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26/09/2023 | LUXEMBOURG | N°49379

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 septembre 2023, 49379


Tribunal administratif N° 49379 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 49379 Inscrit le 1er septembre 2023 Audience publique du 26 septembre 2023 Requête en institution de mesures provisoires introduite par la société A, … (…) et autres, par rapport à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en présence de la société B, …, en matière d’échange de renseignements

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ORDONNANCE

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´le et déposée le 1er septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par la société LOYENS...

Tribunal administratif N° 49379 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 49379 Inscrit le 1er septembre 2023 Audience publique du 26 septembre 2023 Requête en institution de mesures provisoires introduite par la société A, … (…) et autres, par rapport à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en présence de la société B, …, en matière d’échange de renseignements

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49379 du rôle et déposée le 1er septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par la société LOYENS & LOEFF SARL, ayant son siège social à L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, immatriculée sous le numéro RCS Luxembourg B 174248 et inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, par l’organe de Maître Petrus MOONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de 1) le trust A, domicilié à …, 2) le trust C, domicilié à …, 3) la société D, une société établie au …, ayant son siège social à …, 4) la société E, établie et ayant son siège social à … 5) la société F, établie et ayant son siège social au …, ainsi que 6) Monsieur G, demeurant à …, tendant à voir instituer un sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport à la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes datée au 28 juillet 2023, référencée …, adressée à la société B, ayant son siège social à …, et immatriculée sous le numéro RCS …, lui enjoignant de lui fournir, pour le 4 septembre 2023 au plus tard, certains renseignements au sujet de comptes bancaires auprès dudit établissement bancaire, informations reprises dans la prédite décision d’injonction, un recours en annulation, inscrit sous le numéro 49378 du rôle, dirigé contre la même décision, ayant été déposé au greffe du tribunal administratif en date du même jour ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL demeurant à Luxembourg, du 4 septembre 2023, portant signification de la prédite requête en institution d’une mesure provisoire à la société B ;

Vu la constitution d’avocat de la société en commandite simple ALLEN & OVERY, établie et ayant son siège à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats de Luxembourg, représentée par Maître Thomas BERGER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la société B, du 20 septembre 2023 ;

1 Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision d’injonction attaquée au fond ;

Maître Pierre-Antoine KLETHI, en remplacement de Maître Petrus MOONS, pour les parties requérantes, et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER, pour l’Etat, ainsi que Maître Lena WANLIN, en remplacement de Maître Thomas BERGER, pour la société B, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2023.

Par courrier du 28 juillet 2023, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la banque B de lui fournir pour le 4 septembre 2023 au plus tard, des renseignements concernant sept comptes dans le but de permettre aux autorités fiscales israéliennes d’établir le montant des impôts israéliens dus par Monsieur G, résident israélien, ladite injonction étant libellée comme suit :

« En date du 15 mai 2023, l’autorité compétente de l’administration fiscale israélienne nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d’amendement signés le 29 mai 2013, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La finalité fiscale de la demande est d’établir le montant des impôts israélien dus par Monsieur G, né le … et ayant une adresse ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2021, les renseignements et documents suivants concernant les comptes figurant dans l’annexe 1 pour le 4 septembre 2023 au plus tard.

Pour des raisons de meilleure lisibilité, nous avons repris le questionnaire anglais de la demande d’information des autorités israéliennes pour les points suivants.

-

Please provide information (first/last name, address, date of birth, ID/Passport number) of:

o The holder(s) and beneficial owner(s) of the bank accounts ;

o The persons authorized to operate the accounts ;

o The signatories to the accounts.

-

Please provide account opening forms and documents assessing the beneficial ownership.

-

Please provide identification documents of all identified persons.

-

Please provide the closing date and closing order of the account(s).

2 -

Please indicate the delivery address of the bank documents.

-

Please provide details of the authorized persons if an e-banking contract exists/existed.

-

Please provide statements of financial assets as of each year in the relevant period.

-

Please provide the account statements from 01.01.2016 to 31.12.2021.

- If Mr G holds any other account at your establishment, please provide all the above information for these accounts as well.

- Please provide copies of all relevant documents mentioned above.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du système d’envoi de fichiers par OTX (voir à cet effet https://impotsdirects.lu/fr/echanges_de_renseignementssurdemande.html pour le guide d’utilisateur).

Conformément à l’article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l’encontre de la présente décision d’injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. […] ».

Par requête déposée le 1er septembre 2023 au greffe du tribunal administratif et enrôlée sous le n° 49378, le trust A, le trust C, les sociétés liechtensteinoises D et E, la société établie aux Îles Vierges Britanniques F, ainsi que Monsieur G ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’injonction précitée du 28 juillet 2023.

Il résulte de cette requête que Monsieur G serait le bénéficiaire effectif de deux des comptes visés, les autres parties étant les détenteurs des autres cinq comptes visés, dont les bénéficiaires effectifs seraient des tiers, à savoir des personnes physiques ainsi que des personnes morales.

Il résulte encore de cette requête que Monsieur G, en sa qualité effectif de deux des comptes visés, ne conteste pas l’échange de renseignements ayant justifié la décision d’injonction vis-à-vis de ses deux comptes, mais qu’il n’agit qu’en qualité de « protecteur » des trusts susmentionnés, « protecteur » dont le rôle serait « essentiellement de conseiller vis-à-vis de l’administration des trusts et de superviser les trustees dans certains domaines définis dans les actes de fiducie ».

3Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 49379 du rôle, les mêmes parties ont encore fait introduire une demande, tendant aux termes de son dispositif, à voir :

« Déclarer recevable la présente requête en institution d’un sursis à exécution.

Au fond, la dire fondée et justifiée ;

Partant, assortir la décision d’injonction du 28 juillet 2023 émise l’encontre de la société B par l’Administration des contributions directes, portant la référence …, du sursis à exécution de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ou, à défaut, interdire (i) à la société B de communiquer à l’Administration des contributions directes des informations visées dans la décision susmentionnée, et (ii) à l’Administration des contributions directes de communiquer aux autorités fiscales israéliennes toute information collectée ou à collecter en exécution de la décision d’injonction susmentionnée ;

Poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour constitutionnelle :

« 1. L’absence, pour un tiers intéressé, de voie de recours directe contre une décision d’injonction de fournir des informations, parmi lesquelles des données personnelles dudit tiers intéressé, est-elle conforme (i) au principe de légalité prévu aux articles 18 et 102 de la Constitution (version actuelle), (ii) aux principes d’accès au juge et de recours effectif découlant du principe fondamental de l’Etat de droit inhérent aux articles 1er et 2 de la Constitution actuelle), et (iii) au principe de supériorité du droit international (en l’espèce, la CEDH) sur le droit national (en l’espèce, l’article 6, alinéa 1er de la loi du 25 novembre 2014, tel qu’amendé en 2019) ? 2. L’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, tel que modifié par la loi du 1er mars 2019, en ce qu’il n’admet pas le droit aux contribuables visés par la demande d’échange de renseignements et/ou aux tiers intéressés, qui ne résident pas dans un Etat membre du Conseil de l’Europe, d’introduire un recours contentieux contre une demande d’échange de renseignements étrangère, respectivement contre la décision d’injonction corrélative émanant des autorités luxembourgeoises, est-il conforme (i) au principe de légalité prévu aux articles 18 et 102 de la Constitution (version actuelle), (ii) aux principes d’accès au juge et de recours effectif découlant du principe fondamental de l’Etat de droit inhérent aux articles 1er et 2 de la Constitution actuelle), et (iii) au principe de supériorité du droit international (en l’espèce, la CEDH) sur le droit national (en l’espèce, l’article 6, alinéa 1er de la loi du 25 novembre 2014, tel qu’amendé en 2019) ? » ; […] » Les parties requérantes exposent que la condition prévue à l’article 11, paragraphe 2, de la loi du 21 juin 1999, relative au risque de préjudice grave et définitif, serait remplie en l’espèce, ledit préjudice consistant en la violation du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelles, à savoir des données bancaires confidentielles de personnes tierces qui ne seraient pas visées par la demande d’informations et qui n’auraient aucun lien fiscal avec la juridiction qui requiert les informations, à savoir Israël.

4 Les parties requérantes estiment que ce préjudice serait d’autant plus grave qu’il serait lié à la remise en cause de plusieurs droits fondamentaux, à savoir le droit à la protection des données personnelles et au respect de la vie privée, consacré notamment à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et le droit à un recours effectif, consacré notamment à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 18 de la Constitution et découlant également du principe fondamental de l’Etat de droit inhérent aux articles 1er et 2 de la Constitution.

En ce qui concerne le droit à la protection des données personnelles et au respect de la vie privée, elles font plaider que la jurisprudence luxembourgeoise aurait maintes fois rappelé que, comme retenu par la Cour européenne des droits de l’Homme, les informations relatives aux comptes bancaires seraient à considérer comme des données personnelles protégées par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et que la transmission de données économiques et financières constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications.

Quant à la violation de leur droit à l’accès au juge et leur droit à un recours effectif, les parties requérantes, en substance, par référence aux développements au fond figurant dans leur recours en annulation, font soutenir qu’en l’état actuel la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, telle que modifiée par la loi du 1er mars 2019, ne prévoirait qu’un recours spécial contre la décision d’injonction au profit du seul détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, de sorte que la seule possibilité de voir remettre en cause la décision d’injonction dépendrait du bon vouloir du détenteur des renseignements, en l’occurrence la banque B, d’exercer le droit au recours dont il dispose, ce qui constituerait une violation grave de leur propre droit à un recours effectif, les parties requérantes soulignant qu’elles ne seraient pas les contribuables visés, mais des tiers intéressés totalement étrangers aux affaires fiscales en Israël, de sorte qu’elles ne pourraient pas bénéficier d’un droit à un recours effectif contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement fiscale en Israël.

Les parties requérantes estiment encore que le préjudice ainsi pressenti serait définitif, puisqu’une fois l’information partagée, la situation existant avant la divulgation ne saurait plus être recréée et une violation de la vie privée et de la protection de leurs données personnelles ne pourrait plus être réparée, de sorte qu’il conviendrait « d’accorder de plein droit l’effet suspensif au présent recours ».

Les parties requérantes soutiennent que si leur recours en annulation sur le fondement du droit commun formulé à titre principal devait être déclaré recevable, en raison de l’absence d’effet suspensif de plein droit associé à un tel recours, des informations pourraient entretemps avoir été échangées entre la banque et l’administration des Contributions directes et entre cette administration et les autorités fiscales israéliennes. D’autre part, si le recours formulé à titre principal devait être déclaré irrecevable, et que le recours à titre subsidiaire fondé sur la loi du 25 novembre 2014 était déclaré recevable, dans la mesure où l’effet suspensif prévu par la loi du 25 novembre 2014 ne serait que connu à la date du jugement déclarant le recours recevable, les mêmes conséquences négatives risqueraient de se produire, anéantissant donc l’effet suspensif prévu dans la loi du 25 novembre 2014. Ainsi, l’absence d’effet suspensif dans le 5premier cas, et l’absence d’effectivité de l’effet suspensif dans le second cas, constitueraient une violation de leur droit à un recours effectif, préjudice qui ne saurait être réparé pour l’avenir.

Les parties requérantes, par référence à leurs moyens développés dans le cadre du recours en annulation, estiment encore que ce recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès.

Force est d’emblée au soussigné de constater que l’objet de la requête sous analyse, tel que déterminé à travers son dispositif, pose d’abord différentes questions de compétence, respectivement d’(ir)recevabilité, questions soulevées d’office conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Force est en effet de constater que les parties requérantes sollicitent, outre l’obtention d’un sursis à exécution de la décision d’injonction, différentes mesures de sauvegardes, consistant à interdire au détenteur des informations de communiquer à l’administration des Contributions directes des informations visées dans la décision d’injonction et à la même administration des Contributions directes de communiquer aux autorités fiscales israéliennes toute information collectée ou à collecter, les parties requérantes se basant sur ce faire sur l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Il convient à cet égard de retenir, en ce qui concerne la demande formulée à titre subsidiaire et portant sur l’octroi au titre de mesures de sauvegarde sur base de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution1, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative.

La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend dès lors comme une procédure complémentaire2 à celle de l’effet suspensif3, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes, mais uniquement ouverte par rapport à une décision « négative ». En effet, une décision de refus, « négative », même illégale, ne modifie le plus souvent pas par elle-même l’ordonnancement juridique. Ainsi, en ne modifiant rien, elle n’est pas « exécutoire » ; dès lors, il n’y a pas matière à en ordonner le sursis à exécution4.

1 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.

2 Idem.

3 Trib. adm. (prés) 13 novembre 2020, n° 45149 ; trib. adm. (prés) 30 novembre 2020, n° 45220 ; trib. adm. (prés) 30 novembre 2020, n° 45222.

4 Voir trib. adm. (prés.) 1er février 2023, n° 48477.

6En l’espèce, dans la mesure où la décision d’injonction, imposant au détenteur une obligation de faire, constitue une décision administrative positive5 ou exécutoire, modifiant une situation de droit ou de fait antérieure et créant en l’espèce une obligation, elle peut faire l’objet d’une demande en obtention d’un sursis à exécution sur base de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, mais non d’une mesure de sauvegarde.

La requête sous analyse encourt dès lors l’irrecevabilité de ce point de vue.

Il convient ensuite de souligner que la compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire notamment par rapport aux moyens invoqués au fond6, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond7.

Plus particulièrement, en ce qui concerne une demande de suspension, le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond8, le juge devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-

ci9.

Il s’ensuit que le juge du provisoire ne saurait poser des questions préjudicielles -

exception faite le cas échéant de questions ayant spécifiquement trait à sa propre compétence et insusceptibles d’être posées par le juge du fond - puisque les réponses y apportées lieront définitivement le juge du fond, lequel, éventuellement, pourrait ne pas avoir estimé nécessaire de poser ces mêmes questions. Aussi, les questions préjudicielles que les parties requérantes soumettent à l’identique au juge du provisoire et au juge du fond ne sauraient être posées par le premier sous peine de figer définitivement le litige et d’interférer dans une future décision du juge du fond.

Il convient ensuite de souligner qu’il n’y a pas d’obligation pour une juridiction de poser une question préjudicielle lors de procédures en référé, pourvu que chacune des parties puisse intenter une procédure relative au fond de l’affaire ou pouvoir l’exiger10.

5 Dans le sens de créatrices de droits ou d’obligations ; une décision « positive » peut aussi avoir des conséquences négatives pour l’administrés, telle que par exemple une décision de retrait.

6 Voir Trib. adm. prés. 19 janvier 2005, n° 18974, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 562.

7 Voir Trib. adm. prés. 13 juillet 2000, n° 12070, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 637.

8 Ph. Coenraets, Le contentieux de la suspension devant le Conseil d’Etat, synthèses de jurisprudence, 1998, n° 88, p.40 ; trib. adm. prés. 22 janvier 2010, n° 26457, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 619.

9 Voir en ce sens notamment : Trib. adm. prés. 14 janvier 2000, n° 7340b, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 504.

10 Voir CJCE, 27 octobre 1982, Morson et Jhanjan, aff. 35/82 et 36/82, point 10 : « Il y a donc lieu de répondre à la première question posée par le Hoge Raad que l’article 177, alinéa 3, du Traité doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, n’est pas tenue de saisir la Cour d’une question d’interprétation au sens de l’alinéa 1er de cet article, 7 Enfin, troisièmement, la formulation d’une telle demande devant le soussigné n’est pas nécessaire. En effet, à supposer que le problème à la base de cette question et dont les juges du fond sont saisi, apparaisse comme présentant un certain sérieux, et qu’il paraît probable que les juges du fond soit annulent la décision déférée, soit saisissent la Cour constitutionnelle, le soussigné pourrait - sous réserve que la seconde condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif - accorder la mesure provisoire sollicitée, étant rappelé qu’en effet apparaissent comme sérieux les moyens offrant une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte11.

La requête sous analyse encourt dès lors également l’irrecevabilité de ce point de vue.

En ce qui concerne finalement la demande rémanente, formulée à titre principal, à savoir l’instauration d’un sursis à exécution, il convient de rappeler que l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent par ailleurs être appliquées de manière sévère.

L’affaire au fond ayant été introduite le 1er septembre 2023 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, le cas échéant applicable à défaut de toute disposition légale expresse et ce sous réserve évidemment de la question de la portée de l’article 6, alinéa 1er de la loi du 25 novembre 2014, question relevant du fond, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Comme relevé ci-avant, le sursis à exécution ne peut être décrété que lorsque notamment (mais non exclusivement) l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, un préjudice étant grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

lorsque la question est soulevée dans une procédure en référé et que la décision à prendre ne lie pas la juridiction qui sera ultérieurement saisie de l’affaire au fond, à condition qu’il appartienne à chacune des parties d’ouvrir ou d’exiger l’ouverture d’une procédure au fond, même devant les juridictions d’un autre ordre juridictionnel, au cours de laquelle toute question de droit communautaire tranchée provisoirement dans la procédure sommaire peut être réexaminée et faire l’objet d’un renvoi en vertu de l’article 177. » 11 Voir trib. adm. (prés.) 22 février 2018, n° 49379.

8En effet, comme l’acte administratif bénéficie du privilège du préalable et d’exécution d’office, le référé a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif, les effets de la suspension étant d’interdire provisoirement à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue.

En l’espèce, tel que figurant dans la requête introductive d’instance, les parties requérantes se prévalent d’un préjudice grave et définitif lié à la violation de leurs droits fondamentaux, à savoir, d’une part, de leur droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel, en ce qu’une fois les informations demandées communiquées, aucun recours, à moins d’en décréter l’effet suspensif, ne permettrait d’empêcher les autorités fiscales israéliennes d’utiliser - prétendument illégalement - les informations reçues, ce qui, d’autre part, porterait atteinte à leur droit à un recours effectif.

Il convient de rappeler que la demande de suspension a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif, le contentieux de la suspension étant conçu dans une optique préventive12 ; les effets de la suspension sont d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue13 pour l’avenir, puisque l’une des caractéristiques essentielles de la suspension est de laisser subsister dans l’ordre juridique l’acte suspendu qui ne peut toutefois plus être mis à exécution14. Ainsi, à la différence d’un jugement d’annulation, une décision prononcée ne produit pas ses effets rétroactivement mais seulement pour l’avenir, de sorte que l’acte suspendu subsiste dans l’ordre juridique, mais il ne peut plus être exécuté15.

Il en résulte que lorsqu’une mesure dont le sursis à exécution est demandée a d’ores et déjà été exécutée au moment où le président du tribunal est appelé à statuer, la demande en obtention d’une mesure provisoire a perdu son objet et elle doit être déclarée irrecevable : il n’y a pas lieu de faire droit à des conclusions à fin de sursis dès lors que la décision est déjà exécutée et que la mesure n’est plus susceptible de produire d’effet utile. En d’autres termes, même à admettre que l’exécution de la mesure incriminée ait été susceptible de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, qu’il s’agissait de prévenir, ce préjudice est consommé par l’exécution de la mesure litigieuse et la juridiction du président du tribunal est dès lors épuisée16.

12 Michel Leroy, Contentieux administratif, Bruylant 2004, 3e éd., p.770.

13 Trib. adm. (prés.). 9 mars 2016, n° 37614 du rôle ; trib. adm. (prés.) 9 mars 2016, n° 37642 du rôle ; trib. adm.

(prés.) 16 mars 2016, n° 37650 du rôle ; trib. adm. (prés.) 22 avril 2016, n° 37766 du rôle ; trib. adm. (prés.) 25 août 2016, n° 38388 du rôle ; trib. adm. (prés.) 9 novembre 2016, n° 38648 du rôle ; trib. adm. (prés.) 16 novembre 2016, n° 38686 du rôle ; trib. adm. (prés.) 11 mai 2017, n° 39534 du rôle ; trib. adm. (prés.) 21 juillet 2017, n° 39887 du rôle ; trib. adm. (prés.) 21 juillet 2017, n° 39889 du rôle.

14 Dominique Lagasse, Le référé administratif devant le Conseil d’État ou Le Conseil d’État face à l’accélération du temps juridique in Philippe Gérard, François Ost, Michel Van de Kerchove (dir.), L’accélération du temps juridique, Presses de l’Université Saint-Louis, 2000, p. 405.

15 Idem, p.410 ; trib. adm. (prés.) 7 mars 2023, n° 48578 du rôle.

16 Trib. adm. (prés.) 10 avril 2001, n° 13203 du rôle ; trib. adm. (prés.) 9 février 2018, n° 40729 et 40736 du rôle ;

trib. adm. (prés.) 17 avril 2018, n° 40958 du rôle ; trib. adm. (prés.) 13 décembre 2019, n° 37614 du rôle ; trib.

adm (prés.) 20 novembre 2020, n° 45240 du rôle ; trib. adm. (prés.) 15 mai 2020, n° 44418 du rôle ; trib. adm.

(prés.) 20 novembre 2020, n° 45239 du rôle et récemment trib. adm. (prés.) 24 octobre 2022, n° 48045 du rôle.

9La jurisprudence étrangère opine dans le même sens. Ainsi, en Belgique, le Conseil d’Etat a répétitivement retenu que si la décision a été entièrement exécutée, la demande de suspension est sans objet17 ; il en va de même en droit français18. En droit communautaire, la Cour de Justice19 a également retenu que lorsqu’une décision litigieuse a été exécutée et le préjudice réalisé, la demande en référé est à rejeter.

En l’espèce, l’objet de la décision déférée du 28 juillet 2023 a, conformément à l’article 3, paragraphe 3 de la loi du 25 novembre 2014, pour objet d’enjoindre au détenteur des renseignements, en l’occurrence la banque B, de fournir des renseignements déterminés, et ce pour le 4 septembre 2023 au plus tard.

Il résulte à cet égard des déclarations concordantes de l’Etat et la banque B que cette dernière a fait droit à l’obligation lui imposée, de sorte qu’elle a transmis dans le délai lui indiqué les renseignements demandés à l’administration des Contributions directes.

Partant, compte tenu de ces circonstances, l’acte déféré au provisoire au soussigné doit être considéré comme ayant été matériellement exécuté en ses éléments faisant grief, entraînant l’épuisement de la juridiction du soussigné.

Il s’ensuit que les parties requérantes sont également à débouter de leur demande en institution d’un sursis à exécution.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention de mesures provisoires en ses différents volets ;

condamne les parties requérantes aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 septembre 2023 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 17 P.ex. CdE b. 10 janvier 1991, n° 36.204, CdE b. 22 mai 1991, n° 37.039 ; CdE b. 16 décembre 1992, n° 41.393, CdE b, 30 octobre 1997, no 69.310.

18 P.ex. CdE fr. 29 décembre 2004, n° 266415, CdE fr. 19 juin 2001, n° 234360 ; CdE fr. 22 février 2001, n° 230408.

19 Voir p.ex. CJCE ord. 24 octobre 1984, Erminio Valerio Pizzinato c. CCE, aff. 241/84R ; CJUE ord. 9 juin 2011, GRP Security / Cour des comptes, T-87/11 R ; CJUE ord. 27 novembre 2013, Oikonomopoulos / Commission, T-

483/13 R ou encore CJUE ord. 22 juin 2021, Portugal / Commission (Zone Franche de Madère), T-95/21 R.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49379
Date de la décision : 26/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-26;49379 ?

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