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22/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49974

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 février 2024, 49974


Tribunal administratif N° 49974 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49974 2e chambre Inscrit le 24 janvier 2024 Audience publique du 22 février 2024 Recours formé par Madame … et consorts, Luxembourg, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49974 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2024 par M

aître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à ...

Tribunal administratif N° 49974 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49974 2e chambre Inscrit le 24 janvier 2024 Audience publique du 22 février 2024 Recours formé par Madame … et consorts, Luxembourg, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49974 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2024 par Maître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Afghanistan), alias …, née en … à …, alias …, née le … à …, agissant au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, née le … à … (Italie), alias …, née le … à …, …, née le … à …, alias …, née le … à …, alias …, née le … à …, et …, né le … à …, alias …, né le … à …, alias …, né le … à …, déclarant être tous de nationalité afghane, demeurant tous ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision précitée du ministre du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Maître Shanez Aksil et Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 février 2024.

Le 22 septembre 2021, Madame …, alias …, alias …, ci-après désignée par « Madame … », introduisit tant en son nom propre qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, alias …, …, alias …, alias …, et …, alias …, alias …, ci-après dénommés « les consorts … », auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 30 septembre 2021, les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-

ducale, service ….

En date du 4 octobre 2021, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 19 octobre 2021, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande d’informations à leurs homologues italiens sur base de l’article 34 du règlement Dublin III, à laquelle ils répondirent en date du 19 novembre 2021 en les informant que la concernée était enregistrée dans leurs fichiers sous l’identité de …, née le …, de nationalité afghane, alias …, née le …, de nationalité pakistanaise, qu’elle était arrivée sur le sol italien en date du 8 janvier 2015, qu’elle avait introduit des demandes de permis de séjour à Sienne en date des 15 mai 2014 et 1er février 2017, et qu’elle disposait actuellement d’un titre de séjour pour « raisons de famille » délivré par la même ville et valide jusqu’au 4 novembre 2030.

Par décision du 18 juillet 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile se déclara incompétent pour l’analyse de la demande de protection internationale introduite par Madame … et ordonna son transfert, ainsi que celui de ses trois enfants mineurs, vers l’Italie, l’Etat membre responsable du traitement de la prédite demande sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 12 (1) et 22 (7) du règlement Dublin III.

Par décision du 4 août 2022, le même ministre rapporta sa décision de transfert du 18 juillet 2022, prémentionnée, et se déclara compétent pour l’analyse de la demande de protection internationale de Madame … sur base de l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

En date des 10 novembre et 29 décembre 2022, ainsi que du 3 février 2023, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 janvier 2024, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 8 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, membre du gouvernement ayant entretemps eu l’immigration dans ses attributions, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’elles avaient été refusées comme non fondées, tout en enjoignant aux consorts … de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites en date du 22 septembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour vous ainsi que pour le compte de vos enfants mineurs …, née le … à … en Afghanistan, …, née le … à … en Afghanistan, et …, né le … à … en Afghnaistan, tous de nationalité afghane.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche de données personnelles du 22 septembre 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 septembre 2021, le rapport d’entretien « Dublin III » du 4 octobre 2021, la réponse des autorités italiennes du 19 novembre 2021 sur la demande d’informations adressée à eux par la Direction de l’immigration le 19 octobre 2021, conformément à l’article 34 du règlement Dublin III, la décision de transfert vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28(1) de la Loi de 2015 et des dispositions de l’article 12(1) et 22(7) du règlement Dublin III du 18 juillet 2022, la décision de rapport de votre transfert vers l’Italie en vertu des dispositions de l’article 17 (1) du règlement Dublin III du 4 août 2022, ainsi que le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 10 novembre 2022, 29 décembre 2022 et 3 février 2023 sur les motifs sous-

tendant vos demandes de protection internationale et les documents versés à l’appui de votre demande.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que des contradictions et incohérences ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu en Afghanistan et les motifs vous ayant poussée à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Tout d’abord, Madame, il y a lieu de noter que lors de l’introduction de vos demandes de protection internationale vous avez déclaré être de nationalité afghane, d’ethnie Tadjik, mariée et originaire de la province de … en Afghanistan, où vous auriez vécu avec vos trois enfants jusqu’à votre départ d’Afghanistan environ un mois avant votre arrivée au Luxembourg. Vous y ayez également indiqué que vous n’auriez jamais vécu dans un autre Etat membre de l’Union européenne et qu’aucun autre membre de votre famille ne vivrait non plus dans un Etat membre de l’Union européenne. Vous avez également précisé également que votre époux serait porté disparu.

Il ressort du rapport d’entretien du Service de Police Judiciaire que vous auriez dû quitter l’Afghanistan alors que votre vie y serait en danger en raison du travail de votre époux comme traducteur pour les Italiens en Afghanistan. Vous expliquez que votre époux aurait disparu depuis la prise de pouvoir par les Taliban.

Toutefois, il convient de souligner que lors de votre entretien avec la Police Judiciaire, les agents de police ont détecté plusieurs indices indiquant que vous êtes en possession d’un titre de séjour en Italie. En effet, ils ont remarqué que les noms des deux enfants cadets, … et …, n’étaient pas des noms afghans courants et qu’il était pratiquement inconcevable de quitter l’Afghanistan pour le Luxembourg en un mois avec trois enfants en bas âge. Ils ont également découvert plusieurs applications italiennes sur votre téléphone portable et votre fille aînée a déclaré qu’elle parlait italien et qu’elle aurait été scolarisée en Italie.

Compte tenu du fait que la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a cependant pas fourni de résultat et afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable de vos demandes de protection internationale, un entretien « Dublin III » a été mené en date du 4 octobre 2021. Lors de cet entretien, vous avez confirmé vos déclarations quant à votre vécu en Afghanistan et quant à l’itinéraire emprunté pour vous rendre au Luxembourg. De plus, vous avez ajouté que vos enfants auraient appris l’italien de leur père et que, malgré avoir transité par l’Italie, vous auriez décidé de ne pas y introduire de demande de protection internationale, alors que les Italiens, pour le compte desquels votre époux aurait travaillé en Afghanistan, n’auraient pas voulu vous aider après la prise de pouvoir par les Taliban. Vous avez également mentionné que vous auriez détruit tous vos documents en Afghanistan, afin d’éviter que les Taliban ne les retrouvent.

Toujours sceptique quant à la véracité de vos propos, j’ai adressé en date du 19 octobre 2021 une demande d’informations aux autorités italiennes, conformément à l’article 34 du règlement « Dublin III ». La réponse des autorités italiennes du 19 novembre 2021 a confirmé que vous avez déjà fait une demande de titre de séjour en Italie en 2014 et que vous êtes actuellement en possession d’un titre de séjour pour raisons familiales, valable jusqu’au 4 novembre 2032. De plus, il ressort de cette même réponse que vous êtes connue en Italie sous une autre identité, à savoir celle de …, née le …. Des recherches supplémentaires ont révélé que votre mari était bénéficiaire d’une protection internationale en Italie, depuis plus de 10 ans.

Suite à l’obtention de ces informations, vous avez reçu une décision de transfert vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28(1) de la Loi de 2015 et des dispositions de l’article 12(1) et 22(7) du règlement « Dublin III » du 18 juillet 2022. Toutefois, suite à la mort subite de votre époux dans un accident de la circulation le 20 mars 2022, il a été décidé le 5 août 2022, d’annuler la décision de transfert et de traiter vos demandes de protection internationale au Luxembourg.

Ainsi, vous avez été entendue sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale lors d’un entretien personnel par un agent ministériel les 10 novembre 2022, 29 décembre 2022 et 3 février 2023.

Avant d’entamer cet entretien personnel, vous avez admis avoir menti tout au long de la procédure jusqu’à la date de l’entretien personnel sur votre identité, l’identité de vos enfants, ainsi qu’au sujet de votre itinéraire et votre vécu. Vous tentez de vous expliquer en prétendant que votre défunt mari vous aurait incitée à ne pas dire la vérité afin d’augmenter vos chances d’octroi d’une protection internationale. Vous précisez que vous auriez fourni des faux noms et dates de naissance afin d’éviter un transfert vers l’Italie.

Dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous expliquez que vous vous appelleriez …, que vous seriez née le … en …, Afghanistan, que vous seriez de nationalité afghane, musulmane sunnite, d’ethnie Tadjik, veuve et mère de trois enfants, à savoir …, née le … à … en Italie (et non pas le … à … en Afghanistan), …, née le … à … en Italie (et non pas le … à … en Afghanistan), et …, né le … à … en Italie (et non pas le … à … en Afghanistan). Vous indiquez avoir vécu à … jusqu’à votre départ pour l’Europe en 2013. Vous vous seriez ensuite installée chez votre mari en Italie, qui y aurait été bénéficiaire de protection internationale depuis environ 2005 et ne seriez retournée en Afghanistan qu’une seule fois, en 2014.

À l’appui de votre demande de protection internationale, vous avancez avoir quitté l’Afghanistan afin de rejoindre votre mari en Italie dans le cadre d’une procédure de regroupement familial. Vous précisez que vous ne pourriez plus retourner en Afghanistan, alors qu’une vie en tant que femme seule, veuve, avec trois enfants serait impossible en Afghanistan sous le régime des Taliban et que les femmes n’y auraient plus aucun droit.

Dans ce contexte, vous expliquez qu’en Afghanistan vous ne pourriez ni travailler, ni aller à l’école, ni sortir de chez vous, et que vous y encourriez également le risque d’être mariée de force.

Vous évoquez aussi la situation sécuritaire instable qui régnerait en Afghanistan.

Enfin, vous indiquez que vous avez quitté l’Italie parce que votre vie y aurait également été en danger. Dans ce contexte, vous faites état de quatre incidents qui se seraient produits en Italie, à savoir que votre première voiture aurait été incendiée, qu’une deuxième voiture aurait été cassée, qu’il y aurait eu un cambriolage à votre domicile lors duquel de l’argent, de l’or et d’autres objets auraient été volés, et que les roues d’une troisième voiture auraient été dévissées, ce qui aurait failli entraîner un accident.

A l’appui de vos demandes de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- 4 cartes de la sécurité sociale italienne ;

- une photo de votre carte d’identité afghane (Tazkira) ;

- une photo d’une demande d’extrait de mariage ;

- une photo d’une attestation de mariage ;

- 2 photos (recto-verso) de la carte d’identité (Tazkira) de votre époux ;

- 2 photos (recto-verso) de votre carte d’identité (titre de séjour) italienne valable jusqu’au 7 février 2032 émis par la commune de … en Italie ;

- une copie (recto-verso) du la carte d’identité (titre de séjour) italienne de votre époux, valable jusqu’au 20 janvier 2032, émis par la commune de … en Italie ;

- 2 photos (recto-verso) de votre permis de résidence mentionnant votre adresse à … en Italie ;

- 3 photos de votre mariage ;

- un échange de courriels de janvier 2023 entre votre assistante sociale de la Croix-

Rouge Luxembourgeoise, Madame …, et la commune de … ;

- une numérisation d’une demande de certificats de naissance des enfants adressée aux autorités italiennes le 26 janvier 2023 ;

- une numérisation de la transmission des actes de naissances des 3 enfants ;

- une numérisation d’un certificat de résidence italien ;

- une copie de la première page du passeport afghan de votre époux ;

- une copie d’un courriel adressé à la police italienne, - une copie d’une demande de certificat d’état civil auprès de la commune italienne de ….

Il convient de noter que vous n’avez remis aucun original des documents précités et qu’aucune des copies, photos et numérisations des documents que vous avez remis n’ont été traduites en une des langues officielles du Luxembourg ou en anglais. Or, l’article 10 (5) de la Loi de 2015 dispose qu’à l’exception des documents d’identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. Ainsi, les documents que vous avez remis n’ont pas été pris en considération dans le cadre de la présente décision.

Vous affirmez encore que vous auriez possédé un passeport et une carte d’identité afghans, mais que votre défunt mari les aurait gardés avec lui en Italie. Vous déclarez également que votre mari aurait conservé votre permis de séjour italien et tous les documents de vos trois enfants. Vous prétendez ne pas savoir où se trouvent actuellement les originaux de ces documents.

2. Quant à l’application de la procédure accélérée Je tiens tout d’abord à vous informer que conformément à l’article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée alors qu’il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

c) « le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable. » Madame, comme développé ci-dessus, au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déclaré vous nommer … et être née en … à …. Vous avez indiqué que vous auriez quitté l’Afghanistan en août 2021, accompagnée de vos trois enfants …, née le … à … en Afghanistan, …, née le … à … en Afghanistan et …, né le … … en Afghanistan. Vous avez en outre déclaré que vous n’auriez jamais vécu dans un autre Etat membre de l’Union européenne et qu’aucun membre de votre famille ne vivrait dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Vous avez précisé également que votre époux aurait disparu depuis la prise de pouvoir par les Taliban.

Cependant, suspectant que vous ne disiez pas la vérité alors que votre voyage au Luxembourg semblait improbable, que vous aviez plusieurs applications italiennes sur votre téléphone portable et que votre fille aînée déclarait qu’elle maîtrisait la langue italienne et qu’elle avait été scolarisée en Italie, la Direction de l’immigration a décidé, de ne pas se fier à vos paroles et d’effectuer des recherches supplémentaires auprès des autorités italiennes, bien que vous ayez tenté en vain de vous justifier en prétendant que le passeur vous aurait donné le téléphone portable en Italie et que vos enfants auraient appris à parler quelques mots d’italien grâce à votre mari, qui aurait travaillé comme traducteur pour les Italiens en Afghanistan.

Lors de votre entretien « Dublin III », de mauvaise foi, vous avez continué à mentir et à réitérer les mêmes déclarations que vous aviez faites à l’agent du Service de Police Judiciaire concernant votre vécu en Afghanistan et votre trajet vers le Luxembourg.

En date du 19 novembre 2021, les autorités italiennes ont finalement confirmé que vous avez déjà fait une demande de titre de séjour en Italie en 2014 et que vous êtes actuellement en possession d’un titre de séjour pour raisons familiales, valable jusqu’au 4 novembre 2032. De plus, il ressort de cette réponse que vous êtes connue en Italie sous une autre identité, à savoir celle de …, née le …. Des recherches supplémentaires ont montré que votre défunt mari était bénéficiaire d’une protection internationale depuis plus de 15 ans.

Il est ainsi apparu clairement que vous aviez menti de manière flagrante aux autorités luxembourgeoises sur votre identité, sur le fait que vous n’aviez jamais vécu dans un autre Etat membre de l’UE, sur le fait qu’aucun membre de votre famille ne vivait en Europe et sur le fait que votre mari aurait disparu après la prise de pouvoir par les Taliban.

Madame, malgré le fait que vous n’ayez cessé de mentir aux agents du Service de Police Judiciaire et de la Direction de l’immigration depuis l’introduction de vos demandes de protection internationale au Luxembourg, il a été décidé le 5 août 2022, suite à la mort soudaine de votre mari alors qu’il était venu vous rendre visite au Luxembourg, et de traiter vos demandes au Luxembourg.

Votre entretien personnel avec l’agent ministériel a alors eu lieu, lors duquel vous avez enfin avoué avoir menti au sujet de votre identité, de l’identité de vos enfants et de votre histoire personnelle lors de l’introduction de vos demandes de protection internationale et lors de votre entretien « Dublin III ». Dans ce contexte, vous avez expliqué que vous auriez déjà quitté l’Afghanistan en 2013 et que vos trois enfants seraient nés en Italie. Vous avez alors communiqué d’autres identités, de vous et de vos enfants, à savoir :

-

…, née le … à … en Afghanistan ;

-

…, née le … à … en Italie ;

-

…, née le … à … en Italie ;

-

…, né le … à … en Italie.

A ce moment-là, vous avez encore précisé que les autorités italiennes vous avaient enregistrée sous le prénom de votre père, …, comme nom de famille, étant donné que les cartes d’identité afghanes ne mentionnaient pas le nom de famille, et qu’elles auraient également commis une erreur sur votre prénom en écrivant … au lieu de …. Madame, il convient de noter ici que si les autorités peuvent parfois commettre une erreur matérielle lors de la transcription d’un nom persan en alphabet latin, il est extrêmement invraisemblable qu’elles aient commis non pas une, mais deux erreurs lors de la transcription de votre nom.

Par ailleurs, il est incompréhensible que, durant toutes les années où vous avez vécu en Italie, à savoir de 2013 à 2021, vous n’ayez effectué aucune démarche pour corriger ces erreurs et vous faire enregistrer sous votre nom prétendument correct. Cela est d’autant plus flagrant que vous affirmez vous-même avoir été en possession d’un passeport afghan, « j’avais un passeport, mais c’est mon mari qui l’avait en Italie » (p.3/14 de votre rapport d’entretien). Il est donc encore plus incompréhensible que ces prétendues erreurs aient initialement pu être commises et que vous n’ayez pas fait corriger votre nom, d’autant plus que cela aurait été très facile en présentant un passeport.

Lors de votre entretien personnel, vous avez en outre insisté dans un premier temps sur le fait que vous ne seriez en possession d’aucun de vos documents italiens, ni d’aucun document permettant d’établir vos identités, alors que votre époux, à ce moment déjà malheureusement décédé, aurait détenu tous ces documents et que vous ignorez où se trouveraient ces documents. Puis, vous avez indiqué que vous auriez tout perdu en Italie, sans toutefois élaborer davantage vos dires. A la question de savoir pour quelle raison vous n’auriez pas fait renouveler vos papiers, vous expliquez sans ambages que « Si je suis venue ici c’est que je ne souhaite pas retourner en Italie, je n’ai pas besoin de documents italiens » (p.7/14 de votre rapport d’entretien).

Madame, il apparaît que c’est la seule fois au cours de l’instruction de votre dossier que vous avez opté pour la vérité, alors qu’il devient apparent pour la suite de l’instruction de votre dossier que vous n’avez aucun désir de coopérer avec le ministre pour établir votre identité et celle de vos enfants et fournir dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour étayer votre demande de protection internationale, alors que c’est une obligation prescrite par l’article 12(1) et l’article 37(1) et (2) de la loi de 2015. Dans ce contexte, il faut souligner qu’entre le décès de votre mari en mars 2022 et le premier jour de votre entretien en novembre 2022, pas moins de huit mois se sont écoulés, au cours desquels vous auriez pu intervenir auprès des autorités italiennes pour obtenir des duplicatas de vos documents. En plus, l’agent en charge de votre entretien, vous a rappelé à plusieurs reprises qu’il était de la plus haute importance d’apporter vos documents, ou de faire les démarches nécessaires pour récupérer et présenter vos documents, ce à quoi vous répondez que « vous pouvez leur [autorités italiennes] demander les documents qui montrent que je suis en règle » (p.2/14 de votre rapport d’entretien) et que « si vous ne me croyez pas vous pouvez demander à la police de la ville vous-même » (p.8/14 de votre rapport d’entretien). Ainsi, au lieu de faire le nécessaire pour débloquer votre situation, vous vous êtes contentée de rejeter la balle dans le camp du ministère.

Vous indiquez ensuite que vous avez contacté un ami en Italie pour obtenir certains documents, mais sans succès. Vous rapportez que vous auriez ensuite trouvé un avocat italien du nom de …, qui aurait contacté la police italienne, pour après ne plus jamais le mentionner. Vous invoquez tout cela, afin de prouver que vous auriez quand-même fait un effort pour obtenir des documents.

L’agent en charge de l’entretien n’a cependant pas lâché prise et, après plusieurs rappels de remettre les documents au cours des trois jours d’entretien, vous avez fini par donner toutes les copies des documents susmentionnés. L’agent ministériel s’est alors vite rendu compte que vous aviez une fois de plus menti au sujet de vos documents, ou du moins de certains d’entre eux, puisque vous possédiez des photos de vos permis de séjour italiens depuis le 16 septembre 2021, c’est-à-dire depuis le tout début de votre procédure de protection internationale.

Puis, Madame, lors de l’instruction de votre dossier, l’agent en charge du dossier a dû constater que les copies des documents italiens, ainsi que les cartes de sécurité sociale italiennes attestent d’une troisième identité de vous et de vos enfants … et …, à savoir :

- …, née le … ;

- …, née le … ;

- …, né le ….

Par conséquent, et afin de pouvoir finaliser votre dossier, un courriel a été envoyé à votre avocate en date du 30 juin 2023, soit 5 mois après votre dernier jour d’entretien, l’invitant de prendre contact avec les autorités italiennes afin que vous puissiez fournir, jusqu’au 15 juillet 2023, les originaux, voire des duplicatas, des documents italiens qui permettraient d’établir, preuve à l’appui, la véritable identité de tous les membres de famille, ainsi que votre situation administrative en Italie.

En date du 12 juillet 2023, et après intervention téléphonique de votre avocate, la Direction de l’immigration vous a accordé un délai supplémentaire au-delà du 15 juillet 2023 pour effectuer les démarches nécessaires. Plusieurs échanges de courriels et téléphoniques ont suivi entre votre avocate et la Direction de l’immigration, notamment en date du 21 août 2023, 15 septembre 2023, et 13 octobre 2023, sans que cela aboutisse à un quelconque résultat.

Enfin, en date du 26 octobre 2023, la Direction de l’immigration vous a, une fois de plus, accordé un délai supplémentaire de 15 jours, soit jusqu’au 10 novembre 2023, pour fournir les pièces demandées. Or, la Direction de l’immigration est toujours en attente d’un quelconque document original authentique permettant de prouver votre l’identité et celle de vos enfants, et de clarifier votre situation administrative en Italie.

Dans ce contexte, il faut souligner que les autorités luxembourgeoises prennent en compte le fait que vous avez souffert d’un traumatisme important suite au décès de votre mari, mais qu’en somme, vous avez eu plus de 2 ans après l’introduction de vos demandes de protection internationale, afin de remettre un quelconque document authentique qui déferrait vos mensonges et prouverait que les personnes mentionnées sur les copies des documents présentés sont bien vous et vos enfants. En effet, vous avez choisi de mentir aux autorités luxembourgeoises pendant plusieurs mois en fournissant non pas deux mais trois identités différentes pour vous et vos enfants, de sorte qu’il est clairement établi que vous n’hésitez pas à mentir aux autorités.

Eu égard à ce qui précède, force est de constater que vous tentez, depuis l’introduction de vos demandes de protection internationale, manifestement et ostentatoirement d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en mentant, en fournissant de fausses informations et refusant de coopérer de manière honnête.

Votre comportement parfaitement inapproprié et inacceptable constitue un abus des procédures en matière de protection internationale et il est actuellement tout simplement impossible d’établir votre identité et celle de vos enfants, votre nationalité, votre date de naissance et celles de vos enfants ou encore votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg.

Il est clair que vous ne jouez pas franc jeu et que vous tentez manifestement de cacher la vérité aux autorités luxembourgeoises afin d’influencer l’issue de votre demande de protection internationale et d’augmenter vos chances de vous voir octroyer un statut de protection internationale. Vous l’avouez d’ailleurs vous-même en expliquant que vous ne souhaitez pas retourner en Italie. Vous abusez clairement des procédures en matière de protection internationale pour régulariser votre séjour au Luxembourg, ce qui est inacceptable.

Eu égard à ce qui précède, il échet de relever que vos manœuvres frauduleuses justifient pleinement l’application de la procédure accélérée à votre égard.

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu’il ressort de l’analyse de votre demande de protection internationale ci-

dessous développée, il s’avère que le point a) de l’article 27 se trouve également être d’application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Par définition, pour se voir octroyer une protection internationale, le demandeur doit établir une crainte fondée d’être persécuté, respectivement de subir une atteinte grave dans son pays d’origine.

Or, Madame, et tout en renvoyant aux développements ci-dessus, force est de constater que vous restez en défaut d’établir votre identité, votre nationalité, votre date de naissance et votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg et donc a fortiori les raisons qui vous auraient conduit à quitter votre pays d’origine, que vous prétendez être l’Afghanistan.

Vous fournissez délibérément des informations aux autorités luxembourgeoises afin de tenter de les induire en erreur et manquez de remettre des documents authentiques. Il est évident que vous tentez de cacher des choses, ce qui est inacceptable et ce qui constitue un abus des procédures en matière de protection internationale. En effet, la seule raison qui conduit une personne à mentir sur des informations aussi essentielles que son identité est celle de cacher la vérité, élément qui pourraient conduire les autorités à refuser l’octroi d’une protection internationale. Vous tentez de manière grossière de berner les autorités afin de pouvoir bénéficier d’une protection internationale qui revient aux seules personnes contraintes de quitter leur pays d’origine et se trouvant dans l’impossibilité d’y retourner.

Toutefois, dans votre cas particulier et compte tenu du fait que vous n’avez fait que mentir depuis votre arrivée, il est impossible d’analyser s’il vous est possible de retourner dans votre pays d’origine.

De plus, il est évidemment que les autorités luxembourgeoises ne sauraient accorder une protection internationale à une personne qui ment de manière ostentatoire depuis son arrivée et dont on ignore les informations essentielles telles que les noms et date de naissance respectivement le pays d’origine sachant qu’actuellement aucun élément du dossier ne permet de les établir.

Il est en effet inconcevable qu’un titre de voyage et un titre de séjour soient accordés à des personnes sur base d’une identité, d’une nationalité et d’une date de naissance qui ne sont pas établies. En effet, le seul fait de prétendre d’être de nationalité afghane ne saurait pas suffire pour se voir octroyer une protection internationale.

Partant, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2024, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision précitée du ministre du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur le refus d’une demande de protection internationale et sur l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître du recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation ainsi introduit.

Le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs expliquent qu’après l’introduction de leurs demandes de protection internationale au Luxembourg, les autorités luxembourgeoises auraient décidé de requérir des informations auprès des autorités italiennes, qui les auraient informées que Madame … aurait été en possession d’un titre de séjour italien obtenu dans le cadre d’un regroupement familial, suite à son mariage avec Monsieur … en 2012. Les autorités luxembourgeoises auraient alors entrepris de les renvoyer en Italie. Dans l’intervalle, Monsieur …, qui leur aurait rendu visite au Luxembourg, aurait été percuté par un véhicule et aurait succombé à ses blessures. La décision de transfert aurait alors été annulée.

Ensuite, Madame … fait valoir que, lors des entretiens menés dans le cadre des demandes de protection internationale, elle aurait fourni les raisons pour lesquelles elle n’aurait pas divulgué sa véritable identité et celle de ses enfants, à savoir le fait qu’ils auraient tous été en danger en Italie, après avoir été victimes de plusieurs actes malveillants de la part d’inconnus. Elle indique, à cet égard, que les véhicules de son époux auraient été pris pour cible à plusieurs reprises et que leur appartement situé au cinquième étage aurait été cambriolé. Un déménagement n’aurait pas suffi à empêcher les actes malveillants à l’égard de son époux, qui aurait fait l’objet d’attaques pendant plusieurs années sur ses biens et sa personne. Dans ce contexte de peur et face à l’inertie de la police italienne, son époux aurait décidé de les envoyer au Luxembourg et lui aurait enjoint de ne pas fournir sa véritable identité et celle des enfants pour éviter une expulsion vers l’Italie. Elle se serait ainsi, malgré elle, embourbée dans ses mensonges sur son identité et son vécu. Elle aurait, par ailleurs, répété à l’agent du ministère qu’elle aurait suivi les recommandations de son mari. Elle explique encore qu’elle n’aurait pas possédé de documents italiens en originaux et que ses tentatives d’en obtenir auprès des autorités italiennes seraient restées vaines.

Les demandeurs soutiennent, enfin, que malgré la transmission de nombreux documents les concernant, le ministre aurait tout de même refusé de reconnaître leur véritable identité et aurait décidé de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

En droit, à l’appui de leur recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, les demandeurs critiquent l’application par le ministre des dispositions des points a) et c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

En reconnaissant avoir communiqué des informations erronées sur son identité ainsi que celle de ses enfants devant la police judiciaire lors de son arrivée sur le territoire luxembourgeois, Madame … soutient qu’elle se serait pourtant ressaisie par la suite et aurait été totalement honnête et transparente dans ses déclarations. Elle précise, à cet égard, qu’elle serait de nationalité afghane et que dans sa culture, l’épouse devrait suivre les « directives » de son mari et qu’elle aurait, de ce fait, appliqué les instructions de Monsieur … à la lettre, instructions selon lesquelles elle devait mentir pour leur sécurité. Elle estime que le ministre n’aurait pas dû se limiter à ses premières déclarations mensongères et qu’il aurait dû prendre en compte les copies des documents versés qui attesteraient de l’identité de sa famille. La demanderesse fait valoir, à ce propos, qu’elle n’aurait pas pu falsifier les documents italiens et afghans transmis au ministre et que ceux-ci constitueraient des commencements de preuve, dans la mesure où elle aurait été dans l’impossibilité de fournir les originaux de ces pièces.

En précisant que son époux aurait été, selon elle, volontairement percuté, ce qui l’aurait amenée à avoir un suivi psychologique, elle estime qu’en tant que femme afghane, désormais veuve, avec trois en enfants en bas âge, venant de l’Europe, elle aurait dû bénéficier d’une procédure « normale » d’examen de sa demande de protection internationale, avant de conclure que le ministre aurait commis un abus de droit et que la décision litigieuse serait à réformer pour « défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle ».

Quant au recours dirigé contre la décision de refus de leur accorder une protection internationale, les demandeurs renvoient, tout d’abord, aux explications fournies dans le cadre du recours contre le volet de la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Ils ajoutent, ensuite, que leurs identités seraient établies sur base des documents transmis au ministre. Ils estiment que de ce fait, en raison de leur nationalité afghane, il serait évident qu’ils ne pourraient retourner dans leur pays d’origine, où les talibans continueraient de persécuter la population afghane. De plus, ils n’auraient aucune attache avec l’Afghanistan, surtout les enfants qui seraient nés en Europe et y vivraient depuis leur naissance. Ils concluent que leurs craintes seraient réelles et constitueraient des motifs qui leur permettraient d’obtenir une protection internationale.

Dans ce contexte, Madame … reproche au ministre de ne pas avoir pris en compte ses déclarations et de ne pas avoir examiné les faits lui soumis, de sorte que la décision litigieuse serait dépourvue de toute motivation. Elle lui reproche encore d’avoir estimé que ces faits n’auraient eu vocation qu’à l’induire en erreur et de ne pas avoir tiré de conséquences des menaces qu’elle aurait subies en Italie et de la mort soudaine et suspecte de son époux, respectivement « du pays d’origine de [sa] famille correspondant aux conditions d’octroi de la protection internationale respectivement la protection subsidiaire ».

Après avoir relevé que leur retour en Afghanistan les exposerait à des traitements inhumains et dégradants dès leur arrivée, et que ces éléments pourraient être assimilés à des « actes de persécution », les demandeurs soutiennent que le « statut d’asile », sinon le statut de la protection subsidiaire, devrait leur être accordé.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 4 janvier 2024, les demandeurs donnent à considérer, à titre principal, qu’en raison de leur « crainte de mort », il y aurait lieu de réformer ledit ordre, et à titre subsidiaire, que le principe de précaution serait à appliquer, ce qui empêcherait de les reconduire vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’ils courent un risque réel de subir des atteintes graves à leur vie.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut au rejet du recours en ses différents volets, en reprenant en substance la décision litigieuse. Il ajoute que le ministre aurait accompli toutes les diligences en la matière au regard de la loi du 18 décembre 2015, à l’issue d’une instruction complète et suffisante, d’un examen approprié des déclarations, des faits et des pièces versées par les demandeurs.

En ce qui concerne l’application de l’article 27 (1) c) de la loi du 18 décembre 2015 aux demandes de protection internationale, le délégué du gouvernement soutient que les affirmations de Madame … sur l’identité des membres de sa famille faites lors de ses entretiens ne correspondraient pas aux informations figurant sur les copies des documents versés. Pour avoir une clarification, son litismandataire aurait été contacté pour qu’il s’adresse aux autorités italiennes en vue de l’obtention de documents originaux, et malgré de nombreux échanges, aucune pièce authentique n’aurait été fournie à ce jour.

Le délégué du gouvernement fait également valoir que les autorités luxembourgeoises auraient pris en compte le fait que Madame … a souffert d’un traumatisme suite au décès de son époux, mais qu’après un délai supérieur à deux années suivant l’introduction de sa demande de protection internationale, elle resterait toujours en défaut de clarifier son identité et celle de ses enfants. Il en conclut qu’elle tenterait manifestement et ostentatoirement d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en mentant, en fournissant de fausses informations et en refusant de coopérer de manière honnête. Son comportement constituerait ainsi un abus des procédures en matière de protection internationale et il serait actuellement impossible d’établir l’identité, la nationalité, la date de naissance ou encore le vécu des consorts … avant leur arrivée au Luxembourg.

En ce qui concerne les copies des documents supposés établir l’identité de ces derniers, la partie étatique soutient qu’elles n’auraient été traduites dans aucune des langues officielles prévues à l’article 10 (5) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’en outre, elles ne seraient pas authentiques. Il estime qu’en présence de nombreux alias fournis par Madame …, qui ne correspondraient pas aux informations figurant sur les copies des pièces versées, celles-ci n’auraient, en conséquence, pas de force probante.

Quant aux échanges de courriels entre un membre du personnel de la Croix-Rouge Luxembourg et la Commune de … du 23 janvier 2024, ceux-ci ne suffiraient pas à prouver que les demandeurs ne pourraient pas obtenir d’originaux de la part des autorités italiennes.

La partie étatique en conclut que Madame … ne jouerait pas franc-jeu et qu’elle tenterait de cacher la vérité aux autorités luxembourgeoises afin d’influencer l’issue de leurs demandes de protection internationale et d’augmenter leurs chances de se voir octroyer un statut de protection internationale, ce qu’elle admettrait en expliquant qu’elle ne souhaiterait pas retourner en Italie.

En ce qui concerne l’application de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 aux demandes de protection internationale, après avoir relevé que l’identité, la nationalité, la date de naissance ou encore le vécu des consorts … ne seraient pas établis et après avoir insisté sur le fait que les copies des pièces versées ne prouveraient pas leurs identités, le délégué du gouvernement considère que le ministre pouvait rejeter les demandes de protection internationale sans analyser le caractère fondé des craintes de persécution ou le risque de subir des atteintes graves par rapport à un retour en Afghanistan mis en avant par les demandeurs.

Il en conclut que le ministre aurait, à bon droit, pris la décision dans le cadre de la procédure accélérée, de sorte que le recours formulé à cet égard devrait être déclaré manifestement non fondé.

S’agissant du recours contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale, le délégué du gouvernement renvoie aux arguments développés dans le cadre de l’analyse des points a) et c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 tout en concluant que ce serait à bon droit que le ministre aurait pris la décision de refuser l’octroi de la protection internationale aux consorts … et que le recours formulé à l’encontre de ce volet de la décision devrait également être déclaré manifestement non fondé.

Enfin, s’agissant du recours contre la décision portant ordre de quitter le territoire, le délégué du gouvernement expose qu’il ne pourrait être reproché au ministre d’avoir, conformément à l’article 34 de la loi du 18 décembre 2015, inclus l’ordre de quitter le territoire dans la décision ministérielle de rejet des demandes de protection internationale, alors que ledit ordre découlerait directement de cette décision. Il en conclut que le recours formulé à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire serait aussi à déclarer comme étant manifestement non fondé.

Il se dégage de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée, pour autant que les demandeurs aient entendu, par leurs reproches quant au défaut de motivation et à l’absence de motivation suffisante de la décision ministérielle, s’emparer de l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015 disposant que « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] », la soussignée est amenée à constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, les diverses déclarations de Madame … aux différents stades de la procédure, les pièces prises en compte, ainsi que les raisons de l’application de la procédure accélérée aux demandes de protection internationale des demandeurs basée sur les articles 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le moyen afférent des demandeurs est rejeté pour être non fondé.

S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision déférée, il échet de relever que la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels :

« Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou […] c) si le demandeur a induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable […] ».

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par les demandeurs à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées sont telles qu’il n’est pas permis d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser les demandes dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

S’agissant d’abord du point c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, précité, force est de relever qu’en l’espèce, le ministre reproche à Madame … de l’avoir induit en erreur en ayant fourni de fausses identités et en ne lui ayant pas fourni de documents traduits et originaux.

Or, si, certes, Madame … a fourni des identités différentes, il ressort toutefois de ses explications qu’elle a agi de la sorte sur incitation de son défunt époux et dans le but de ne pas être renvoyée en Italie avec ses enfants, où elle aurait craint pour sa sécurité et la leur. Il échet, en outre, de relever (i) qu’elle a maintenu, tout au long de la procédure, être née à … en Afghanistan, et être, ainsi que ses enfants, de nationalité afghane, et (ii) qu’elle a versé, après le décès de son époux et avant la prise de la décision litigieuse par le ministre, des copies de divers documents, dont la plupart sont traduits, pour appuyer ses déclarations concernant sa véritable identité et celle de ses enfants.

Dans la mesure où l’article 27 (1) c) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit l’hypothèse dans laquelle le demandeur induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision ministérielle concernant sa demande de protection internationale dans un sens défavorable, et qu’au vu des considérations qui précèdent, Madame … ne peut être considérée comme ayant cherché à induire le ministre en erreur afin d’influencer le résultat de sa demande de protection internationale et de celle de ses enfants, le ministre ne pouvait, dès lors, pas appliquer l’article 27 (1) c) de la loi du 18 décembre 2015 aux demandes de protection internationale des consorts ….

En partant du constat que les demandeurs n’auraient pas établi leur identité, leur nationalité, leurs dates de naissance ou leur vécu avant leur arrivée au Luxembourg, le ministre est également arrivé à la conclusion que les faits invoqués par Madame … seraient sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle, ainsi que ses enfants, remplissent les conditions requises pour bénéficier d’une protection internationale et a rejeté leurs demandes par voie de procédure accélérée en se fondant également sur le point a) de l’article 27 (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Or, la question de la nationalité est fondamentale dans l’analyse de la demande d’un demandeur de protection internationale.

En effet, le sort à réserver sur les demandes de protection internationale des consorts … pourrait a priori être différent selon qu’il soit retenu qu’ils sont bien de nationalité afghane ou non.

La soussignée est amenée à relever, dans ce contexte, que l’analyse approfondie des moyens afférents des demandeurs concernant leur identité et leur nationalité excède le cadre de son analyse.

Par conséquent, au vu des pièces versées, des explications des demandeurs sur les raisons des mensonges quant à leurs identités et quant aux circonstances de leur venue au Luxembourg, ainsi que de la preuve des efforts fournis par la suite pour tenter de rétablir la vérité sur leurs identités, la soussignée conclut que les moyens invoqués par les consorts … ne sont pas dénués de tout fondement, de sorte que le recours sous examen ne peut actuellement être considéré comme étant manifestement infondé, tant en ce qui concerne le point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 que le point c).

Au vu de toutes ces considérations, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale du tribunal administratif pour y statuer, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le recours quant aux deux autres volets de la décision.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire devant la deuxième chambre du tribunal administratif siégeant en formation collégiale pour y statuer ;

fixe l’affaire pour plaidoiries à l’audience publique de la deuxième chambre du lundi 25 mars 2024 à 15.00 heures ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 février 2024, par la soussignée, Annemarie Theis, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Annemarie Theis Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49974
Date de la décision : 22/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-22;49974 ?

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