé « Vietnam : manifestation contre une société accusé d’avoir ravagé la pêche », un article publié le 3 octobre 2016, intitulé « Thousands of Vietnamese Protest at Formosa Steel Plant in Ha Tinh », un article publié par « The Diplomat » 4en date du 30 avril 2016 et intitulé « Vietnam Fish Deaths Cast Suspicion on Formosa Steel Plant » et un article publié sur le site internet « www.thevietnamese.org » le 8 novembre 2017, intitulé « Timeline : The Formosa Environmental Disaster » pour établir non seulement la réalité de la pollution des eaux à Ha Tinh par la société Formosa en 2016, mais également les effets néfastes dudit incident sur la faune maritime et le travail des pêcheur de cette région.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir à tort appliqué la procédure accélérée prévue à l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 pour examiner sa demande de protection internationale, alors que les motifs à la base de sa demande de protection international devraient tomber sous le champ d’application de l’article 48, point b) de la même loi en ce que la destruction de ses moyens de subsistance, même accidentelle, devrait relever d’un « comportement dégradant », dans la mesure où les autorités vietnamiennes ne prendraient aucune mesure pour compenser le désagrément causé par cette pollution d’eau dans son chef.

En se référant encore à un jugement du tribunal administratif du 19 février 2019, inscrit sous le numéro 42252 du rôle, le demandeur conclut ainsi que son recours ne saurait être considéré comme manifestement infondé et demande le renvoi de son affaire devant une formation collégiale conformément à l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Quant au refus du ministre de lui octroyer l’un des statuts de la protection internationale, le demandeur précise d’abord renoncer explicitement à sa demande de bénéficier du statut de réfugié.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, après avoir cité des extraits des décisions déférées, le demandeur estime tomber sous l’hypothèse prévue à l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’un traitement dégradant au sens dudit article serait celui qui suscite chez sa victime des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité, sinon celui qui peut briser la résistance physique ou morale de la victime ou qui pourrait la conduire à se comporter d’une manière contraire à sa volonté ou sa conscience, le demandeur se référant encore à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH » du 16 décembre 1997, Ranien c Finlande, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après « la CJUE ». Le demandeur réitère ensuite ses développements quant à la définition des motifs à la base de sa demande de protection internationale comme traitement dégradant, pour conclure que les autorités vietnamiennes seraient à considérer comme « auteurs » du traitement qu’il risque de subir en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que toutes les conditions seraient remplies pour pouvoir conclure à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son volet dirigé contre la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi qu’en son volet dirigé contre le refus d’octroi d’un des statuts de la protection internationale en reprenant, en substance, les motifs de la décision déférée.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, 5siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

1) Quant à la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Quant à la légalité interne de la décision déférée, sous l’angle de son premier volet, à savoir celui relatif à la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, il échet de relever que cette décision est en l’espèce fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, notamment s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

6A ce stade, il échet de constater que le demandeur, dans le recours sous analyse a expressément renoncé à une demande tendant à se voir octroyer le statut de réfugié, de sorte que l’analyse de la soussignée se limitera à l’examen des conditions d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Aux termes de l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage de ces dispositions légales que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire suppose, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la 7notion d’ « atteinte grave » – et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée.

Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Dans la mesure où le demandeur affirme baser sa demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur l’unique point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, l’analyse de la soussignée se limitera à l’examen dudit point, à l’exclusion des points a) et c) du même article.

A cet égard, le demandeur estime, en substance, que le fait d’une privation de ses moyens de subsistance tirés de son activité de pêcheur en raison de la pollution des eaux de pêche à Ha Tinh par une société taïwanaise, même accidentelle, combinée à une absence de volonté des autorités vietnamiennes d’en dédommager les pêcheurs, devrait s’analyser comme un traitement dégradant de la part de son Etat d’origine.

Il échet à cet égard à la soussignée de rappeler que la notion de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, qui reprend la terminologie de l’article 15, point b) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), n’est pas à interpréter de manière autonome, mais correspond, en substance, à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH »,1 de sorte que l’interprétation de ladite notion doit se faire conformément à la jurisprudence de la CourEDH.

Or, la CourEDH a, dans un arrêt Virgilu Tãnase contre Roumanie du 25 juin 2019 jugé que « […] des lésions corporelles et des souffrances physiques ou mentales subies par une personne à la suite d’un accident qui est le simple fruit du hasard ou d’un comportement négligent ne peuvent être considérées comme la conséquence d’un « traitement » auquel une personne aurait été « soumise » au sens de l’article 3. […] En effet, […] pareil traitement se caractérise essentiellement, quoique non exclusivement, par une intention de blesser, d’humilier ou de rabaisser l’individu, par un mépris ou un ravalement de sa dignité, par l’intention de faire naître en lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique. […] ».

En l’espèce, le demandeur reste manifestement en défaut d’établir un tel traitement de la part des autorités de son pays d’origine, aucun des articles de presse versés en cause ne faisant état d’une volonté de leur part de blesser, humilier ou rabaisser les pêcheurs, dont le demandeur, touchés par l’accident en question, la simple lenteur de l’enquête en relation avec l’accident de pollution en question étant tout au plus à qualifier de négligence de leur part, mais non pas comme un acte intentionnel et ciblé à l’encontre des pêcheurs, dont le demandeur, de sorte que l’ensemble des conséquences découlant de la pollution des eaux de pêche dans la 1 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji, Noor Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie, C-465/07.

8région du concerné n’est pas à qualifier d’acte intentionnel ou traitement auquel le demandeur serait « soumis » et ne tombent dès lors manifestement pas sous la définition d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH.

La soussignée constate par ailleurs, à titre superfétatoire et tel que relevé à bon droit par la partie étatique, qu’il est tout à fait loisible au demandeur d’exercer un autre métier au Vietnam, ce qu’il a d’ailleurs fait en Roumanie et en Ukraine avant de déposer sa demande de protection internationale au Luxembourg, son affirmation selon laquelle les emplois dans son pays d’origine ne seraient pas assez bien payés, s’analysant en des motifs purement économiques qui ne rentrent manifestement pas dans le champ d’application de la protection conféré par le statut de la protection subsidiaire.

Il s’ensuit que c’est manifestement à bon droit que le ministre a décidé que le demandeur n’a, en exposant les faits à la base de sa demande de protection internationale, soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire et que le recours, en ce qu’il est dirigé contre ce volet de la décision litigieuse, est à déclarer manifestement infondé.

En ce qui concerne le volet du recours dirigé contre le refus d’octroi d’une protection internationale, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse du recours dirigé à l’encontre de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur n’a soulevé que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire et que, dès lors, ledit récit ne saurait, de toute évidence, justifier l’octroi de la protection subsidiaire. Etant donné que dans le cadre du présent recours dirigé à l’encontre du refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments lui permettant de se départir de cette conclusion, le recours en question est, lui aussi, à rejeter pour être manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire La soussignée rappelle qu’aux termes de l’articles 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 un recours en réformation est ouvert contre un ordre de quitter le territoire pris dans une décision de rejet d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du ministre du 8 février 2024.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire émis à son encontre, alors que celui-ci serait contraire au principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi qu’à l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours dirigé contre l’ordre 9de quitter le territoire.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour de ce dernier au Vietnam ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également, sans violer le principe de non refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève et à l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, Le premier juge siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale, ainsi que contre celle portant ordre de quitter le territoire ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare renoncer à sa demande en obtention du statut de réfugié ;

au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mars 2024, par la soussignée, Laura Urbany, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50090
Date de la décision : 13/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-13;50090 ?

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