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13/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49438

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2023, 49438


Tribunal administratif N° 49438 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49438 Inscrit le 15 septembre 2023 Audience publique du 13 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49438 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2023 par Maître Erol Yildi

rim, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 49438 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49438 Inscrit le 15 septembre 2023 Audience publique du 13 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49438 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2023 par Maître Erol Yildirim, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne et syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 août 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 septembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 octobre 2023.

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Le 10 août 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après reprise par les termes « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données VIS qu’il avait obtenu un visa de la part des autorités espagnoles valable du 8 mai 2022 au 7 juin 2022.

En date du 17 août 2023 Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 29 août 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », résuma les déclarations Monsieur … comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 août 2023 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 août 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Vous signalez être de double nationalité algérienne et syrienne, être originaire d'… et célibataire. Enfant, vous auriez quitté l'Algérie pour la Syrie, alors que votre père y aurait été marié à une deuxième femme. En 2014, vous auriez quitté la Syrie en direction de la Turquie. En 2017, avec votre père, vous seriez retourné vivre en Algérie. Le 18 avril 2022, vous avez obtenu un visa de tourisme « court séjour » de la part des autorités espagnoles et fin mai 2022, vous seriez monté à bord d'un avion pour Barcelone. Vous précisez avoir quitté l'Algérie alors que suite au décès de votre père en 2022, vous n'auriez plus eu personne en Algérie. En plus, les Syriens n'y seraient pas « appréciés » (p. 5 du rapport d'entretien).

Vous seriez resté pendant cinq mois en Espagne et vous auriez travaillé pendant deux mois à Alicante avant de partir en septembre ou octobre 2022, travailler pendant deux ou trois mois sur un marché à Bordeaux, puis pendant huit mois sur un marché à Grenoble.

Après vous être blessé et ne plus avoir pu travailler, vous seriez parti à Lyon avant de prendre le train pour venir au Luxembourg. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous seriez demandé par le régime syrien à faire votre service militaire et à participer à sa guerre. En outre, vous voudriez vivre en paix et en sécurité au Luxembourg. En cas d'un retour en Syrie, vous craindriez être appelé à faire le service militaire. En cas d'un retour en Algérie, vous craindriez ne pas pouvoir y travailler, ni ne pouvoir vous marier. Convié à préciser vos propos, vous expliquez qu'il serait impossible de trouver un travail officiel en Algérie sans être en possession d'un livret militaire algérien.

Vous y auriez par le passé uniquement travaillé de manière non déclarée. Vous ajoutez que les autorités algériennes auraient arrêté de procurer des certificats de nationalité aux Syriens. Personnellement, vous auriez pu acquérir la nationalité algérienne dès votre naissance alors que votre père aurait été de nationalité algérienne.

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Une carte d'identité syrienne;

- un acte de naissance syrien;

- un extrait de registre familial syrien.

A noter que vous affirmez initialement à deux reprises auprès de la Police Judicaire ne jamais avoir possédé de passeport. Après avoir été confronté aux résultats de la « Consultation VIS » informant sur votre visa obtenu par les autorités espagnoles sur base d'un passeport algérien émis le 7 janvier 2018 et valable jusqu'au 6 janvier 2028, vous admettez toutefois que « Vous m'expliquez que selon les résultats de vos vérifications, j'aurais bien un passeport algérien. Vous avez raison. J'avais un passeport algérien, mais on me l'a volé en France ». (…) ».

Le ministre l’informa ensuite qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Avant tout autre développement, le ministre nota qu’il serait établi que Monsieur … possèderait la nationalité algérienne et qu’un passeport algérien lui aurait été remis en 2018, valable jusqu’en 2028, de sorte qu’il analyserait sa demande de protection internationale par rapport au premier pays dont il posséderait la nationalité, son pays de naissance et dans lequel il aurait vécu pendant cinq ans, avant son départ pour l’Europe, à savoir l’Algérie.

Le ministre estima ensuite que le demandeur n’aurait soulevé que des faits sans pertinence, les persécutions alléguées constituant des motifs économiques et de convenance personnelle et ne rentrant dès lors pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève ».

Par ailleurs, le ministre constata que Monsieur … n’aurait pas, dans les plus brefs délais et dans le premier pays sûr rencontré, introduit sa demande de protection internationale, ce qui serait incompatible avec l’existence d’une crainte de persécution dans son chef.

Quant à l’affirmation de Monsieur … qu’il ne serait pas possible de travailler officiellement en Algérie sans livret militaire, le ministre constata que ses recherches n’auraient pas permis de confirmer cette déclaration, non autrement étayée par une pièce.

S’agissant de ses lamentations selon lesquelles les Syriens ne seraient pas appréciés en Algérie, voire que les autorités algériennes n’émettraient plus de « certificats de nationalité » à ces derniers, le ministre estima qu’elles ne seraient pas pertinentes pour l’analyse de sa demande de protection internationale, alors qu’il serait né en Algérie, d’un père algérien et qu’il aurait acquis la nationalité algérienne à sa naissance. A cela s’ajouterait qu’il se serait vu émettre un passeport algérien.

Il estima encore que le fait de ne pas se sentir « apprécié » par quelqu’un ne revêtirait de toute façon pas un degré de gravité de nature à constituer un acte de persécution, étant encore relevé qu’il resterait d’ailleurs en défaut de faire part du moindre souci personnel auquel il aurait été confronté voire d’un incident concret dans lequel il aurait été impliqué.

Finalement, le ministre estima que les faits mis en avant par Monsieur … ne justifieraient pas non plus l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire puisqu’il n’établirait pas qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Le ministre rejeta ensuite la demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en ordonnant à Monsieur … de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 29 août 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prise dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation ainsi introduit.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes à la base de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits ci-avant.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir décidé de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne le refus d’octroi d’une protection internationale et plus particulièrement quant au statut de réfugié, le demandeur critique le ministre en ce qu’il aurait retenu des raisons économiques et de convenance personnelle dans son chef. Il lui reproche encore d’avoir décidé que l’affirmation selon laquelle les Syriens ne seraient pas « appréciés » en Algérie serait sans pertinence pour l’analyse de sa demande de protection internationale et ne pourrait pas constituer un acte de persécution à son égard.

Le demandeur fait relever à cet égard qu’il aurait indiqué avoir la nationalité algérienne et syrienne, mais qu’en raison de sa nationalité syrienne il ne serait pas apprécié en Algérie alors qu’il n’y aurait pas les mêmes droits qu’un ressortissant algérien, qu’il ne pourrait pas s’y marier ni travailler.

En se prévalant d’un livre publié en 2016 par l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, intitulé « Entre pragmatisme et suspicion : le droit face à la double nationalité au Maghreb », le demandeur soutient qu’il existerait une « hostilité naturelle » vis-à-vis de la double nationalité en Algérie alors que les doubles nationaux y seraient traités comme des étrangers, de sorte qu’il craindrait des actes de persécution de la part des autorités algériennes en cas de retour dans son pays d’origine, respectivement de faire l’objet d’une expulsion vers la Syrie, alors qu’il résulterait, par ailleurs, d’un article publié par Amnesty international le 23 octobre 2017, intitulé « Algérie. Le recours au profilage ethnique conduit à l’expulsion de plus de 2 000 migrants subsahariens », que les « autorités algériennes [auraient] lancé une répression discriminatoire contre les ressortissants des pays tiers », des arrestations arbitraires et des expulsions visant ainsi des ressortissants syriens s’y trouvant en situation irrégulière.

Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur soutient qu’il risquerait d’être victime d’actes de violence physique et de torture ou de traitements inhumains ou dégradants répondant aux conditions de l’article 48, point a) et b) de la loi du 18 décembre 2015. Par ailleurs, en tout état de cause, suivant le principe de précaution, en présence des éléments fournis par lui et soumis à l’appréciation du tribunal, il serait préférable de ne pas le reconduire dans un pays dans lequel il pourrait faire l’objet de menaces attentatoires à sa sécurité et à son intégrité, de sorte qu’il mériterait de se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois, le demandeur estime qu’il serait à réformer, principalement, comme conséquence du bien-fondé des moyens et arguments développés plus en avant sur le recours dirigé contre le refus de la protection internationale et, subsidiairement, en raison d’une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Algérie serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants pour toutes les raisons évoquées ci-

avant.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs de refus à la base des décisions déférées, tout en réfutant comme non pertinentes les explications complémentaires de la requête introductive d’instance.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur le fond dudit recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée se base sur le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, notamment s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par ce dernier ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser sa demande de protection internationale lui soumise dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre à un statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

A titre liminaire, la soussignée rappelle qu’il est constant en cause, pour ne pas être contesté, que Monsieur … possède la nationalité algérienne depuis sa naissance et qu’il possédait un passeport algérien valable de 2018 à 2028, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a décidé d’analyser sa demande de protection internationale par rapport à l’Algérie, pays de naissance de ce dernier dans lequel il a encore vécu pendant cinq ans avant son départ pour l’Europe, et ce nonobstant sa nationalité syrienne et les craintes invoquées par rapport à la Syrie.

En l’espèce, le demandeur invoque que son départ de son pays d’origine, respectivement son refus d’y retourner est essentiellement basée sur le fait qu’en raison de sa double nationalité, algérienne et syrienne, il n’aurait pas les mêmes droits qu’un ressortissant algérien, il n’aurait pas été apprécié en Algérie et il n’aurait pas pu y travailler, ni s’y marier faute d’avoir un certificat de citoyenneté, lequel serait obtenu par l’accomplissement de son service militaire.

Concernant ainsi la crainte du demandeur d’être la cible de persécutions de la part des autorités algériennes, en raison de sa double nationalité, force est de retenir que si une telle crainte rentre a priori dans le champ d’application du statut de réfugié, la soussignée est amené à constater qu’à défaut pour le demandeur d’avoir fait état d’éléments personnels y relatifs et d’avoir vécu le moindre incident concret y relatif, le seul fait d’alléguer un risque de persécution, sans autrement étayer ledit risque, n’étant pas suffisant à cet égard, elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments allant au-delà d’un simple sentiment général d’insécurité, pour retenir qu’il existe une crainte justifiée de persécution.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquelles les doubles nationaux seraient traités comme des étrangers en Algérie et qu’il existerait une « hostilité naturelle » à leur égard, alors que le livre sur lequel se base le demandeur, publié en 2016 par l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, relate une situation ayant existé en 2005 concernant la double nationalité algéro-

française, n’étant pas applicable à sa situation personnelle, étant encore relevé que les affirmations du demandeur, à cet égard, restent à l’état de pure allégation pour n’être étayées par aucun élément objectif. Force est en outre de relever que ce constat est encore corroboré par la réforme constitutionnelle algérienne de 2016 ayant développé la double nationalité.

Il en va de même de la crainte du demandeur de faire l’objet d’une expulsion vers la Syrie, alors qu’il ressort de l’article publié par Amnesty international, invoqué par le demandeur à cet égard, que l’Algérie avait expulsé des ressortissants de pays tiers qui se trouvaient irrégulièrement sur son territoire, de sorte que cette situation n’est pas non plus en lien avec celle du demandeur, disposant de la nationalité algérienne depuis sa naissance, de sorte à ne pas risquer d’être expulsé vers la Syrie.

Il y a ensuite lieu de relever qu’en l’espèce, il ressort des déclarations du demandeur, telles qu’actées au rapport de police du 10 août 2023 ainsi qu’au rapport d’audition du 17 août 2023, qu’il a déclaré avoir quitté l’Algérie pour demander « l’asile parce qu’il me faut des documents pour pouvoir travailler »1, ainsi que « Je veux vivre ici, parce que je veux vivre en paix, et en toute sécurité au Luxembourg »2.

Or, il échet à cet égard de constater que des motifs économiques ou de convenance personnelle, ne sont manifestement pas de nature à octroyer au demandeur un statut conféré par la protection internationale alors qu’ils ne rentrent ni dans le champ d’application de la Convention de Genève ni dans celui de la loi du 18 décembre 2015.

Au regard de ce qui précède, la soussignée est amenée à constater que les craintes invoquées par le demandeur constituent plutôt une crainte hypothétique caractérisé par un sentiment général d’insécurité, de sorte qu’ils ne sont manifestement pas de nature à constituer des actes de persécution au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, motivés par la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, justifiant l’octroi du statut de réfugié.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, il se dégage des dispositions légales précitées que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire suppose, entre autres, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité - lequel est déterminé, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave ».

1 Rapport de la police grand-ducale, Service de police judiciaire, section criminalité organisée, n° …, du 10 août 2023, p.2.

2 Rapport d’audition de Monsieur … du 17 août 2023, p.3.

Le même constat s’impose tel que celui retenu concernant les craintes de persécutions du demandeur qui ont d’ores et déjà été rejetées, ayant pour conséquence que le demandeur ne risque pas d’être persécuté dans son pays d’origine pour lesdits motifs.

Concernant plus particulièrement les différentes craintes invoqués par le demandeur, force est de constater, en l’espèce, qu’il allègue risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48, point a) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que d’être soumis à des traitements inhumain ou dégradant au sens du point b) du même article, sans invoquer un risque de craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article.

Si le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux exposés à la base de la demande d’octroi du statut de réfugié, tel que relevé ci-avant, il n’en demeure pas moins que les faits invoqués par lui constituent des craintes purement hypothétiques, voire des craintes se traduisant par un sentiment général d’insécurité, de sorte qu’il ne rapporte pas la preuve qu’il existe dans son chef de sérieuses raisons de croire qu’il encourt, en cas de retour en Algérie, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Les craintes purement hypothétiques ne sont pas de nature à être qualifiée comme un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection subsidiaire n’ouvrent manifestement pas le droit à l’octroi de la protection subsidiaire dans son chef.

Au vu de tout ce qui précède, la soussignée est dès lors amenée à conclure que c’est manifestement à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a fait état que de faits sans pertinence au regard de l’examen de sa demande de protection internationale.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur …, dans la mesure où la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits présentés par le demandeur sont manifestement sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions d’une protection internationale, et où dans le cadre du présent recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’un statut de protection internationale, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, il convient de retenir que les faits avancés par le demandeur ne peuvent manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Dans ces circonstances, la soussignée conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, de sorte qu’un retour dans son pays d’origine ne l’expose pas à des actes de persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire sans violer l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tel qu’avancé par le demandeur.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 août 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 octobre 2023 par la soussignée, Emilie Da Cruz De Sousa, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto.

s. Paulo Aniceto s. Emilie Da Cruz De Sousa Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49438
Date de la décision : 13/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-13;49438 ?

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