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19/12/2023 | LUXEMBOURG | N°49658

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2023, 49658


Tribunal administratif N° 49658 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49658 Inscrit le 3 novembre 2023 Audience publique du 19 décembre 2023 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par les consorts …, …, contre une décision du bourgmestre de la commune de Bech en présence de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, Luxembourg, en matière de permis de construire

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49658 du rôle et déposée le 3

novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES...

Tribunal administratif N° 49658 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49658 Inscrit le 3 novembre 2023 Audience publique du 19 décembre 2023 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par les consorts …, …, contre une décision du bourgmestre de la commune de Bech en présence de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, Luxembourg, en matière de permis de construire

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49658 du rôle et déposée le 3 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de :

1) Monsieur … demeurant à L-…, … 106) Madame …, demeurant à L-…, tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision du bourgmestre de la commune de Bech du 2 mai 2023, n° 21/2023, ayant autorisé la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT à procéder à la démolition de l’ancienne école et à la construction d’une résidence à 4 logements sur des terrains inscrits au cadastre de la commune de Bech, section E de Altrier/Hersberg, sous les numéros 425/2180 et 425/2213, cette autorisation étant encore attaquée au fond par une requête en annulation introduite le 1er août 2023, portant le numéro 49251 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MÜLLER, demeurant à Diekirch, du 9 août 2023, portant signification de la prédite requête au fond à l’administration communale de Bech ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MÜLLER, demeurant à Diekirch, du 14 novembre 2023, portant signification de la prédite requête en obtention d’un sursis à exécution à l’administration communale de Bech ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Bech, du 15 novembre 2023 ;

Vu l’avis urgent adressé le 28 novembre 2023 par le greffe du tribunal administratif à Maître Georges KRIEGER, l’invitant à communiquer l’exploit de signification de la requête en référé à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ;

1 Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine KOVELTER, en remplacement de l’huissier de justice Laura GEIGER, du 5 décembre 2023, portant signification des prédites requête au fond et en sursis à exécution à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, établie et ayant son siège social à L-1713 Luxembourg, 202b, rue de Hamm et inscrite au registre des sociétés et du commerce de Luxembourg sous le numéro G201 ;

Vu la constitution d’avocat de la société RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au Barreau de Luxembourg, au nom de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, du 6 décembre 2023 ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries déposée par Maître Martine LAMESCH pour l’administration communale de Bech en date du 13 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Maître Sébastien COUVREUR et Maître Jean-Claude KIRPACH, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, pour les parties requérantes, ainsi que Maître Martine LAMESCH, pour l’administration communale de Bech, et Maître Rachel JAZBINSEK, pour la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2023.

Il résulte des rétroactes et des explications contenues dans la requête introductive d’instance que l’administration communale de Bech projette de créer sur des terrains lui appartenant, sis dans la localité de Altrier, inscrits au cadastre de la commune de Bech, section E de Altrier/Hersberg, sous les numéros 425/2180 et 425/2213, un projet de résidence devant accueillir 4 logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées, lesdits terrains accueillant actuellement une église, l’ancienne école du village et sa cour d’école, un cimetière avec une morgue et un chemin d’accès spécifique, deux vieux tilleuls classés arbres de la liberté, une place de jeux pour enfants, un ancien château d’eau de 1950, classé monument historique, un chemin transversal permettant la circulation d’engins agricoles, ainsi qu’une grande prairie.

Par délibération du 16 décembre 2020, le conseil communal de la commune de Bech approuva l’acte de constitution d’un droit d’emphytéose conclu en faveur de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT et portant sur les terrains numéros 425/2180 et 425/2181.

Par délibération du 21 avril 2021, le conseil communal de la commune de Bech approuva une convention avec la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité.

Monsieur …, ensemble 105 autres requérants, ci-après « les consorts … », tous habitant la localité de Altrier, introduisirent en date du 9 juillet 2021 un recours en annulation, inscrit 2 au rôle sous le numéro 46214, contre la prédite délibération du conseil communal du 21 avril 2021.

Par délibération du 25 février 2022, le conseil communal prit la décision portant déclassement des parcelles 425/2180 et 425/2213 du domaine public communal en domaine privé communal.

Le 25 mai 2022, les consorts … introduisirent encore un recours en annulation, inscrit au rôle sous le numéro 47474, contre la prédite délibération du conseil communal du 25 février 2022.

Par délibération du 25 juillet 2022, le conseil communal approuva un acte de constitution d’un droit d’emphytéose conclu en faveur de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT et portant sur les terrains numéros 425/2180 et 425/2181, cet acte de constitution d’un droit d’emphytéose ayant été remplacé par un deuxième acte de constitution d’un droit d’emphytéose en date du 25 juillet 2022.

Les consorts … introduisirent en date du 25 mai 2022 un recours en annulation, inscrit au rôle sous le numéro 48085, contre la prédite délibération du conseil communal du 25 juillet 2022.

Finalement, le 2 mai 2023, le bourgmestre de la commune de Bech autorisa, par décision référencée n° 21/2023, la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT à procéder à la démolition de l’ancienne école et à la construction d’une résidence à 4 logements sur des terrains inscrits au cadastre de la commune de Bech, section E de Altrier/Hersberg, sous les numéros 425/2180 et 425/2213.

Aussi, les consorts …, par requête déposée le 1er août 2023 et inscrite sous le numéro 49251 du rôle, ont fait introduire un recours en annulation contre la prédite autorisation de démolition et de construire du 2 mai 2023, et par requête séparée déposée le 3 novembre 2023, inscrite sous le numéro 49658 du rôle, ils ont demandé à voir prononcer un sursis à exécution de ladite autorisation de construire déférée en attendant la solution de leur recours au fond, étant donné que les travaux de démolition de l’ancienne école auraient commencé et se concentreraient sur l’enlèvement des câbles électriques à l’intérieur, de sorte qu’il faudrait craindre que l’enlèvement du toit et de la charpente, et ensuite la démolition des murs, interviendraient dans un proche avenir.

Les consorts … estiment que l’exécution de l’autorisation déférée les exposerait à un risque de préjudice grave et définitif.

Ils rappellent à cet égard demander la conservation du centre du village avec ses structures villageoises historiques, qui depuis des dizaines d’années marquerait prétendument la vie communautaire du village, dans le sens où il serait utilisé régulièrement par les habitants et les associations du village pour se rencontrer et pour organiser des événements.

Ils relèvent que le préjudice pressenti résulterait de la destruction de la plus importante des structures historiques du village ; en effet, le centre du village, tel que visé par le projet litigieux, serait constitué de structures historiques de différentes époques, de sorte que la démolition de l’ancienne école, en tant qu’élément historique, constituerait une perte irrémédiable et définitive, tandis que les éléments restants ne développeraient plus les mêmes 3 effets sur la vie sociale. Or, même si les requérants avaient gain de cause avec leur recours en annulation, il faudrait craindre que la décision du tribunal interviendrait trop tard et que le bâtiment historique serait déjà démoli. Etant donné qu’il serait impossible de reconstruire un bâtiment historique, le préjudice serait définitif à défaut de suspension des travaux de démolition.

Les consorts … pressentent encore un risque de préjudice résultant de la construction d’une résidence à quatre logements sociaux.

Ils estiment en effet que cette construction ne s’intègrerait non seulement pas dans le contexte historique et rural du site, mais que les activités des futurs locataires risqueraient « de générer des conflits avec le but des requérants, à savoir le maintien d’une vie collective sur un site central du village ». S’ils affirment appuyer la commune dans sa volonté de créer des logements sociaux, ils considèrent néanmoins que ce projet pourrait se réaliser ailleurs et ne justifierait pas la destruction du noyau historique du village.

Les consorts … exposent encore que pour ceux des requérants qui seraient riverains immédiats du site, le remplacement de la place centrale par un immeuble résidentiel, aux dimensions beaucoup plus importantes que celles de l’ancienne école et aux dimensions non adaptées à l’espace disponible à côté de l’église, engendrerait une dégradation de la vue dont ils profiteraient jusqu’ici, comme ils auraient une vue immédiate sur la construction projetée, ce qui diminuerait encore la valeur de leur bien. Ces riverains immédiats seraient par ailleurs confrontés à l’aggravation de leur situation de façon permanente, puisque la résidence à 4 appartements serait beaucoup plus grande que l’ancienne école, et remplirait l’espace qui dans le passé n’était occupé que par une place, c’est-à-dire par une structure à plat, sans dimension verticale, les requérants soutenant encore que la construction projetée serait disproportionnée par rapport à l’espace disponible entre l’église et la maison voisine.

Ils en déduisent que les propriétés des riverains immédiats subiraient une dévalorisation économique, non seulement en raison de la dégradation de la vue à partir de leurs propriétés, mais aussi en raison de l’activité de location sociale dans la future résidence. Ainsi, jusqu’ici leurs terrains auraient eu une valeur basée sur le caractère historique et rural du site ainsi que sur son caractère de place centrale du village servant de rencontre aux villageois tandis que les environs de leurs propriétés auraient été marqués par un certain cachet, mais qu’après la destruction de ce caractère et la modification complète des activités sur le site, ils craigneraient qu’il deviendrait beaucoup plus difficile de vendre une propriété dans les environs immédiats.

Les requérants soutiennent que ce préjudice serait définitif, puisqu’à défaut de suspension de la décision querellée, la démolition de l’ancienne école avec sa cour d’école ainsi que la construction de la résidence à 4 logements sociaux pourraient être réalisées malgré l’introduction d’un recours en annulation. Sans la suspension de l’autorisation de bâtir, et par voie de conséquence l’interdiction de poursuivre les travaux, le préjudice serait définitif dans la mesure où le bâtiment historique ne pourrait plus être reconstruit et la résidence à 4 logements ne pourrait plus être enlevée.

Ce préjudice serait encore grave au vu de leurs qualités de voisins directs sinon d’habitants du village des environs immédiats, les requérants estimant que l’importance qu’ils attacheraient chacun individuellement et personnellement à cette valeur commune résulterait du nombre de procédures judiciaires lancées pour s’opposer à la destruction du site et du nombre des requérants qui se seraient décidés de participer à une telle action judiciaire.

4 Ils se prévalent ensuite devant les juges du fond des moyens d’annulation suivants, qui peuvent être très sommairement résumés comme suit :

-

violation de l’article 8 du plan d’aménagement général (ci-après « PAG ») de la commune de Bech concernant la zone de bâtiments et d’équipements publics, -

violation de l’article 17 du PAG concernant le secteur protégé de type « environnement construit » et les éléments protégés, -

violation de l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, -

violation du principe de proportionnalité.

L’administration communale de Bech, rejointe en ses conclusions par la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, conclut d’abord au rejet du recours au fond pour défaut d’intérêt à agir et, partant, en ce qui concerne le recours en obtention d’un sursis à exécution, pour défaut de tout préjudice grave et définitif dans le chef des requérants.

Elles dénient à cet égard toute utilisation festive de la place de l’école - les deux parties contestant formellement que la cour d’école ait été régulièrement utilisée pour l’organisation de fêtes de village, tout comme elles considèrent comme étant fantaisiste l’affirmation des requérants selon laquelle ceux-ci passeraient régulièrement une partie de leur temps de loisir dans une cour d’école désaffectée - ainsi que tout caractère de place publique centrale, l’administration communale de Bech et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT rappelant qu’il s’agirait en fait de la cour de l’ancienne école, non ouverte au public, tout en soulignant que le projet litigieux aurait pour seul objet la démolition d’une école désaffectée et la construction de seulement quatre logements sociaux en conformité avec les prescriptions urbanistiques règlementaires.

Ces deux parties relèvent encore que le projet ne porterait pas atteinte à un noyau villageois historique, inexistant, ni à un prétendu caractère villageois typique de la localité de Altrier, ni à de prétendus éléments historiques, mais qu’il s’agirait d’un projet d’utilité publique qui répondrait dans la mesure du possible à l’environnement essentiellement hétéroclite de Altrier et qui en tout état de cause constituerait une amélioration de la situation actuelle, l’ancienne cour d’école devant être transformée en place publique, la place de jeux devant être élargie et deux pistes de pétanques aménagées devant la résidence, Elles concluent encore à l’absence de tout moyen sérieux susceptible d’entrainer l’annulation de la décision déférée devant les juges du fond, en soulignant le caractère d’utilité publique du projet litigieux, tout en contestant toute atteinte, tant théorique qu’effective, à des servitudes résultant du secteur protégé de type « environnement construit », tant la commune de Bech que la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, outre de contester tout caractère particulier au centre de Altrier, relevant que les parties requérantes resteraient en défaut de rapporter la moindre preuve concrète de l’existence d’un tel caractère particulier digne de protection.

La commune de Bech et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT contestent encore que les parties requérantes défendraient un quelconque intérêt général, mais supputent que leur recours ne viserait qu’à empêcher la venue de personnes socialement défavorisées dans le centre de la localité de Altrier.

5 En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 1er août 2023 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Il convient ensuite de rappeler que, concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le requérant apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.

6 Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

1.

En ce qui concerne le reproche adressé à l’autorisation de construire de violer l’article 8 du PAG concernant la zone de bâtiments et d’équipements publics, les consorts … soutiennent en substance que le projet ne serait pas conforme à ce zonage.

S’ils admettent qu’une telle zone est appelée, notamment, à accueillir des logements locatifs sociaux, ils estiment toutefois que de tels logements locatifs sociaux devraient être des structures destinées à remplir un but d’utilité publique pour répondre à des besoins collectifs, les requérants insistant sur le fait qu’une telle zone de bâtiments et d’équipements publics serait réservée à des projets d’utilité publique.

Aussi, ils s’interrogent quant à la raison justifiant pourquoi l’administration communale aurait fait déclasser le terrain du domaine public communal en domaine privé communal et surtout pourquoi elle aurait procédé à son aliénation, en accordant à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT un droit d’emphytéose, puisque par sa nature privative, le projet de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ne correspondrait plus aux buts de la zone de bâtiments et d’équipements publics.

Si certes un projet de logements locatifs sociaux pourrait rentrer dans cette catégorie de projets comme le prévoit l’article 8 du PAG, il n’en résulterait pas que tout projet de logements locatifs sociaux corresponde automatiquement à une utilité publique, ce qui ne serait pas le cas du projet litigieux, puisqu’il serait réalisé sur un terrain privatif par un promoteur privé, tout en étant contraire à l’intérêt général de la population du village de pouvoir continuer à jouir de la place centrale et en ne s’intégrant pas dans l’ensemble des éléments existants du zonage, les requérants insistant encore sur le fait que l’administration communale aurait enlevé au terrain son affectation et sa vocation publiques par son déclassement et par son aliénation à un acteur privé.

Ils relèvent ensuite qu’un problème particulier, concernant la circulation du public sur la surface entre l’église et la résidence projetée, qui se fera sur le terrain privé, se poserait encore, tout en déplorant que l’article 8 du PAG de la commune de Bech serait une copie littérale de l’article 10 du règlement du 8 mars 2017 concernant le contenu du PAG d’une commune, alors pourtant que chaque commune devrait nuancer cette règle générale et l’adapter à sa situation particulière, tout en estimant qu’en l’espèce, il ne paraîtrait pas convenant de disposer une résidence avec logements sociaux à proximité immédiate d’une église et d’un cimetière. En effet, si en général une zone de bâtiments et d’équipements publics serait compatible avec ce genre d’infrastructures, la structure et le caractère spécifique de la zone de bâtiments et d’équipements publics de Bech ferait qu’elle ne le serait pas, ce que la très grande majorité du village aurait exprimé, sans que le bourgmestre n’en tienne compte lors de sa prise de décision.

Enfin, en termes de plaidoiries, ils font valoir que le projet litigieux ne se distinguerait guère d’un projet d’immeuble résidentiel projeté par un promoteur privé, et ce d’autant plus qu’aucun document ne viendrait imposer l’affectation des logements projetés, qu’ils estiment trop grands pour l’usage social prétendument projeté, à la seule location sociale réservée à des personnes défavorisées, de sorte que rien n’empêcherait la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT de vendre les logements ainsi réalisés sur le marché privé.

7 Aux termes de l’article 8 du PAG, dont il est constant en cause qu’il est lui-même repris de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, : « Les zones de bâtiments et d’équipements publics (BEP) sont réservées aux constructions et aménagements d’utilité publique et sont destinées à satisfaire des besoins collectifs. Seuls des logements de service ainsi que les logements situés dans les structures médicales ou paramédicales, les maisons de retraite, les internats, les logements pour étudiants, les logements locatifs sociaux et les logements destinés à l’accueil de demandeur de protection internationale y sont admis. ».

Suivant cette disposition, seuls sont dès lors autorisables dans une zone BEP qui est expressément réservée à des constructions et aménagements d’utilité publique destinés à satisfaire des besoins collectifs, les constructions et aménagements qui, en raison de leur caractère d’utilité publique, répondent à de tels besoins collectifs. Par dérogation, y sont également admis les logements qui y sont énumérés de manière limitative.

Il résulte à cet égard de la jurisprudence qu’en ce qui concerne plus précisément les logements, « sont visés limitativement en tant que structures affectées principalement à l’hébergement de certaines catégories de personnes et considérées comme servant per se à remplir un but d’utilité publique pour répondre à des besoins collectifs, « les maisons de retraite, les internats, les logements pour étudiants, les logements locatifs sociaux et les logements destinés à l’accueil de demandeur de protection internationale »1.

Il appert dès lors que des logements locatifs sociaux seraient per se, intrinsèquement, considérés comme servant à remplir un but d’utilité publique pour répondre à des besoins collectifs.

Il résulte ensuite, à première vue, de la jurisprudence, que les questions soulevées par les parties requérantes, ayant trait au fait que le projet de logements sociaux sera réalisé par un promoteur privé sur un terrain privé, ne sont en l’espèce pas pertinentes pour juger de l’utilité publique que revêt, à première vue per se, pareil projet, la jurisprudence2 ayant en effet, de manière répétée, retenu que le fait qu’un projet réputé d’utilité publique soit construit et exploité par une personne de droit privé n’est pas de nature à enlever au projet en question son caractère d’utilité publique.

Au-delà de ce constat, il convient par ailleurs de relever que la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT a été explicitement reconnue d’utilité publique en date du 28 février 2009, tandis que son objet social déterminé, à savoir promouvoir et réaliser l’accès au logement des personnes défavorisées, relève à première vue de l’objectif de valeur constitutionnelle inscrit à l’article 40 de la Constitution, selon lequel « L’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié », tandis qu’il résulte encore explicitement de la convention conclue entre l’administration communale de Bech et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT que les logements projetés le sont « pour des personnes exposées à la précarité », de sorte que la discussion que tentent de 1 Trib. adm. 19 mai 2021, n° 43425 ; Cour adm. 11 février 2022, n° 46135C et 46173C.

2 Trib. adm. 19 septembre 2002, n° 13918, confirmé par Cour adm. 1 avril 2023, n° 15499C, Pas. adm. 2022, V° Environnement, n° 27, et les autres références y citées ; voir aussi trib. adm. 30 avril 20023, n° 14935, Pas. adm.

2022, V° Environnement, n° 218, ainsi que trib. adm.16 décembre 2002, n° 14920, Pas. adm. 2022, V° Etablissements classés, n° 189.

8 mener les parties requérantes autour de la qualité d’utilité publique du projet de logements sociaux litigieux semble oiseuse.

Quant au fait que la commune ait procédé au reclassement du terrain concerné du domaine public communal en domaine privé communal, ce reclassement paraît à première vue indispensable, puisque les biens du domaine public communal sont inaliénables et imprescriptibles, ce qui en limite les conditions d’utilisation. Ce reclassement ne semble pas non plus tirer à conséquence, puisque le projet, nonobstant sa qualité d’utilité publique, n’est pas affecté à l’usage direct du public, telle que l’école ayant antérieurement existé sur ce terrain, dans le sens qu’il ne s’agira pas d’un endroit ouvert au public où toute personne serait admise et pourrait y librement circuler.

Enfin, l’argument tendant à opposer l’utilité publique au prétendu intérêt général de la population ne paraît guère sérieux dans la mesure où il repose sur une assimilation entre l’intérêt général et l’intérêt d’un grand nombre d’habitants de la localité de Altrier. Or, l’intérêt privé, même collectif, d’un grand nombre d’individus ne suffit pas à lui donner le caractère d’intérêt général voire utilité publique « car ils ne sont pas le public mais une somme d’individus dont l’intérêt ne sera jamais qu’un intérêt privé »3.

Le moyen en question n’est dès lors en l’état actuel pas suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution sollicité.

2.1.

Les requérants font ensuite plaider que l’autorisation litigieuse violerait l’article 17 du PAG concernant les secteurs et éléments protégés d’intérêt communal, et plus particulièrement les servitudes prévues pour le secteur protégé de type « environnement construit ».

Ainsi, si de grandes parties du village de Bech seraient classées comme secteur protégé de type « environnement construit » parce que le village comporterait encore de nombreuses constructions et structures d’un village traditionnel et que ce classement traduirait la volonté de la commune de Bech depuis plusieurs décennies de conserver un maximum le patrimoine rural de ses villages, de sorte à favoriser la qualité de vie de ses habitants, les parties requérantes considèrent que le projet de construction litigieux ne correspondrait pas aux critères fondamentaux d’une telle approche, dans la mesure où il ne respecterait pas la volumétrie des granges qui caractériserait les constructions rurales traditionnelles, qu’il ne respecterait pas le rapport pleins-vides qui aurait caractérisé les constructions rurales traditionnelles, qu’il n’aurait pas recours à du bois alors que les constructions rurales et villageoises se caractériseraient beaucoup par le fait que certaines parties auraient été réalisées en bois.

Dans le même ordre d’idées, le projet renoncerait à un aménagement écologique des alentours de la construction, alors pourtant que les anciens villages se caractérisaient par la présence de surfaces de circulation végétalisables ainsi qu’à un aménagement écologique du parking.

Les requérants critiquent encore l’agencement de la construction projetée, dans la mesure où la résidence projetée serait disposée perpendiculairement à la voirie, alors que les fermes et maisons traditionnelles du village seraient disposées parallèlement à la voirie, tandis que l’espace entre la résidence et l’église serait minimal, alors pourtant que la situation 3 Trib. adm. 13 juillet 2016, n° 36411 et 36979, confirmé par Cour adm. 14 février 2017, n° 38355C.

9 actuellement existante, où l’école serait disposée parallèlement à la voirie et où sa cour formerait un espace à côté de l’église, correspondrait à un agencement caractéristique des villages traditionnels, tandis que la situation projetée dégraderait cette harmonie puisque l’espace disponible serait occupé par un bâtiment trop grand et que de la sorte toute sensation d’espace public à côté de l’église serait définitivement perdue.

Ce premier volet du moyen ne convainc toutefois pas à ce stade.

Il est constant en cause que les dispositions relatives aux « Servitudes spéciales dans les secteurs protégés de type « environnement construit », telles qu’invoquées, sont libellées comme suit :

« Tout projet, telles les constructions nouvelles, les transformations, les rénovations et les travaux d’amélioration énergétiques de constructions existantes, doit s’intégrer par son gabarit et son langage architectural au bâti existant et adopter le caractère particulier du secteur protégé de type « environnement construit ».

Les aspects à respecter sont l’agencement traditionnel des bâtiments et des aires situés dans le secteur protégé de type « environnement construit», l’implantation, la typologie, l’intégration au site et le gabarit des constructions caractéristiques, de même que la forme et la pente des toitures, le rythme des façades, les matériaux et les ouvertures en toiture, les saillies, la configuration de la corniche, les ouvertures en façades, ainsi que les matériaux et les teintes traditionnels et typiques. […] » Il résulte d’un examen sommaire de ces dispositions que celles-ci, qui visent à assurer la protection des parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs critères déterminés, imposent en substance l’intégration de nouveau projet au bâti existant, dans le sens que le projet doit respecter certains aspects des bâtiments existants dans un tel secteur dont il s’agit d’adopter « le caractère particulier ».

Or, l’intégralité de l’argumentation des parties requérantes ne semble pas s’orienter par rapport à des constructions effectivement existantes dans le secteur protégé de type « environnement construit » de la localité de Altrier - les parties requérantes, tel qu’objecté par les parties défenderesse et tiers-intéressée, restant en défaut, à ce stade, d’identifier un seul bâtiment existant qui devrait servir d’étalon à l’intégration du projet litigieux, les parties requérantes ayant par ailleurs omis de fournir la moindre précision quant au contexte bâti existant du projet litigieux - mais elle semble reposer sur une architecture villageoise traditionnelle, nostalgique et idéalisée, voire fantasmée, exemplifiée par la référence faite aux « anciens villages », comprenant des fermes « avec leur maison d’habitation et leurs bâtiments d’économie », des granges ou encore diverses constructions « rurales et villageoises » réalisées en grande partie en bois, et dont le devant, de même que les places publiques ou les chemins, aurait été réalisé en pavés ou en « concassé de carrière », mais non sur l’environnement bâti effectivement existant à Altrier, comprenant notamment, tel que mis en exergue par la commune de Bech ainsi que par la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT et dûment documenté photographiquement, dans le voisinage immédiat du projet litigieux des constructions, contemporaines, voire résolument modernes, de forme cubique, ou encore banales.

10 Il appert ainsi, tel que plaidé par la commune de Bech, que la localité de Altrier n’est pas caractérisée par une architecture homogène, sinon majoritairement, rurale et traditionnelle, mais au contraire par une architecture hétéroclite, caractérisée par de nombreuses nouvelles constructions.

Au-delà de ce constat, il apparaît encore à première vue que contrairement aux affirmations des parties requérantes et nonobstant l’absence de toute motivation explicite en ce sens dans la documentation jointe à la demande en autorisation de bâtir, le projet litigieux a bien fait l’objet d’efforts d’intégration dans son environnement construit.

Il résulte ainsi des explications de la commune de Bech et de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT que le projet litigieux s’oriente tant en ce qui concerne sa toiture que son implantation, perpendiculaire et en profondeur par rapport à la rue principale, à l’église limitrophe, implantée de la même façon, tandis qu’il s’adapterait au gabarit de la construction voisine moderne et cubique sur son côté gauche.

Ainsi, outre que le projet litigieux a à première vue obtenu en date du 18 novembre 2022 l’accord de l’Institut National pour le Patrimoine Architectural, il résulte encore du dossier de présentation annexé à la demande en autorisation de bâtir que l’asphalte existant de l’ancienne cour d’école sera entièrement enlevé et transformé en une place accessible au public, dont la majeure partie sera réalisée en gravier, ce qui est de nature à rencontrer certaines critiques des parties requérantes ; le toit sera réalisé comme un toit à chevrons classique avec une couverture en ardoise, tandis qu’une partie des façades sera réalisée avec un bardage en bois ; de même, le garage ainsi que l’entrée de la partie commune de la résidence seront également recouverts d’une façade en bois.

2.2.

Les parties requérantes font encore plaider que l’autorisation et le projet litigieux violeraient des servitudes pour les éléments protégés de type « environnement construit », puisque la résidence projetée, conçue dans un style contemporain et urbain, implantée dans un espace trop petit, disposée dans un agencement non caractéristique, porterait préjudice au site.

Ainsi, selon elles, il y aurait en premier lieu une atteinte à la valeur historique de l’église qui se verrait dépourvue d’alentours caractéristiques, que serait actuellement la cour de l’école, ainsi qu’une atteinte à l’ensemble que constitueraient l’église et le cimetière, des structures que les parties requérantes considèrent comme reflétant une certaine dignité et qui devraient bénéficier de décence, respect et calme, alors que la proximité immédiate d’une résidence « de ce genre » paraitrait selon eux en opposition flagrante avec ce genre de lieux, les parties requérantes reprochant au bourgmestre de ne pas avoir fait preuve de la sensibilité requise pour les lieux.

Il est constant en cause que les dispositions relatives aux « Servitudes spéciales pour les éléments protégés de type « environnement construit » », telles qu’invoquées, sont libellées comme suit :

« Les éléments protégés d’intérêt communal, à savoir les « constructions à conserver », le « petit patrimoine à conserver », le « gabarit d’une construction existante à préserver » et « l’alignement d’une construction existante à préserver », sont indiqués dans la partie graphique du « PAG ».

Ils sont repris dans l’annexe n° II, énumérant le type de protection, ainsi que l’adresse et/ou le numéro de parcelle relatif à l’élément protégé.

11 « Les « constructions à conserver » marquent la volonté de sauvegarder certains bâtiments et leurs aménagements extérieurs immédiats du fait de leur valeur patrimoniale.

Les « constructions à conserver » ne peuvent subir aucune transformation, modification, rénovation, rénovation énergétique, agrandissement ou ajout d’élément nouveau, qui pourrait nuire à leur valeur historique, artistique ou esthétique ou à leur aspect architectural.

Tout projet en rapport avec les « constructions à conserver » formant un ensemble architectural ou une unité avec d’autres constructions à conserver ou gabarits d’une construction à préserver, tels une ferme avec dépendances, un moulin, des maisons jumelées et autres, doit se faire dans le respect de l’ensemble architectural.

Les aménagements extérieurs immédiats de la « construction à conserver » sont à mettre en valeur avec les mêmes soins en ce qui concerne le revêtement des sols, les murs, les clôtures et l’aménagement des jardins d’agrément » ».

Il est encore constant en cause que les seuls éléments constitutifs de « constructions à conserver », respectivement de « « petit patrimoine à conserver » sis dans la zone BEP de la localité de Altrier sont l’église, le cimetière, et le réservoir d’eau.

Il est enfin constant en cause qu’aucun de ces trois éléments ne se trouve directement impacté par le projet litigieux, chacun de ces trois éléments étant intégralement conservé.

Il échet dès lors de retenir, tel que d’ailleurs avancé par les parties requérantes, que l’impact critiqué n’est a priori que de nature indirecte, en ce qu’il n’aura aucune incidence matérielle sur ces trois éléments à conserver qui demeureront intouchés.

Or, il appert, à l’examen des dispositions règlementaires citées ci-avant, que la protection assurée ne s’étend pas de manière générale aux alentours ou au voisinage (« le site ») d’un tel élément protégé, mais seulement à l’intégrité même de l’élément en question - intégrité non menacée en l’espèce - ou à ses « aménagements extérieurs immédiats » avec lesquels cet élément protégé forme « un ensemble architectural ou une unité ».

Il n’appert en l’espèce pas que les anciennes école et cour d’école, dissociées tant que fonctionnellement que matériellement par un mur de l’église et des « aménagements extérieurs immédiats » de celle-ci, tel que le parvis de l’église, puissent être considérées comme constituant des « aménagements extérieurs immédiats » de l’église ou comme formant « un ensemble architectural ou une unité » avec l’église ; il en va de même de l’ancien cimetière, lequel ne saurait que difficilement être considéré comme constituant un aménagement extérieur immédiat de l’école.

Il convient par ailleurs de relever l’incohérence fondamentale affectant le discours des parties requérantes, qui reprochent d’un côté au projet litigieux de résidence et au bourgmestre de porter atteinte « à l’ensemble que constitue l’église et le cimetière, structures d’une certaine dignité, qui devraient bénéficier de décence, respect et calme », les parties requérantes reprochant même au bourgmestre de pas avoir eu « la sensibilité requise pour les lieux », pour de l’autre côté réclamer le maintien de la situation actuelle, au prétexte que le site en question serait, prétendument, utilisé régulièrement par les habitants et les associations du village pour 12 se rencontrer et pour y organiser des fêtes publiques : en d’autres termes, le site en question, comprenant une église et un cimetière, réclamerait « décence, respect et calme », de sorte à prohiber la construction d’une résidence comportant quatre logement sociaux, mais ces mêmes « décence, respect et calme » seraient parfaitement compatibles avec l’organisation prétendument régulière de fêtes publiques.

Ledit moyen, pris en son second volet, ne présente dès lors pas un caractère suffisamment sérieux pour fonder la mesure sollicitée.

3.

Les consorts … arguent en troisième lieu d’une violation de l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain en reprochant au projet de pas garantir une utilisation rationnelle du sol et de l’espace, dans la mesure où le site prévu pour l’implantation de la construction ne serait pas approprié à cet effet, tout comme ils critiquent le projet pour ne pas aboutir à un développement harmonieux des structures existantes et n’assurerait pas non plus le respect du patrimoine culturel, les requérants reprochant encore au bourgmestre de ne pas avoir tenu compte de leurs propositions de sites alternatifs.

Ils s’emparent enfin du critère du développement durable figurant à l’article 2 précité pour reprocher au projet, nécessitant la démolition de l’ancienne école et l’enlèvement de l’ancienne cour d’école, pour construire du neuf, de ne pas respecter une approche de développement durable qui aurait consisté à transformer et adapter l’existant.

Selon l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par : (a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux ; (b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire ; (c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables ; (d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités ; (e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ; (f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques ».

Or, il est de jurisprudence constante que de tels critères ne constituent pas des critères auquel chaque projet individuel doit répondre pour pouvoir être autorisé.

Ainsi, en matière d’établissements classés, où la législation applicable prévoit, à l’instar de l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, le critère du développement durable, la jurisprudence4 a retenu que le développement durable est un des objectifs de la loi sur les établissements classés, mais non 4 Trib. adm. 5 décembre 2001, n° 12911, Pas. adm. 2022, V° Etablissements classés, n° 91, et les autres références y citées.

13 un critère auquel chaque installation, considérée isolément, doit répondre pour pouvoir être autorisée.

Plus précisément, en la matière des autorisations de construire, les juges du fond5 ont retenu, par rapport à une disposition d’un PAG reprenant en substance les dispositions figurant à l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, qu’une telle disposition en fixe aucun critère technique objectif susceptible de permettre au bourgmestre de justifier le refus, respectivement la délivrance d’une autorisation de construire, mais fixe des lignes de conduite vagues et générales, telles que la diversité et de l’intégrité des établissements humains existants ou encore le développement harmonieux et ordonné des localités, respectivement un esprit de qualité de vie, de telles directives imprécises impliquant - à défaut de concrétisation - d’office une interprétation nécessairement subjective du bourgmestre et ne sauraient dès lors justifier à elles seules, le refus de délivrance d’une autorisation de construire.

Enfin, le moyen afférent des parties requérantes se heurte encore à première vue à l’article 37, alinéa 2, de la loi modifiée du 19 juillet 2004, aux termes duquel « L’autorisation n’est accordée que si les travaux sont conformes au plan ou au projet d’aménagement général et, le cas échéant, au plan d’aménagement particulier «nouveau quartier», respectivement au plan ou projet d’aménagement particulier «quartier existant» et au règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites », disposition interprétée de manière constante par la jurisprudence comme limitant le pouvoir du bourgmestre à l’occasion de la délivrance d’une autorisation de construire à la vérification de la conformité du projet aux dispositions règlementaires communales, à l’exclusion de toute considération étrangère, et partant, a priori, à l’exclusion des critères généraux figurant à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004.

Cette illégalité soulevée par les parties requérantes ne paraît dès lors, au vu de la jurisprudence, pas comme présentant le sérieux requis.

4.

Enfin, les consorts … reprochent au bourgmestre d’avoir violé le principe de proportionnalité, en ce qu’il n’aurait pas veillé à trouver un équilibre entre deux intérêts collectifs, à savoir, d’une part, l’intérêt général dont pourrait relever un projet de logement social et, d’autre part, un autre intérêt général, qui concernerait le respect des coutumes de la population d’un village entier et peut-être de toute la commune, partant l’intérêt général de la vie villageoise des résidents locaux, les requérants étant d’avis que les désavantages pour toute une population, c’est-à-dire pour un très grand nombre de personnes, pèseraient plus que les avantages au niveau du logement social n’intéressant que les habitants de quatre logements, de sorte que les désavantages du projet seraient hors de proportion avec les avantages du projet.

Les consorts … en concluent que tant le principe de proportionnalité que le principe de l’égalité devant la loi seraient lésés en l’espèce, puisque, d’un côté, le bénéfice engendré par le projet de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ne serait pas en relation avec le dommage qu’il créerait et, d’un autre côté, il ne serait « pas acceptable que les résidents des [4] logements soient traités d’une manière plus avantageuse que la grande majorité de la population ».

5 Trib. adm. 14 juillet 2014, n° 32633, Pas. adm. 2022, V° Urbanisme, n° 837.

14 Le soussigné a ci-avant retenu au provisoire que les parties requérantes entendaient se prévaloir à première vue à tort d’un intérêt général propre opposable à l’intérêt général, voire à l’utilité publique, défendue tant par la commune que par la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ; le moyen ici sous analyse semble reposer sur la même prémisse erronée, à savoir sur celle d’une équivalence entre l’intérêt collectif défendu par la commune et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT et l’intérêt collectif défendu par les parties requérantes.

Or, tel que retenu ci-avant, la somme des intérêts particuliers, voire égoïstes, des parties requérantes, ne saurait à première vue être considérée comme équivalente à l’utilité publique du projet litigieux, lequel s’inscrit, pour rappel, a priori dans l’objectif de valeur constitutionnelle figurant à l’article 40 de la Constitution.

Aussi, il n’appert pas, au terme d’un examen sommaire de ce moyen, que le bourgmestre, en privilégiant le projet d’utilité publique de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT au détriment éventuel de l’intérêt privé collectif défendu par les parties requérantes, ait porté atteinte au principe de proportionnalité ou au principe de l’égalité devant la loi, étant rappelé en particulier que selon la jurisprudence, il conviendrait d’abord de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée pour que le principe d’égalité puisse être valablement mis en œuvre 6.

Le soussigné, sur base d’un examen nécessairement sommaire, arrive dès lors à la conclusion provisoire que les différents moyens d’annulation tels qu’avancés par les parties requérantes ne présentent pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure sollicitée : les parties requérantes sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle d’un risque de préjudice grave et définitif, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Les parties requérantes sont partant à débouter de leur demande en institution d’un sursis à exécution.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros tel que formulée par les parties requérantes laisse également d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

L’administration communale de Bech a de son côté également formulé une demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 4.000.- euros, tandis que la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT réclame également la condamnation des parties requérantes à une indemnité de procédure d’un même montant.

Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue et du fait que tant l’administration communale de Bech que le tiers intéressé ont été obligés de se pourvoir en justice sous l’assistance d’un avocat, il serait inéquitable de laisser à charge de la partie défenderesse et du tiers-intéressé l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.

6 Cour adm. 22 juin 2017, n° 39166C, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 5.

15 Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du soussigné, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que des montants respectivement réclamés, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à payer par les parties requérantes à la partie défenderesse, à savoir à l’administration communale de Bech, à un montant de 1.500.- euros, et à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, à un montant de 1.000.- euros.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les parties requérantes ;

condamne les parties requérantes à payer in solidum à l’administration communale de Bech une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- euros ;

condamne les parties requérantes à payer in solidum à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.- euros ;

condamne encore les parties requérantes aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2023 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 décembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49658
Date de la décision : 19/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-12-19;49658 ?

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