Tribunal administratif N° 48445 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48445 Inscrit le 24 janvier 2023 Audience publique du 9 février 2023 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre des décisions de la Ville d’Esch-sur-Alzette, en présence de la société B, …, en matière de marchés publics
________________________________________________________________________
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 48445 du rôle et déposée le 24 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Jerry MOSAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son (ses) gérant(s) actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution 1) de la décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-Alzette de ne pas prendre en considération son offre déposée dans le cadre de la soumission publique pour la réalisation de travaux du Lot 13-Aménagements extérieurs dans le cadre de la construction de Nonnewisen Lot 6N, décision lui notifiée par un courrier du 11 janvier 2023, et 2) de la décision, non communiquée, corrélative d’attribution du marché public à la société B, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation déposé au fond en date du même jour, inscrite sous le numéro 48444 du rôle, dirigée contre les mêmes actes ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 25 janvier 2023, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ainsi qu’à la société B ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la Ville d’Esch-sur-Alzette, du 26 janvier 2023 ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société B, du 31 janvier 2023 ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
1 Maître Stéphanie TRAN, en remplacement de Maître Jerry MOSAR, ainsi que Maître Adrien KARIGER, en remplacement de Maître Steve HELMINGER, et Maître Lynn FRANK, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 février 2023.
___________________________________________________________________________
La Ville d’Esch-sur-Alzette ayant annoncé l’ouverture d’une procédure ouverte en vue de l’attribution du marché public relatif à la « réalisation des travaux d’aménagements extérieurs de Nonnewisen Lot 6N », la société A et la société B déposèrent chacune une offre.
Il apparut suite à l’ouverture des offres en date du 14 octobre 2022 que la société A avait déposé une offre d’un montant de 924.169,62 euros TTC, alors que celle de la société B était de 962.626,06 euros TTC.
Par délibération du 16 décembre 2022, le collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-Alzette décida d’adjuger le marché en question de la société B pour le montant de 806.774,96.- TTC, décision dont la société B fut informée par courrier du 11 janvier 2023.
Par courrier du même jour, le collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-
sur-Alzette informa la société A, ci-après « la société A », que son offre n’avait pas pu être prise en considération, ledit courrier étant libellé comme suit :
« Conformément à l’article 97 alinéa (2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, j’ai le regret de vous informer que le collège des bourgmestre et échevins n’a pas pris en considération votre offre relative au marché mentionné sous rubrique, notre choix s’étant porté sur le meilleur offrant.
Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au collège des bourgmestre et échevins.
En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, je vous informe que vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication du 16 décembre 2022 par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.
Passé le délai de quinze jours à compter de la présente information, la décision définitive du collège des bourgmestre et échevins sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. A l’égard de ces soumissionnaires le délai de recours devant le tribunal administratif de trois mois ne commencera à courir qu’à partir de la communication de la décision définitive (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2023, inscrite sous le numéro 48444 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre telle que matérialisée à travers le prédit courrier du 11 janvier 2023 et de la décision corrélative d’attribution du marché, qui à cette date ne lui avait pas été communiquée.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 48445 du rôle, la société A sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.
2 La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
La société A, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, expose qu’à défaut de suspension des décisions querellées, elle serait injustement privée d’un marché important d’une valeur de 924.169,62.- euros TVAC pour lequel elle aurait déjà mobilisé une équipe de neuf salariés, marché qui lui aurait permis de garantir une activité constante pour l’année 2023. Elle affirme que la privation de ce marché constituerait de la sorte un préjudice financier qui devrait probablement être amorti par une perte de son effectif.
Au-delà de ce préjudice financier, l’exécution immédiate des décisions attaquées et plus particulièrement de la décision d’adjudication par la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et la société B, avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé sur le recours en annulation, impliquerait encore nécessairement pour elle un risque tant définitif que grave de perdre toute chance de se voir attribuer et d’exécuter le marché, perte qui ne serait pas nécessairement indemnisable par le biais de l’allocation éventuelle ultérieure de dommages et intérêts.
Elle estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler les décisions querellées.
La société A s’empare ainsi d’abord d’une violation des articles 80, 83 et 85 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 avril 2018 » du chef d’une violation de l’égalité de traitement de tous les soumissionnaires, de l’obligation de transparence et du principe de l’immutabilité de l’offre.
Elle expose à cet effet qu’il résulterait du procès-verbal de l’ouverture des offres du 14 octobre 2022 que son offre de de 924.169,62.- euros était la plus économiquement avantageuse par rapport à celle de la société B, unique autre concurrent en lice, dont l’offre aurait été de 962.626,06.- euros.
Comme l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette n’aurait relevé aucune erreur matérielle ou arithmétique, son offre aurait été conforme au cahier des charges, de sorte qu’elle aurait eu de sérieuses chances de se voir attribuer le marché.
A défaut d’indication de motifs dans le courrier de l’administration communale l’ayant informé du rejet de son offre, elle devrait supposer que l’offre de la société B a été modifiée après l’ouverture des soumissions. Or, sauf erreurs arithmétiques visées expressément par l’article 81 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, ou matérielles qui apparaissent de manière manifeste au moment de l’examen des offres, une offre déposée ne pourrait plus être modifiée sous peine de heurter le principe de l’immutabilité de l’offre et le principe d’égalité de traitement de tous les soumissionnaires.
La partie requérante en conclut que la modification manifeste de cette offre une fois déposée, respectivement le fait que le pouvoir adjudicateur ait attribué le marché à la société B sur base d’une offre modifiée après l’ouverture des soumissions, constituerait une violation du 3 principe d’égalité de traitement de tous les soumissionnaires et de transparence, violation devant être sanctionnée par l’annulation des décisions querellées.
La société A critique ensuite, en substance, un défaut de motivation en s’emparant de l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, pour ensuite relever n’avoir jamais obtenu communication de la décision d’attribution du marché public dont l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette fait référence dans la décision datée du 11 janvier 2023, tandis que cette même décision serait insuffisamment motivée.
Enfin, elle critique une prétendue mauvaise appréciation par la Ville d’Esch-sur-Alzette du critère de sélection « certificat de système de gestion de qualité » prévu prétendument au point 2.10.4 des conditions particulières du cahier des charges, alors que selon ses propres informations, la société B ne disposerait pas d’un tel certificat de système de gestion de qualité, de sorte que son offre aurait dû être éliminée lors de la phase de présélection conformément à l’article 80 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018.
Le représentant de la Ville d’Esch-sur-Alzette, rejoint en substance en ses moyens de défense et explications par l’avocat de la société B, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
Il expose dans ce contexte notamment que l’offre de la société B aurait été affectée d’erreurs matérielles, de sorte qu’elle aurait dû être rectifiée, ce qui l’aurait élevée en offre la moins-disante ; il conteste par ailleurs l’existence d’un préjudice grave et définitif dans le chef de la société A, en soulignant que celle-ci se serait contentée d’un exposé essentiellement théorique.
En vertu de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 24 janvier 2023 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
4 L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1, dans le sens que l’on peut pressentir une possible, voire probable annulation ou réformation.
Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.
Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »2. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie3 :
l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration4.
Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.
Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.
Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie.
Or, de ce point de vue, le premier des moyens d’annulation présentés à l’appui du recours au fond ne présente pas en l’état actuel d’instruction du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire le sérieux nécessaire.
1 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 611, et les autres références y citées.
2 Trésor de la langue française.
3 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».
4 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.
5 En effet, si la société A se base sur une modification de l’offre de la société B qui aurait été effectuée en violation de l’égalité de traitement de tous les soumissionnaires, de l’obligation de transparence et du principe de l’immutabilité de l’offre, il résulte toutefois des explications documentées de la Ville d’Esch-sur-Alzette que l’offre initiale de la société B, telle que cristallisée au moment de l’ouverture des offres, aurait été affectée d’une erreur matérielle.
Ainsi, son offre, d’un montant global de 952.626,06.- TVAC, se serait décomposée en deux offres séparées pour des lots distincts (positions 1-8 et positions 20-70) se chiffrant respectivement à 617.814,11.- euros TVAC et 196.396,20.- euros TVAC, offres que la société B aurait additionnées pour obtenir un total de 814.210,31.- euros TVAC, montant auquel elle aurait à nouveau ajouté un taux de 17 % de TVA.
Le bureau d’études en charge de l’examen des offres aurait, par courrier du 21 octobre 2022, informé la société B de cette erreur et l’aurait d’office rectifiée.
Il appert encore que la même offre de la société B était affectée d’une seconde erreur, dans la mesure où ce soumissionnaire aurait comptabilisé dans le total offert une option, à savoir la position 4.10, pour un montant de 6.355.- euros TVAC, erreur là encore rectifiée par la soustraction de ce montant, de sorte que l’offre finale, après rectification, de la société B se serait élevée pour les positions concernées à 610.378,76.- euros TVAC, soit un prix moindre à celui offert par la société A de 708.803,51.- euros TVAC, et pour l’ensemble de la soumission à 806.774.- euros TVAC, à comparer au prix de 924.169,62.- euros TVAC de la société A.
Si la société A fait certes plaider que la rectification de la double imputation de la TVA ne constituerait pas d’une erreur matérielle ou arithmétique, de sorte à contester l’application par le pouvoir adjudicateur de l’article 81 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, une telle contestation laisse toutefois de convaincre.
Il appert en effet de la jurisprudence que doivent être considérées comme erreurs matérielles des erreurs qui apparaissent manifestement au moment de l’examen des offres5 :
une telle erreur devrait partant être à ce point évidente que nul - principalement le pouvoir adjudicateur - ne doit pouvoir s’en prévaloir de bonne foi6 : cette notion semble ainsi viser en la matière des erreurs qui comportent, en quelque sorte, en elles-mêmes la rectification qu’elles appellent, telles que les absurdités ou les incohérences évidentes ; ainsi, il faut que le pouvoir adjudicateur soit en mesure de la corriger sur la base de l’offre elle-même7.
Ainsi, dans le cadre d’un arrêt du Conseil d’Etat français8, le rapporteur public, lors de ses conclusions sur cette affaire, avait ainsi tenté de définir l’erreur purement matérielle : selon lui, il s’agirait « d’erreurs qui comportent, en quelque sorte, en elles même la rectification qu’elles appellent », telles que les absurdités ou les incohérences.
Il résulte encore d’un arrêt9 de la Cour de Justice de l’Union européenne que celle-ci admet que le pouvoir adjudicateur puisse inviter un soumissionnaire à clarifier une offre ou à rectifier une erreur matérielle manifeste sans toutefois, notamment, que cette clarification ou cette rectification ne puissent être assimilées à la présentation d’une nouvelle offre. Elle admet 5 Voir par exemple trib. adm. 21 février 2001, n° 12238, Pas. adm. 2022, V° Marchés publics, n° 80.
6 CE fr., 21 septembre 2011, n° 349149 7 Y. Cabuy, G. Dereau, V. Dor, P. Thiel, M. Vastmans, Le nouveau droit des marchés publics en Belgique. De l’article à la pratique, coll. Performance publique, Larcier, Bruxelles, 2013, p. 552.
8CE fr.. 21 septembre 2011, req. n° 349149.
9 CJUE, 28 février 2018, C-523/16 et C-536/16.
6 ainsi plus particulièrement des demandes constituant « à l’évidence, de simples demandes de clarification d’offres nécessitant d’être ponctuellement corrigées ou complétées ou de faire l’objet d’une correction d’erreurs matérielles manifestes », sans qu’elles ne puissent « aboutir à la présentation, par un soumissionnaire concerné, de ce qui apparaîtrait en réalité comme une nouvelle offre ».
Cette jurisprudence communautaire semble être régulièrement répétée.10 En l’espèce, il appert à l’évidence qu’appliquer deux fois le même taux de TVA aux mêmes montants constitue une telle erreur arithmétique absurde, comportant en elle-même la rectification qu’elle appelle.
La jurisprudence semble encore avoir dégagé un second critère, à savoir que l’erreur purement matérielle ne doit pas être de nature à affecter la base des calculs nécessaires à la soumission11.
Or, en l’espèce, il est constant en cause que les montants HTVA des offres n’ont pas été modifiés, de sorte que la base des calculs ne l’a manifestement pas été non plus.
Aussi, le soussigné, sur base d’un examen nécessairement sommaire des argumentations respectives échangées et des circonstances de la cause, admet que les explications concordantes fournies en cause par la Ville d’Esch-sur-Alzette et par la société B sont à première vue de nature à convaincre les juges du fond et à justifier la rectification opérée, étant rappelé que l’article 81 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 prévoit explicitement la rectification des simples erreurs arithmétiques.
Le moyen afférent de la société A ne présente dès lors en l’état actuel du dossier pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
En ce qui concerne le défaut de motivation opposé au pouvoir adjudicateur, tiré, d’une part, de la motivation insuffisante figurant dans le courrier du 11 janvier 2023 et, d’autre part, de l’absence de communication de la décision d’adjudication, il y a lieu de constater que l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, d’une part, ne prévoit pas à première vue la communication de la décision d’attribution aux soumissionnaires évincés, le paragraphe 1er de cette disposition ne prévoyant que l’information afférente du seul adjudicataire qui doit être avisé de la décision d’attribution du marché public, l’adjudicataire étant l’entité bénéficiant de l’adjudication.
D’autre part, quant aux soumissionnaires évincés (« les autres concurrents »), le paragraphe 2 du même article prévoit leur information « par écrit dans les meilleurs délais […] qu’il ne fait pas usage de leur offre, avec l’indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci », la jurisprudence ayant retenu que « Cette information devrait donc inclure le nom du soumissionnaire retenu et les motifs de droit et de fait des décisions y afférentes, en ce compris les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, de sorte à permettre au soumissionnaire qui a présenté une offre régulière mais qui n’a pas été choisi de comprendre la décision du pouvoir adjudicateur12 ».
Voir notamment 10CJUE 11 mai 2017, C‑131/16.
11 Trib. adm. 21 février 2001, n° 12238, Pas. adm. 2022, V° Marchés publics, n° 80, et autres références.
12 Trib. adm. 14 novembre 2022, n° 45470.
7 En l’espèce, la Ville d’Esch-sur-Alzette a indiqué avoir écarté l’offre de la société A alors que son choix s’est porté « sur le meilleur offrant », ce qui, en présence de deux uniques concurrents, semble a priori suffire aux exigences jurisprudentielles, la société A ayant nécessairement dû en déduire a contrario que sa propre offre n’était pas la mieux-disante, mais celle de son unique autre concurrent, à savoir la société B, de sorte que celle-ci serait l’adjudicataire conformément aux articles 1.9.2 et 2.9.2 des clauses contractuelles. Si l’indication du montant de l’offre du concurrent retenu aurait certes apporté davantage de transparence, la seule indication du montant correspondant, sans explications relatives à la rectification opérée des erreurs matérielles, n’aurait apporté guère de plus-value à la motivation existante.
Or, à première vue, les articles 81 et 82 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 n’exigent pas que de telles explications soient communiquées aux autres concurrents, ces dispositions ne prévoyant qu’une information du concurrent dont l’offre a été rectifiée.
Ledit moyen ne paraît dès lors pas non plus suffisamment sérieux La même conclusion s’impose en ce qui concerne le troisième moyen de la société A, laquelle affirme, sans autre précision, « que d’après les informations de la Requérante, la société B ne dispose pas du certificat de système de gestion de qualité ».
Outre que cette allégation non circonstanciée semble à première vue contredite par le constat du bureau d’études chargé d’examiner les différentes offres, lequel a retenu dans son analyse du 17 novembre 2022 que la société B serait « conforme » en ce qui concerne l’exigence « justification d’un système de gestion de qualité », et qu’il ne résulte pas de ladite condition, figurant à l’article 2.10.4. des clauses contractuelles, qu’un quelconque certificat soit exigé, il convient de rappeler que des contestations non autrement circonstanciées ne sauraient être accueillies comme telles comme constituant un moyen sérieux pour ne point répondre aux exigences de précision en fait et en droit requises de la part d’un argumentaire valablement fourni ; en effet, le régime administratif de la preuve fait en premier lieu peser le fardeau de la preuve sur le demandeur, lequel doit effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué, ne serait-ce qu’en fournissant des indices de nature à établir ses prétentions, ce qui, en l’espèce, fait défaut, la partie requérante se référant manifestement uniquement à des rumeurs ou à des allégations non circonstanciées.
Pour l’heure, le soussigné se doit dès lors d’arrêter la conclusion qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, ce moyen ne présente pas suffisamment de chances de succès pour justifier l’institution de la mesure provisoire sollicitée.
Aussi, les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant pas comme suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire telle que sollicitée par la société A. Il y a dès lors lieu de débouter la société A de sa demande sans examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne l’échec de la demande.
Il suit de toutes les considérations qui précèdent que la demande est à rejeter.
8 La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros tel que sollicitée par la société A laisse aussi d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette le recours en obtention d’un sursis à exécution ;
rejette également la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la société A aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 février 2023 par Marc SÜNNEN, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.
s. Xavier DREBENSTEDT s. Marc SÜNNEN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 février 2023 Le greffier du tribunal administratif 9