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16/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49836

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2024, 49836


Tribunal administratif N° 49836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49836 3e chambre Inscrit le 21 décembre 2023 Audience publique du 16 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, alias … …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49836 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2023 par Maître Lukman

ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 49836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49836 3e chambre Inscrit le 21 décembre 2023 Audience publique du 16 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, alias … …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49836 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2023 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, alias …, né le … au Maroc, de nationalité marocaine, alias …, né le … au Maroc, de nationalité marocaine, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 janvier 2023.

Le 29 janvier 2018, Monsieur …, alias …, désigné ci-après par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration une première demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section Police des Etrangers et des Jeux, dans un rapport du même jour.

A cette occasion il s’avéra, d’une part, suite à une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale aux Pays-

Bas en date du 8 avril 2017 et, d’autre part, suite à une recherche dans la base de données du Centre de coopération policière et douanière Luxembourg, désigné ci-après par « CCPD », que 1celui-ci était connu aux Pays-Bas pour deux vols qualifiés commis dans une habitation, suite auquel il a été incarcéré du 24 juin 2017 au 5 janvier 2018, ce dernier y ayant également fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire.

Il ressort ensuite des explications non contestées de la partie étatique que, toujours en date du 29 janvier 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », entretien suite auquel une demande de reprise en charge fut adressée aux autorités néerlandaises, laquelle fut acceptée par ces dernières en date du 1er février 2018.

Il ressort encore des explications non contestées de la partie étatique que Monsieur … disparut de son foyer d’hébergement en date du 30 janvier 2018 et qu’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 février 2018 l’informant que la responsabilité du traitement de sa demande de protection internationale relèverait de la compétence des autorités néerlandaises lui fut notifiée par voie d’affichage public. Il en ressort encore que par courrier du 6 janvier 2022, les autorités néerlandaises sollicitèrent auprès du ministre de l’Immigration et de l’Asile des informations sur le statut de la procédure concernant la demande de protection internationale de Monsieur …, ce dernier ayant, d’après les annexes dudit courrier, introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 2 février 2018.

Suite à la réapparition de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois en date du 8 août 2023, celui-ci renonça à sa demande de protection internationale introduite le 29 janvier 2018 et introduisit une deuxième demande de protection internationale à la même date, introduction suite à laquelle ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour.

En date des 8 septembre 2023 et 3 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises, respectivement aux autorités suisses, demandes qui furent rejetées en date du 18 septembre 2023, respectivement en date du 5 octobre 2023.

Par un arrêté ministériel du 18 septembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la …, ci-après dénommée « la … », pour une durée de trois mois, laquelle fut rapportée par arrêté ministériel du 5 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain.

Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 29 octobre 2023, émanant du Commissariat Luxembourg Gare, Région Capitale, que Monsieur … fût appréhendé par les forces de l’ordre dans le cadre d’une altercation physique, occasion à laquelle une bombe à gaz lacrymogène fut saisie sur sa personne et occasion à laquelle celui-ci n’était pas coopératif avec les agents de police.

2En date du 10 novembre 2023 Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes – Direction de l’immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 décembre 2023, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », entretemps compétent, après avoir repris les faits et rétroactes exposés ci-avant, résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 août 2023, le rapport d'entretien du 10 novembre 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que l'ensemble des éléments composant votre dossier administratif.

Lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire mené à l'occasion de votre deuxième demande de protection internationale, vous déclarez avoir quitté le Maroc en 2014 pour l'Espagne où vous auriez séjourné pendant un mois à Barcelone. Par la suite, vous seriez allé en France. Après y avoir séjourné pendant un an, vous seriez parti pour Bruxelles et Liège avant de prendre le train pour les Pays-Bas où vous auriez introduit une demande de protection internationale en 2017. Dans la mesure où votre demande aurait été rejetée, vous seriez retourné en France avant de venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg en 2018. Vous auriez néanmoins quitté le Luxembourg trois jours plus tard pour aller introduire une demande de protection internationale en Suisse. Vous y seriez resté pendant huit à neuf mois pour ensuite partir en Italie visiter votre soeur. Vous auriez séjourné en Italie pendant deux années avant de partir à Lyon où vous auriez, huit mois plus tard, pris le train pour revenir au Luxembourg. Vous seriez revenu au Luxembourg parce que vos amis vous auraient dit que le Luxembourg traiterait bien les réfugiés.

Il ressort en outre des recherches effectuées dans la base de données Eurodac que vous avez déjà introduit auparavant des demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date du 8 avril 2017, au Luxembourg en date du 29 janvier 2018 et en Suisse en date du 2 février 2018. Vous faites en outre l'objet d'un signalement dans le Système d'Information Schengen pour interdiction d'accès et de séjour par les autorités suisses et italiennes pour une durée de trois années.

Une demande adressée respectivement aux autorités néerlandaises et suisses conformément aux dispositions du Règlement Dublin III en vue de votre reprise en charge fut rejetée, la compétence pour le traitement de votre demande de protection internationale revenant donc aux autorités luxembourgeoises.

A cette fin, vous aviez été convoqué à vous présenter dans les locaux de la Direction de l'immigration pour le 13 octobre 2023 en vue de mener un entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale. Or, vous ne vous êtes pas présenté à cette date sans excuse valable, de sorte que votre entretien a dû être reporté à une date ultérieure, ledit entretien ayant finalement pu être mené en date du 10 novembre 2023.

A l'appui de votre demande, vous affirmez vous nommer …, être né le … à …/Maroc, et être de nationalité marocaine. Or, lors de votre entretien avec l'agent ministériel, vous estimez « en fait, je suis né en … » (entretien page 2). Convié à expliquer que vous auriez néanmoins indiqué être né an …, vous estimez « ça arrive les erreurs » (entretien page 2).

3Depuis votre arrivée en Europe, vous ne seriez plus retourné au Maroc « parce qu'il n'y a pas de travail » (entretien page 4). Il faudrait en outre attendre un an ou plus pour recevoir des soins en cas de maladie. Par ailleurs « tous les jeunes de mon quartier ont quitté le Maroc et ils sont à Bruxelles » (entretien page 4). Vous seriez revenu au Luxembourg « comme ça. Pour demander de l'aide. Pour étudier et travailler » (entretien page 4). Vous auriez introduit une nouvelle demande de protection internationale parce que « je vous ai raconté… je veux de l'aide pour étudier, pour travailler, je peux tout faire ». Vous voudriez de l'aide pour progresser et vous développer « et je veux des soins » (entretien page 5).

Convié à expliquer quelles seraient vos craintes en cas de retour au Maroc, vous estimez alors qu'il y aurait des mauvaises personnes et le Maroc serait « comme une forêt, il n'y a pas de justice » (entretien page 5). Vous déclarez encore que « quand tu touches un policier, ils font tout pour détruire ta vie » (entretien page 5). En effet, en 2012, des policiers seraient venus chez vous à cause de votre frère et auraient cassé la porte. « Ils sont entrés, ils m'ont frappé, ils voulaient m'arrêter, j'ai touché un policier et je me suis enfui » (entretien page 5). Les policiers auraient poussé votre mère qui serait malade. Vous n'auriez pas apprécié cela de sorte que vous l'auriez poussé à votre tour et « pour cela toute ma famille a quitté le Maroc, tout mon quartier a quitté, tous les jeunes de … sont partis » (entretien page 5).

Vous déclarez en outre qu'en 2012, les autorités auraient détruit des maisons construites illégalement, dont celle de votre famille. Vous et votre famille auriez dû être relogés dans une maison trop petite ce que vous auriez refusé. Puisque vous auriez refusé, les policiers seraient entrés de force, vous auraient frappé et auraient poussé votre mère de sorte que vous auriez poussé le policier à votre tour. Suite à cet événement, vous vous seriez enfui chez votre tante. A cause de cela, vous seriez recherché par la police qui voudrait vous mettre en prison.

Convié à expliquer quand vous auriez pris la décision de quitter le Maroc, vous estimez déjà avoir voulu quitter le Maroc lorsque vous auriez été mineur.

A l'appui de votre demande, vous ne remettez aucun document susceptible de prouver, ni votre identité, ni aucun élément du récit invoqué à base de votre demande. Vous remettez uniquement une copie d'un papier manuscrit intitulé « Urgences psychiatriques » non daté d'une dénommée … qui serait psychologue. […] ».

A travers la même décision, le ministre l’informa qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre releva tout d’abord avoir des doutes quant à la crédibilité du récit de Monsieur …, alors que ce dernier, outre de ne pas rapporter la preuve de son identité, aurait fait état d’un revirement de position fondamental au fil de ses auditions.

Ainsi, le ministre releva que Monsieur … aurait déclaré, lors de sa première demande de protection internationale en 2018, avoir quitté le Maroc il y a un an et demi, soit vers août ou septembre 2016 alors que la police marocaine chasserait les sans-abris, tandis que, dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, il aurait fait état d’un incident avec la police marocaine qui aurait eu lieu en 2012, suite auquel sa maison aurait été détruite pour avoir été illégalement construite et suite auquel la police marocaine serait à sa recherche, 4un tel changement de motifs de fuite ne correspondant, selon le ministre, pas au comportement d’une personne persécutée ou à risque d’être persécutée dans son pays d’origine.

Le ministre releva encore qu’il ressortirait du dossier administratif de Monsieur …, que celui-ci aurait, au fil de sa présence sur le territoire européen, fait usage de différentes identités, dans la mesure où les dates de naissances qu’il aurait indiqué aux autorités des différents pays dans lesquels il a séjourné en Europe divergeraient, le ministre estimant qu’un tel comportement, expliqué par le concerné par le fait qu’il se serait simplement trompé, correspondrait à une manœuvre de sa part visant à éviter son identification et, ainsi, à empêcher un éloignement dans son pays d’origine. Le ministre estima encore cette analyse confirmée par le fait que le demandeur aurait, lors de son entretien Dublin III dans le cadre de sa première demande de protection internationale, affirmé ne pas avoir fait usage d’autres identités dans d’autres Etats. Dans ce contexte, le ministre fit encore valoir qu’il aurait appartenu à Monsieur …, face à de telles convergences, de faire le nécessaire afin de prouver son identité. Il releva en outre que les explications de ce dernier relatives à l’absence de son passeport seraient divergentes et contradictoires, en ce qu’il aurait affirmé ne jamais avoir été en possession d’un passeport pour ensuite déclarer devant la police grand-ducal que son passeport aurait été volé en Italie lorsqu’il se serait endormi dans un train.

De même, Monsieur … se serait contredit quant à la présence de différents membres de sa famille sur le territoire européen, son état civil et sa confession religieuse, alors que lors de sa première demande de protection internationale il aurait indiqué, être divorcé et être de religion chrétienne, de seulement avoir un frère en Belgique et un fils à Paris, tandis que ses parents ainsi qu’une sœur et un frère vivraient au Maroc, pour ensuite, dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, déclarer être célibataire et être de confession musulmane et que l’ensemble de ses membres de famille séjourneraient en Italie ou en Espagne, dont une sœur en Italie depuis 2007, sans mentionner un frère en Belgique ou un fils à Paris, le ministre relevant encore que Monsieur … aurait, lors d’une interpellation par la police grand-ducale crié « Allahu Akbar ».

Le ministre releva encore que Monsieur … aurait fait des déclarations incohérentes concernant la date à laquelle il aurait quitté le Maroc, alors que dans le cadre de sa première demande de protection internationale il aurait affirmé avoir quitté le Maroc soit vers septembre 2016, soit en 2017, sinon en janvier 2015 et que, dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, il aurait indiqué avoir quitté son pays d’origine en 2015, sinon en octobre 2014.

Concernant la crédibilité des motifs à la base de sa demande de protection internationale, le ministre releva que Monsieur …, tout en affirmant que l’incident suit auquel la police marocaine serait à sa recherche aurait eu lieu en 2012, aurait également affirmé avoir vécu chez sa tante de 2013 à 2014, le ministre estimant que les autorités marocaines, s’il étaient réellement à sa recherche, l’auraient certainement pu retrouver chez elle, tout en rajoutant qu’il ne serait pas logique qu’il aurait vécu auprès de sa tante seulement à partir de 2013 si sa maison familiale avait été détruite en 2012. Ce manque de crédibilité serait, par ailleurs, renforcé par le fait que Monsieur … resterait en défaut de rapporter une preuve de ses dires et que ses déclarations à cet égard seraient vagues et dépourvues de détail, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une personne ayant réellement vécu de tels événements et à la recherche d’une protection internationale.

5A titre superfétatoire, le ministre releva encore que le fait de risquer une sanction pour avoir poussé un policier ne serait manifestement pas à considérer comme un motif pouvant fonder une demande de protection internationale, mais serait à considérer comme un outrage ou une violence à l’égard d’un agent dépositaire de l’autorité publique, fait également punissable selon la législation luxembourgeoise, le ministre précisant que la procédure d’asile n'aurait pas pour but de permettre à un ressortissant de pays tiers d’échapper à ses responsabilités pour des infractions commises dans son pays d’origine.

Le ministre releva ensuite que le comportement de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois ne correspondrait pas à celui d’une personne à la recherche d’une protection internationale, alors qu’il se serait fait négativement remarquer auprès des autorités, notamment policières, en tentant de leur cracher dessus, en les menaçant, en les insultant et en proférant des insultes envers l’Etat luxembourgeois, le concerné ayant, d’après le ministre, eu un comportement similaire en Belgique, où il aurait été incarcéré pour vol. Ce même constat pourrait, suivant le ministre, être fait sur base du parcours de Monsieur … à travers les différents pays européens, alors qu’il ressortirait de ses différentes affirmations qu’il aurait quitté le Maroc pour séjourner d’abord en Espagne pendant environ un an sans y introduire une demande de protection internationale, pour ensuite se rendre en France et d’y travailler de manière illégale avant de se rendre aux Pays-Bas seulement une fois qu’il n’aurait plus trouvé de travail, pour y introduire une demande de protection internationale. Suite au refus de ladite demande par les autorités néerlandaises, il se serait maintenu sur leur territoire pour travailler dans un bar à chicha, avant de partir en Belgique sans y rechercher une forme de protection, pour ensuite retourner de nouveau en France et se rendre encore en Italie où la délivrance d’un titre de séjour lui aurait été refusée. Suite audit refus, il se serait rendu en Suisse pour y déposer une demande de protection internationale qui lui aurait été refusée, refus suit auquel il se serait néanmoins maintenu pendant trois ans de manière illégale en Suisse avant de se rendre pour une durée de quelques mois en Italie auprès de sa sœur. Suit à une dispute avec le mari de cette dernière, il se serait de nouveau rendu en France avant de venir au Luxembourg où il aurait, par ailleurs, déclaré ne pas être retourné au Maroc, alors qu’il y aurait ni de travail, ni de soins médicaux pour lui et que tous les jeunes de son quartier se seraient rendus à Bruxelles.

Le ministre conclut de l’ensemble de ces incohérences que Monsieur … aurait quitté son pays d’origine pour des motifs économiques et de pure convenance personnelle, constat renforcé par le fait qu’il aurait déclaré avoir une situation financière précaire au Maroc, tout comme l’ensemble de sa famille et qu’il espérerait pouvoir étudier ou travailler au Luxembourg et avoir accès à des soins médicaux. Dans la mesure où de tels motifs ne rentreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugié du 28 juillet 1951 ou de la loi du 18 décembre 2015, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection international du concerné et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 7 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

61) Quant aux recours en réformation dirigés contre la décision du ministre du 7 décembre 2023 de statuer dans le cadre d’une procédure accéléré ainsi que contre la décision du ministre de refuser l’octroi d’une protection internationale contenue dans le même acte Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître des recours en réformation dirigés à titre principal contre les décisions du ministre du 7 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du concerné dans le cadre d’une procédure accélérée ainsi que contre le refus d’octroi de la protection internationale au concerné contenu dans le même acte.

Lesdits recours sont encore à déclarer recevables pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation.

A l’appui de ces deux volets de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, tout en précisant qu’il serait né le … à … au Maroc et qu’il aurait fui son pays d’origine en raison de la destruction par la police marocaine des bidonvilles appelés « … » et plus particulièrement de sa maison familiale, tout en précisant que la police marocaine serait à sa recherche.

En droit, le demandeur estime tout d’abord que ce serait à tort que le ministre aurait mis en doute la crédibilité de son récit et insiste, à cet égard, sur son état psychologique et psychiatrique qui serait particulièrement fragile. A cet égard, il se réfère à une ordonnance médicale du 15 décembre 2023 du docteur … de laquelle il ressortirait qu’il souffrirait de « troubles psychotiques paroxystiques de dépression profonde avec des idées noires et passage à l’acte », ses pensées suicidaires étant encore, selon le demandeur, confirmées par un document manuscrit intitulé « Urgences psychiatriques » signé par Madame … qui serait psychologue au …, le demandeur estimant ainsi que les qualités professionnelles de cette dernière ne sauraient être remises en cause par la partie étatique. Il précise encore qu’il ressortirait dudit document qu’il serait pris en charge psychologiquement et psychiatriquement par la … depuis le 9 août 2023. Toujours dans ce contexte, le demandeur se réfère encore à un rapport médical du 25 février 2010 du Professeur …, neurochirurgien, qui relèverait son état épileptique, tout en précisant qu’il aurait, lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, informé le ministre sur son état de santé.

Le demandeur en conclut que ce serait à tort que le ministre a conclu à l’absence de crédibilité de son récit et qu’en ayant recours à la procédure accélérée, il aurait commis un abus de droit de sorte que la décision encourrait la réformation pour défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle.

Quant au refus du ministre de lui octroyer le statut de réfugié, après avoir cité la législation y afférente et tout en rappelant à nouveau son état psychologique fragile, le demandeur explique qu’il aurait quitté le Maroc suite à la destruction de sa maison familiale par la police marocaine lors de laquelle il aurait été victime de violences physiques de leur part, 7le demandeur se référant encore à un article de presse publié sur le site internet www.rfi.fr qui révélerait que de nombreux bidonvilles auraient été détruits par les forces de l’ordre marocaines, ainsi qu’à un article de presse publié sur le site internet de l’organisation non-

gouvernementale « Human Rights Watch » qui relaterait que le procureur de la police de Laayoune aurait clôturé une enquête relative au passage à tabac de deux défenseurs sahraouis des droit humains après avoir été arrêtés arbitrairement.

Le demandeur fait ensuite valoir que l’Etat marocain ne serait ni disposé, ni capable de lui offrir une protection, alors qu’au contraire l’Etat marocain tolérerait de tels actes, constat appuyé, selon le demandeur, par le fait que le Maroc occuperait la 94ème place sur 180 pays sur la liste « Transparency International » pour l’année 2022. Dans ce contexte, il fait encore valoir que de nombreuses affaires de corruption, impliquant en particulier des juges, illustreraient la réalité de ce problème de corruption du système judiciaire et des forces de l’ordre au Maroc ainsi que l’absence de séparation des pouvoirs, le demandeur citant l’exemple d’un article de presse publié le 21 juin 2023 sur le site internet fr.le360.ma et intitulé « Affaire des juges corrompus : quatre magistrats et deux substituts du procureur du Roi sous les verrous », un article de presse publié sur le site internet de l’organisation non-gouvernementale « Human Rights Watch » et intitulé « Maroc : Des verdicts entachés par des soupçons de torture », ainsi qu’un rapport publié en mai 2015 par l’organisation non-gouvernementale « Amnesty international » et intitulé « L’ombre de l’impunité. Torture au Maroc et au Sahara occidental ». Toujours dans ce contexte, le demandeur estime, par ailleurs, qu’il n’existerait aucune « zone sûre » à l’intérieur du Maroc.

Il en conclut courir, en cas de retour au Maroc, un risque réel et sérieux de subir des violences physiques ou mentales de la part des autorités marocaines, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de lui octroyer le statut de réfugié.

Quant au refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire dans son chef, le demandeur, tout en citant la législation y afférente, réitère ses développements par rapport à la généralisation des actes de violences des autorités marocaines, la corruption généralisée des autorités judiciaires et l’absence de protection par l’Etat marocain en résultant, ainsi que par rapport à son état de de santé mentale dont la fragilité aurait été découverte en 2010, pour conclure que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son volet dirigé contre la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi qu’en son volet dirigé contre le refus d’octroi d’un des statuts de la protection internationale en reprenant, en substance, les motifs de la décision déférée.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

8A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Quant à la légalité externe des décisions déférées, la soussignée est amenée à constater que le demandeur est resté en défaut de préciser dans quelle mesure les décisions déférées encourraient la réformation pour défaut de motivation sinon pour « irrégularité formelle », le demandeur restant non seulement en défaut de citer une quelconque base légale, mais encore de présenter des développements circonstanciés à l’appui desdits moyens, de sorte que ceux-ci encourent d’ores et déjà la rejet pour manifestement ne pas être fondés, étant encore relevé qu’il n’appartient pas à la soussignée de suppléer la carence du demandeur et de rechercher elle-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.

Quant à la légalité interne, la décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles : « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

9La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 10Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Il y a lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En effet, l’examen de la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si ce dernier a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, ou risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi3.

Il s’ensuit qu’il appartient à la soussignée de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit du demandeur, d’autant plus qu’en l’espèce, c’est la crédibilité générale dudit récit qui est mise en doute par la partie étatique, influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont elle est saisi.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.4 En l’espèce, la soussignée constate que c’est à bon droit que la partie étatique reproche au récit du demandeur d’être vague et incohérent, alors que ce dernier n’a apporté aucun détail quant au déroulement de l’incident ayant prétendument eu lieu en 2012 lors duquel la police marocaine aurait détruit sa maison familiale, ni quant à son vécu au Maroc suit à cet incident.

La soussignée constate, par ailleurs, à l’instar de la partie étatique, que le comportement du demandeur depuis son arrivée sur le territoire européen n’est manifestement pas celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection internationale, le demandeur admettant avoir vécu en Espagne et en France pendant plus d’une année avant d’introduire, en 2017, une première demande de protection internationale aux Pays-Bas, celui-ci ne contestant pas non plus d’avoir de nouveau quitté le Luxembourg seulement un jour après y avoir déposé une première demande de protection internationale le 29 janvier 2018, étant relevé que c’est également à bon droit que la partie étatique a relevé de nombreuses incohérences dans le récit du demandeur relativement à son parcours sur le territoire européen, à son identité, à la 3 Trib. adm., 27 novembre 2006, n° 21556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers n° 148 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.

11présence de ses membres de famille sur le territoire européen, à l’existence même de certains membres de famille, notamment celle d’un fils à Paris, à son état civil et à sa confession religieuse.

La soussignée se doit de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, que face aux doutes mis en avant par le ministre, la requête introductive d’instance du demandeur ne contient aucune explication circonstanciée quant aux problèmes de crédibilité soulevés par le ministre dans la décision déférée, le demandeur se contenant de se référer à son état de santé mentale fragilisé pour expliquer l’ensemble des incohérences lui reprochées.

Or, si les certificats médicaux versés en cause par le demandeur établissent certes que celui-ci souffre de « troubles psychotiques paroxystiques dans un contexte de dépression profonde avec des idées noires et passage à l’acte dans le passé », ainsi qu’une « épilepsie », lesdits certificats ne permettent pas de conclure à des « troubles de mémoire » tel qu’avancés par le demandeur et sont dès lors manifestement insuffisants pour utilement réfuter les incohérences relevées par la partie étatique dans son récit.

En effet, s’il est vrai qu’un état de détresse ou la vulnérabilité d’un demandeur d’asile peut affecter la chronologie et la cohérence de son récit, eu égard au vécu personnel et aux événements traumatiques qu’il a pu subir lors de son parcours migratoire, une telle prétendue vulnérabilité ne peut, comme en l’espèce, être invoquée par les inconsistances du récit du demandeur telles par exemple relatives à sa propre date de naissance, l’existence même d’un prétendu enfant ou encore à sa confession religieuse, mais doit, en outre, se baser sur des éléments circonstanciés, de sorte à en retenir le caractère fondé.

Face à l’absence dans la requête introductive d’instance d’une quelconque explication circonstanciée quant aux problèmes de crédibilité soulevés par la ministre dans la décision déférée, la soussignée arrive à la conclusion que la crédibilité du récit du demandeur est manifestement ébranlée dans son ensemble et que Monsieur … n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que les conditions pour l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies en l’espèce.

Ce constat n’est manifestement pas énervé par les développements du demandeur relativement à la situation générale au Maroc et tendant à établir le risque pour des sans-abris, en général, d’y voir leur maison illégalement construite détruite par la police marocaine, ainsi que d’établir la réalité d’une corruption des forces de l’ordre et de la justice au Maroc, ces éléments n’établissant, à défaut d’explications circonstanciées et concrètes de la part du demandeur par rapport à son vécu personnel, pas la réalité d’un tel vécu de sa part au Maroc, ni d’un tel risque dans son chef en cas de retour au Maroc Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé.

En ce qui concerne le volet du recours dirigé contre le refus d’octroi d’une protection internationale, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse du recours dirigé à l’encontre de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur n’a soulevé que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions 12requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et que, dès lors, ledit récit ne saurait, de toute évidence, justifier ni l’octroi du statut de réfugié ni l’octroi de la protection subsidiaire. Etant donné que dans le cadre du présent recours dirigé à l’encontre du refus d’octroi d’un statut de protection internationale, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments lui permettant de se départir de cette conclusion, le recours en question est, lui aussi, à rejeter pour être manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire La soussignée rappelle qu’aux termes de l’articles 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 un recours en réformation est ouvert contre un ordre de quitter le territoire pris dans une décision de rejet d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du ministre du 7 décembre 2023.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut, à titre principal, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 7 décembre 2023 en conséquence de l’octroi d’un des statuts de la protection internationale dans son chef.

A titre subsidiaire, il estime que ledit ordre de quitter le territoire devrait être annulé pour violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 » et de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH » en ce qu’il risquerait, en cas de retour sans on pays d’origine, des traitements inhumains et dégradants.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour de ce dernier au Maroc ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également, sans violer le principe de non refoulement prévu à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et sans violer l’article 3 de la CEDH, valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

13 Par ces motifs, Le premier juge siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 7 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que contre celle portant refus d’une protection internationale ;

au fond, déclare le recours dirigé contre ces deux décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 7 décembre 2023 ;

au fond, le déclare manifestement infondé et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2024, par la soussignée, Laura Urbany, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49836
Date de la décision : 16/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-16;49836 ?

Source

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