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08/06/2023 | LUXEMBOURG | N°48977

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juin 2023, 48977


Tribunal administratif N° 48977 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48977 Inscrit le 24 mai 2023 Audience publique du 8 juin 2023 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Monsieur X contre une décision du bourgmestre de la commune de Y en matière d’inscription au registre de la population

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 48977 du rôle et déposée le 24 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Dogan DEMIRCAN

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 48977 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48977 Inscrit le 24 mai 2023 Audience publique du 8 juin 2023 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Monsieur X contre une décision du bourgmestre de la commune de Y en matière d’inscription au registre de la population

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 48977 du rôle et déposée le 24 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Dogan DEMIRCAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X, ayant demeuré à L-…Y, …, tendant à l’instauration d’un sursis à exécution par rapport à une décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre de la commune de Y du 14 mars 2023 l’ayant rayé du registre de la population à l’adresse mentionnée ci-avant avec effet au 13 mars 2023, cet acte étant encore attaqué au fond par un recours en annulation, sinon en réformation, introduit le même jour, portant le numéro 48976 du rôle ;

Vu l’avis urgent adressé le 5 juin 2023 par le greffe du tribunal administratif à Maître Dogan DEMIRCAN l’invitant à communiquer les exploits de signification des requêtes au fond et en référé ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, en remplacement de l’huissier de justice Cathérine NILLES, demeurant à Luxembourg, du 5 juin 2023, portant signification des prédites requêtes à l’administration communale de Y ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Maître X, en remplacement de Maître Dogan DEMIRCAN, pour le requérant, ainsi Maître Sébastien COÏ, en remplacement de Maître Georges PIERRET, représentant de l’Etude d’avocats PIERRET & ASSOCIES S.AR.L., pour la commune de Y, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2023.

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Monsieur X se vit informer en date du 3 avril 2023 de l’existence d’une décision du bourgmestre de la commune de Y ayant procédé à sa radiation du registre de la population à l’adresse L-… Y …, décision matérialisée par une inscription de changement de résidence audit registre du 3 mars 2023 ainsi que par un courrier d’information adressé à Monsieur X en date du 14 mars 2023 et libellé comme suit :

1 « Suivant des informations rapportées à mes services et après une enquête de la police, notre bureau de la population est obligé de vous rayer de notre registre communal de la population.

Conformément à la loi du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, au registre national des personnes physiques,.., article 22, je vous informe par la présente de cette décision inévitable.(…) » Par courrier du 7 avril 2023, Monsieur X s’opposa en les termes suivants à sa radiation du registre de la population :

« J’ai l’honneur de vous écrire, alors qu’en date du 3 avril 2023, vos services m’ont informé lors de ma visite à la commune, sise au …, Y, que j’étais radié du registre communal pour avoir quitté la prédite commune.

Je n’ai jamais communiqué à vos services, que je quittais Votre commune, alors que mon enfant y réside.

La décision a été prise suite à un rapport de police qui ne m’a jamais été remis ni montré.

La radiation d’office est faite en date du 13 mars 2023, alors que vous même, en votre qualité de Bourgmestre, et vos services sont informés, que j’ai déposé une demande de logement à coût modéré à la commune depuis le mois de décembre 2022, pour laquelle je suis en attente de réponse.

Il se pose dès lors la question de cette incroyable célérité à laquelle vous avez procédé à ma radiation, alors qu’aucune urgence ne l’exige. Cela pourrait donner l’impression à un acharnement à des fins inconnues.

Je tiens à souligner que conformément à l’article 25 de la Loi du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, au registre national des personnes physiques, à la carte d’identité, aux registres communaux des personnes physiques, les citoyens de l’Union européenne qui n’ont pas de résidence à Luxembourg ou à l’étranger pour y occuper, peuvent être inscrits à une adresse de référence.

Il est une mesure qui pouvait m’être appliquée, autrement cela me porterait préjudice.

Je vous prie dès lors de bien vouloir faire le nécessaire dans les meilleurs délais pour que je puisse être inscrit dans la commune.

Si vous devriez adopter une position contraire à celle de l’article 25 de la Loi précitée, je vous demande de bien vouloir prendre une décision à caractère individuel susceptible d’être entreprise devant les juridictions compétentes. (…) » Par courrier du 24 avril 2023, le bourgmestre de la commune de Y, ci-après « le bourgmestre », prit position comme suit :

« Nous nous permettons de revenir vers vous au sujet du courrier reçu en date du 11 avril 2023 qui a retenu toute notre attention.

2 Nous vous prions de trouver ci-après la prise de position de la commune concernant votre prédite estimée.

Etant donné que la Commune est obligée de gérer le registre de la population au plus exact et suite aux information obtenues concernant votre résidence dans la maison … à Y la commune a demandé un rapport de police. Ce rapport a abouti au constat que ce logement n’est plus habité. Suite à ce rapport, nos services ont été contraints de procéder à la radiation d’office.

En ce qui concerne votre argumentation d’un droit à l’inscription à une adresse de référence sur base de l’article 25 de la loi du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, nous attirons votre attention sur le paragraphe §1 dudit article qui stipule que « Peuvent demander à être inscrits sur le registre principal, les Luxembourgeois qui n’ont pas de résidence au Luxembourg ou à l’étranger qu’ils pourraient occuper de façon habituelle […] ».

De plus, le paragraphe §2 de l’article 25 de la même loi définit clairement l’adresse de référence comme « […] l’adresse habituelle d’une personne morale œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique, dûment agréée […] » En ce qui concerne votre candidature pour un logement à coût modéré, nos services l’ont bien reçue en date du 12 décembre 2022. Suite à la décision du conseil communal au sujet de la mise à disposition du logement, une réponse négative vous a été envoyée le 6 avril 2023 à l’adresse indiquée sur le formulaire de demande.

Ainsi, après examen de vos remarques et compte tenu des constats précités, nous ne sommes donc pas en mesure de pouvoir vous réinscrire dans notre registre communal sans disposer des pièces justificatives de votre résidence effective à l’adresse nous déclarée.

Nous vous informons en vertu de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qu’un recours peut être introduit auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois contre la décision de radiation, par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I ou à la liste V.

En espérant compter sur votre compréhension, nous vous prions d’agréer, Monsieur X, l’expression de nos sentiments respectueux ».

Monsieur X, par courrier du 27 avril 2023, répliqua comme suit :

« Je reviens vers vous suite à votre courrier recommandé daté du 24 avril 2023 concernant votre prise de position quant à ma radiation d’office de la Commune.

Avant toute action devant devant le Tribunal Administratif, par devant lequel, je me constituerai personnellement Avocat à la Cour, il me parait nécessaire de vous informer que vous avez fait une lecture erronée, sinon incomplète de l’article 25 de la Loi du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, au registre national des personnes physiques, à la carte d’identité, aux registres communaux des personnes physiques.

En effet, cet article dispose en son paragraphe (1) que :

« (1) «Peuvent demander à être inscrits sur le registre principal les Luxembourgeois et, après une durée de résidence et d’affiliation à la sécurité sociale du Grand-Duché de Luxembourg de cinq années au moins, les citoyens de l’Union européenne ainsi que tes 3 ressortissants d’un des autres États parties à l’Accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse qui n’ont pas de résidence eu Luxembourg ou à l’étranger qu’ils pourraient occuper de façon habituelle.» Ils sont inscrits à une adresse de référence s’ils sont présumés présents sur le territoire de le commune pendant une durée qui dépasse six mois sur une période de douze mois.

Par adresse de référence, il y a lieu d’entendre l’adresse habituelle d’une personne morale œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique, dûment agréée conformément à la loi modifiée du 8 septembre 1998 réglant les relations entre l’État et les organismes œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique, à laquelle peuvent être adressés le courrier et les documents administratifs, et être signifiés ou notifiés les documents judiciaires en vue de leur transmission effective à leur destinataire …..».

Il s’en suit que l’inscription dont mention est faite dans cet article précité ne concerne pas les personnes morales, mais plutôt, que leurs adresses peuvent être indiquées pour l’inscription sur le registre communal.

La radiation d’office de la commune y afférente n’est par conséquent pas judicieux, elle affecte sérieusement mes droits et intérêts, alors qu’il ne m’est préalablement donnée aucune Information avant ladite radiation, comme le prévoit l’article 9 du Règlement Grand-Ducal du 8 juin 1979, relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Tout au plus, un de vos agents s’est autorisé à informer le public que je n’habite pas la commune au mépris du respect des lois et règlements de l’Etat du Grand-Duché et des dispositions de la RGPD.

Je vous demande de bien vouloir procéder dans un bref délai à ma réinscription rétroactivement à la date du 13 mars 2023, et ce, conformément à l’article 25 de la loi du 19 juin 2013 précitée.

En tout état de cause, et à toute fin utile pour la justice, je vous demande de me communiquer le document du rapport de police (…) ».

Cet échange épistolaire fut conclu par le bourgmestre par courrier du 12 mai 2023, libellé en les termes suivants :

« Je fais suite à votre courrier recommandé avec A.R. daté du 27 avril 2023 à travers lequel vous contestez la décision de radiation d’office du registre communal prise en date du 13 mars 2023.

Bien que cela ne soit pas expressément mentionné dans votre courrier du 27 avril 2023, je considère celui-ci comme valant recours gracieux.

Tout d’abord, et conformément à votre demande, je vous prie de bien vouloir trouver en annexe le rapport de Police dressé en date du 9 mars 2023.

Il résulte de ce rapport « qu’à l’adresse mentionnée, on se trouve devant une maison qui reflet l’impression de ne pas être habité. Même après plusieurs passages, aucun changement n’a pu être détecté. Après avoir contacté Monsieur …, gérant de « … », qui 4 assuraient la gérance de la maison, celui-ci a confirmé au soussigné que la maison n’est plus habitée depuis un certain temps déjà (sic) ».

Ensuite, je tiens à relever que la procédure suivie est conforme aux dispositions de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, au registre national des personnes physiques, à la carte d’identité, aux registres communaux des personnes physiques.

En effet, étant donné que vous êtes dans l’incapacité de prouver que votre résidence habituelle est établie à l’adresse … à L-… Y, la décision de radiation du registre communal est conforme aux dispositions de l’article 22 (2) alinéa 6 et 31 (1) c) de la loi modifiée du 19 juin 2013.

Par ailleurs, la décision de radiation du registre communal est encore conforme aux dispositions de l’article 25 (1) alinéa 1er qui dispose :

« Peuvent demander à être inscrits sur le registre principal les Luxembourgeois et, après une durée de résidence et d’affiliation à la sécurité sociale du Grand-Duché de Luxembourg de cinq années au moins, les citoyens de l’Union européenne ainsi que les ressortissants d’un des autres Etats parties à l’Accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse qui n’ont pas de résidence au Luxembourg ou à l’étranger qu’ils pourraient occuper de façon habituelle. Ils sont inscrits à une adresse de référence s’ils sont présumés présents sur le territoire de la commune pendant une durée qui dépasse six mois sur une période de 12 mois ».

Pour pouvoir être inscrit à cette adresse de référence, il faut donc que le demandeur, outre la question de la durée de résidence et d’affiliation d’au moins cinq années, puisse se prévaloir de la qualité de citoyen de l’Union européenne sinon de celle de ressortissant d’un des autres Etats parties à l’Accord sur l’EEE sinon de celle de ressortissant de la Confédération suisse.

Or, vous ne pouvez pas vous prévaloir de l’une de ces qualités puisque vous bénéficiez de la nationalité ….

Dès lors, la possibilité même de vous inscrire à une adresse de référence est exclue dans votre cas.

Enfin, même si cette possibilité pouvait être évoquée, quod non, l’article 25 (1) alinéa 2 de la loi modifiée du 19 juin 2013 dispose :

« Par adresse de référence, il y a lieu d’entendre l’adresse habituelle d’une personne morale œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique dûment agréée conformément à la loi modifiée du 8 septembre 1998 (…) ».

Or, à l’adresse … à L-… Y, ne réside aucune personne morale œuvrant dans ces domaines mais l’immeuble est, au contraire, bel et bien vide comme indiqué dans le rapport de Police du 9 mars 2023.

Dans ces conditions, je ne peux pas réserver une suite favorable à votre demande et la décision de radiation du registre communal est maintenue.

5 Je vous informe qu’en vertu de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qu’un recours peut être introduit auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois contre la présente décision par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I ou à la liste V. » Par requête déposée le 24 mai 2023 et enrôlée sous le numéro 48976, Monsieur X a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation, de la décision, ainsi qualifiée, du 14 mars 2023. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 48977 du rôle, il a demandé à voir instaurer un sursis à exécution afin de permettre la sauvegarde de ses intérêts en attendant la solution de son recours au fond.

Le requérant fait soutenir que l’exécution de la décision risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, dans la mesure où la décision de radiation du registre communal lui interdirait de prendre part aux élections communales du 11 juin 2023, et ce d’autant plus que les plaidoiries au fond dans cette affaire risqueraient [sic] de ne pas avoir lieu avant l’approche de la date des élections communales du 11 juin 2023, alors même qu’il aurait sollicité une abréviation des délais aux juges du fond. Partant, il ne pourrait accomplir son obligation de citoyen lors d ces élections, de sorte qu’il conviendrait d’imposer le sursis à exécution en temps utile.

Il estime encore que ses moyens invoqués au fond seraient sérieux.

A cet égard, Monsieur X soulève d’abord une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, dans la mesure où à défaut de tout péril en la demeure, il aurait appartenu à l’administration communale de le prévenir de ses intentions avant de prendre la décision de le radier d’office du registre de la population.

Il s’empare ensuite des articles 22 (2) et 27 (1) b) de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, pour soutenir qu’il aurait appartenu au bourgmestre, en cas de doute quant à la réalité de sa résidence habituelle sur le territoire communal, de l’inscrire d’abord sur le registre d’attente tout en lui demandant d’apporter la preuve de sa résidence par tous moyens, tout en relevant qu’il aurait demandé en date des 7 et 27 avril 2023 son inscription sur une adresse de référence conformément à l’article 25 de la loi précitée du 19 juin 2013. Il s’en remet enfin à prudence de justice quant aux causes d’illégalité externe pouvant affecter la décision déférée.

Monsieur X affirme ensuite que le bourgmestre aurait commis un détournement de pouvoir en lui interdisant toute possibilité d’avoir une quelconque résidence dans la commune de Y, ce qui l’empêcherait de participer activement à la vie politique et particulièrement aux élections communales prochaines du 11 juin 2023.

Il reproche encore à l’administration communale de Y d’avoir inscrit sur le registre de la population qu’il aurait déclaré quitter la commune, alors qu’il n’aurait ni changé d’adresse, ni de lieu de résidence.

6 L’administration communale de Y, après avoir rappelé les antécédents de la présente affaire, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause, le litismandataire de la commune de Y contestant tant le sérieux des moyens que l’existence d’un risque de préjudice, légitime, grave et définitif.

Il convient à titre liminaire que l’attention de Maître X, qui se représente lui-même, a été explicitement attirée sur le fait que le Règlement Intérieur de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg interdit expressément en son article 3.8. à un avocat de plaider lui-même son affaire, ledit article précisant que « Il est interdit à l’avocat, en cas de procès personnel, à l’exception des procédures de recouvrement de ses honoraires, de plaider lui-même son affaire.

Il lui est recommandé de confier la défense de ses intérêts à un confrère ne faisant pas partie de la même étude ». Maître X a toutefois insisté sur la nécessité de pouvoir se défendre lui-

même et de pouvoir présenter sa défense à l’audience des plaidoiries du 7 juin 2023 compte tenu de l’urgence de l’affaire, l’échéance des élections communales du 11 juin 2023 ne lui permettant pas de se faire représenter en temps utile.

Il convient ensuite de rappeler qu’en vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que la demande de suspension a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif ; les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue. Par ailleurs, comme le sursis à exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisqu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Il en résulte qu’un sursis à exécution ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué :

en d’autres termes, la décision contestée doit porter préjudice ou atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, aux intérêts du requérant tels que mis en avant au titre de préjudice.

En d’autres termes, un sursis à exécution ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué : en d’autres termes, le préjudice doit découler directement de l’exécution régulière de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours1.

En l’espèce, force est de constater que le requérant entend se prévaloir au titre de préjudice grave et définitif du fait que la décision déférée lui interdirait de participer aux élections communales du 11 juin 2023 et à participer aux votes des candidats de son choix.

1 Trib.adm. (prés.) 13 août 2009, n° 25975, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 682.

7 Si la radiation du registre de la population est certes de nature à avoir une incidence, le cas échéant, sur le maintien du requérant sur la liste électorale de la commune de Y, le domicile électoral du citoyen étant, selon l’article 10 de la loi électorale du 18 février 2003, telle que modifiée par la loi du 20 décembre 2013, au lieu de sa résidence habituelle, c’est-à-dire où il habite d’ordinaire, encore faut-il que le requérant, de nationalité …, ait préalablement été inscrit sur cette même liste conformément à l’article 2, point 5, de la loi électorale du 18 février 2003.

Or, de ce point de vue, le requérant reste en défaut de prouver la réalité de sa demande d’inscription en conformité à l’article 8 (3) de la même loi, de même qu’il reste plus particulièrement en défaut de produire la réponse positive du collège des bourgmestre et échevins de Y à cette même demande.

Il s’ensuit que sa qualité d’électeur, avancée pour justifier de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, reste en l’état de pure allégation.

Il convient par ailleurs de relever à ce sujet que si le requérant entend d’abord se prévaloir d’une lettre d’information relative aux élections communales lui adressée le 5 janvier 2023 en affirmant qu’il se serait inscrit « les jours suivants dès réception de ce courrier », sans autre preuve de cette allégation, il affirme ensuite dans la requête sous examen s’être rendu en date du 3 avril 2023 à l'administration communale pour une « demande d'information sur les modalités de vote du 11 juin 2023 ». Or, sachant qu’aux termes de l’article 12, paragraphe 1er, de la loi électorale modifiée du 18 février 2003 « les listes électorales sont provisoirement arrêtées par le collège des bourgmestre et échevins le cinquante-cinquième jour avant le jour du scrutin à dix-sept heures », le dernier délai pour l’inscription des non-luxembourgeois sur les listes électorales était le lundi 17 avril 2023 à 17 heures : or, si le requérant a ensuite entrepris de s’opposer à sa radiation du registre de la population, il n’appert pas qu’il ait suite à cette demande d’information introduit une demande d’inscription sur la liste électorale en temps utile, à savoir avant le 17 avril 2023.

Le risque de préjudice tel qu’allégué demeure dès lors actuellement en l’état de simple allégation.

Le soussigné relève ensuite que même à admettre pour les besoins de la discussion que Monsieur X ait été valablement inscrit sur la liste électorale de la commune de Y et ait été ensuite, en conséquence de sa radiation du registre de la population, également radié de la liste électorale en conformité avec l’article 10, alinéa 2, de la loi électorale modifiée du 18 février 2003, il lui aurait, en tout état de cause, impérativement appartenu d’exercer les voies de recours administratives et contentieuses spécifiques prévues aux articles 12, 15 et 18 de la loi électorale modifiée du 18 février 2003, ce que manifestement il a omis de faire, de sorte qu’à défaut d’avoir utilement intenté ces recours, la liste électorale de la commune de Y est devenue définitive, conformément à l’article 16 de la même loi, le soixante-douzième jour avant le jour du scrutin, c’est-à-dire le 28 avril 2023.

En d’autres termes, non seulement le préjudice mis en avant par le requérant résulte directement d’un autre acte administratif, non déféré ni énervé, mais ce préjudice doit encore être considéré comme actuellement consommé, puisque la liste électorale est à ce jour définitivement clôturée : dès lors, même à admettre l’existence d’un tel risque de préjudice en cas de non suspension de la décision communale déférée, ledit risque devrait actuellement être considéré comme intégralement consommé, dans le sens qu’une éventuelle ordonnance de suspension serait en tout état de cause sans effets.

8 Or, lorsqu’une mesure dont le sursis à exécution est demandé a d’ores et déjà été exécutée au moment où le président du tribunal est appelé à statuer, la demande de sursis à exécution a perdu son objet et elle doit être déclarée irrecevable. En effet, il n’y a pas lieu de faire droit à des conclusions à fin de sursis dès lors que la décision est déjà exécutée et que la mesure n’est plus susceptible de produire d’effet utile. En d’autres termes, même à admettre que l’exécution de la mesure incriminée ait été susceptible de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, qu’il s’agissait de prévenir, ce préjudice est consommé par l’exécution de la mesure litigieuse et la juridiction du président du tribunal est dès lors épuisée2.

Ainsi, une éventuelle ordonnance de suspension du courrier du 14 mars 2023 matérialisant la décision de radiation du registre de la population de Monsieur X, intervenant quelques jours avant les élections communales du 11 juin 2023, serait sans incidence aucune sur le droit de vote allégué du requérant, les listes électorales étant définitivement closes depuis le 28 avril 2023.

Enfin, il convient de rappeler, à l’instar de l’administration communale de Y, que le préjudice que le requérant cherche à empêcher doit être légitime au même titre que l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’un recours administratif ne doit pas seulement être personnel et direct, effectif, né et actuel, mais encore être légitime et ne pas viser à voir consacrer une situation contraire à la loi3.

Si le juge qui a à se demander si le préjudice est légitime ne doit évidemment pas préjuger de la solution à donner au fond du litige, force est toutefois de constater qu’en l’espèce, si le requérant a mis formellement en avant son désir de participer aux élections communales du 11 juin 2023, il appert toutefois, avec une certitude suffisante, que le but recherché par le requérant est en fait tout autre.

Ainsi, malgré les demandes répétées du soussigné, le requérant, ayant comparu personnellement comme relevé ci-avant, a systématiquement évité de préciser sa résidence réelle actuelle, sans toutefois affirmer, voire seulement établir, qu’il aurait toujours sa résidence effective et réelle à Y …, le demandeur n’ayant en particulier soumis aucun des éléments probants prévus à l’article 22 (2) de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques, à savoir « le lieu rejoint régulièrement après les occupations professionnelles, le lieu de fréquentation scolaire des enfants, les consommations en énergie domestique, les frais de téléphone, le contrat de bail, l’accord du propriétaire ou de l’occupant du logement, la résidence habituelle du conjoint, du partenaire ou de tout autre membre de la famille », le soussigné relevant encore que le courrier de l’administration communale du 14 mars 2023 adressé à l’adresse L-… Y, …, a manifestement été retourné par les services postaux au motif que Monsieur X serait « parti sans laisser d’adresse », ce qui est de nature à conforter les conclusions, en tout état non énervées, de l’enquête policière dont il résulte que l’adresse L-

…Y, … aurait été inhabitée en mars 2023.

Le soussigné relève encore que Monsieur X, plutôt que de rapporter la preuve de sa résidence effective à l’adresse en question, que ce soit au niveau précontentieux ou au niveau contentieux, a offert de fournir comme adresse le lieu de résidence de son ex-épouse et de son fils dans la localité de …, tandis qu’il semble résulter des explications évasives fournies en 2 Trib. adm. 10 avril 2001, n° 13203 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 696, et autres références y citées.

3 Trib. adm. 27 janvier 1999, n° 10858 ; trib. adm. 6 juin 2007, n° 21854; trib. adm. 15 juillet 2009, n° 25170 Pas.

adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 22.

9 cause que le requérant n’habiterait effectivement plus à l’adresse de Y, …, son contrat de bail ayant été résilié par le bailleur, mais qu’il résiderait « par-ci par-là chez des amis », de sorte qu’il nécessiterait maintenant une adresse fictive ou virtuelle dans la commune de Y pour pouvoir y prétendre à l’attribution d’un logement social et pour pouvoir y déposer sa demande de naturalisation.

Il convient de relever à ce sujet l’article 22 (1) de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques précise qu’une personne est présumée « avoir sa résidence habituelle au lieu où elle réside de façon réelle et continue ».

Or, la démarche précontentieuse et contentieuse du requérant tend à première vue à contourner cette disposition pour essayer d’obtenir une domiciliation à l’adresse litigieuse sans y résider « de façon réelle et continue ».

Aussi, l’intérêt ainsi manifestement sous-jacent du requérant tendant, pour les besoins de démarches administratives, à obtenir ou conserver une adresse dans la commune de Y, nonobstant le fait que manifestement, en l’état actuel du dossier et au vu des résultats non énervés de l’enquête policière, il ne réside plus « de façon réelle et continue » à l’adresse indiquée, doit être considéré comme illégitime et le recours sous analyse doit être considéré comme tendant à assurer au provisoire la préservation de cette situation illégale.

Or, comme le rôle du juge du provisoire n’est pas de permettre à des situations illégales de perdurer, le préjudice ainsi décelé ne saurait justifier la mesure sollicitée.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, condamne le requérant aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juin 2023 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48977
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-08;48977 ?

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