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21/06/2023 | LUXEMBOURG | N°48991

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juin 2023, 48991


Tribunal administratif N° 48991 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48991 1re chambre Inscrit le 30 mai 2023 Audience publique 21 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48991 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mai 2023 par Maître Louis Tinti, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N° 48991 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48991 1re chambre Inscrit le 30 mai 2023 Audience publique 21 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48991 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mai 2023 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Syrie), et être de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mai 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, prise dans le cadre d’une procédure accélérée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 juin 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 2023.

Le 7 juillet 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée-police des étrangers.

En date du 28 septembre 2022, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 3 janvier 2023, l’unité de la police de l’Aéroport – section Expertise Documents informa le ministère que l’acte de mariage, la fiche familiale d’état civil, l’acte de naissance ainsi que la fiche individuelle de l’état civil soumis par Monsieur … au ministère sont des falsifications En date du 11 mars 2023, Monsieur … fut l’objet d’un entretien complémentaire auprès du ministère.

Par décision du 12 mai 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à partir du jour où la décision de refus est devenue définitive.

Dans ce contexte, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 juillet 2022, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 septembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport de l'Unité de Police de l'Aéroport du 3 janvier 2023, le rapport d'entretien complémentaire du 13 mars 2023 ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Monsieur, lors de l'introduction de votre demande de protection internationale vous avez déclaré être de nationalité syrienne, d'ethnie Arabe, marié et originaire du village …, qui se situerait dans le Riff de Manbij, dans le gouvernorat d'Alep en Syrie et où vous auriez vécu avec vos parents, trois de vos frères et l'une de vos sœurs.

Vous avez introduit une demande de protection internationale alors que vous craindriez, d'une part, être enrôlé de force par l'armée kurde et d'autre part, être contraint à rejoindre l'armée du régime syrien.

A cet égard, vous expliquez que des soldats kurdes seraient venus à votre domicile deux semaines avant votre départ de Syrie, le 15 mai 2022, mais qu'ils ne vous auraient pas trouvé car vous n'y étiez pas à ce moment-là. Etant donné que vous auriez atteint l'âge requis pour rejoindre l'armée, lesdits soldats seraient venus vous chercher afin de vous enrôler dans l'armée kurde.

Vous exprimez ensuite la même inquiétude face à l'armée syrienne malgré que vous n'auriez jamais reçu, ni de convocation, ni de livret militaire. De plus, dans la mesure où vous auriez évité le service militaire pendant toutes ces années, vous seriez considéré comme étant un traître.

A l'appui de votre demande de protection internationale dans le cadre de laquelle vous n'avez versé aucun document de voyage ou d'identité, votre avocat a versé uniquement les documents suivants :

- Un acte de mariage, accompagné d'une traduction en langue française ;

- une fiche familiale d'état civil, accompagnée d'une traduction en langue française ;

- un acte de naissance, accompagné d'une traduction en langue française ;

- une fiche individuelle d'état civil, accompagnée d'une traduction en langue française. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation 1) de la décision précitée du ministre du 12 mai 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant rejet de sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur le refus d’une demande de protection internationale et sur l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître du recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation ainsi introduit.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, le demandeur explique tout d’abord se trouver dans une situation particulière qui serait la genèse de l'imbroglio qui caractériserait son dossier administratif, à savoir que pour des raisons de sécurité, il lui aurait été impossible d'entrer en relation directe avec les autorités administratives syriennes afin de se voir délivrer les documents qui auraient permis d'établir de manière irréfutable son identité de même que sa nationalité. Il donne à considérer à cet égard que les autorités syriennes continueraient de persécuter la communauté sunnite et plus précisément ceux qui par leur comportement manifesteraient une opposition, tel que le demandeur en refusant le service militaire.

Il renvoie à plusieurs rapports internationaux documentant que des personnes retournant en Syrie après avoir déposé des demandes protection internationale à l’étranger feraient l’objet d’actes de persécution.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur critique l’application par le ministre des dispositions des points a) et c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant du point c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir que cette disposition pourrait être invoquée que pour autant que la preuve qu’il ait menti soit rapportée et que ces mensonges porteraient sur des éléments essentiels de son récit de nature à influer sur la décision à prendre par l'autorité ministérielle.

Il conteste avoir menti aux autorités ministérielles sur des éléments de son dossier à tel point substantiels qu'ils permettraient le recours aux prédites dispositions.

S’il est vrai qu’il aurait changé de version quant au fait que son frère serait venu le chercher en République Tchèque, il n’en resterait pas moins que ce mensonge s’expliquerait par sa volonté de ne pas causer des problèmes à son frère résidant légalement au Luxembourg, d’autant plus que ce mensonge ne saurait porter à conséquence quant au fond du dossier.

S’agissant du fait qu’il aurait déclaré auprès du service de la police judiciaire être arrivé la veille au Luxembourg, alors qu’il se serait avéré à la suite de la consultation de son profil facebook qu’il serait arrivé trois semaines plus tôt, le demandeur explique qu’il aurait eu besoin de récupérer ses forces à la suite du périple qu’il aurait eu avant d’arriver en Europe.

Ce mensonge resterait encore sans conséquences quant au bien-fondé de sa demande de protection internationale, étant donné que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 préciserait que l'examen d'une demande de protection internationale ne serait ni refusé ni exclu au seul motif que la demande n'a pas été présentée dans les délais les plus brefs.

S’agissant du fait que l’autorité ministérielle a retenu qu’il aurait voyagé avec un faux passeport, Monsieur … soutient qu’il serait venu de manière clandestine en Europe, sans avoir utilisé le passeport vrai ou faux de quiconque.

Quant à son récit relatif à l’acquisition des documents qui se sont avérés être des documents falsifiés, Monsieur … soutient qu’il aurait été dangereux pour un insoumis militaire d’entrer en relation directe avec les autorités syriennes pour obtenir des documents d’état civil, de sorte que son épouse aurait fait appel à un « entremetteur ».

Il soutient qu'après avoir appris que les documents versés par lui étaient falsifiés, il se serait empressé de contacter un avocat syrien afin que ce dernier obtienne pour son compte des documents confirmant son identité.

S’agissant des déclarations de son frère, qui aurait déclaré, lors de l’audition ayant eu lieu dans le cadre de sa propre demande de protection internationale, que son frère était né en …, alors que lui-même aurait déclaré être né en …, le demandeur explique que manifestement son frère se serait trompé, sans que cette erreur puisse lui être reprochée.

Quant à l’affirmation du ministre selon laquelle il se serait trouvé en Turquie depuis 2016, le demandeur fait valoir que le ministre fonde son argumentation sur les déclarations de son frère, alors que le ministre nierait toute relation de parenté entre le demandeur et son frère. Monsieur … insiste sur le fait qu’il aurait traversé la Turquie qu’en 2022 et explique les propos de son frère par le fait qu’il aurait eu initialement l’intention de se rendre en Turquie en 2016, mais qu’il aurait finalement renoncé à ce projet.

S’agissant de l’absence de preuves lui reprochée par le ministre quant à son vécu en Syrie durant les dernières années, Monsieur … fait valoir que la situation dans la ville d’Alep, dont il serait originaire, serait chaotique, de sorte qu’il lui aurait été impossible de se procurer des éléments de preuve de sa présence.

Le demandeur soutient encore qu’il serait à tort que le ministre se serait basé sur le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 en soutenant qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, étant donné qu’il aurait exposé le risque pour lui de se voir enrôlé dans l’armée syrienne, voire dans l’armée des kurdes, motifs pouvant être interprétés par les autorités syriennes comme étant l’expression d’une opposition au régime en place.

Il soutient qu’il remplirait les critères pour bénéficier du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire en précisant que les menaces et violences qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d'origine, à l'occasion notamment de sa probable incarcération du fait de son insoumission militaire, seraient à assimiler à un traitement inhumain ou dégradant.

Monsieur … en conclut qu’il appartiendrait à la soussignée de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale.

Quant au recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur fait valoir que le ministre aurait refusé de lui accorder une protection internationale en se basant exclusivement sur la considération qu'il aurait induit l'autorité ministérielle en erreur sans apprécier ladite demande par rapport aux critères légaux.

Monsieur … soutient qu’il ne saurait lui être reproché d'avoir induit en erreur l'autorité ministérielle, de sorte que le rejet de sa demande de protection internationale pour des motifs tenant exclusivement au fait qu'il aurait menti sur des éléments essentiels de sa demande de protection internationale se heurterait aux dispositions de l'article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015. Il expose que l’autorité ministérielle lui reprocherait implicitement mais nécessairement un manque de crédibilité de son récit et ce sans avoir procédé à une analyse au fond des conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il y aurait dès lors lieu d’annuler la décision déférée et de renvoyer le dossier en prosécution de cause au ministre afin qu’il puisse statuer sur le fond.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 12 mai 2023, le demandeur soutient qu’il y aurait lieu d'annuler la décision emportant ordre de quitter le territoire dans son chef.

Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours en ses différents volets.

Il rappelle que lors du contrôle d'identité effectué par le service de police judiciaire, Monsieur … aurait expliqué qu'il ne disposerait « ni de passeport, ni de carte d'identité » et qu’après vérification de son téléphone portable, il se serait avéré qu’il serait venu au Luxembourg en utilisant un faux passeport, ce qu'il nierait en bloc en essayant de justifier qu'il aurait voyagé avec un vrai passeport luxembourgeois d'une personne qui lui ressemblerait. Questionné à ce sujet, il aurait refusé de donner plus de détails, notamment concernant l'identité de la personne qui lui aurait prêté le passeport ou encore sur celle de la personne qui aurait organisé le voyage.

A cela s'ajouterait que, toujours lors de ce même entretien, Monsieur … n’aurait cessé de mentir aux agents du service de police judiciaire lors de la fouille de son téléphone en changeant de version par rapport à son arrivée au Luxembourg. Il serait manifeste que le demandeur aurait tenté d'induire en erreur les autorités et qu'il pourrait être attendu d'un demandeur de protection internationale qu'il présente immédiatement une version correcte des faits et ne se perd pas dans des mensonges, comportement qui conduirait à la remise en cause de sa crédibilité.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il serait « curieux » de constater que Monsieur …, après avoir dans un premier temps expliqué au service de police judiciaire ne disposer que de copies de son acte de naissance et de son acte de mariage, aurait réussi à se procurer, endéans le court délai d'un mois, les originaux de ces documents ainsi que des originaux d'autres documents dont il n’aurait pas disposé au moment de l'introduction de sa demande de protection internationale et ce sans fournir la moindre explication comment il aurait réussi à se procurer lesdits documents.

Il estime également « curieux » le fait par le demandeur de réussir à se faire procurer par le biais de son avocat syrien un nouvel acte de naissance établi le 15 mai 2023 et une nouvelle fiche individuelle d'état civil établie le 15 mai 2023. Il en conclut que l'argumentaire du demandeur relatif à des difficultés de se procurer des documents d'état civil ne serait manifestement pas fondé.

Le délégué du gouvernement observe que le demandeur ne tenterait pas dans sa requête introductive d’instance de justifier le fait qu’il aurait présenté de faux documents mais se bornerait à indiquer qu’il aurait, après avoir été informé qu'il s'agit de documents falsifiés, contacté son avocat syrien pour se faire parvenir de nouveaux documents confirmant son identité. Les originaux de ces nouveaux documents auraient été transmis à I'UPA pour vérification de leur authenticité.

Il fait encore observer que lesdits documents auraient été établis le jour de la notification de la décision ministérielle de refus.

Il insiste encore sur des contradictions par rapport à la date de naissance indiquée par le demandeur et de son prétendu frère selon lequel il serait né en ….

Le délégué du gouvernement rappelle encore la contradiction entre les déclarations du prétendu frère du demandeur ayant déclaré que Monsieur … se serait trouvé en Turquie depuis 2016 et celles du demandeur selon lesquelles il n’aurait été que de passage en Turquie en 2022.

Ainsi, faute d'éléments concrets permettant d'établir son vécu, voire sa date de naissance, aucune crédibilité ne saurait, notamment au regard du fait que Monsieur … aurait tenté d'induire en erreur les autorités luxembourgeoises, être accordée à ses dires.

Les doutes quant à son lieu de séjour avant son arrivée au Luxembourg seraient encore confortés par le fait qu’il resterait en défaut de fournir la moindre preuve de sa prétendue vie en Syrie en expliquant qu'il aurait vendu son téléphone en Serbie au motif qu'il avait besoin d'argent. Il fait valoir dans ce contexte que de nos jours toute personne aurait la possibilité de fournir une quelconque preuve de son vécu des dernières années, ce d'autant plus s'il avait effectivement vécu ensemble avec sa famille pendant toute sa vie et cela au même endroit.

Quant au renvoi du demandeur aux difficultés de se procurer en Syrie des documents de preuve, le délégué du gouvernement soutient que la famille du demandeur vivrait toujours en Syrie et qu'il ne n’aurait pas eu de difficultés pour contacter son avocat syrien pour se faire parvenir des copies de documents d'état civil, de sorte qu'il devrait être conclu qu'il pourrait également se faire envoyer des éléments de preuve prouvant son prétendu vécu en Syrie au cours des dernières années.

Le délégué du gouvernement en conclut qu’il serait évident que les autorités luxembourgeoises ne sauraient accorder une protection internationale à une personne qui mentirait de manière ostentatoire depuis son arrivée et dont on ignorerait les informations essentielles, telles que les noms et date de naissance respectivement le pays d'origine à défaut de documents les établissant.

Le délégué du gouvernement expose ensuite que ce serait à bon droit que le ministre aurait été amené à remettre en cause la crédibilité générale du récit du demandeur.

Il précise à cet égard que le demandeur resterait en défaut d'établir son identité, sa nationalité, sa date de naissance et son vécu avant son arrivée au Luxembourg et a fortiori les raisons qui l'auraient conduit à quitter son pays d'origine, qu'il prétend être la Syrie.

Il rappelle que le demandeur aurait remis de faux documents et aurait fourni de fausses informations aux autorités luxembourgeoises afin de tenter de les induire en erreur, de sorte qu’il serait évident qu'il tenterait de cacher des choses. En effet, la seule raison qui conduirait une personne à mentir sur des informations aussi essentielles que son identité serait celle de cacher la vérité.

Le délégué du gouvernement soutient qu’il serait inconcevable que les autorités luxembourgeoises accordent un titre de voyage et un titre de séjour à une personne sur base de faux documents et lorsque l'identité, la nationalité et la date de naissance ne seraient pas établies. En effet, le seul fait de prétendre d'être de nationalité syrienne ne saurait pas suffire pour se voir octroyer une protection internationale.

Il en conclut que ce serait à bon droit que le ministre aurait pris la décision dans le cadre de la procédure accélérée, de sorte que le recours formulé à cet égard devrait être déclaré manifestement non-fondé.

S’agissant du recours contre la décision ministérielle portant refus d'une protection internationale, le délégué du gouvernement rappelle en substance ces arguments développés dans le cadre de l'analyse des points a) et c) de l'article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 tout en concluant que ce serait à bon droit que le ministre aurait pris la décision de refuser l'octroi de la protection internationale à Monsieur … et que le recours formulé à l'encontre de ce volet de la décision devrait être déclaré manifestement non-fondé.

S’agissant du recours contre la décision portant ordre de quitter le territoire, le délégué du gouvernement expose qu’aucun reproche ne pourrait être fait au ministre ayant conformément à l'article 34 de la loi du 18 décembre 2015, inclus l'ordre de quitter le territoire dans la décision ministérielle de rejet de la demande de protection internationale, alors que ce dernier découlerait directement de la décision de refus de la demande de protection internationale.

Il se dégage de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

1) Quant au volet du recours dirigé contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Il échet de relever que la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels :

« Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou (…) c) si le demandeur a induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable (…) ».

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées sont telles qu’il n’est pas permis d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

S’agissant d’abord du point c) de l’article 27, paragraphe (1) précité, force est de relever qu’en l’espèce le ministre reproche à Monsieur … de l’avoir induit en erreur en prétendant à tort être de nationalité syrienne en fournissant des documents falsifiés.

En partant du constat que le demandeur n’aurait pas établi son identité, sa nationalité, sa date de naissance ou son vécu avant son arrivée au Luxembourg, le ministre est arrivée à la conclusion que les faits invoqués par ce dernier seraient sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour bénéficier d’une protection internationale et a rejeté sa demande par voie de procédure accélérée en se fondant également sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Or, la question de la nationalité est fondamentale dans l’analyse de la demande d’un demandeur de protection internationale. En effet, le sort à réserver sur la demande de protection internationale de Monsieur … pourrait a priori être différent selon qu’il soit retenu qu’il est de nationalité syrienne ou non.

Force est à la soussignée de constater qu’il ressort du rapport de l’Unité de la police de l’Aéroport – service expertise de documents du 7 juin 2023 que l’acte de naissance ainsi que la fiche individuelle de l’état civil établis en date du 15, respectivement 7 mai 2023 en Syrie et soumis au ministre en date du 2 juin 2023 sont des documents authentiques.

Si certes le délégué du gouvernement a rétorqué lors de l’audience des plaidoiries du 14 juin 2023, d’un côté, qu’il ne s’agirait pas de documents d’identité et de voyage et, d’un autre côté, que lesdits documents seraient très probablement des « vrais faux », à savoir des documents établis sur du papier authentique mais contenant de fausses informations, il n’en reste pas moins qu’au vu de ces documents ainsi que des explications du demandeur par rapport à ses raisons d’avoir menti quant aux circonstances de sa venue au Luxembourg ensemble le fait qu’il ressort du rapport international cité par le délégué du gouvernement lui-

même qu’il peut arriver qu’un demandeur de documents officiels en Syrie n’est pas au courant du fait que ses documents sont des faux1, la soussignée conclut que les éléments avancés par le demandeur ne sont pas dénués de tout fondement, de sorte que le recours sous examen ne peut actuellement être considéré comme étant manifestement infondé, tant en ce qui concerne le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 que le point c), étant relevé dans ce contexte que l’analyse approfondie des moyens afférents du demandeur concernant sa nationalité excède le cadre de l’analyse de la soussignée.

1 Ministère des affaires étrangères néerlandais “Country of origin information report Syria”, mai 2022: « Multiple sources reported that documents can be obtained through bribery in a manner inconsistent with the legal requirements. The use of forged or falsified documents is common in Syria, for documents ranging from identity documents to powers of attorney, education-related documents and driving licences.208 People generally use such documents out of desperation.209 Moreover, citizens are not always aware that their documents are false. People sometimes make use of an intermediary, popularly called a samasira, who arranges documents for them. The customer may knowingly request fraudulent documents, but it is also possible that a customer does not know whether an officially issued document has been subsequently falsified. Citizens are at great personal risk if their documents are found to be false. ».

Au vu de toutes ces considérations, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale du tribunal administratif pour y statuer, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le recours quant aux deux autres volets de la décision.

Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 mai 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire devant la première chambre du tribunal administratif siégeant en formation collégiale pour y statuer ;

fixe l’affaire pour plaidoiries à l’audience publique de la première chambre du mercredi 20 septembre 2023 à 15.00 heures ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 juin 2023, par la soussignée, Michèle Stoffel, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Michèle Stoffel Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48991
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-21;48991 ?

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