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20/03/2023 | LUXEMBOURG | N°48576

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2023, 48576


Tribunal administratif N° 48576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48576 1re chambre Inscrit le 23 février 2023 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2023 par Maître S

anae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au...

Tribunal administratif N° 48576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48576 1re chambre Inscrit le 23 février 2023 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2023 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Arménie), de nationalité arménienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 février 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, prise dans le cadre d’une procédure accélérée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le premier juge présidant la première chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Clémence Remier, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mars 2023 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 9 mars 2023 informant les parties de la rupture du délibéré ;

Le premier juge présidant la première chambre du tribunal administratif entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Clémence Remier, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2023.

Le 17 septembre 2022, Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre après avoir été conduit à l’hôpital à la suite de son implication dans une rixe. Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé, qui ne put présenter de documents d’identité en cours de validité, faisait l’objet d’un signalement dans la base de données du Système d’Information Schengen (SIS).

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.

Par arrêté séparé du même jour, également notifié ce jour-là, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la 1notification de la décision en question sur base des dispositions de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par arrêté du 13 octobre 2022, notifié en date du 17 octobre 2022, le ministre prorogea ladite mesure de placement en rétention pour une nouvelle durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Par arrêté du 24 octobre 2022, le ministre interdit à Monsieur … l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Le recours contentieux introduit par l’intéressé en date du 28 octobre 2022 contre l’arrêté ministériel, précité, du 13 octobre 2022, fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 7 novembre 2022, inscrit sous le numéro 48107 du rôle, l’appel interjeté par Monsieur … à l’encontre de ce jugement ayant été déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 29 novembre 2022, inscrit sous le numéro 48199C du rôle.

Par arrêté du 16 novembre 2022, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea la susdite mesure de placement en rétention pour une nouvelle durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Il ressort des explications du délégué du gouvernement, non contestées par le demandeur, que le 5 décembre 2022, l’intéressé manifesta son intention de déposer une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », mais que cette demande ne fut formellement introduite auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », qu’en date du 27 janvier 2023.

Par arrêté du 5 décembre 2022, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement en rétention du 16 novembre 2022 et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question en vertu de l’article 22 (2) b) et e) de la loi du 18 décembre 2015.

Par jugement du tribunal administratif du 8 décembre 2022, portant le numéro 48227 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 1er décembre 2022 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 16 novembre 2022.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … en date du 12 décembre 2022 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 5 décembre 2022 fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 19 décembre 2022, portant le numéro 48263 du rôle.

Le 27 janvier 2023, jour de l’introduction formelle de la demande de protection internationale de Monsieur …, un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dressa un rapport sur l’identité de ce dernier.

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 février 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le surlendemain, le ministre informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de 2l’article 27 (1) a), g) et h) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« […] Vous déclarez être de nationalité arménienne, de confession orthodoxe grégorienne, être marié religieusement et avoir dernièrement vécu avec votre épouse et deux de vos enfants à Etchmiadzine, où vous auriez travaillé en tant que …. Vous précisez que votre épouse et vos trois enfants séjourneraient illégalement en France depuis 2011. Pour subvenir à leurs besoins, vous auriez travaillé pendant plus de trente mois en France, mais comme vous vous trouveriez actuellement en rétention, la situation serait « problématique » (p. 3 du rapport d’entretien).

Vous précisez encore vivre à cinq-cents mètres de la frontière luxembourgeoise et être souvent venu au Luxembourg pour faire des achats. Votre dernière entrée sur le territoire luxembourgeois s’expliquerait par l’anniversaire d’un ami. Après avoir été impliqué dans la bagarre susmentionnée et avoir été placé au Centre de rétention en vue de votre rapatriement en Arménie, vous auriez introduit une demande de protection internationale pour ainsi éviter un retour en Arménie et une séparation de votre famille. Vous auriez été d’avis que l’introduction d’une telle demande vous permettrait d’être relâché et d’ainsi pouvoir retourner en France.

Vous ne voudriez pas retourner en Arménie parce que vous ne pourriez pas vivre sans votre famille Vous ajoutez encore ne pas vouloir retourner en Arménie parce qu’il y aurait la « guerre » (p. 6 du rapport d’entretien). En plus, vous y connaîtriez des ennuis à cause du refus de votre père de participer à la guerre de 1991, ce qui aurait fait en sorte que tout votre quartier en aurait voulu à votre famille. Vous affirmez que des anciens combattants, qui seraient désormais des généraux dans l’armée, auraient eu l’habitude de frapper votre père et qu’ils auraient brûlé sa maison de sorte que toute votre famille aurait été obligée de quitter « … » (p.

6 du rapport d’entretien). Vous-même vous seriez également bagarré avec ces gens quand votre père aurait été absent.

A cela s’ajoute qu’en 2005, votre grand-père aurait gagné de l’argent en transportant des gens avec sa camionnette. Un jour, il aurait eu un accident et un passager aurait été mortellement blessé. Votre père, propriétaire de la camionnette, aurait par la suite été arrêté mais libéré un an plus tard et depuis, la famille de la victime vous créerait des ennuis. En 2006, vous auriez songé à quitter l’Arménie à cause des problèmes de votre père de sorte que vous auriez commencé à épargner de l’argent. Le 6 juin 2011, à cause des menaces dirigées contre votre père, vous-même ainsi que votre frère et votre sœur auriez décidé de quitter l’Arménie.

Depuis vous auriez vécu en France, où vous auriez introduit une demande de protection internationale la même année. Depuis le refus de cette demande, vous auriez vécu clandestinement en France.

En 2021, la famille de la victime de cet accident de la route de 2005 aurait perpétré une tentative d’attentat contre votre père lorsque quelqu’un aurait percuté sa voiture avec un camion. Quatre mois plus tard, toujours en 2021, « ils » auraient tué votre beau-frère et lui auraient coupé la tête. Il s’agirait d’une famille de criminels connectés et un procès contre ces personnes n’aboutirait à rien. Vous précisez néanmoins que « depuis 2020 » (p. 6 du rapport d’entretien), votre père serait handicapé, et par conséquent la famille en question ne l’embêterait plus.

En cas de retour en Arménie, vous craindriez que ladite famille ne puisse s’en prendre à vous ou à vos enfants. A cela s’ajoute que vos enfants auraient grandi en France et ne pourraient plus retourner vivre en Arménie, d’autant plus que votre fils … aurait désormais … ans et serait 3par conséquent immédiatement « envoyé à la guerre » (p. 8 du rapport d’entretien). […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, lu ensemble avec la désignation de l’acte attaqué telle que figurant à la première page de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 8 février 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale.

Ainsi, et à l’instar du délégué du gouvernement, le soussigné est amené à constater, quant à l’objet du recours, que le dispositif de la requête introductive d’instance ne contient aucune mention de la décision ministérielle du 8 février 2023 de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, ni de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

A cet égard, le soussigné relève que la seule décision utilement attaquée est celle qui figure dans le dispositif de la requête introductive d’instance1, étant encore précisé que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours et son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance.2 Il s’ensuit qu’à défaut de toute mention, au dispositif de la requête introductive d’instance, d’un recours contre la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, respectivement d’un recours contre l’ordre de quitter le territoire, le soussigné n’est pas valablement saisi de tels recours.

Par conséquent, les arguments et moyens développés par le demandeur quant à l’application, par le ministre, de la procédure accélérée sont d’ores et déjà à écarter pour défaut de pertinence.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus d’une demande de protection internationale prises dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 8 février 2023 refusant de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A titre liminaire, le soussigné relève qu’à l’audience publique des plaidoiries du 8 mars 2023, le délégué du gouvernement a soutenu ne pas avoir pu prendre connaissance de la pièce n° 3 versée par Maître Sanae Igri, intitulée « Vidéo sur clé USB ».

1 Trib. adm., 17 décembre 2001, n° 12830 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 373 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 13 juin 2005, n° 19368 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 374 et les autres références y citées.

4Etant donné qu’après la prise en délibéré de l’affaire à la même audience, il s’était avéré qu’une seule clef USB contenant la susdite pièce avait été déposée au greffe du tribunal administratif, le tribunal a, par avis du 9 mars 2023 et afin d’assurer le respect du principe du contradictoire, informé les parties de la rupture du délibéré et invité la partie demanderesse à déposer dans les meilleurs délais, mais au plus tard pour le 13 mars 2023, à 12.00 heures, une clef USB supplémentaire contenant la pièce en question, l’affaire ayant été refixée pour continuation des débats à l’audience publique du 15 mars 2023, pour permettre à la partie étatique de prendre oralement position quant à cette pièce.

La clef USB ainsi sollicitée n’a cependant été déposée au greffe du tribunal administratif que le 15 mars 2023, jour des plaidoiries, à 10.20 heures.

Par courrier électronique adressé au greffe du tribunal administratif le même jour, à 11.12 heures, le litismandataire du demandeur a encore fourni des pièces supplémentaires, à savoir diverses attestations testimoniales.

A l’audience publique des plaidoiries du 15 mars 2023, le délégué du gouvernement a demandé le rejet tant de la susdite pièce n° 3 que desdites attestations testimoniales.

Quant à la pièce n° 3, le représentant étatique a, sur question afférente du soussigné, précisé ne pas avoir eu la possibilité matérielle d’en prendre connaissance, la clef USB la contenant ne lui étant pas parvenue en temps utile.

Quant aux attestations testimoniales, il a soutenu, en substance, qu’elles seraient dépourvues de valeur probante, étant donné que l’identité de leurs auteurs respectifs ne serait pas établie et qu’elles ne respecteraient pas les conditions de forme inscrites à l’article 402 du Nouveau Code de procédure civile.

Le litismandataire du demandeur a conclu que les susdites pièces ne seraient pas à rejeter, en faisant valoir que leur dépôt tardif s’expliquerait par le fait que tant la clef USB susmentionnée que les attestations testimoniales litigieuses ne lui seraient parvenues que la veille de l’audience.

Quant à la clef USB versée par la partie demanderesse, le soussigné relève que si, de manière générale, le tribunal administratif tolère la fourniture de pièces sur support informatique, il est évident que de telles pièces ne peuvent être prises en considération que si elles ont pu être soumises à un débat contradictoire.

Or, en l’espèce, en ne joignant qu’une seule clef USB contenant la susdite pièce n° 3 à sa requête introductive d’instance, malgré le fait que l’article 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives exige la fourniture des pièces en quatre copies, et en ne déposant la clef USB supplémentaire, telle que sollicitée par le soussigné, que le jour de l’audience à laquelle l’affaire avait été refixée, à 10.20 heures, soit bien au-delà du délai imparti à cette fin aux termes du susdit avis, la partie demanderesse a rendu impossible tout débat contradictoire quant à la pièce concernée, de sorte que celle-ci est à écarter des débats. Dans ce contexte, le soussigné relève encore qu’il est difficilement compréhensible que le litismandataire du demandeur n’ait – apparemment – pas veillé à sauvegarder une copie de la vidéo litigieuse, avant de la déposer sur support informatique au greffe du tribunal administratif en annexe à la requête introductive d’instance et qu’il n’ait, par la suite, pas été en mesure de se procurer en temps utile une telle copie, tel qu’il l’a soutenu à l’audience publique des plaidoiries du 15 mars 2023, alors que ladite vidéo est d’une durée inférieure à deux minutes, de sorte qu’a priori, elle aurait aisément pu faire l’objet d’une transmission par voie électronique.

5 En revanche, étant donné que lors des plaidoiries du 15 mars 2023, le délégué du gouvernement a pu prendre position quant aux attestations testimoniales produites par la partie demanderesse le jour de l’audience, de sorte qu’aucune lésion des droits de la défense n’est vérifiée à cet égard, lesdites attestations ne sont pas à écarter des débats3, même si le fait, pour la partie demanderesse, de profiter de la rupture du délibéré, prononcée dans l’unique but de permettre un débat contradictoire quant à la vidéo invoquée par elle, pour verser, à quelques heures de l’audience, des pièces supplémentaires non sollicitées par le soussigné et qui ont été établies le 10 mars 2023, soit postérieurement à la rupture du délibéré, témoigne d’un comportement procédural pour le moins déloyal.

A l’appui de son recours, et s’agissant, d’abord, du volet de la décision ministérielle déférée portant refus d’octroi du statut de réfugié, le demandeur insiste sur le fait qu’il se dégagerait de son rapport d’audition que sa famille aurait été « […] prise pour cible […] » en raison du refus de son père de participer à la guerre qui aurait eu lieu dans son pays d’origine en 1991. Plus particulièrement, il aurait expliqué que des anciens combattants, qui seraient aujourd’hui des généraux, auraient commandité plusieurs « […] mises à tabac […] » de son père pour finalement ordonner que leur domicile familial serait incendié, événement à la suite duquel le demandeur et sa famille auraient été obligés de quitter leur ville d’origine.

Il en déduit qu’en cas de retour en Arménie, il courrait un risque réel d’être victime d’actes similaires, « […] en raison de son appartenance à une famille ayant refusé de prendre part à un conflit armé impliquant l’Arménie, et cela du fait de personnes appartenant aux forces armées arméniennes […] ».

Contrairement à l’argumentation ministérielle, les faits ainsi invoqués, qui se seraient déroulés au début des années 2000, ne seraient pas trop éloignés dans le temps pour justifier, à l’heure actuelle, l’octroi d’une protection internationale, étant donné qu’ils auraient été « […] le fait générateur de nombreuses représailles […] », le demandeur se prévalant, sur ce dernier point, de l’accident de la route dont son père aurait été victime en 2021, ainsi que de l’assassinat de son beau-frère la même année.

Compte tenu de ces représailles, sa famille ferait l’objet d’une véritable vendetta, et ce depuis de nombreuses années.

Le demandeur invoque encore, en substance, un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine, en soulignant que malgré les nombreux signalements et plaintes leur adressés par lui-même et sa famille, ces dernières seraient restées inactives. Il ajoute que le processus de lutte contre la corruption qui aurait été engagé par les autorités arméniennes serait « […] trop long alors que [ses] jours […] [seraient] comptés dès son entrée sur le territoire arménien […] ».

A l’appui de sa demande tendant à l’octroi de la protection subsidiaire, le demandeur explique que son grand-père aurait été impliqué dans un accident de la route, alors qu’il aurait transporté des gens avec sa camionnette, et que lors de cet accident, une personne aurait été mortellement blessée. Depuis lors, la famille de la victime mènerait une véritable vendetta contre celle du demandeur. Dans ce contexte, Monsieur … se prévaut, à nouveau, de l’accident de la route dont son père aurait été victime en 2021, ainsi que de l’assassinat de son beau-frère la 3 Voir : trib. adm., 17 novembre 2003, n° 16219 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 818 et les autres références y citées.

6même année.

Compte tenu du caractère aveugle de ces actes de vengeance et du fait que la famille se trouvant à l’origine de ces derniers ferait partie d’un « […] réseau criminel fort influent dans la région qui bénéficierait de passe-droits de la part des autorités […] », le demandeur « […] signerait purement et simplement son arrêt de mort […] », s’il retournait en Arménie.

Dans ce contexte, Monsieur … ajoute que dans la mesure où il aurait dû fuir son pays d’origine de manière précipitée, il serait compréhensible qu’il n’aurait pas « […] pensé à réunir les preuves de ces actes barbares […] ».

En conclusion, le demandeur soutient que la décision portant refus de sa demande de protection internationale devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre de la décision déférée sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

Le soussigné relève ensuite qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son 7appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, le soussigné constate qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, le demandeur invoque (i) la « guerre » qui sévirait dans son pays d’origine, (ii) sa crainte de subir des représailles de la part d’anciens combattants, qui seraient aujourd’hui des généraux, au motif du refus de son père de participer au conflit armé de 1991, le demandeur invoquant à cet égard des actes de violence subis par son père, ainsi que l’incendie criminel de leur maison familiale, de même que (iii) sa crainte de subir des actes de vengeance de la part de membres de la famille d’une personne décédée lors d’un accident de la circulation dans lequel son grand-père aurait été impliqué en 2005. Sur ce dernier point, le demandeur soutient que tant lui-même que son père auraient subi des actes de violence de la part de membres de cette famille 8et que cette dernière serait responsable non seulement d’une tentative d’assassinat dont son père aurait été victime en 2021, lorsqu’un inconnu aurait percuté sa voiture avec un camion, mais aussi de l’assassinat de son beau-frère la même année.

S’agissant d’abord de la crainte du demandeur en relation avec la « guerre » qui sévirait dans son pays d’origine, le soussigné constate qu’il ne ressort d’aucun élément probant soumis à son appréciation qu’en Arménie, la situation sécuritaire serait telle que tout ressortissant arménien serait exposé à un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution, respectivement d’atteintes graves, du seul fait de sa présence sur le territoire. La crainte sous analyse n’est, dès lors, manifestement pas de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, d’une protection internationale.

Quant à la crainte du demandeur de subir des représailles de la part d’anciens combattants, en raison du refus de son père de participer au conflit armé dont son pays d’origine aurait été le théâtre entre 1991 à 1994, le soussigné constate qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à son appréciation qu’à l’heure actuelle, soit approximativement 29 ans après la cessation de ce conflit armé et 12 ans après le départ de Monsieur … de son pays d’origine en 2011, l’intéressé courrait un risque réel de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves en relation avec le refus de combattre de son père, ce d’autant plus que le demandeur a lui-même déclaré que depuis que ce dernier serait handicapé, ce qu’il serait depuis 2020, « […] ils [auraient] lâché le morceau […] »4.

Si, dans sa requête introductive d’instance, le demandeur semble vouloir lier l’accident de la circulation dont son père aurait été victime en 2021, de même que la mort de son beau-frère la même année au refus de combattre de son père, l’argumentation afférente est cependant à écarter, pour être en contradiction avec les déclarations faites par Monsieur … au cours de son audition par un agent ministériel, selon lesquelles ces faits seraient l’œuvre de la famille de la personne décédée dans le cadre de l’accident de la circulation que son grand-père aurait eu en 2005.

Ainsi, le soussigné arrive à la conclusion que la crainte du demandeur de subir des représailles de la part d’anciens combattants, au motif du refus de son père de participer au susdit conflit armé, n’est, de toute évidence, pas de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, d’une protection internationale.

Cette conclusion n’est manifestement pas énervée par les attestations testimoniales versées le jour de l’audience publique des plaidoiries du 15 mars 2023. En effet, celles-ci n’emportent pas la conviction du soussigné, étant donné qu’outre le fait qu’aucune preuve de l’identité de leurs auteurs respectifs n’est fournie, elles sont rédigées en des termes tout à fait généraux, sans autre précision quant à des incidents concrets, dont il se dégagerait que la vie du demandeur serait réellement en danger, en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant à la crainte du demandeur de subir des actes de vengeance de la part de membres de la famille de la personne décédée dans le cadre de l’accident de la circulation dans lequel son grand-père aurait été impliqué en 2005, le soussigné constate qu’il n’est manifestement pas établi qu’en 2023, soit approximativement 18 ans après cet accident, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves en relation avec l’accident en question.

4 Rapport d’audition du demandeur, p. 6.

9En effet, le demandeur n’a pas fait état d’un quelconque incident concret et récent, qui atteindrait le seuil de gravité requis pour pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave et dont le lien avec le décès de cette personne serait établi à suffisance de droit, ses explications selon lesquelles l’accident dont son père aurait été victime en 2021, de même que l’assassinat de son beau-frère la même année seraient l’œuvre de membres de la famille de la personne décédée étant restées à l’état de pures suppositions pour ne pas être appuyées par le moindre élément concret.

Il est, dès lors, manifeste que la crainte du demandeur en relation avec les agissements des membres de la famille susmentionnée n’est pas non plus de nature à justifier l’octroi, à l’intéressé, d’un statut de protection internationale.

Cette conclusion n’est manifestement pas énervée par les susdites attestations testimoniales, qui, pour les raisons indiquées ci-avant, n’emportent pas la conviction du soussigné.

A titre superfétatoire, le soussigné relève encore qu’il n’est manifestement pas établi que dans son pays d’origine, le demandeur ne pourrait obtenir une protection étatique appropriée contre les agissements dont il craint d’être victime de la part des susdits anciens combattants, respectivement de membres de la famille mentionnée ci-avant. En effet, le seul fait que les démarches que lui-même et sa famille auraient entreprises à l’époque auprès des autorités arméniennes n’aient pas abouti à des condamnations, de même que les vagues reproches de corruption qu’il adresse à ces autorités, sont, de toute évidence, insuffisants à cet égard, alors que le soussigné ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément probant, tel qu’un rapport d’une organisation internationale, dont il se dégagerait que le système policier et judiciaire arménien serait défaillant à tel point que les victimes d’infractions pénales ne pourraient raisonnablement espérer obtenir une protection étatique suffisamment efficace, étant encore souligné, dans ce contexte, que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. La conclusion dégagée ci-avant quant à la disponibilité d’une protection étatique appropriée en Arménie n’est manifestement pas ébranlée par les affirmations vagues et non autrement étayées du demandeur selon lesquelles, d’une part, « […] Il n’y a pas de chance qu’un procès aboutisse car ces gens sont connectés. Ce sont des criminels […] »5 et, d’autre part, les membres de la susdite famille appartiendraient à un « […] réseau criminel fort influent dans la région qui bénéficierait de passe-droits de la part des autorités […] »6.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le soussigné conclut que le recours sous examen est à rejeter pour être manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Eu égard à l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros.

Par ces motifs, 5 Ibid..

6 Requête introductive d’instance, p. 5.

10le premier juge présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

écarte des débats la pièce intitulée « Pièce 3 : Vidéo sur clé USB », telle que versée par Maître Sanae Igri ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 février 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale ;

au fond, le déclare manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2023 par le soussigné, Daniel Weber, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48576
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-03-20;48576 ?

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