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20/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49169

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2023, 49169


Tribunal administratif N° 49169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49169 Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre des décisions du Conseil de Discipline des fonctionnaires de l’Etat et du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de discipline

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49169 du rôle et déposée le 14 juillet 2023

au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit a...

Tribunal administratif N° 49169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49169 Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre des décisions du Conseil de Discipline des fonctionnaires de l’Etat et du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de discipline

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49169 du rôle et déposée le 14 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, agent des domaines à l’administration des Ponts et Chaussées, demeurant à L-…, tendant à voir ordonner le sursis à exécution 1) d’une décision du Conseil de Discipline des fonctionnaires de l’Etat du 3 mai 2023 ayant prononcé à son égard la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office, 2) d’un arrêté du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 16 mai 2023 ayant entériné la prédite décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries communiquée par le délégué du gouvernement en date du 18 juillet 2023 ;

Vu la note de plaidoiries communiquée par Maître Marc THEISEN en date du 19 juillet 2023, pour son mandant ;

Vu les pièces versées et notamment les décisions déférées ;

Maître Pierre EBERHARD, en remplacement de Maître Marc THEISEN, pour le requérant, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Laurence MOUSEL entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 19 juillet 2023.

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Par décision du 3 mai 2023, le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, dénommé ci-après « le Conseil de discipline », décida de prononcer à l’encontre de Monsieur …, agent des domaines à l’administration des Ponts et Chaussées, la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle, décision étant libellée comme suit :

« Vu l’instruction diligentée à l’encontre d’… par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi par le Ministre de la Mobilité et des Travaux Publics sur base d'un courrier du 20 janvier 2023, en application de l’article 56, 1paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat (ci-après le statut général) et transmise pour attribution au Conseil de discipline, ci-

après le Conseil, par courrier du 28 février 2023.

Vu le rapport d’instruction du 10 février 2023.

A l'audience publique du Conseil du mercredi 19 avril 2023, après rapport oral de son président conformément à l'article 65, alinéa 2 du statut général, … a été entendu en ses explications et moyens de défense et le délégué du Gouvernement en ses conclusions.

Il est reproché à … :

« Faits de la nuit du jeudi, 10 novembre 2022 au vendredi, 11 novembre 2022 D'avoir été absent du travail sans autorisation.

En vertu du plan de travail en cours de validité en ce moment, l'agent des domaines Monsieur … aurait dû assurer - ensemble avec l'agent des domaines Monsieur … - le poste de nuit de la permanence autoroute au centre d'intervention et d'entretien des autoroutes à Bertrange et ceci de 22.00 heures du soir à 6.00 heures du lendemain.

Or, abstraction faite d'une information qui circulait le 10 novembre vers 23.30 heures sur le site de Bertrange et aux termes de laquelle l'agent des domaines Monsieur … serait en retard, Monsieur … ne s'est pas présenté à son poste et son service était sans nouvelles fiables de sa part. De même, il n'avait pas non plus sollicité un quelconque congé. Lorsque son supérieur hiérarchique lui a demandé lors d'une entrevue en date du 16 novembre 2022 à 15.00 heures d'expliquer son comportement, Monsieur … a tout juste affirmé qu'il ne s'était pas rendu au travail pendant la nuit du 10 au 11 novembre 2022 et qu'il n'avait pas non plus informé un supérieur ou le collègue de travail Monsieur … qui assurait le poste de nuit avec lui.

Le comportement de l'agent des domaines Monsieur … est susceptible de constituer une infraction au paragraphe 1er de l'article 12 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat qui disposent que « Le fonctionnaire ne peut s'absenter de son service sans autorisation ». » … est en aveu de ce fait et explique son absence du travail par des problèmes conjugaux et affirme avoir voulu prendre une journée de congé après coup, ce qui lui a cependant été refusé par sa hiérarchie. … admet encore, qu'après avoir informé son collègue de travail de son retard, qu'il n'a plus recontacté celui-ci pour l'informer de son absence de son lieu de travail et qu'il n'a pas pris la peine d'informer le lendemain de son absence son chef hiérarchique. Il déclare qu'il a simplement repris son travail la nuit suivante en faisant une demande de congé rétroactive.

Appréciation Le commissaire estime que le concerné a manqué à ses devoirs statutaires et plus précisément d'avoir contrevenu à l'article 12 du statut général relatif au devoir de présence.

… ne conteste pas la matérialité des faits et appelle à la clémence du Conseil de discipline.

2 Le concerné regrette les faits et promet de s’amender.

Malgré son antécédent disciplinaire de l'année 2022, … ne trouve le nouveau reproche pas assez grave pour se voir citer à nouveau devant le Conseil.

À l'audience du Conseil du 19 avril 2023, le délégué du Gouvernement a considéré que le reproche libellé à l'encontre d'… est établi à suffisance par les preuves objectives dégagées par l'instruction disciplinaire ainsi que par les aveux du concerné. Il estime, au vu de la gravité du fait établi à charge d'… et de ses antécédents disciplinaires, ayant eu comme conséquence une perte irrémédiable de confiance, que celui-ci mérite comme sanction la mise à la retraite d'office, sinon, au moins une exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération.

Le Conseil considère, à l'instar des développements afférents du commissaire et de la prise de position du délégué du Gouvernement à l'audience, que la matérialité des reproches est établie à suffisance par les éléments de preuve dégagés par l'instruction disciplinaire et les aveux du concerné.

… doit dès lors être considéré comme ayant manqué à ses obligations résultant de l'article 12 du Statut relatif au devoir de présence.

Aux termes de l'article 53 du Statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.

Le Conseil se doit de relever que le comportement inacceptable d'…, qui, de par sa fonction de chef d'équipe, est notamment appelé à veiller à ce que les autres agents placés sous ses ordres accomplissent les devoirs qui leur incombent, donne un mauvais exemple aux ouvriers de voirie.

Il faut constater que le fait établi à charge d'… pris isolément ne constitue pas une gravité telle à entraîner une des sanctions disciplinaires les plus sévères. Le Conseil estime cependant qu'au vu des prises de position d'… à l'audience ne laissant pas entrevoir un revirement dans son chef, son attitude démotivée, ses antécédents disciplinaires de juin 2022, tout en ne tenant sa nomination définitive qu'à partir du 1er mai 2020 et l'absence de prise de conscience de son comportement inacceptable constituent autant d'éléments objectifs de nature à attester de son incapacité professionnelle qui lui fait perdre toute confiance nécessaire dans la continuation de la relation de travail qui est irrémédiablement compromise.

… a une ancienneté de service de quatre ans seulement, entrée en service le 1er avril 2019 avec une nomination au 1er mai 2020, et il a déjà un antécédent disciplinaire à sa charge, et plus précisément, par décision du Conseil de discipline du 8 juin 2022, il s'est vu infliger la sanction disciplinaire du retard dans la promotion pour la durée d'une année ainsi que la sanction disciplinaire d'une amende correspondant à une mensualité brute du traitement de base.

Compte tenu des développements qui précèdent, le Conseil estime en l'espèce que le fait grave établi dans son chef, un comportement intolérable de la part d'un fonctionnaire, ne 3peut être sanctionné que par sa mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle prévue à l'article 47, point 9, du Statut. (…) ».

Par arrêté du 16 mai 2023 du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après « le ministre », la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office fut entérinée, ledit arrêté étant libellé comme suit :

« Vu la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat et notamment ses articles 48, 51, 52, 54, 58 et 70;

Considérant que Monsieur …, agent des domaines à l'Administration des ponts et chaussées, a fait l'objet d'une instruction disciplinaire conformément à l'article 56 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat;

Vu le dossier relatif à l’instruction disciplinaire établi en date du 10 février 2023 par Monsieur le Commissaire du Gouvernement adjoint chargé de l’instruction disciplinaire;

Vu la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’État du 3 mai 2023;

Arrête :

Art. 1er. La sanction disciplinaire de la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle est appliquée à l'encontre de Monsieur … (NMN. …), agent des domaines à l’Administration des ponts et chaussées.

Art. 2. Monsieur … est suspendu de plein droit de l'exercice de ses fonctions, depuis le 3 mai 2023, date de la décision du Conseil de discipline, et jusqu'à la date de la prise d'effet du présent arrêté.

Art. 3. Le présent arrêté est expédié à l’intéressé, copie en sera transmise à Monsieur le Commissaire du Gouvernement adjoint chargé de l’instruction disciplinaire, à Monsieur le Directeur de l’Administration des ponts et chaussée et au Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’État. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2023, inscrite sous le numéro 49168 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la susdite décision du Conseil de discipline du 3 mai 2023 et l’arrêté ministériel précité du 16 mai 2023, et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 49169 du rôle, il sollicite le sursis à exécution par rapport à ces deux décisions, le dispositif de cette requête étant libellé comme suit :

« (…) dire qu’en attendant l’examen du fond du litige par le tribunal administratif, il sera sursis à l’exécution par rapport à aux décisions attaquées, à savoir la décision du Conseil de discipline des Fonctionnaires de l’Etat du 3 mai 2023, enregistré sous le numéro 984/2023 - décision N° 15/2023 et de l’arrêté ministériel du 16 mai 2023 (…) ».

Le requérant expose d’abord les rétroactes de la présente affaire, puis se prévaut de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », en citant les conditions légales 4requises pour l’obtention d’un sursis à exécution, et en particulier qu’en l’espèce une affaire au fond aurait été introduite le 14 juillet 2023, donnant ainsi compétence au provisoire au président du tribunal administratif de connaître de la présente mesure provisoire sollicitée, que ladite affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance et que la jurisprudence retiendrait plus particulièrement que la mesure de suspension ne serait pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais serait justifiée à la fois par les motifs relevant de l’intérêt du service et des motifs de protection du fonctionnaire lui-

même, appelé de la sorte à pouvoir exposer son point de vue et à préparer sa défense avec toute la sérénité requise.

Le requérant se réfère ensuite à une ordonnance du président du tribunal administratif rendue le 8 février 2023, inscrite sous le numéro 48470 du rôle, pour rappeler le rôle du juge du provisoire dans l’examen sommaire du mérite des moyens présentés à l’appui d’une mesure de sursis à exécution.

Le requérant relève ensuite être entré en service le 1er avril 2019, sa nomination définitive datant du 1er mai 2020 et qu’il aurait malheureusement déjà un antécédent disciplinaire à son actif, à savoir une décision du Conseil de discipline du 8 juin 2022 où il se serait vu infliger une amende d’une mensualité brute du traitement de base, ainsi qu’un retard dans la promotion pour la durée d’une année, tout en constatant qu’il aurait dès lors été sanctionné disciplinairement pour les faits lui reprochés.

Il constate en outre que le fait lui reproché dans la décision déférée du Conseil de discipline du 3 mai 2023, à savoir une absence injustifiée, n’aurait pas été médiatisé et il n’aurait pas non plus fait l’objet d’un débat sur le forum public d’une quelconque manière. Il soutient encore que le fait lui reproché n’avait aucune incidence sur le service public.

Le requérant donne à considérer que même s’il aurait, dans un premier temps, informé son collègue de travail de son retard, il se serait finalement abstenu de se présenter à son lieu de travail, ce qu’il regretterait profondément et sincèrement. Il fait tout de même valoir qu’il s’agirait d’un fait unique, une absence injustifiée, pour avoir omis de solliciter une journée de congé, en précisant que les demandes de congé seraient souvent faites après la prise du congé et ne seraient souvent validées par le préposé qu’après plusieurs jours, voire même parfois quatre semaines plus tard, ceci n’ayant d’ailleurs jamais perturbé le service. Dans ce même contexte, le requérant se prévaut du rapport d’instruction du commissaire du gouvernement adjoint dans lequel ce dernier aurait retenu qu’il aurait eu l’honnêteté de ne pas se porter malade, qu’il aurait, dès le lendemain, essayé de régulariser son absence en sollicitant un congé de récréation et que son manquement constituerait un fait unique.

Il reproche ensuite au Conseil de discipline d’avoir retenu que le fait à sa charge pris isolément ne serait pas d’une gravité telle à entraîner une des sanctions disciplinaires les plus sévères, mais que son attitude à l’audience du Conseil de discipline, ses antécédents disciplinaires de juin 2022 et sa nomination définitive à partir du 1er mai 2020, constitueraient autant d’éléments de nature à attester de son incapacité professionnelle faisant perdre toute confiance nécessaire à une continuation de la relation de travail, cette confiance étant irrémédiablement compromise. Le requérant critique particulièrement le fait que le Conseil de discipline aurait prononcé une des sanctions les plus sévères au motif qu’il aurait un antécédent disciplinaire et qu’il ne se serait pas suffisamment excusé, de sorte que, selon lui, la motivation de la décision déférée du Conseil de discipline serait sommaire, respectivement qu’il y aurait une contradiction dans cette dernière, alors qu’il ne saurait comment il aurait pu regretter les 5faits plus profondément et s’amender, d’autant plus qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier administratif qu’il aurait eu une « attitude démotivée », telle que cela ressortirait de la décision déférée du Conseil de discipline. Il fait encore plaider, à cet égard, que le préposé du Centre d’intervention et d’entretien des autoroutes aurait proposé de lui voir appliquer la sanction de la rétrogradation dans son courrier du 8 décembre 2022.

Le requérant fait encore relever que si le Conseil de discipline a certes ordonné sa mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle, elle aurait fait abstraction des éléments à sa décharge, étant relevé qu’aucun de ses supérieurs hiérarchiques ou collègues de travail n’auraient été auditionnés quant à la qualité de son travail, alors qu’il résulterait tant de la fiche d’évaluation du 1er semestre 2019 que de celle du 2e semestre 2019 que pendant sa période de stage, Monsieur … aurait exécuté un travail sérieux et irréprochable. Il se réfère également à des attestations testimoniales en sa faveur établies par ses collègues de travail.

Il considère que le Conseil de discipline se serait uniquement basé sur son antécédent disciplinaire pour lui infliger la mise à la retraite d’office, donc la perte de son emploi à l’âge de 28 ans.

Monsieur … fait encore plaider qu’il aurait déjà fait l’objet de sanctions par son administration pour le fait unique de la nuit du 10 novembre au 11 novembre 2022, à savoir la perte temporaire du travail posté constituant des suppléments de traitement de plus ou moins 1.700 euros et le retrait d’un trentième d’un traitement mensuel, avant l’intervention de la décision du Conseil de discipline prononçant à son encontre la sanction de la mise à la retraite d’office.

Au vu de tous ces éléments militants en sa faveur, le requérant en conclut que la sanction prononcée ne serait pas proportionnelle par rapport à la nature du fait, en l’espèce une absence injustifiée, étant précisé que la nature des faits à la base de son antécédent disciplinaire aurait été plus grave, mais proportionnellement sanctionnées, ce qui ne serait désormais pas le cas. Il en conclut que les décisions déférées seraient à réformer, sinon à annuler par les juges du fond, alors qu’il y aurait un doute très sérieux quant au caractère proportionnel de la sanction prise.

Monsieur … fait ensuite plaider que les décisions déférées risqueraient de lui causer un préjudice grave et définitif, alors que la perte de sa rémunération influerait de manière conséquente sur ses conditions d’existence, de sorte que le préjudice résultant de cette décision serait à considérer comme grave.

Il se réfère quant à la notion de préjudice grave et définitif à une ordonnance rendue par le premier vice-président du tribunal administratif le 28 avril 2014, inscrite sous le numéro 34369 du rôle, ainsi qu’à une ordonnance du président du tribunal administratif rendue le 28 mai 2001, inscrite sous le numéro 13446 du rôle.

Le requérant fait valoir que le préjudice devrait découler directement de l’acte incriminé et que tout préjudice grave et définitif ne serait pas forcément pécunier et que tout préjudice pécunier ne serait pas forcément grave et définitif, tout en précisant qu’un préjudice pécunier évoluerait en préjudice grave et définitif lorsque le succès de la demande au fond ne permettrait pas ou difficilement un rétablissement de la situation antérieure, en se prévalant des ordonnances précitées des 28 avril 2014 et 8 février 2023.

6Il expose qu’il rembourserait deux prêts immobiliers d’un total de 750.000 euros, correspondant à des mensualités de 2.181,25 euros. S’il disposerait d’un salaire mensuel net d’environ 3.900,- euros, sa mise à la retraite d’office entraînerait une perte totale de son traitement, ce qui aurait pour conséquence qu’il ne serait plus en mesure de faire face à ses dépenses mensuelles et qu’il n’aurait pas d’autres revenus. Le requérant qualifie son préjudice d’irrémédiable, voire de difficilement réparable en cas de refus de lui accorder la mesure provisoire sollicitée, alors qu’il se retrouverait dans une situation définitive à laquelle un jugement au fond prononçant la réformation de la décision déférée du Conseil de discipline ne serait plus en mesure de remédier.

A cet égard, le requérant fait encore relever qu’en cas de défaut de suspension, il risquerait de perdre sa maison et de devoir mettre en vente son immeuble, tout en expliquant que le marché immobilier actuel serait tel qu’il risquerait de devoir vendre sa maison, le cas échéant par une vente aux enchères, le prix des immeubles étant en baisse.

S’il rechercherait à diminuer son dommage pécunier en ayant introduit une demande de chômage - pour laquelle il qualifie toutefois ses chances de succès comme « minimes », voire « nulles » -, il n’en resterait pas moins que le risque de préjudice grave et définitif dans son chef paraîtrait donné.

Le délégué du gouvernement estime que les conditions légalement prévues pour ordonner un sursis à exécution ne seraient pas remplies en l’espèce en contestant tant l’existence d’un préjudice grave et définitif que le sérieux des moyens invoqués.

Il conteste en substance le caractère sérieux des moyens du requérant et il considère que la décision du Conseil de discipline ne serait pas disproportionnée.

Le délégué du gouvernement estime devoir remettre la décision déférée du Conseil de discipline du 3 mai 2023 dans son contexte en rappelant le parcours professionnel de Monsieur … entré en service le 1er avril 2019 et définitivement nommé le 1er mai 2020, ainsi que la décision du Conseil de discipline du 8 juin 2022 ayant prononcé à son encontre les sanctions disciplinaires du retard dans la promotion pour une durée d’une année et une amende d’une mensualité brute du traitement de base pour avoir pris son poste de travail sous l’influence d’alcool et d’avoir incité un subordonné à quitter le périmètre de travail pour acquérir et consommer de la bière pendant les heures de travail, faits revêtant une certaine gravité ayant été sanctionnés en conséquence.

Quant à la saisie du commissaire du gouvernement en date du 20 janvier 2023 pour le fait actuellement déféré, le délégué du gouvernement fait préciser que sa première affaire disciplinaire aurait une incidence dans le choix de la sanction disciplinaire conformément à l’article 53 du statut général des fonctionnaires de l’Etat. S’il s’agit, en l’espèce, d’un fait unique, il y a lieu de constater que le raisonnement adopté par le Conseil de discipline aurait été motivé de manière précise en décidant que la sanction de la mise à la retraite d’office serait la sanction appropriée en ce qu’il s’agirait de la deuxième affaire disciplinaire de Monsieur … endéans un an, qu’il jouirait d’une ancienneté de service qui serait à qualifier de « courte », que le Conseil de discipline aurait relevé une attitude de Monsieur … qui n’aurait pas laissé entrevoir un revirement dans son chef et que le requérant n’aurait pas fait preuve d’une prise de conscience de son comportement inacceptable.

7A cet égard, le délégué du gouvernement conteste l’affirmation du requérant selon laquelle le Conseil de discipline aurait pris en compte que Monsieur … ne se serait pas suffisamment excusé.

Il met encore en exergue que dans le cadre de sa première affaire disciplinaire, le mandataire de Monsieur … aurait plaidé pour qu’une « deuxième chance » lui soit accordée, laquelle n’aurait toutefois pas été saisie par ce dernier, alors qu’il n’aurait pas saisi l’occasion pour montrer qu’il aurait appris de ses erreurs, même s’il aurait affirmé dans ladite affaire disciplinaire qu’il se serait agi pour lui d’une leçon pour la vie et qu’il aurait été angoissé par la crainte de perdre son travail. Au vu du fait que Monsieur … aurait commis une nouvelle faute disciplinaire après un an, le délégué du gouvernement partage l’avis du Conseil de discipline que toute confiance nécessaire dans la continuation de la relation de travail serait irrémédiablement compromise, de sorte que seule la sanction de la mise à la retraite d’office aurait été envisageable.

Concernant l’affirmation de Monsieur … selon laquelle il serait de coutume de solliciter les demandes de congé après la prise de congé, le délégué du gouvernement donne à considérer qu’elle resterait à l’état de pure allégation et même si elle correspondrait à la réalité, cette pratique serait contraire à la législation en vigueur.

Le délégué du gouvernement considère ensuite que la proposition de sanction du préposé du Centre d’intervention et d’entretien des autoroutes ne lierait pas le Conseil de discipline qui serait chargé de procéder à une instruction objective du dossier soumis, tout en relevant que la sanction de la rétrogradation serait, dans tous les cas, inapplicable au cas du requérant, se trouvant dans le premier grade de sa carrière.

Enfin, il conteste l’affirmation du requérant selon laquelle l’instruction du Conseil de discipline n’aurait été instruite qu’à charge, alors que si le commissaire du gouvernement adjoint n’aurait pas sollicité des attestations testimoniales des collègues de travail de Monsieur …, ce serait en raison du fait qu’il aurait estimé avoir assez d’éléments à sa disposition pour prendre une décision, notamment au vu de l’aveu de Monsieur …, étant encore à relever que le requérant n’aurait pas non plus sollicité une mesure d’instruction complémentaire. Le délégué du gouvernement conteste ensuite la pertinence des attestations testimoniales et des fiches d’évaluations de Monsieur … alors qu’ils ne seraient pas en lien avec les faits litigieux.

Au vu de tous ces éléments, le délégué du gouvernement estime que le moyen soulevé par Monsieur … ne paraîtrait pas suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire en attendant la solution du litige au fond.

En ce qui concerne le risque de préjudice grave et définitif encouru par le requérant, la partie étatique, outre d’estimer qu’un tel risque n’aurait pas été concrètement établi à suffisance par le requérant, relève encore que Monsieur … serait demeuré dans une attitude essentiellement passive, sans avoir entrepris la moindre démarche afin de remédier à ses éventuels problèmes financiers, par exemple en s’inscrivant au chômage ou en recherchant un autre emploi.

Elle donne finalement à considérer que même en cas de défaut de lui accorder un sursis à exécution, le requérant serait postérieurement replacé dans sa situation initiale où toutes les conséquences tenant à l’exécution des décisions déférées seraient effacées.

8En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 14 juillet 2023 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999 précitée, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par le requérant à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire :

en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1, dans le sens que l’on peut pressentir une possible, voire probable annulation ou réformation.

Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.

Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »2. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie3 :

l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui 1 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 640, et les autres références y citées.

2 Trésor de la langue française.

3 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».

9révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration4.

Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie.

Il convient ensuite de rappeler que la juridiction administrative saisie au fond d’une décision frappant le fonctionnaire d’une sanction disciplinaire est compétente en tant que juge de la réformation. Or, selon la jurisprudence, le recours en réformation est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés5.

Il ne convient dès lors pas seulement de vérifier une éventuelle disproportion - ou au contraire une éventuelle adéquation - de la sanction telle que décidée par le Conseil de discipline, mais il appartient à la soussignée en quelque sorte de pressentir, de manière sommaire, la future position des juges du fond, compte tenu non seulement des éléments discutés et appréciés par le Conseil de discipline, mais également d’éventuels nouveaux éléments.

En l’espèce, il est constant en cause, pour résulter de la décision du Conseil de discipline du 3 mai 2023 que Monsieur … est en aveu d’avoir été absent du travail sans autorisation dans la nuit du 10 novembre au 11 novembre 2022.

4 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.

5 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 12.

10Il ne paraît guère contestable que Monsieur …, en omettant de se présenter à son poste de travail dans la nuit du 10 novembre au 11 novembre 2022, a manqué à ses obligations lui incombant en tant que fonctionnaire de l’Etat, de sorte à avoir manqué a priori à son obligation de présence découlant de l’article 12 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, désignée ci-après par « le statut général », de nature à justifier une sanction disciplinaire, ladite disposition prévoyant en effet que « Le fonctionnaire ne peut s’absenter de son service sans autorisation. (…) ».

Il est ensuite rappelé qu’aux termes de l’article 53 du statut général, « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. (…) ».

Il s’ensuit que le choix de la peine disciplinaire à prononcer dépend, entre autres, tant de la gravité de la faute commise, que des critères personnels à l’agent, comme son grade, la nature de son emploi et ses antécédents. Il a encore été jugé que dans le cadre du recours en réformation exercé contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le fonctionnaire en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du fonctionnaire6, le tribunal étant susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la décision déférée, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire7. En effet, l’ancienneté de service8 et le passé disciplinaire constituent des éléments à prendre en considération en vue de la détermination de la peine disciplinaire à prononcer, ainsi il a été retenu que s’il est vrai que l’on ne saurait, à l’occasion de faits nouveaux, être itérativement sanctionné pour des faits antérieurs, le passé disciplinaire peut cependant être pris en considération pour évaluer l’attitude globale d’un agent à l’égard de son travail. Une multitude d’infractions disciplinaires peut témoigner d’une attitude inadmissible d’un agent à l’égard de son travail et justifier, en cas de nouvelle infraction disciplinaire, une sanction plus grave, alors même que prise isolément, l’infraction nouvelle ne revêt pas un caractère de gravité caractérisée, dès lors qu’elle implique dans le chef de l’administration dont l’agent relève une perte de confiance définitive dans ses capacités professionnelles ou sa qualification morale9.

Il est encore constant en cause que Monsieur … a fait l’objet d’une décision du Conseil de discipline le 8 juin 2022 laquelle a prononcé à son égard deux sanctions disciplinaires, une amende d’une mensualité brute du traitement de base, ainsi qu’un retard dans la promotion pour la durée d’une année pour avoir pris son poste de travail sous l’influence d’alcool et d’avoir incité un subordonné à quitter le périmètre de travail pour acquérir et consommer de la bière pendant les heures de travail, alors qu’il est entré en service le 1er avril 2019 et a été nommé définitivement le 1er mai 2020, de sorte qu’il convient de retenir que l’intéressé a un passé disciplinaire et ne peut se prévaloir que d’une courte ancienneté de service.

6 Trib. adm., 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 384, et autres références y citées.

7 Trib. adm., 20 décembre 2016, n° 37469 et 37471 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 384.

8 Cour adm., 3 juillet 2008, n° 23915C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 388, et autres références y citées.

9 Cour adm., 11 janvier 2011, n° 27231C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 389, et autres références y citées.

11En effet, la soussignée relève que si la gravité des faits à la base de l’antécédent de Monsieur … est incontestable, il n’en demeure pas moins que le fait lui reproché, en l’espèce, est une absence d’une seule nuit à son poste de travail non autorisée, laquelle a été sanctionnée par la sanction de la mise à la retraite d’office par le Conseil de discipline.

Si la partie étatique entend expliquer la gravité de la sanction prononcée par le récent antécédent disciplinaire du requérant, par sa courte ancienneté et par son attitude à l’audience du Conseil de discipline, il n’en demeure pas moins qu’il ne paraît à première vue pas que l’absence non excusée du requérant serait de nature à constituer une incapacité professionnelle ayant irrémédiablement compromise toute confiance dans le chef de ce dernier, nécessaire à une continuation de la relation de travail. D’ailleurs, le préposé du Centre d’intervention et d’entretien des autoroutes, supérieur hiérarchique du requérant, s’il a voulu faire sanctionner Monsieur … pour son comportement n’a pas préconisé la fin de sa relation de travail avec lui, voire son déplacement, mais il a proposé dans le cadre de son courrier du 8 décembre 2022, qu’il lui soit infligé la sanction de la rétrogradation.

Ainsi, la soussignée retient dès lors au provisoire, au terme d’une analyse nécessairement sommaire, que si le requérant a commis une nouvelle faute disciplinaire peu après s’être vue infliger une sanction disciplinaire en date du 8 juin 2022, la gravité subjective du fait unique actuellement déféré est susceptible de faire l’objet d’une appréciation différente au regard de l’article 53 du statut général, dans le sens de l’application par les juges du fond d’une sanction moindre.

En effet, le Conseil de discipline, sur l’échelle afférente prévue par la loi à travers les dispositions de l’article 47 du statut général prévoyant 10 sanctions graduées, allant du simple avertissement à la sanction ultime de la révocation, a retenu la pénultième sanction, dont la conséquence principale, à savoir la privation de revenus jusqu’à ce que les juges du fond aient tranché le litige, est théoriquement admise par la jurisprudence constante comme entraînant ipso facto des conséquences irrémédiables10 - l’analyse in concreto de cette question étant effectuée ci-après - alors que les faits commis par l’intéressé et leur incidence sur le service public auraient probablement été tout aussi adéquatement sanctionnés par l’exclusion temporaire des fonctions, sanction lourde, mais dépourvue de conséquences excessivement irrémédiables pour le fonctionnaire touché.

Il est dès lors probable que les juges du fond, au vu de la gravité subjective du fait actuellement déféré dans le chef de Monsieur … décident, par réformation de la décision du Conseil de discipline, d’appliquer à Monsieur … une sanction inférieure, mais néanmoins adaptée et proportionnée à la gravité des faits lui reprochés.

En ce qui concerne ensuite la condition du préjudice grave et définitif, il convient de rappeler que l’existence du préjudice allégué, sa gravité et son caractère difficilement réparable doivent s’apprécier au cas par cas, sur le vu de l’exposé du demandeur d’une mesure provisoire, ensemble les pièces justificatives produites par celui-ci11.

Si un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, compensable par l’allocation de dommages et intérêts, il en est différemment lorsque le requérant établit l’existence d’une circonstance 10 Trib. adm. (prés.) 13 février 2017, n° 39072 11 Trib. adm. (prés.) 16 mai 2012, n° 30478, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 671.

12particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable, étant souligné toutefois qu’il incombe au requérant de démontrer concrètement non seulement l’envergure de la dépense, mais aussi les répercussions graves risquant de le placer dans une situation financière intenable, le contribuable plus précisément étant appelé à préciser sa propre situation financière que ce soit en actifs ou en passif et à procéder à une mise en perspective de ses dettes fiscales par rapport à sa situation patrimoniale12, tandis que la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience13.

A titre liminaire, la soussignée entend tout d’abord écarter des débats la déclaration sur l’honneur signée par le requérant lui-même et versée en cause, alors que cette pièce, constituant une affirmation unilatérale d’une partie à l’instance, n’est pas de nature à étayer sa situation financière, faute d’émaner d’une institution financière.

Ensuite, en l’espèce, tel qu’exposé ci-avant, le requérant fait essentiellement état, de manière documentée, notamment par l’établissement de sa situation débitrice, comportant un double prêt immobilier d’un total de 684.496,32.- euros imposant des mensualités de plus de 2.180.- euros, de la perte immédiate et intégrale de sa rémunération et des conséquences définitives, tant directes qu’indirectes, de celle-ci, notamment sur son patrimoine immobilier ainsi que, prévisiblement, sur son mode de vie qui sera gravement mis en péril, sans que l’allocation ultérieure de dommages et intérêts, voire du remboursement rétroactif de la rémunération retenue, ne soit de nature à apporter une réparation entière et adéquate à cette situation.

Il ressort des documents versés en cause que le requérant semble avoir un co-débiteur pour l’un des deux prêts hypothécaires à sa charge, de sorte que la moitié des mensualités est susceptible d’être considérée comme étant à sa charge, soit un montant de 1.150.- euros.

Il y a en outre lieu de relever que d’après les documents versés en cause le requérant, en cherchant à limiter son préjudice, recherche déjà activement du travail et s’est inscrit au chômage, bien qu’il estime que ses chances de succès sont minces.

Il n’en demeure pas moins que l’exécution immédiate des décisions déférées, telle qu’actuellement en vigueur, emportant la perte immédiate de sa rémunération totale, est indéniablement de nature à exposer le requérant à un risque de préjudice irrémédiable, sinon à tout le moins difficilement réparable.

Compte tenu de toutes ces circonstances d’espèce, le risque d’un préjudice grave et définitif paraît dès lors donné.

La dernière condition légale pour justifier la mesure provisoire sollicitée est donc également vérifiée, de sorte qu’il suit des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de faire droit à la mesure provisoire sollicitée en ce qui concerne la décision du Conseil de discipline 12 Voir trib. adm. (prés.) 18 novembre 2022, n° 48148.

13 Trib. adm. (prés.) 5 mars 2021, n° 45711.

13du 3 mai 2023, et, a fortiori, de l’arrêté grand-ducal 16 mai 2023, considéré par la jurisprudence établie14 comme une décision d’application de la sanction disciplinaire relevant d’une compétence liée, puisque selon l’article 52, premier alinéa, du statut général « L’autorité de nomination est tenue d’appliquer la sanction disciplinaire conformément à la décision du Conseil de discipline visée à l’article 70 », l’article 70, pour sa part, précisant que « 1. La décision du Conseil de discipline est motivée et arrêtée par écrit. Elle est incessamment communiquée au ministre du ressort dont relève le fonctionnaire inculpé qui fait procéder à son application conformément à l’article 52, alinéa 1er. 2. Le fonctionnaire en est informé conformément aux modalités prévues à l’article 58 ci-dessus. ».

Par ces motifs, la soussignée, juge du tribunal administratif, statuant en remplacement du président du tribunal administratif, légitimement empêché, contradictoirement et en audience publique extraordinaire, reçoit la requête en institution d’une mesure provisoire en la forme ;

au fond, la déclare justifiée ;

partant ordonne le sursis à exécution de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 3 mai 2023 ayant prononcé à l’égard de Monsieur … la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office, ainsi que corrélativement de l’arrêté grand-ducal du 16 mai 2023 portant exécution la prédite décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro 49168 du rôle ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 par Emilie DA CRUZ DE SOUSA, juge du tribunal administratif, en présence du greffier Marc WARKEN.

s.Marc WARKEN s.Emilie DA CRUZ DE SOUSA Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 14 Trib. adm. 11 juillet 2007, n° 21635, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 333.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49169
Date de la décision : 20/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-20;49169 ?

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