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20/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49162

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2023, 49162


Tribunal administratif N° 49162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 49162 Inscrit le 13 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité Intérieure en matière de stage

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49162 du rôle et déposée le 13 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeura...

Tribunal administratif N° 49162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 49162 Inscrit le 13 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité Intérieure en matière de stage

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49162 du rôle et déposée le 13 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à voir ordonner le sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de la Sécurité Intérieure du 26 avril 2023 portant retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation sinon en réformation ayant été déposé au fond le même jour, inscrit sous le numéro 49161 du rôle, dirigé contre la même décision ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries communiquée par le délégué du gouvernement en date du 18 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;

Entendus Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 19 juillet 2023.

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Par arrêté ministériel du 29 avril 2021, Monsieur … fut admis au stage du groupe de traitement B1 du cadre policier de la Police Grand-ducale avec effet au 1er mai 2021.

Par courrier du 31 mars 2023, le directeur général de la Police grand-ducale s’adressa au ministre de la Sécurité Intérieure, désigné ci-après par « le ministre », pour le prier de procéder au retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier de Monsieur … en application de l’article 65 de la loi modifiée du 18 juillet 2028 sur la Police Grand-Ducale et l’article 2, paragraphe 3, alinéa 5 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, désignée ci-après par « la loi du 16 avril 1979 », au motif que ce dernier aurait échoué à l’appréciation des compétences comportementales. Le directeur général de la Police grand-ducale se référa à « l’évaluation sous référence 2023/10911/256/AW du 29 mars 2023 du supérieur hiérarchique, Commissaire …, validé par le Directeur Central des Ressources et Compétences ».

Par courrier recommandé avec avis de réception, du 7 avril 2023, le ministre informa Monsieur … de son intention de lui retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier et l’invita à lui faire parvenir ses observations.

Par courrier du 14 avril 2023, Monsieur … s’adressa au ministre pour lui communiquer ses observations par rapport à la décision envisagée et demander une entrevue personnelle qui se déroula ensuite en date du 21 avril 2023.

Par décision du 26 avril 2023, le ministre retira le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier à Monsieur …, avec effet au 1er mai 2023, suite à l'obtention d'un niveau de performance 1, qui équivaut à un échec, dans le cadre de l'appréciation de ses compétences comportementales. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vu la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;

Vu l'article 65, point 4 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale ;

Vu l'arrêté ministériel du 29 avril 2021 portant admission au stage de Monsieur … dans le groupe de traitement B1 du cadre policier de la Police grand-ducale avec effet au 1er mai 2021 ;

Vu l'avis du 31 mars 2023 du Directeur général de la Police de retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier à Monsieur … en raison de l'échec à l'appréciation des compétences comportementales ;

Considérant que dans le cadre de l'entretien d'appréciation des compétences comportementales de Monsieur …, il a notamment été retenu qu'il ne répondait pas aux exigences requises pour pouvoir exercer le métier de policier ;

Qu'il ressort ainsi de cet entretien qu'à différents moments de son stage, Monsieur … n'était pas en mesure de se comporter de façon professionnelle et respectueuse envers ses collègues et envers les citoyens ;

Que s'y ajoute qu'il ne semblait pas être en mesure de travailler indépendamment et qu'il avait fait preuve d'un manque d'initiatives ;

Que finalement, il éprouvait des difficultés à reconnaître ses fautes et à prendre ses responsabilités ;

Que l'image que Monsieur … reflétait laisse ainsi des doutes quant â son identification à la Police grand-ducale ;

Vu la lettre du 7 avril 2023 informant Monsieur … de mon intention de lui retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier et l'invitant à me faire parvenir ses observations ;

Vu le courrier du 14 avril 2023 de Monsieur …, entré au cabinet ministériel en date du 18 avril 2023, sollicitant d'être entendu en personne ;

2 Vu l'entrevue personnelle en date du 21 avril 2023 ;

Considérant que lors de cette entrevue Monsieur … faisait état de prétendues irrégularités aussi bien au niveau des procédures de l'évaluation des compétences comportementales que quant à son fond ;

Que quant aux irrégularités procédurales, Monsieur … a précisé qu'il aurait dû signer son appréciation des compétences comportementales le jour même de l'entretien, qu'il n'avait ainsi pas le temps de relire son évaluation à tête reposée et de faire des commentaires plus tard ; qu'il reproche en outre que l'appréciation n'indique pas clairement que Monsieur … n'avait pas fait d'observations ; que finalement il reproche encore qu'il n'est indiqué nulle part dans l'appréciation des compétences comportementales qu'il a obtenu un niveau 1, mais qu'elle indique seulement qu'il y a eu un échec ;

Que quant au fond, Monsieur … a reproché le fait que les grilles d'évaluation des comportements en stage montrent un résultat différent que celui atteint lors de l'appréciation des compétences comportementales ; que son évaluation ne fait en outre aucunement mention d'éléments comportementaux positifs; qu'au vu des remarques relatives aux éléments comportementaux, il s'est demandé pourquoi ces comportements n'ont pas donné lieu au cours du stage à un ordre de justification, pour en conclure que les faits ne sauraient présenter une gravité suffisante ; que finalement il fait encore remarquer que les prescriptions de service de la Police grand-ducale prévoient dans le cadre du système d'appréciation des performances professionnelles que chaque niveau de performance devra être motivé par des faits, preuves ou exemples tangibles et que tel n'aurait pas été le cas dans le cadre de sa propre appréciation ;

Considérant que ces arguments développés lors de cette entrevue ont été analysés et n'ont pas réussi à convaincre ;

Considérant que l'entretien d'appréciation de Monsieur … se déroulait pendant trois heures, temps qui était largement suffisant pour faire d'éventuelles observations si Monsieur … en avait eu ; qu'il avait ainsi la possibilité de faire des observations oralement ; qu'il est en outre évident que le niveau 1 dans le cadre de l'appréciation des éléments comportementaux équivaut à un échec ; que l'article 4 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 17 août 2018 relatif à la formation du personnel de la Police grand-ducale est clair en ce qu'il indique que le niveau de performance 1 donne lieu à un retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier, ce qui équivaut donc à un échec ;

Que s'il est vrai que les faits reprochés à Monsieur … n'ont pas isolément donné lieu à un ordre de justification, l'ensemble des faits étant toutefois incompatibles avec l'exercice du métier de policier, justifiant ainsi le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire ;

Que s'y ajoute finalement que l'appréciation des compétences comportementales est étayée, contrairement aux affirmations de Monsieur …, de faits, preuves ou exemples motivant le niveau de performance obtenu, résultant en un échec ; (…) » Par requête déposée le 13 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 49161 du rôle, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 26 avril 2023 ayant prononcé le retrait de son statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier. Par requête séparée déposée le mêmejour, inscrite sous le numéro 49162 du rôle, il sollicite le sursis à exécution de ladite décision jusqu’à ce que le recours au fond soit toisé par le tribunal administratif.

Le demandeur estime que les conditions requises par la loi pour suspendre la décision critiquée seraient remplies en l’espèce, à savoir en premier lieu que l’exécution de celle-ci risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable et en second lieu qu’il avancerait des moyens sérieux au fond.

A l’appui de sa requête, le demandeur explique avoir débuté sa formation professionnelle en date du 1er mai 2021, « en groupe de traitement B1, auprès de l’Ecole de Police au Luxembourg ». A la fin de ses périodes de référence, se composant de la première et deuxième année de la phase de formation policière théorique et pratique et de la phase d’initiation pratique, il aurait été invité, en date du 29 mars 2023, à son entretien d’appréciation des compétences comportementales, mené par le commissaire …, qu’il qualifie de « prétendu supérieur hiérarchique » ainsi qu’en présence de son patron de stage, le commissaire en chef …. Lors dudit entretien, il aurait été informé qu’il serait classé au niveau de performance 1 correspondant à un échec, ayant pour conséquence immédiate le retrait de son statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier.

Monsieur … explique avoir été étonné des résultats obtenus, alors qu’il aurait toujours reçu un retour favorable accompagné de critiques positives qu'il se serait efforcé de faire passer dans les faits le plus rapidement possible. Sans aucune justification quant à l’échec prononcé à son encontre, il aurait été prié de signer la proposition d’appréciation motivée, élaborée par le commissaire … à l’issue dudit entretien.

En droit, le demandeur estime que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès et il avance en substance deux moyens, à savoir d’une part le fait que l’entretien d’appréciation des compétences comportementales n’aurait pas été mené conformément aux dispositions de la loi et, d’autre part, que la résiliation du stage serait une mesure disproportionnée par rapport aux quelques reproches seulement qui lui auraient été faits en ce qui concerne sa période de stage.

S’agissant, de prime abord, du moyen relatif à l’entretien d’appréciation des compétences comportementales, le demandeur argumente qu’aux termes des articles 4bis de la loi du 16 avril 1979 et 4, alinéa 5 du règlement grand-ducal du 17 août 2018 portant 1° détermination de la mise en œuvre du plan d'insertion professionnelle, 2° fixation du programme et de la procédure d'examen de la formation professionnelle de base des fonctionnaires stagiaires du cadre policier, 3° précision des modalités d'application de l'appréciation des performances professionnelles aux fonctionnaires stagiaires du cadre policier, 4° fixation des programmes de formation spéciale, de la durée de la formation spéciale théorique et de l'appréciation des épreuves de l'examen de fin de formation spéciale des fonctionnaires stagiaires du cadre civil de la Police grand-ducale, 5° détermination des formalités à remplir par les candidats à l'examen de promotion, du programme de l'examen ainsi que des modalités de classement et des critères de départage en cas d'égalité des notes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 17 août 2018 », ledit entretien, ainsi que la proposition d’appréciation motivée élaborée à l’issue dudit entretien, devraient être faits par un supérieur hiérarchique, à savoir, un membre de la direction de l’Ecole de Police.

Or, l’entretien en question aurait été mené par un commissaire auprès de la Police Grand-Ducale, à savoir, Monsieur …, et non pas par un supérieur hiérarchique tel que prévu par le règlement grand-ducal dont question ci-avant.

Le demandeur en conclut tant à une illégalité externe qu’à une illégalité interne de la décision déférée.

Concernant la légalité externe de la décision déférée, il avance :

- la théorie générale du vice d’incompétence, en argumentant en substance que les compétences de l’administration seraient toujours d’attribution et que le système serait tel que les autorités disposeraient uniquement des pouvoirs qui leur auraient été attribués et elles devraient les exercer dans les conditions légales prévues. Dès lors, une décision prise par une autorité dans un domaine qui ne relève pas de son champ de compétence, émanerait d’une autorité incompétente et devrait à ce titre, encourir l’annulation.

- une violation de l’article 4, alinéa 5 du règlement grand-ducal du 17 août 2018.

Ainsi, l’acte sur lequel se baserait l’arrêté ministériel déféré serait la décision motivée du chef d’administration qui se baserait lui-même sur la proposition d’appréciation motivée, résultant de l’entretien d’appréciation des compétences comportementales et rendue par le prétendu supérieur hiérarchique, le commissaire …. Ladite proposition, résultant dudit entretien, n’aurait pas été prise, comme prévu par les articles 4bis, paragraphe 2 b, alinéa 2 de la loi du 16 avril 1979 et 4, alinéa 5 du règlement grand-ducal du 17 août 2018 précité, par un supérieur hiérarchique, mais par le commissaire … qui ne revêtirait manifestement pas la qualité de membre de la direction de l’Ecole de Police.

- méconnaissance du principe général de l’indisponibilité des compétences administratives imposant à chaque autorité administrative d’exercer elle-même les compétences qui lui ont été confiées.

Concernant la légalité interne de la décision déférée, il avance :

- une méconnaissance du principe général de l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation , imposant à l’administration d’exercer effectivement le pouvoir d’appréciation qui lui serait confié, c’est-à-dire avec minutie ou soin - une méconnaissance du principe général de « patere legem quam ipse fecisti », lequel pourrait se traduire par la phrase « Souffre la loi que tu as toi-même faite » et signifiant que l’administration ne pourrait déroger par une décision particulière à un règlement qu’elle aurait elle-même antérieurement édicté et qui ne prévoirait pas une telle possibilité de dérogation.

S’agissant, ensuite, du moyen tiré d’une méconnaissance du principe de proportionnalité, le demandeur argumente que le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier, résultant de l’échec à l’appréciation des performances comportementales, serait manifestement disproportionné par rapport aux manquements lui reproché et égard à son comportement en général pendant toute la durée de son stage.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de la requête en sursis à exécution au motif que la période de deux années de stage du demandeur serait de toute façon venue à son terme le 1er mai 2023, de sorte que la résiliation du stage qui aurait également priseffet le 1er mai 2023 ne changerait rien à la situation du demandeur, dont le stage aurait « quoi qu’il en soit » pris fin le 1er mai 2023. Le délégué du gouvernement estime ensuite que les conditions légalement prévues pour ordonner un sursis à exécution ne seraient pas remplies en l’espèce en contestant tant l’existence d’un préjudice grave et définitif que le sérieux des moyens invoqués.

A titre liminaire, il échet de constater que l’argumentation tirée de l’irrecevabilité de la requête en sursis à exécution soulevée par le délégué du gouvernement est à écarter dès lors que la situation du fonctionnaire stagiaire dont le stage est arrivé à son terme diffère de celle du fonctionnaire stagiaire dont le stage est résilié avec effet au dernier jour de la durée du stage, dans la mesure où le premier est du moins susceptible d’être définitivement nommé comme fonctionnaire, tandis que le second n’est plus éligible à une telle nomination. Ceci étant dit, il échet encore de constater que la question, ainsi soulevée par le délégué du gouvernement, relative à l’effet de la résiliation du stage sur la situation du demandeur se recoupe avec celle de l’existence d’un préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur par l’effet de la résiliation du stage, et sera donc abordée dans ledit contexte.

En vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

En l’espèce, l’affaire au fond a été introduite le 13 juillet 2023, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne la condition d’un préjudice grave et définitif, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi prévisée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. L’existence du préjudice allégué, sa gravité et son caractère difficilement réparable doivent s’apprécier au cas par cas, sur le vu de l’exposé du requérant d’une mesure provisoire, ensemble les pièces justificatives produites par celui-ci1.

La preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice2.

En l’espèce, le requérant fait valoir qu’il serait du fait de la résiliation de son stage, définitivement privé du droit de réintégrer le corps de la Police Grand-ducale.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est certes vrai qu’une résiliation du stage empêche le fonctionnaire stagiaire d’être éligible pour une nomination définitive en tant que fonctionnaire et risque de lui causer à ce titre un préjudice, c’est toutefois à juste titre que le délégué du gouvernement souligne que la résiliation du stage du demandeur ne le prive pas 1 Trib. adm. (prés.) 16 mai 2012, n° 30478, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 641.

2 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 646.définitivement du droit de réintégrer le corps de la Police grand-ducale. En effet, aux termes de l’article 65 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale :

« Le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier est prononcé par le ministre sur avis du directeur général de la Police :

(…) 2°en cas d’échec à la phase de formation policière théorique et pratique ou de la phase d’initiation pratique ;

3°pour motifs graves tant dans le service qu’en dehors du service ;

4°lorsque l’une des appréciations des performances professionnelles donne lieu à un niveau de performance 1 tel que défini par l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État.

Le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier en application du présent article équivaut à une résiliation du stage au sens de l’article 2 de la loi précitée du 16 avril 1979.

Après un retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour les motifs évoqués au point 3°, le fonctionnaire stagiaire du cadre policier ne pourra plus se présenter à un examen-concours de la Police ».

Par ailleurs, l’article 2, paragraphe 1er de la loi du 16 avril 1979 dispose que :

« L’admission au service de l’Etat est refusée aux candidats qui étaient au service de l’Etat et qui ont été licenciés, révoqués ou démis d’office. Elle est également refusée aux candidats dont le contrat a été résilié sur base de l’article 5 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’État, dont le stage a été résilié pour motifs graves ou qui ont obtenu pour la seconde fois un niveau de performance 1 ».

Il s’ensuit que seuls le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier « pour motifs graves tant dans le service qu’en dehors du service » ainsi que le fait d’avoir obtenu pour la seconde fois un niveau de performance 1, peuvent empêcher le fonctionnaire stagiaire de se présenter à nouveau à un examen-concours de la Police grand-ducale. Le demandeur n’établit toutefois pas qu’il tomberait dans l’une de ces deux hypothèses, de sorte qu’il est à admettre qu’il pourra se représenter à un examen concours de la Police grand-ducale et qu’il n’est partant, contrairement à ses affirmations, pas définitivement privé du droit de réintégrer le corps de la Police Grand-ducale en raison de la résiliation de son stage.

Le demandeur fait ensuite état d’un préjudice essentiellement pécuniaire, dans la mesure où il affirme que la résiliation de son stage impliquerait la perte immédiate et intégrale de son traitement et risquerait ainsi de lui causer un préjudice matériel et moral et de le placer dans une situation de besoin telle que son mode de vie serait gravement mis en péril.

Or, un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, entièrement compensable par l’allocation de dommages et intérêts, il n’en est différemment que lorsque le requérant établit l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable. Cen’est donc que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999. L’existence d’une telle circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable doit cependant être établi concrètement par le requérant.

A cet égard, il peut être admis que la résiliation du stage risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif étant donné qu’elle implique une perte de l’intégralité de son revenu. Il s’y ajoute que le demandeur, du fait de la résiliation de son stage risque de se voir obligé à se présenter une seconde fois en tant que candidat stagiaire et ainsi de ne pouvoir entamer sa vie professionnelle qu’avec un retard qu’il lui sera difficile, sinon impossible de récupérer au cours de sa carrière étant encore soulevé qu’une éventuelle action en dommage et intérêts à l’encontre de l’Etat ne constitue en l’occurrence pas une réparation adéquate.

La première condition pour pouvoir aboutir au prononcé d’une mesure provisoire à savoir l‘existence d’un préjudice grave et définitif dans le chef du requérant en raison de l’exécution de la décision déférée est donc remplie en l’espèce.

Concernant la seconde condition et plus précisément les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciéesdifféremment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui.

Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire.

Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, notamment au vu des solutions jurisprudentielles dégagées par le juge du fond, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée - les moyens devant offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte3 -, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

En l’espèce, l’argumentation du demandeur se résume en substance à deux moyens, en ce qu’il affirme, d’une part, que l’entretien d’appréciation des compétences comportementales n’aurait pas été mené par un « supérieur hiérarchique » et, d’autre part, que la mesure prononcée serait disproportionnée.

Quant au premier moyen soulevé par le demandeur il se dégage de l’article 4 du règlement grand-ducal du 17 août 2018 que l’appréciation des performances professionnelles du fonctionnaire stagiaire du cadre policier comprend une appréciation des compétences comportementales, laquelle se fait au cours des trois derniers mois de chaque période de référence. Ledit article précise encore que : « Le supérieur hiérarchique visé à l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État est : 1°pour les fonctionnaires stagiaires du cadre policier des groupes de traitement B1, C1 et C2, un membre de la direction de l’Ecole de Police ; 2°pour les fonctionnaires stagiaires du cadre policier des groupes de la catégorie de traitement A, le directeur central des ressources et compétences. ». L’article 4bis de la loi du 16 avril 1979 auquel il est ainsi fait référence dispose qu’ : « Un entretien d’appréciation entre le fonctionnaire et son supérieur hiérarchique est organisé au cours des trois derniers mois de la période de référence. ».

Le demandeur ayant été un fonctionnaire stagiaire du cadre policier des groupes de traitement B1, l’entretien relatif à l’appréciation de ses performances aurait a priori dû être mené par un membre de la direction de l’Ecole de Police.

3 Jean-Paul Lagasse, Le référé administratif, 1992, p.48.Le demandeur conteste que le commissaire …, ayant mené l’entretien en question, ferait partie de la direction de l’Ecole de Police.

A cet égard, une analyse nécessairement sommaire du dossier administratif révèle que le commissaire … a été affecté par décision du 16 août 2022 du directeur général adjoint de la Police grand-ducale à la « Direction centrale ressources et compétences, Ecole de police, Cellule encadrement (EP-ENCA) », de sorte qu’il apparait à première vue que le commissaire … est bien affecté à la direction de l’Ecole de Police et qu’il pouvait donc légalement procéder à l’entretien d’appréciation des compétences comportementales avec le demandeur, étant encore soulevé à cet égard que l’argumentation du requérant relative à une illégalité de la décision du changement d’affectation du commissaire … vers la direction de l’Ecole de Police ne paraît guère pouvoir affecter la légalité de la décision déférée, étant donné qu’indépendamment de la pertinence d’une telle argumentation, il échet de constater que la décision de nomination dudit commissaire de police paraît être revêtue de l’autorité de la chose décidée et qu’en tout état de cause ladite décision de nomination ne fait pas l’objet du litige opposant les parties en cause.

Le moyen afférent du requérant ne présente dès lors, en l’état actuel d’instruction du dossier pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.

En ce qui concerne le second moyen avancé par le requérant, tiré d’une disproportionnalité de la décision déférée, le délégué du gouvernement explique a priori à juste titre que le ministre dispose d’une compétence liée en la matière, en ce sens que l’article 4 du règlement grand-ducal du 17 août 2018 prévoit que l’attribution d’un niveau de performance 1 à un fonctionnaire stagiaire à l’issue de l’entretien d’appréciation des compétences comportementalese implique le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier.

L’article 65 de la loi du 18 juillet 2018 ajoute que : « Le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier en application du présent article équivaut à une résiliation du stage au sens de l’article 2 de la loi précitée du 16 avril 1979 ». Une analyse nécessairement sommaire révèle donc que la résiliation du stage d’un fonctionnaire stagiaire, en raison de l’attribution d’un niveau de performance 1, ne relève pas de l’appréciation discrétionnaire du ministre, mais qu’elle intervient de plein droit dans l’hypothèse où le stagiaire s’est vu attribuer un niveau de performance 1 dans le cadre de l’appréciation de ses performances. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une disproportion de la décision ministérielle déférée ne paraît guère pouvoir aboutir dans le cadre de l’instance au fond et ne présente partant pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.

Enfin, et à titre superfétatoire, il convient d’ajouter que le demandeur se limite à exposer de manière abstraite la théorie du principe général de proportionnalité sans aucunement expliquer concrètement pour quelle raison en l’espèce la décision déférée serait disproportionnée, de sorte qu’à ce stade de l’instruction du dossier il ne paraît pas probable que les juges du fond suivent l’argumentation afférente du requérant.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’un sursis à exécution dans son chef. En effet, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule le rejet de la demande.

Par ces motifs, la soussignée, premier vice-président du tribunal administratif, agissant en remplacement du président du tribunal administratif, légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais et dépens.

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 par Françoise EBERHARD, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Marc WARKEN.

s.Marc WARKEN s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49162
Date de la décision : 20/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-20;49162 ?

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