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09/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49453

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 octobre 2023, 49453


Tribunal administratif Numéro 49453 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49453 5e chambre Inscrit le 20 septembre 2023 Audience publique extraordinaire du 9 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49453 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 septembr

e 2023 par Maître Edévi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des ...

Tribunal administratif Numéro 49453 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49453 5e chambre Inscrit le 20 septembre 2023 Audience publique extraordinaire du 9 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49453 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 septembre 2023 par Maître Edévi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Togo) et être de nationalité togolaise, demeurant à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 septembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2023 ;

Le juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la cinquième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport à l’audience publique du 4 octobre 2023, les parties étant excusées.

Le 30 janvier 2023, Monsieur … introduisit, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour, la recherche effectuée, par ailleurs, dans la base de données Eurodac à la même date ayant révélé un « No hit ».

En date des 27 juin et 26 juillet 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale Par décision du 4 septembre 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de 1protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée au motif que son récit ne serait pas crédible, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Dans ladite décision, le ministre remit en question la crédibilité générale du récit de Monsieur … et résuma ses déclarations comme suit:

« […] En mains votre fiche des motifs manuscrite ainsi que le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 janvier 2023, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 27 juin et 26 juillet 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale et les documents versés à l’appui de votre demande.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous vous nommez …, que vous êtes né le … à … au Togo, que vous êtes de nationalité togolaise, d’ethnie Ewé, de confession chrétienne et que vous auriez vécu dans le quartier d’… à … depuis novembre 2020.

Concernant vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine, vous déclarez, tout d’abord, que vous seriez recherché par les militaires de votre gouvernement, alors que ces derniers vous auraient arrêté lorsque vous vous seriez présenté au commissariat pour renouveler votre carte d’identité en 2022. Vous précisez qu’ils vous auraient détenu et torturé à quelques reprises, mais que vous auriez réussi à vous échapper et vous réfugier au …. Selon vous, cette arrestation serait la conséquence de votre participation à des manifestations de l’opposition en 2017 en tant que membre du Parti National Panafricain (ci-après le « PNP »).

A cette date, vous auriez notamment déjà été en proie à plusieurs tentatives d’arrestations et d’assassinats, de sorte que vous auriez dû quitter votre pays d’origine une première fois pour vous réfugier au Ghana jusqu’en décembre 2021.

Le même jour, vous faites état de motifs de fuite différents auprès des agents du Service de Police Judiciaire, puisque vous avouez avoir inventé votre histoire quant aux manifestations de 2017 et ce dans le but de pouvoir rester au Luxembourg. Vous auriez plus précisément quitté le Togo pour des raisons personnelles « da ich nicht arbeite ich hatte nicht genügend um meine Familie zu ernähren. Außerdem betrieb ich eine Waschanlage, jedoch wird eine Siedlung gebaut, sodass meine Waschanlage abgerissen wurde. Meine Tochter wurde letztes Jahr geboren sie ist desöfteren krank, ich habe kein Geld um Medikamente zu kaufen. Ich habe Togo verlassen um meine Familie zu unterstützen » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire).

Lors de votre entretien individuel vous relatez encore une autre version, qui est différente de celle avancée auprès des agents de police luxembourgeois et qui n’équivaut également pas à celle que vous avez indiquée sur votre fiche des motifs manuscrite, notamment le fait que vous auriez des problèmes avec les autorités togolaises en raison d’une discussion que vous auriez eue avec un agent du recensement, lequel aurait porté plainte contre vous parce que vous lui auriez mal parlé. Vous précisez que suite à cet incident des policiers seraient venus fouiller votre domicile le 25 novembre 2011 et auraient trouvé des « photos de [vous] avec des gens du parti PNP, des tracts, des flyers » et ils auraient vu votre « carte du PNP » (p.13/21 du rapport d’entretien). Ces derniers se seraient notamment déplacés à votre domicile alors que vous n’auriez pas tenu compte d’une première « convocation » reçue le 18 novembre 2022 « suite à ce qu’il s’était passé avec l’agent de recensement » et vous demandant de vous présenter au commissariat le « lundi 21.11.2022 » (p.14-15/21 du rapport d’entretien). Dès 2lors, vous auriez, le 6 décembre 2022, sollicité les conseils de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (ci-après la « LTDH »), laquelle vous aurait proposé les services de plusieurs avocats pour vous représenter en justice. Or, vous n’auriez pas souhaité poursuivre une action en justice et auriez préféré quitter votre pays d’origine le 11 janvier 2023 (p.8/21 ;17/21 et 18/21 du rapport d’entretien).

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre déclaration de naissance ;

- votre permis de conduire valable du 16 janvier 2019 au 15 janvier 2024 ;

- neuf photos de vous avec d’autres personnes dans la rue ;

- le Journal « l’indépendant Express » n°434 du 19 décembre 2017 ;

- votre carte unique de création d’entreprise « … » émise le 13 mai 2022;

- la carte professionnelle d’artisan de votre femme délivrée le 4 mars 2020 ;

- la carte unique de création d’entreprise « … » de votre femme émise le 21 octobre 2020 ;

- une lettre de recommandation du Président de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) émise le 1er août 2023.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 septembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de 1) la décision précitée du ministre du 4 septembre 2023 de statuer sur le bienfondé de sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée, 2) la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 3) l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 4 septembre 2023, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui des trois volets de son recours et en fait, le demandeur passe en revue les rétroactes cités ci-avant et précise qu’il aurait dû quitter le Togo au motif qu’il y aurait été persécuté pour des raisons politiques.

En droit et par rapport au recours à la procédure accélérée, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait fait application de l’article 27, point a) de la loi du 18 décembre 2015 aux motifs que (i) ce dernier aurait lui-même fait une « analyse approfondie » de son récit sur près de six pages, en y incluant une remise en question de sa crédibilité et que (ii) le ministre n’aurait jamais « confronté » les éléments de son récit. Le recours à cette disposition serait, dès lors, « paradoxal voire inintelligible ». Son reproche devrait être compris en ce sens que le ministre n’aurait pas justifié sa décision de recourir à la procédure accélérée « pour s’être abstenu d’appréhender les faits et questions exposés par le requérant, lorsqu’il 3décide de leur non-pertinence, au regard d’un examen visant à déterminer si ce dernier remplissait les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. ».

Quant au refus de lui octroyer une protection internationale, le demandeur reproche au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité générale de son récit, alors qu’il aurait dû procéder à une analyse des conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire et ce, dans le cadre d’une « procédure normale » qui aurait permis au ministre de « confronter » son récit aux conditions pour prétendre à la protection internationale.

Il conteste que son récit ne serait pas crédible et fait valoir que l’essentiel de sa demande serait basé sur un fait précis, à savoir un incident au cours duquel il aurait tenu des « propos xénophobes et ethniques » à l’encontre d’un agent de recensement de la population au Togo en faisant référence à son origine ethnique, et qui aurait été originaire de la même région que le parti au pouvoir, respectivement le Président du Togo. Cette « invective » découlerait d’un « contexte socio-politique » propre au Togo que le ministre aurait dû « cristalliser » pour mieux cerner le fond de son récit au lieu de se limiter à remettre en cause la crédibilité dudit récit.

Le demandeur poursuit en expliquant que ses « errements » devant la police judiciaire à son arrivée pour déposer sa demande de protection internationale, respectivement sur la fiche d’accueil ne sauraient remettre en cause le devoir du ministre de s’efforcer de déterminer la raison profonde de sa fuite de son pays d’origine. Le fait qu’il aurait « raconté des histoires lors de « ses premiers interrogatoires » » ne signifierait pas que les déclarations qu’il aurait faites lors de son audition auprès du ministère seraient à prendre avec légèreté.

Il donne à considérer que ses explications n’auraient rien d’inintelligible pour quiconque connaîtrait le « contexte socio-politique » du Togo qui serait caractérisé, d’un côté, par les ressortissants du Nord qui seraient au pouvoir depuis bientôt 60 ans et qui auraient tous les privilèges, et, d’un autre côté, les ressortissants du Sud qui se sentiraient depuis toujours lésés du bien commun du pays. Cette rivalité Nord-Sud serait « très caractérielle » dans les rapports sociaux au Togo, alors que les gens du Nord seraient pour la plupart des partisans du parti au pouvoir depuis des décennies, tandis que les gens du Sud seraient pour la plupart des sympathisants de l’opposition « depuis la nuit des temps ». Un tel clivage de la société aurait été inventé et entretenu par l’ancien Président du Togo, feu Eyadema, perdurerait encore jusqu’à ce jour et serait perpétué par le « fils-Président » qui aurait remplacé son père depuis 2005.

Le demandeur estime que c’est dans ce contexte que le ministre aurait dû comprendre son récit, alors que l’altercation qu’il aurait eue avec l’agent de recensement de la population serait « symptomatique du contexte de persécution au Togo » dans la mesure où un « sudiste qui parle[rait] mal à nordiste, au Togo, équivau[drait] [à] avoir mal parlé au Président de la République, lui-même étant du nord, et par ricochet, être contre son parti, lequel est au pouvoir ». Le demandeur ajoute qu’en invectivant un ressortissant du Nord du Togo et en lui reprochant que lui et ses « semblables » se seraient accaparés tous les biens communs du pays, respectivement les meilleurs postes, il aurait commis un « crime de lèse-majesté » à l’égard dudit agent.

Tout en expliquant que la situation dans laquelle il se serait retrouvé pourrait paraître « cocasse, invraisemblable, voire non crédible », le demandeur insiste sur la considération que ce genre de situation se produirait au Togo et qu’il faudrait en avoir connaissance pour prendre des décisions appropriées et circonstanciées.

4 Il est d’avis que son cas serait d’autant plus alarmant au motif que la fouille de son domicile aurait révélé qu’il possédait des photos qui montreraient « sa sympathie » pour le parti « PNP », ainsi que des preuves de son appartenance à l’opposition au parti au pouvoir et aux gens du Nord, ce qui aurait justifié son « invective » à l’endroit de l’agent de recensement de la population. Pour éviter un risque de persécution, il aurait pris la « sage décision de s’enfuir pour sauver sa peau ».

Le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir pris le soin de comprendre la quintessence de son récit et de s’être limité à le déclarer non crédible, respectivement d’avoir procédé à une appréciation subjective des faits.

Il estime que toutes ses explications seraient de nature à remettre en cause l’affirmation du ministre selon laquelle son récit serait entaché de contradictions et d’incohérences et serait caractérisé par trois versions différentes qui ne concorderaient pas entre elles, alors qu’elle reposerait, en substance, sur une incompréhension des faits.

Le demandeur conteste la motivation « abracadabrantesque » du ministre selon laquelle son comportement ne correspondrait pas à celui d’une personne désireuse d’obtenir une protection internationale, et fait valoir que le fait qu’il n’aurait pas sollicité de protection internationale dans les pays européens où il aurait séjourné auparavant n’aurait plus d’incidence à ce stade de la procédure. Tout en ajoutant que cette approche adoptée par le ministre reviendrait à le stigmatiser, le demandeur affirme qu’il n’y aurait pas besoin de « s’éterniser sur ce point » au motif qu’il ne s’agirait pas d’un des critères pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il estime que l’affirmation du ministre selon laquelle il aurait eu un « comportement intempestif », notamment lors de son audition, relèverait d’une appréciation subjective et ne constituerait pas une attitude provocatrice de sa part, le demandeur faisant valoir que le ministre aurait instruit son dossier à sa charge. Il se réfère, dans ce contexte, aux conclusions de l’Unité de Police de l’aéroport datées du 23 août 2008 selon lesquelles sa déclaration de naissance aurait été considérée comme un document suspect, pour soutenir qu’il aurait appartenu au ministre de rapporter la preuve qu’il s’agirait d’un faux et non pas de se fonder sur une appréciation subjective de la police pour en conclure qu’il n’aurait pas prouvé son identité. Le demandeur se demande, par ailleurs, sur base de quel spécimen la police aurait pu conclure au caractère suspect dudit document. Il ajoute que les documents qu’il aurait produits ne permettraient pas de douter de son identité, respectivement de sa nationalité togolaise, et qu’ils seraient en lien direct avec son parcours.

Le demandeur en conclut qu’il se serait efforcé d’être le plus crédible et sincère possible « avec ses mots » et qu’il aurait présenté les raisons pour lesquelles il aurait besoin d’une protection.

Tout en se prévalant des articles 2, point f), 39 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée et superficielle des circonstances de l’espèce en décidant que les faits sur lesquels il s’est basé pour prendre une décision dans le cadre d’une procédure accélérée pourraient également servir de fondement pour rejeter sa demande visant à obtenir le statut de réfugié. Il donne à considérer que les forces de police togolaises dont il aurait fait état seraient à considérer comme des auteurs de persécution au sens de ladite loi au motif qu’elles lui auraient adressé une « convocation » par 5rapport (i) à « un fait aussi banal que de mal parler à un ressortissant du nord » et (ii) au fait qu’ils l’auraient considéré comme un opposant au régime. Le demandeur ajoute que la crainte de subir des persécutions serait, dans un tel contexte, réelle dans la mesure où tous ceux qui se seraient présentés à de telles convocations n’auraient « jamais pu en sortir indemne », alors que l’histoire socio-politique du Togo « fourmille[rait] » d’exemples à ce sujet. Le demandeur en déduit qu’il remplirait les trois conditions pour se voir accorder le statut de réfugié, alors que ses craintes seraient suffisamment concrètes et nullement hypothétiques, tout en reprochant au ministre de s’être abstenu de procéder à une analyse de ces conditions « de manière méthodique ». La décision ministérielle déférée devrait être réformée dans la mesure où elle n’expliquerait pas, au-delà du critère de crédibilité, pourquoi il ne pourrait pas prétendre audit statut.

Le demandeur se prévaut des articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’il remplirait les conditions pour obtenir une protection subsidiaire aux motifs qu’il aurait avancé des motifs sérieux et avérés qu’il encourrait le risque d’une atteinte à sa vie en cas de retour au Togo, que les actes qu’il aurait invoqués pourraient être considérés comme de la torture physique et psychologique et que les policiers qui lui auraient adressé la « convocation » feraient partie du régime en place.

Quant à l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait plaider qu’au vu des motifs sérieux et suffisants qu’il aurait avancés quant à l’existence d’une crainte de persécution en cas de retour dans son pays d’origine, il y aurait lieu de réformer la décision du ministre, tout en se référant dans ce contexte au principe de précaution.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait 6pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

S’agissant d’abord, de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou 7les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il y a lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

Or, l’analyse de la pertinence des faits invoqués, au regard des conditions d’octroi d’une protection internationale rappelées ci-avant, nécessite en premier lieu d’apprécier la valeur des éléments de preuve et de vérifier la crédibilité du récit du demandeur.

A cet égard, le soussigné précise que l’examen de crédibilité du récit d’un demandeur b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

8d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si le demandeur d’asile a présenté ou non des raisons pertinentes de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 et la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par la « Convention de Genève », ou de risquer de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de ladite loi3.

Il s’ensuit qu’il appartient au soussigné de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit, d’autant plus qu’en l’espèce, c’est la crédibilité générale du demandeur qui est mise en doute, cette question influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont le soussigné est saisi.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-

ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves4.

En l’espèce, le soussigné partage les doutes exprimés par le ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.

A cet égard, le soussigné constate, à titre liminaire, que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur s’est, pour l’essentiel, borné à fournir des développements théoriques d’ordre général quant au « contexte socio-politique » au Togo, sans prendre position in concreto quant aux multiples incohérences et contradictions qui, selon le ministre, affecteraient son récit et qui sont développées dans la décision déférée de manière détaillée, sur plusieurs pages, le demandeur s’étant à cet égard, en substance, limité, d’une part, à reprocher au ministre de ne pas avoir procédé à une instruction et analyse objective et exhaustive de son récit en le considérant non-crédible, et, d’autre part, à faire valoir que ses « errements » et les « histoires » qu’il aurait racontées lors de l’instruction de sa demande de protection internationale ne permettraient pas au ministre de considérer son récit comme étant non-crédible.

Cette précision étant faite, le soussigné constate, à l’instar du ministre, qu’il n’est pas clair quel serait exactement le problème rencontré par le demandeur avec les autorités de son pays d’origine et en raison duquel il serait recherché par ces dernières, les explications afférentes du demandeur étant incohérentes, voire contradictoires.

En effet, à travers la fiche de motifs de sa demande de protection internationale, le demandeur a affirmé qu’il aurait milité dans le parti national panafricain (« PNP ») en tant que « fervent activiste et rassembleur de jeunes » et aurait fui son pays d’origine une première fois pour se réfugier au Ghana dans un contexte de manifestations de l’opposition au Togo, alors qu’il aurait subi plusieurs tentatives d’assassinat et d’arrestation, le demandeur ayant ajouté qu’il serait revenu au Togo en décembre 2021 pour y rester plusieurs mois. Il ressort de ses 3 Trib. adm., 27 novembre 2006, n° 21556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers n° 148 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.

9explications fournies, par ailleurs, qu’il aurait définitivement quitté son pays d’origine pour se rendre au Burkina Faso au motif que lorsqu’il se serait rendu au commissariat pour le renouvellement de sa carte d’identité, il aurait été enlevé par les militaires et aurait subi « plusieurs traitements dégradants et torture » avant qu’il ne réussisse à s’évader.

Or, lors de son audition par le service de police judiciaire effectuée le même jour, le demandeur a expressément affirmé à l’agent ayant enregistré ses déclarations sur son identité et son itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, que « Ich habe das mit den Manifestationen erfunden um hierzulande bleiben zu können ». Le soussigné relève qu’il y a également affirmé qu’il aurait quitté le Togo aux motifs (i) qu’il serait sans emploi et n’aurait pas de moyens pour nourrir sa famille5, tout en précisant que la station de lavage qu’il aurait exploitée au Togo aurait été détruite pour y ériger un lotissement, (ii) que sa fille qui serait née en 2022 serait régulièrement malade, mais qu’il n’aurait pas d’argent pour lui acheter des médicaments6, et (iii) qu’il souhaiterait aider et soutenir sa famille7.

Le soussigné rejoint, dès lors, le ministre dans son constat que les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale et donnés par le demandeur le même jour non seulement ne concordent pas entre eux, mais que les motifs décrits par l’intéressé sur sa fiche de motifs ont été inventés par l’intéressé dans le but de rester au Luxembourg, tel qu’il l’admet lui-même.

Dans le cadre de son audition auprès du ministère, le demandeur a indiqué avoir introduit une demande de protection internationale « Parce que j’ai des problèmes au pays » qui seraient uniquement8 liés, d’après ses explications fournies sur question afférente de l’agent ayant mené l’entretien, à (i) une discussion que le demandeur aurait eue avec un agent de recensement de la population avec qui il aurait parlé de politique, (ii) une plainte qu’aurait déposée ledit agent de recensement contre le demandeur en raison de « propos xénophobes et ethniques » que l’intéressé affirme avoir tenu à son égard, (iii) une visite domiciliaire par des soldats qui serait intervenue le 25 novembre 2022 suite à cette « invective » et au cours de laquelle lesdits soldats auraient trouvé des photos de l’intéressé avec des gens du parti PNP, des tracts, des flyers et une carte du PNP, le demandeur ayant encore affirmé qu’il aurait été absent de son domicile et que ce serait sa femme, seule présente à ce moment, qui lui aurait rapporté ces faits9.

Or, le soussigné retient, à l’instar du ministre, que ces motifs fournis lors de son entretien auprès du ministère ne concordent ni avec ceux donnés par le demandeur sur sa fiche personnelle, ni avec ceux avancés par l’intéressé lors de son audition auprès du service de police judiciaire, de sorte que le demandeur a fourni, en substance, trois motifs différents pour justifier sa demande de protection internationale, motifs dont il admet qu’au moins une partie a été inventée.

Dans ce contexte, le soussigné relève que lors de son entretien auprès du ministère, invité à prendre position, après relecture, par rapport à ses déclarations faites auprès du service 5 « Ich musste Togo verlassen, da ich nicht arbeite ich hatte nicht genügend um meine Familie zu ernähren ».

6 « Meine Tochter wurde letztes Jahr geboren sie ist desöfteren krank, ich habe kein Geld um Medikamente zu kaufen ».

7 « Ich habe Togo verlassen um meine Familie zu unterstützen ».

8 Rapport d’entretien, page 13 : Est-ce qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles vous avez quitté votre pays ? Non.

9 Rapport d’entretien, pages 13 et 14.

10de police judiciaire au sujet de la station de lavage qu’il aurait exploité et qui aurait par la suite été détruite, le demandeur a affirmé, de manière incohérente et contradictoire, que « Je n’ai jamais dit ça ! (Monsieur sourit…) J’ai créé un carwash oui. »10 sans être en mesure de préciser la date de création11, tout en affirmant ne pas avoir de problème avec le carwash12 et avoir mentionné ces faits en réponse aux questions afférentes de l’agent13.

Confronté par l’agent ayant mené l’entretien quant aux raisons pour lesquelles il aurait donné deux récits différents sur sa fiche de motifs et lors de son audition par le service de police judiciaire, le demandeur a à nouveau nié avoir tenu ses propos, tout en expliquant qu’il aurait appris que sa fille serait malade lorsqu’il aurait déjà été présent sur le territoire français14.

Outre les contradictions et incohérences dépeintes ci-avant, le soussigné relève que si le demandeur a, par ailleurs, indiqué dans sa fiche de motifs qu’il aurait été un « fervent activiste et rassembleur des jeunes » en tant que membre du PNP, il n’en reste pas moins que (i) l’intéressé n’a pourtant pas été en mesure d’expliquer concrètement ce qui l’aurait amené à aller aux meetings du PNP15 où il affirme, par ailleurs, n’avoir été que « pendant quelques mois » au cours de l’année 201716 et (ii) que ses connaissances du parti PNP se résument à « C’est un parti créé en 2014, et son président est Tikpi ATCHADAM. C’est un parti avec des idées nouvelles, oui oui, il a un art de parler qui réunit. Il était décidé à faire bouger les choses »17. Le soussigné rejoint le ministre dans son constat que l’intéressé n’a, d’ailleurs, à aucun moment mentionné lors de son entretien auprès du ministère les multiples tentatives d’assassinat et d’arrestation dont il a fait état sur sa fiche de motifs et qu’il aurait justement subis du fait de sa participation à de telles manifestations, de sorte à jeter un doute quant à la réalité de son engagement politique. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le demandeur a lui-même indiqué avoir inventé « das mit den Manifestationen erfunden um hierzulande bleiben zu können », tel que relevé ci-avant.

Le même constat s’impose au sujet de son enlèvement allégué par les militaires lors de son passage dans un commissariat pour y renouveler sa carte d’identité dont le demandeur n’a ni fait mention lors de son audition auprès du service de police judiciaire, ni au cours de son entretien auprès du ministère, ni encore dans le cadre de sa requête introductive d’instance. A cet égard, le soussigné relève qu’il n’est pas crédible, d’une part, qu’après avoir fui son pays d’origine pour se rendre dans un lieu sûr au Ghana, le demandeur soit retourné dans son pays d’origine où il aurait subi « plusieurs tentatives d’assassinat et d’arrestation », et, d’autre part, 10 Rapport d’entretien, page 16.

11 Rapport d’entretien, page 16 : « Quant était-ce ? En 2022…euh…disons…juillet.

12 Rapport d’entretien, page 17 : « De plus, lors de votre entretien précédent, pour quelles raisons avez-vous avancé comme motifs à votre demande que vous avez des problèmes au pays dus à une discussion avec un agent de recensement à Lomé le 16.11.2022 ? Je n’ai pas de problèmes avec le carwash ! ».

13 Rapport d’entretien, page 17 : « Monsieur, donc pour quelles raisons avoir mentionné cette histoire de carwash lors de cette audition policière ? Au début, je n’ai pas dit ça. C’est l’agent de police qui a vu une photo de moi où j’étais devant mon carwash, et l’agent m’a questionné dessus. ».

14 Rapport d’entretien, pages 16 et 17 : « […] pour quelles raisons n’avez-vous pas dit la vérité sur les réels motifs qui vous ont poussé à quitter votre pays ? Euh…moi j’ai quitté le Togo le 11.01.2023, et ma fille va fêter son anniversaire le 13.01.2023. Elle allait avoir un an. Quand j’étais en France, ma femme m’a écrit, elle m’a dit ma fille est malade. Qu’il y avait une ordonnance médicale. Je n’ai jamais dit ces choses ! (Monsieur sourit plusieurs fois). ».

15 Rapport d’entretien, page 14 : « Qu’est-ce qui a fait que vous alliez à des meetings du PNP ? Long Silence.

J’allais à ces meetings à Lomé, car on débatait de différents sujets ».

16 Rapport d’entretien, page 14.

17 Rapport d’entretien, page 14 : « Que pouvez-vous me dire d’autre concernant ce parti ? Rien. C’est un parti rassembleur ».

11qu’il aurait tout de même décidé de se rendre volontairement auprès des autorités de son pays et d’y faire renouveler sa carte d’identité.

Encore que les indications fournies par un demandeur de protection internationale sur la fiche manuscrite lors du dépôt de sa demande, de même que les déclarations devant la police grand-ducale à cette même occasion, sont nécessairement sommaires, le soussigné relève néanmoins que même dans l’optique d’une indication sommaire des motifs du départ du pays d’origine, les explications fournies successivement devant la police et aux différents endroits auprès du ministère doivent répondre à une certaine logique et doivent être cohérentes, étant relevé qu’il est raisonnable d’attendre d’un demandeur de protection internationale que même s’il lui est demandé de n’indiquer que sommairement les raisons de sa fuite de son pays d’origine, il précise la nature de sa crainte, précision qui doit être cohérente avec les explications fournies. En l’espèce, les explications du demandeur lors de ses auditions divergent toutefois fondamentalement, alors qu’il est pourtant raisonnable d’admettre qu’une personne qui se sent réellement persécutée indique dès le départ le point crucial à l’origine de ses craintes18.

Au vu des considérations qui précèdent, et compte tenu du fait que (i) le demandeur a lui-même affirmé avoir inventé une partie de son récit – propos réitérés dans le cadre de son recours –, (ii) le demandeur qualifie lui-même ses propos tenus lors de son audition par le service de police judicaire d’« errements », (iii) le demandeur n’a plus fait mention, ni lors de son entretien auprès du ministère, ni dans le cadre du présent recours, des traitements dégradants et de la torture qu’il aurait subis, de son arrestation et de sa fuite de son pays d’origine, (iv) les trois versions de son récit avancés par le demandeur ne concordent pas les unes avec les autres, le soussigné retient que le récit du demandeur est truffé de multiples incohérentes et de contradictions relevées ci-avant, au sujet desquelles le demandeur n’a pas fourni d’explications convaincantes dans sa requête introductive d’instance, de sorte que la crédibilité du récit de l’intéressé est manifestement ébranlée dans son ensemble, constat qui n’est manifestement pas énervé, faute d’une quelconque prise de position à cet égard, par le recours dont le soussigné est actuellement saisi, les affirmations du demandeur selon lesquelles il se serait efforcé d’expliquer les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale « avec ses mots » et que le ministre aurait omis de procéder à une « analyse approfondie » de ces motifs étant à rejeter.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les développements généraux et théoriques du demandeur – par ailleurs corroborés par aucune pièce soumise à l’appréciation du soussigné – fournis à l’appui de sa requête introductive d’instance au sujet des tensions qui existeraient entre les ressortissants togolais établis dans le Nord du pays et ceux établis dans le Sud du pays et plus généralement au sujet du « contexte socio-politique » existant au Togo. En effet, d’une part, le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer de manière convaincante à l’agent ayant mené l’entretien pourquoi il n’a pas invoqué, lors de l’audition effectuée par le service de police judiciaire, les faits en lien avec l’agent de recensement19 auxquels l’intéressé rattache pourtant « ses problèmes au pays »20. D’autre part, dans la mesure où le soussigné a conclu ci-avant que l’engagement politique allégué du demandeur était entaché de doutes, la même conclusion s’impose au sujet de son affirmation selon laquelle les policiers qui seraient 18 Voir notamment : trib. adm., 8 novembre 2021, n° 44709 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

19 Rapport d’entretien, page 17 : « Pour quelles raisons, lors de cette audition policière n’avez-vous pas mentionné les mêmes motifs que lors de votre audition du 27.06.2023 ? J’étais stressé, ma tête, je ne sais pas trop. ».

20 Rapport d’entretien, page 13.

12venus à son domicile auraient retrouvé des documents en lien avec son appartenance alléguée au PNP.

Le manque de crédibilité attaché au récit du demandeur s’impose, au contraire, d’autant, plus eu égard aux explications de l’intéressé quant aux raisons l’ayant amené à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, à savoir (i) « Long silence. Euh, je dirais parce que…(long silence)…le Luxembourg n’est pas trop impliqué dans la politique africaine »21, (ii) « c’est le lieu où je peux rester loin de tout »22, et (iii) « Long silence. Oui… euh. C’est mon frère qui m’a dit de demander ici »23 sans en connaître les raisons24, et non pas dans les pays où il affirme avoir séjourné préalablement. Les explications du demandeur selon lesquelles il n’a pas introduit de demande de protection, d’une part, en France25 – où « Euh, en vrai, la plupart du temps, je suis resté à la maison. »26 – aux motifs que des gens y travailleraient pour le gouvernement togolais – sans que l’intéressé ne soit pour autant en mesure de citer des noms –, qu’il ne pourrait pas s’y cacher dans un endroit sûr et que la France serait comme le Togo, et, d’autre part, en Belgique27 au motif que c’est son frère qui l’aurait incité à introduire sa demande au Luxembourg, corroborent le constat fait ci-avant que les multiples motifs avancés par le demandeur à l’appui de sa demande de protection ne sont pas crédibles dans leur ensemble.

Le soussigné est, dès lors, amené à retenir que c’est à bon droit que le ministre a conclu que Monsieur … n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que les conditions pour l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies en l’espèce.

Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé.

S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la crédibilité générale du récit de Monsieur … est manifestement ébranlée, de sorte qu’il est évident que l’intéressé ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale, sur base de ce même récit.

Dans ces circonstances, le soussigné conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Cette conclusion n’est manifestement pas remise en cause par la référence tout à fait générale et théorique faite par le demandeur dans sa requête introductive d’instance à un « contexte socio-politique » au Togo, alors qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à 21 Rapport d’entretien, page 11.

22 Rapport d’entretien page 11.

23 Rapport d’entretien, page 12.

24 Rapport d’entretien, page 12 : « Donc, pour quelles raisons vous a-t-il dit cela, alors que lui-même vit en Belgique depuis près de 13 ans ? Je ne sais pas » 25 Rapport d’entretien, page 11.

26 Rapport d’entretien, page 9.

27 Rapport d’entretien, pages et 12.

13l’appréciation du soussigné que tout ressortissant togolais encourrait un risque réel de subir des actes de persécutions ou d’atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire du Togo et de ne pas répondre à une convocation d’un agent de recensement de la population qui ferait parti des « gens du Nord » qui auraient un statut social plus avantageux que les « gens du Sud » dont ferait partie le demandeur.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le soussigné relève qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que c’est dès lors à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour du demandeur au Togo ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement prévu notamment à l’article 33 de la Convention de Genève, ni le principe de précaution.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen pris en ses trois volets est manifestement infondé.

Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la cinquième du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 septembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

14Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 9 octobre 2023 par le soussigné, Benoît Hupperich, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Benoît Hupperich Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49453
Date de la décision : 09/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-09;49453 ?

Source

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