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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°49166

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 49166


Tribunal administratif N° 49166 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49166 1re chambre Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49166 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2023 par Maîtr

e Françoise Nsan Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 49166 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49166 1re chambre Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49166 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2023 par Maître Françoise Nsan Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Arménie) et être de nationalité arménienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 juin 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 septembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding et Maître Françoise Nsan Nwet en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 septembre 2023.

Le 5 avril 2022, Monsieur …, accompagnée de sa compagne, Madame …, de nationalité ukrainienne, ainsi que de l’enfant mineure …, également de nationalité ukrainienne, tous les trois étant ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », laquelle leur fut accordée le même jour par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désignée, avec une validité jusqu’au 4 mars 2023.

Le 2 décembre 2022, la protection temporaire ainsi accordée au consorts … fut prolongée jusqu’au 4 mars 2024.

Le 14 mars 2023, Monsieur … déclara renoncer à son statut de protection temporaire.

Le même jour, il introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale, au sens de la loi du 18 décembre 2015.

1 Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 20 avril et 4 mai 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 29 juin 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« […] Vous déclarez être de nationalité arménienne, être originaire d’Armavir et avoir dernièrement vécu en Arménie dans une académie militaire à Erevan. Vous avez introduit une demande de protection internationale au motif que vous seriez un déserteur de l’armée arménienne et parce que vous voudriez régulariser votre situation alors que le « papier bleu », c’est-à-dire l’attestation de bénéficiaire d’une protection temporaire, ne servirait à rien et ne vous offrirait pas de protection et « wenn ich einen internationalen Schutz habe, gibt es mir und meiner Famille Sicherheit. Niemand kann mich dann ausspionieren und ausliefern » (p. 5 du rapport d’entretien).

A l’appui de votre demande, vous affirmez qu’après avoir terminé l’académie militaire en 2006, vous auriez été envoyé dans la région du Haut-Karabagh où vous auriez occupé le rang d’officier. Pendant les quatre mois que vous y auriez été stationné, vous vous seriez disputé avec votre supérieur … en vous plaignant de l’équipement des soldats et du fait qu’il aurait confisqué de la nourriture de l’armée pour la revendre par la suite aux soldats. … vous aurait alors insulté et abaissé devant tout le monde. Par la suite, il vous aurait une fois menacé avec une arme et obligé de l’accompagner dans un endroit isolé dans les montagnes, où vous auriez dû vous agenouiller avant d’être menacé d’être tué à l’instar d’un autre officier qui se serait plaint avant vous et qu’on aurait jeté sur une mine pour cacher qu’on lui aurait tiré dessus. Vous n’auriez rien répondu et après votre retour, vous auriez fait une crise de nerfs et vous auriez tenté de vous suicider. Vous auriez alors été hospitalisé à Stepanakert avant d’être transféré à la psychiatrie …. Après avoir reçu des soins, vous seriez retourné au service. Vous auriez été attribué à une autre entité qui n’aurait plus été positionnée en « première ligne » (p. 6 du rapport d’entretien).

Le lendemain de ce retour, vous auriez été emmené par la police militaire et un juge d’instruction vous aurait reproché de vous être infligé vos blessures pour discréditer votre supérieur. Vous auriez alors été placé en détention provisoire et une procédure pénale aurait été ouverte contre vous. Le chef de la police militaire vous aurait ensuite fait comprendre qu’il ne pourrait rien faire pour vous mais que le versement de 1.000.- dollars pourrait « calmer » (p. 7 du rapport d’entretien) la situation. Vous lui auriez expliqué que vous ne disposeriez pas d’une telle somme et il vous aurait alors fait sortir du commissariat de la police militaire par une entrée arrière afin que vous puissiez récolter lesdits 1.000.- dollars. Une semaine plus tard, vous lui auriez ramené la somme demandée et votre procédure pénale aurait été clôturée.

Vous auriez ensuite rejoint le « département militaire ordinaire » (p. 7 du rapport d’entretien), où, à nouveau, vous vous seriez disputé avec votre supérieur qui aurait déjà entendu parler de vous. Vous auriez à nouveau été menacé avec une arme à feu et vous auriez répondu « Dann schieß » (p. 7 du rapport d’entretien). Comme il aurait remarqué qu’il vous importerait 2peu de vivre ou de mourir et qu’il n’aurait pas voulu vous tuer dans son bureau, il vous aurait donné cinq jours pour quitter le pays. Vous dites que vous auriez dû quitter le pays afin que vous ne puissiez plus répandre la nouvelle que les soldats arméniens seraient volés et tués par leurs supérieurs. Vous seriez allé à pied à Madaris, vous y seriez monté dans le coffre d’un taxi pour vous faire conduire à Stepanakert en précisant que « Es hatte sich bereits rumgesprochen, dass nach mir gesucht wurde » (p. 7 du rapport d’entretien). Vous auriez ensuite rejoint Erevan et appelé votre père pour le mettre au courant de votre situation. Il vous aurait alors acheté un billet d’avion à destination de l’Ukraine et vous auriez officiellement quitté l’Arménie depuis l’aéroport d’Erevan. Deux semaines après votre départ, on aurait montré votre mandat de recherche à vos parents. Vous affirmez que les autorités vous auraient recherché auprès de tous vos membres de famille et que même votre grand-mère aurait été interrogée au commissariat.

Vous auriez vécu les prochaines deux décennies illégalement en Ukraine jusqu’à votre départ pour le Luxembourg en 2022. Vous prétendez que les autorités ukrainiennes n’auraient jamais voulu vous remettre de papiers ou régulariser votre situation et que vous auriez à chaque fois corrompu des policiers lorsque vous vous seriez fait contrôler.

En cas d’un retour en Arménie, vous précisez d’abord que vous ne sauriez pas quoi craindre. Selon vous, vous risqueriez toutefois d’être tué ou emprisonné. Vous seriez persuadé qu’on serait toujours à votre recherche alors qu’en avril 2023, un ami de Sibérie vous aurait signalé que « irgendwelche Leute » (p. 5 du rapport d’entretien) seraient à votre recherche et qu’on vous aurait envoyé une photo de vous et de votre enfant, qui aurait circulé sur internet, respectivement « dieses wird zwischen Leuten rumgeschickt ». Vous faites en outre allusion à une autre photo qui serait envoyée par ces gens montrant une carte et une flèche censée montrer votre adresse au Luxembourg, « das heißt irgendwer sucht mich hier » (p. 5 du rapport d’entretien).

De plus, en 2019, vos parents seraient partis vivre en Russie, alors que depuis votre départ d’Arménie en 2006, ils auraient été tous les mois embêtés par les autorités qui auraient été à votre recherche. Vos parents auraient en outre eu peur pour votre frère lequel serait également parti vivre en Russie, alors qu’ils auraient entendu des rumeurs comme quoi il risquerait une sanction pour ne pas dire où vous vous trouveriez. Vos parents auraient pareillement risqué une sanction pour cacher votre lieu de résidence. Vous précisez dans ce contexte, qu’en 2016, vous auriez écrit une lettre au Ministre de la Défense arménien le priant « mich aus dem Militär zu begnadigen » (p. 3 du rapport d’entretien) et de clôturer la procédure qui serait ouverte contre vous, mais cela n’aurait rien changé. En 2021, vous auriez d’ailleurs fait une demande pour un nouveau passeport arménien et on vous aurait alors prié de vous présenter en Arménie. Vous auriez contacté votre ami … du Ministère de la Défense arménien qui vous aurait mis en garde que ladite procédure serait toujours ouverte contre vous.

Vous ajoutez encore avoir renoncé à votre protection temporaire au Luxembourg alors que « Erstens kann ich nichts mit dem blauen Papier anfangen » (p. 5 du rapport d’entretien) étant donné que vous compteriez épouser votre compagne mais qu’il vous faudrait pour cela une pièce d’identité. Vous auriez du coup parlé à l’Office national de l’accueil (ONA) qui vous aurait conseillé de faire changer votre statut au Luxembourg « dann würde Luxemburg als Garant für mich gelten » (p. 5 du rapport d’entretien), tout en vous donnant les adresses des ambassades arméniennes aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Vous ajoutez que « Ich wollte ebenfalls eine ID-Nummer haben, mit welchem ich ein Bankkonto eröffnen kann. (…) Die ONA Mitarbeiter haben mir erklärt dass das ein Experiment sein soll und nur für ukrainische Bürger gültig ist.

Das blaue Papier gibt mir nur das Recht zu arbeiten und zum Arzt zu gehen, sonstige Rechte habe ich nicht » (p. 5 du rapport d’entretien).

3A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre carnet militaire arménien non traduit ;

- La copie de quatre photos vous montrant en uniforme militaire ;

- la copie d’un diplôme non traduit ;

- la copie d’un permis de conduire arménien émis en 2004.

A noter que vous prétendez avoir perdu tous les documents en lien avec vos problèmes en Arménie, ainsi que votre passeport arménien dans le cadre de votre fuite d’Ukraine. Vous n’avez pas non plus remis les photos se trouvant sur votre portable qui prouveraient que des personnes vous rechercheraient au Luxembourg, ni l’historique de discussion avec votre ami … dans lequel il vous aurait parlé de la procédure qui serait toujours ouverte contre vous. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 29 juin 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 29 juin 2023, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en insistant sur le fait qu’après avoir terminé l’école militaire en 2006, il serait devenu officier et aurait été envoyé au Karabagh, alors même que des tensions très fortes auraient déjà existé entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises dans l’enclave du Haut-Karabagh, de sorte que ce serait dans ce contexte de « […] conflit passablement larvé et latent […] » qu’il aurait commencé sa carrière dans l’armée.

Le demandeur donne à considérer qu’eu égard à l’instabilité politique dans cette région, le trafic d’armes, la corruption et l’extorsion de fonds seraient monnaie courante et que « […] [d]ans cet environnement où historiquement de nombreux dépôts d’armes, héritage de l’époque soviétique, [seraient] régulièrement pillés et revendus au marché noir par les militaires eux-mêmes, les haut-gradés de l’armée [feraient] office de véritables chef mafieux […] ».

Après avoir confronté son supérieur hiérarchique, un dénommé …, au détournement de nourriture et d’équipements constaté par lui, il aurait fait l’objet de représailles dont la magnitude lui aurait fait comprendre qu’il n’aurait pas été en mesure de lutter contre la « […] corruption mafieuse […] » régnant au sein de l’armée. En effet, il aurait subi de nombreuses humiliations, des intimidations, des menaces de mort et des simulations d’exécution de la part de ses supérieurs 4hiérarchiques et son état psychique s’en serait trouvé gravement altéré.

Il aurait encore fait l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire et administratif de la part des autorités de son pays d’origine, sous de faux prétextes de trahison et de désertion.

Ce serait donc dans l’urgence, après que les autorités arméniennes s’en seraient également prises à sa famille, qu’il aurait fui son pays d’origine pour se rendre en Ukraine, afin de sauver sa vie. Il y aurait vécu pendant seize ans, sans pouvoir retrouver une vie paisible ni même obtenir des documents d’état civil, en raison de la corruption y régnante et des « […] accointances entre les deux anciennes nations soviétiques […] ».

Le demandeur continue, en exposant que malgré la naissance, en 2015, de l’enfant qu’il aurait eue avec sa compagne, il n’aurait jamais pu introduire une demande de protection internationale en Ukraine, étant donné que les autorités ukrainiennes l’auraient inlassablement renvoyé vers les autorités arméniennes, lesquelles n’auraient pas cessé de tenter de l’attraire sur le territoire de l’Arménie.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le demandeur et sa famille n’auraient pas eu d’autre choix que de quitter le pays pour rejoindre le territoire de l’Union européenne. Ce serait ainsi qu’ils seraient venus au Luxembourg, où ils auraient obtenu le statut conféré par la protection temporaire.

Or, dans la mesure où, d’une part, il aurait constaté que ce statut ne l’aurait pas protégé de manière efficace face au danger qu’il encourrait toujours dans son pays d’origine et, d’autre part, il aurait craint de vivre à nouveau de nombreuses années d’errance sans protection effective, telles que celles qu’il aurait passées en Ukraine, il aurait introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 mars 2023, demande à laquelle le ministre aurait cependant refusé de faire droit dans le cadre d’une procédure accélérée.

En droit, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre aurait pris sa décision dans le cadre d’une procédure accélérée, sur base de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, alors que contrairement à l’appréciation ministérielle, les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale seraient bien pertinents au regard des critères d’octroi d’un statut de protection internationale.

En effet, en manifestant ouvertement son opposition au vol et au détournement systématique de matériel militaire par ses supérieures hiérarchiques dans un pays gangrené par la corruption, il se serait exposé à des actes de persécution liés à ses opinions politiques.

A cet égard, le demandeur donne à considérer que la lutte contre la corruption pourrait s’analyser comme l’expression d’une opinion politique, « […] dès lors que des individus tels que le requérant, prenant position contre des système[s] corrompus [seraient] alors persécutés, voir[e] assassinés sans que le système judiciaire du fait de ces disfonctionnements graves ne parvienne à poursuivre les responsables de ces exactions […] », le demandeur se prévalant, dans ce contexte, de l’assassinat, en Ukraine, d’une militante anti-corruption.

Il ajoute qu’il aurait été membre de l’armée, laquelle constituerait un « […] groupe social distinctif au sein de la société arménienne […] », tout en soulignant, d’une part, que « […] la position géographique et stratégique du pays au sein de l’ex-union soviétique ainsi que l’effondrement dudit bloc soviétique [auraient] permi[s] le développement d’un système propre à ce corps, avec une économie mafieuse fondée sur des détournements de denrées alimentaires 5et de matériels militaires […] » et, d’autre part, que dans la mesure où la corruption serait endémique en Arménie, il aurait pu être identifié comme opposant à ce système.

De l’entendement du soussigné, et en substance, le demandeur conclut qu’il aurait subi des actes de persécution en raison tant de son appartenance au groupe social de l’armée que de ses opinions politiques contraires à celles des dirigeants de ce groupe social.

Par ailleurs, le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas pertinents au regard des critères d’octroi d’une protection internationale, au motif que son récit ne serait pas crédible.

A cet égard, il fait valoir qu’il existerait une différence significative entre des faits non crédibles et des faits non pertinents, le demandeur citant, dans ce contexte, des extraits du « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés » du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR »).

Il soutient que la pertinence des faits invoqués par l’administré concerné s’analyserait au regard des critères prévus par la loi du 18 décembre 2015 et par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, tandis que la crédibilité concernerait l’analyse et l’appréciation de la valeur et de la fiabilité de ces mêmes faits.

Ainsi, la crédibilité d’un fait pourrait être remise en question, alors qu’il serait en soi pertinent au regard des conditions requises pour l’octroi du statut de réfugié, le demandeur précisant que la pertinence « […] [aurait trait] à la logique et au caractère approprié de l’évènement que relate[rait] le demandeur avec la législation qui la concerne[rait] […] ».

Après avoir souligné que le ministre aurait statué sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, au motif que son récit ne serait pas crédible, alors que ce serait sur base de ce même récit qu’il se serait auparavant vu accorder la protection temporaire, le demandeur soutient que le ministre, d’un côté, aurait – à tort – remis en cause l’existence d’un lien de filiation entre lui-même et sa fille et, de l’autre côté, se serait prévalu de ce même lien de filiation pour lui reprocher de ne pas avoir demandé une protection internationale en Ukraine.

Dans ce contexte, il insiste sur le fait qu’à l’appui de sa demande de protection temporaire, il aurait versé l’acte de naissance de sa fille afin de prouver sa qualité de membre de famille d’un citoyen ukrainien, qualité en l’absence de laquelle il n’aurait pu se voir accorder le statut conféré par la protection temporaire, dans la mesure où en Ukraine, il n’aurait disposé ni d’un titre de séjour valable ni d’une protection internationale.

Par ailleurs, le demandeur reproche au ministre de « […] s’arc-bouter sur l’absence de « documents, de rapports écrits et d’attestations » pour soutenir son analyse […] ».

Il réfute l’argumentation ministérielle selon laquelle il ne serait pas crédible qu’une fois arrivé à Erevan, il n’aurait plus ressenti le moindre besoin de se cacher, alors qu’il aurait choisi de quitter son pays d’origine de manière officielle à bord d’un avion à direction de l’Ukraine, départ qui se serait déroulé sans le moindre problème.

A cet égard, il soutient qu’à travers l’argumentation en question, le ministre ferait preuve de mauvaise foi.

6Sur ce point, le demandeur se prévaut de ses déclarations actées lors de son audition par un agent ministériel aux termes desquelles « […] Das offizielle Fahdungsschreiben wurde meinen Eltern erst 2 Wochen nach meiner Ausreise vorgezeigt […] » Il en déduit qu’il serait tout à fait cohérent qu’il aurait pu quitter son pays d’origine par voie aérienne, étant donné que l’avis de recherche le concernant n’aurait été établi que deux semaines après son départ.

Ainsi, son récit relatif aux circonstances de sa fuite de son pays d’origine serait cohérent et crédible, le demandeur soulignant que le doute devrait lui profiter.

En réitérant ses développements antérieurs selon lesquels il aurait été identifié comme un opposant au système de corruption régnant au sein de l’armée arménienne, il reproche au ministre de ne pas avoir relevé le « […] simulacre de procédure judiciaire […] », respectivement les atteintes graves à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») dont il aurait fait l’objet dans son pays d’origine.

A cet égard, il donne à considérer qu’il aurait été placé en détention préventive, sans avoir à un quelconque moment « […] fait l’objet d’une notification sur une infraction dont la gravité serait suffisante pour justifier une privation de liberté […] ».

Au lieu de pouvoir bénéficier d’un procès équitable, il aurait, à nouveau, été confronté à la corruption régnant dans son pays d’origine, ce qui prouverait que la procédure judiciaire diligentée à son encontre aurait eu pour seul but de « […] maintenir une pression non seulement psychologique mais également judiciaire, singeant la légalité […] ».

Après avoir insisté sur le fait qu’en Arménie, la corruption serait généralisée au sein de la société et concernerait toutes les couches sociales et en se prévalant d’un article de presse du 21 juin 2021 ayant trait au phénomène de la corruption au sein de l’armée arménienne, le demandeur soutient que le fait qu’il aurait, d’abord, dû quitter son pays d’origine pour se mettre à l’abri des actes de persécution émanant des autorités arméniennes et, ensuite, été contraint de quitter l’Ukraine suite à l’invasion russe expliquerait qu’il n’aurait pas été en mesure de présenter des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de protection internationale.

Sur ce dernier point, le demandeur fait plaider que « […] l’absence de documents dans les circonstance[s] de la fuite d’une zone de guerre, ne [pourrait] valablement être analysé[e] comme un défaut de coopération avec les autorités luxembourgeoises et encore moins constituer la base d’un défaut de crédibilité dans son récit […] ». Ainsi, l’absence de preuves matérielles ne saurait suffire pour justifier le refus du ministre de lui accorder un statut de protection internationale.

En conclusion, le demandeur soutient que le ministre n’aurait pas valablement pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, tout en ajoutant qu’« […] [i]l semle[rait] que le seul avantage qu’[aurait] vu le [m]inistre à utiliser cette procédure réside[rait] dans des délais de recours raccourcis et la limitation de la possibilité de faire appel […] », le demandeur en déduisant que le ministre aurait commis un détournement de pouvoir et aurait porté atteinte à ses droits de la défense.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur fait valoir qu’après avoir dénoncé les actes de corruption et de détournement qu’il aurait constatés au sein de l’armée, il aurait subi de la part de ses supérieurs 7hiérarchiques – qui lui auraient craché au visage, l’auraient menacé de mort et lui auraient fait subir des simulations d’exécution – des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution, le demandeur soutenant, en substance, que ces actes seraient contraires aux articles 2 et 3 de la CEDH.

Par ailleurs, il fait valoir que dans son pays d’origine, il ne pourrait bénéficier d’une protection étatique appropriée, compte tenu de « […] l’accointance entre les hauts gradés de l’armée, la police et les instances judiciaires du fait de la corruption […] », le demandeur insistant sur le fait qu’eu égard au pouvoir dont elles disposeraient au sein de l’Etat arménien, les instances militaires seraient à qualifier d’acteurs de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur conteste encore toute possibilité de fuite interne dans son chef, en soulignant que malgré sa fuite en Ukraine, les autorités de son pays d’origine auraient toujours été à sa recherche, tout en soutenant qu’aucun élément de la cause ne permettrait de retenir qu’il ne risquerait pas de subir à nouveau des atteintes graves en cas de retour en Arménie.

Sur ce dernier point, le demandeur précise que s’agissant de persécutions antérieures, le seul écoulement du temps ne permettrait pas de conclure que la crainte de persécution ne serait pas fondée, mais qu’il serait nécessaire d’examiner le contexte spécifique, examen qui n’aurait cependant pas été effectué par le ministre.

Il ajoute que s’il est certes exact que l’on ne pourrait déduire automatiquement de persécutions antérieures une crainte fondée de persécution actuelle, ces persécutions antérieures créeraient néanmoins une présomption d’une crainte fondée de persécution, qui nécessiterait d’être davantage examinée au regard tant de la situation actuelle dans le pays d’origine que du profil particulier du demandeur de protection internationale.

Or, en l’espèce, le ministre n’aurait pas procédé à cette analyse, mais exigerait de la part du demandeur de rapporter la preuve d’une probabilité de persécutions.

En outre, le demandeur soutient que contrairement à l’argumentation ministérielle, le fait qu’il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale dans les différents pays dans lesquels il aurait séjourné et qu’il aurait attendu plus d’un an avant d’introduire sa demande d’asile au Luxembourg ne serait pas de nature à ébranler la crédibilité de son récit.

En effet, l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 ne prévoirait aucun délai pour l’introduction d’une demande de protection internationale et il découlerait de cette disposition légale qu’un demandeur serait libre d’introduire sa demande quand il se sentirait prêt à le faire, sans que l’administration pourrait en tirer des conclusions quant à la crédibilité de son récit.

En conclusion, le demandeur soutient, en substance, qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié et que la décision ministérielle déférée serait à réformer en ce sens.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur fait plaider, en substance, qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’en Arménie, il aurait été victime d’humiliations et de menaces de mort et qu’il aurait dû quitter le pays de peur d’être exécuté.

Dans ce contexte, le demandeur souligne qu’après un séjour en hôpital psychiatrique, il aurait fait l’objet d’une procédure pénale injustifiée, qui serait toujours pendante dans son pays 8d’origine, de sorte qu’il serait toujours recherché, Monsieur … ajoutant qu’il serait resté traumatisé du fait des actes de persécution dont il aurait été victime et dont il garderait des séquelles tant physiques que psychiques.

Par ailleurs, en renvoyant à un article de presse, il fait valoir que la situation politique dans le Haut-Karabagh rendrait l’Arménie particulièrement instable, avec un risque élevé de basculement dans un « […] grand conflit armé […] ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

S’agissant de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, de l’argumentation du demandeur selon laquelle le recours à la procédure accélérée aurait violé ses droits de la défense, le soussigné retient que ladite argumentation encourt le rejet, étant donné qu’outre le fait, d’une part, que la faculté, pour le ministre, de recourir à cette procédure est expressément prévue par la loi, en l’occurrence l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, et, d’autre part, que le demandeur n’a ni allégué ni a fortiori établi que les dispositions légales en question méconnaîtraient une quelconque norme hiérarchiquement supérieure, une lésion des droits de la défense du demandeur ne se trouve pas vérifiée en l’espèce, Monsieur … ayant, à travers son recours sous examen, pu prendre position de façon détaillée, pièces à l’appui, par rapport aux motifs ayant amené le ministre à rejeter sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et à lui ordonner de quitter le territoire, étant encore précisé que la question de savoir si c’est à juste titre que le ministre a fait usage de la procédure accélérée relève de la légalité interne de la décision déférée, laquelle sera analysée ci-après.

9 A cet égard, s’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un 10des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il y a ensuite lieu de préciser que dans la présente matière, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

Or, l’analyse de la pertinence des faits invoqués, au regard des conditions d’octroi d’une protection internationale rappelées ci-avant, nécessite en premier lieu d’apprécier la valeur des éléments de preuve et de vérifier la crédibilité du récit du demandeur.

A cet égard, le soussigné précise que l’examen de la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si ce dernier a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ou risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi.3 système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 3 Trib. adm., 27 novembre 2006, n° 21556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers n° 148 et les autres références y citées.

11 Il s’ensuit qu’il appartient au soussigné de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit du demandeur, d’autant plus qu’en l’espèce, c’est la crédibilité générale dudit récit qui est mise en doute par la partie étatique, influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont il est saisi.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.4 En l’espèce, le soussigné partage les doutes exprimés par le ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.

A cet égard, le soussigné constate, à titre liminaire, que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur s’est, pour l’essentiel, borné à fournir des développements théoriques d’ordre général, sans prendre position in concreto quant aux multiples incohérences et contradictions qui, selon le ministre, affecteraient son récit et qui sont développées dans la décision déférée de manière détaillée, sur plusieurs pages.

Cette précision étant faite, le soussigné constate, à l’instar du ministre, qu’il n’est pas clair quel serait exactement le problème rencontré par le demandeur avec les autorités de son pays d’origine et en raison duquel il serait recherché par ces dernières, les explications afférentes du demandeur étant incohérentes, voire contradictoires.

En effet, tant lors de son audition par le service de police judiciaire qu’à travers la fiche des motifs de sa demande de protection internationale, il a affirmé être recherché par les autorités arméniennes pour être un déserteur, alors qu’au cours de son audition par un agent ministériel, il a expliqué qu’il serait recherché, non pas pour avoir déserté, mais dans le contexte d’une procédure pénale diligentée à son encontre après qu’il aurait dénoncé des détournements de denrées alimentaires et d’équipements militaires qu’il aurait pu constater au sein de l’armée, le demandeur ayant expliqué, à cet égard, (i) que suite à cette dénonciation, il aurait fait l’objet d’une exécution simulée et de menaces de mort de la part de son supérieur hiérarchique, (ii) qu’il aurait, par la suite, tenté de se suicider et (iii) que le juge d’instruction en charge de son affaire lui aurait reproché de s’être infligé ses blessures afin de discréditer son supérieur hiérarchique.

Par ailleurs, le soussigné retient qu’il n’est manifestement pas cohérent que le demandeur a expliqué, d’une part, que lorsqu’il se serait rendu à pied à Madaris, puis en taxi à Stepanakert, il aurait déjà été recherché par les autorités arméniennes et qu’une fois arrivé à Madaris, il aurait ressenti le besoin de se cacher dans le coffre du taxi au motif que « Es hatte sich bereits rumgesprochen, dass nach mir gesucht wurde » et, d’autre part, qu’une fois arrivé à Erevan, il n’aurait soudainement plus ressenti le moindre besoin de se cacher et aurait pris la décision de quitter son pays d’origine de manière officielle à bord d’un avion à destination de l’Ukraine, départ qui se serait déroulé sans le moindre problème.

4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.

12 Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquels l’avis de recherche le concernant n’aurait été montré à ses parents que deux semaines après son départ et qu’au début, uniquement la police militaire aurait été à sa recherche, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à expliquer pour quelles raisons personne n’aurait été à sa recherche à Erevan, ni, surtout, pourquoi il n’aurait plus ressenti le moindre besoin de se cacher, en prenant même le risque de quitter l’Arménie de manière officielle par voie aérienne, tel que souligné à juste titre par le ministre, étant précisé qu’à ce moment, le demandeur – qui soutient que « Es hatte sich bereits rumgesprochen, dass nach mir gesucht wurde », tel que relevé ci-avant – ne pouvait pas savoir s’il faisait déjà l’objet d’un avis de recherche officiel ou non.

Par ailleurs, et en l’absence de toute prise de position sur ce point par le demandeur, le soussigné partage l’appréciation du ministre selon laquelle il n’est pas cohérent que le chef du commissariat de police militaire aurait fait libérer Monsieur … de sa détention préventive afin de lui permettre de récupérer une somme équivalente à 1.000 dollars, après que le demandeur lui aurait pourtant expliqué ne pas être ne mesure de payer une telle somme. Dans ce contexte, le soussigné constate encore que le demandeur n’a toujours pas expliqué comment il aurait finalement réussi à disposer de cette somme.

De même, le soussigné constate que le demandeur a fourni des explications incohérentes, voire contradictoires, en affirmant, d’un côté, qu’après le paiement, en 2006, de la susdite somme équivalente à 1.000 dollars, il aurait été d’avis qu’aucune procédure pénale n’aurait été ouverte à son encontre, jusqu’à ce qu’il aurait appris le contraire en 2021 à travers un ami travaillant au sein du ministère de la défense de l’Arménie, un dénommé …5, et, de l’autre côté, (i) qu’entre 2006 et 2019, des représentants des autorités arméniennes, affirmant appartenir au ministère public ou à la police militaire, auraient demandé chaque mois à ses parents de leur révéler son lieu de séjour et auraient menacé tant ses parents que son frère de poursuites pénales s’ils ne leur fournissaient pas les informations demandées et (ii) qu’en 2016, il aurait même adressé un courrier au ministre de la défense arménien pour lui demander de le gracier et d’abandonner la procédure diligentée à son encontre.

En outre, le fait que le demandeur n’ait toujours pas versé l’historique de la discussion qu’il aurait eue avec le susdit ami sur un système de messagerie instantanée est de nature à mettre en doute la sincérité des explications afférentes du demandeur.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, et plus particulièrement des multiples incohérences et contradictions relevées ci-avant, au sujet desquelles le demandeur n’a pas fourni d’explication convaincante dans sa requête introductive d’instance, le soussigné retient que la crédibilité du récit de l’intéressé est manifestement ébranlée dans son ensemble.

Au vu des considérations qui précèdent et plus particulièrement du constat selon lequel la crédibilité générale du récit du demandeur est manifestement ébranlée, le soussigné est amené à retenir que Monsieur … n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que les conditions pour l’application de l’article 27 (1) a) de 5 P. 9 du rapport d’entretien du demandeur : « […] Sie haben erwähnt, dass Ihr Strafverfahren eingestellt wurde, nachdem Sie Geld an einen Polizisten zahlten. Erklären Sie.

Ja, so wurde es mir erklärt. Darum wollte ich im Jahr 2021 auch einen Pass beantragen, da ich in der Annahme war, da kein Strafverfahren gegen mich besteht.

Woher wissen Sie, dass jetzt doch ein Strafverfahren gegen Sie vorliegt? Es war dieser eine Freund im Verteidigungsministerium, welcher es mir gesagt hat. Er heißt …. […] ».

13la loi du 18 décembre 2015 sont remplies en l’espèce. Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé.

Cette conclusion n’est manifestement pas énervée l’argumentation du demandeur selon laquelle la situation politique dans le Haut-Karabagh rendrait l’Arménie particulièrement instable, avec un risque élevé de basculement dans un « […] grand conflit armé […] », étant donné, d’une part, que si le demandeur a certes été stationné dans cette région en tant que militaire, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas originaire de ladite région, son domicile familial étant à Armavir et, d’autre part, qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à l’appréciation du soussigné qu’à l’heure actuelle, la situation dans le Haut-Karabagh affecterait le niveau de sécurité en Arménie, d’une manière telle que tout ressortissant arménien courrait un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire de l’Arménie, et notamment à Armavir.

S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la crédibilité générale du récit de Monsieur … est manifestement ébranlée, de sorte qu’il est évident que l’intéressé ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale, sur base de ce même récit.

Dans ces circonstances, le soussigné conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Cette conclusion n’est manifestement pas énervée par la référence, faite par le demandeur dans sa requête introductive d’instance, à la situation politique dans le Haut-Karabagh, et ce pour les mêmes motifs que ceux indiqués ci-avant dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le soussigné relève qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, 14le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 juin 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le soussigné, Daniel Weber, vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49166
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;49166 ?

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