Tribunal administratif N° 47919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:47919 Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique du 30 septembre 2022 Requête en obtention d’une mesure provisoire introduite par la société A, …, ainsi que par la société B, …, contre des décisions de l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, Luxembourg, en présence de la société C, …, en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 47919 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Benjamin MARTHOZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) la société anonyme A, établie et ayant son siège à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, et de 2) la société B, établie et ayant son siège social à …, immatriculée à la Banque Carrefour des Entreprises Belges sous le numéro …, représentée par ses représentants légaux actuellement en fonctions, regroupées dans le cadre de l’association momentanée AB, tendant principalement à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à 1) la décision de l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, établi et ayant son siège social à L-2227 Luxembourg, 34-40, avenue de la Porte Neuve, immatriculé au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J31, représenté par son conseil d’administration actuellement en fonctions, de ne pas prendre en considération leur offre déposée dans le cadre de la soumission publique pour la réalisation de « travaux de mobilier meublant - LOT 17» concernant le projet « Cité de la Sécurité Sociale - Phase I », décision leur notifiée par un courrier du 24 août 2022, et 2) la décision corrélative d’attribution du marché public à la société C, établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son/ses gérants actuellement en fonctions, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre les mêmes décisions par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 47918 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 13 septembre 2022, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION ainsi qu’à la société C ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de de la société KLEYR GRASSO SECS, inscrite sur la liste V de l’Ordre des avocats de Luxembourg, déposée le 14 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION ;
Vu l’avis urgent adressé le 22 septembre 2022 par le greffe du tribunal administratif à Maître Benjamin MARTHOZ l’invitant à communiquer les exploits de signification des requêtes au fond et en référé ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Benjamin MARTHOZ, ainsi que Maître Mélanie TRIENBACH, en remplacement de Maître Yasmine POOS, représentante de la société KLEYR GRASSO SECS, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 septembre 2022.
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Par avis de marché du 20 mai 2022, l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION annonça l’ouverture d’une procédure ouverte pour la fourniture de différents lots de mobilier meublant destinés au projet « Cité de la Sécurité Sociale - Phase I ».
La société A et la société B, réunies en association momentanée, ci-après « l’association momentanée », déposèrent une offre pour un montant de ….- euros HTVA parallèlement à deux autres concurrents.
Il serait apparu que la rédaction du cahier des charges privilégierait les produits d’un fournisseur déterminé, X, lequel serait en contact avec un seul partenaire luxembourgeois, seul susceptible de bénéficier d’une remise de prix, problématique que l’association momentanée aurait dénoncé via le portail électronique des marchés publics en date du 1er juin 2022, sans que le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION ne prenne concrètement position par rapport à ce problème.
Il apparut suite à l’ouverture des offres en date du 22 juin 2022 en les locaux du FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION que l’association momentanée avait déposée l’offre la moins-disante.
Par courrier du 24 août 2022, le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION informa l’association momentanée que son offre n’avait pas pu être prise en considération, ledit courrier étant libellé comme suit :
« Conformément à l’article 63 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, j’ai le regret de porter à votre connaissance que votre offre n’a pas pu être prise en considération, faute d’avoir été conforme à l’article 61 du règlement précité. En effet, plusieurs positions du bordereau ont été remplies avec un chiffre zéro (0).
2 La présente vous est adressée conformément à l’article 97 paragraphe (2) du règlement grand-ducal précité. Passé le délai de quinze jours à partir de la présente information, il sera procédé à la conclusion du contrat avec l’adjudicataire sur base de l’article 98 du règlement grand-ducal précité, de sorte que vous pouvez introduire une réclamation contre la conclusion du contrat dans un délai de 15 jours à compter de la présente notification.
Passé ce délai, il vous restera toujours la possibilité d’introduire par voie d’avocat à la Cour un recours en annulation à l’encontre de la décision d’adjudication auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la présente notification. (…) » Antérieurement à la notification de ce courrier, l’association momentanée avait à nouveau, par e-mail adressé au pouvoir adjudicateur le 24 août 2022, signalé le fait que le bureau d’architecte ayant élaboré le cahier des charges aurait directement travaillé avec le fournisseur, respectivement avec la société concurrente C , e-mail qui demeura toutefois sans réponse.
Suivant l’e-mail du 8 septembre 2022, le mandataire de l’association momentanée sollicita encore la communication de renseignements ainsi que l’accès au dossier administratif sans que le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION ne réserve de suites à sa demande.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2022, inscrite sous le numéro 47918 du rôle, l’association momentanée a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre telle que matérialisée à travers le prédit courrier du 24 août 2022 et de la décision corrélative d’attribution du marché.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 47919 du rôle, l’association momentanée sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond ainsi que, sous peine d’astreinte, la production forcée du dossier administratif afférent.
La société C, quoique valablement informée par la signification en date du 13 septembre 2022 de la requête sous analyse et dûment convoquée pour l’audience du 27 septembre 2022, ne s’est pas fait représenter. Nonobstant ce fait, le soussigné statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
L’association momentanée estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
L’association momentanée, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, expose qu’à défaut des décisions querellées, elle serait injustement privée d’un marché en raison de l’adjudication erronée à une société qui, en plus d’avoir remis une offre qui aurait dû être rejetée comme n’étant pas la moins-disante, aurait dû voir son offre éliminée pour des distorsions de concurrence patentes.
3 Elle relève que le marché litigieux constituerait un marché unique extrêmement important, d’une valeur de plusieurs millions d’euros puisque sa propre offre se serait élevée à ….- euros HTVA, marché qui aurait pu faire l’objet d’une division en lots afin de favoriser une concurrence et un accès des PME au marché public en référence, sans d’ailleurs que le pouvoir adjudicateur n’ait donné une justification quant à ce choix de ne pas allotir.
Elle donne à considérer que l’absence de réalisation d’une telle opportunité commerciale serait particulièrement sévère dans son chef, ladite perte représentant plus de 31% du chiffre d’affaires cumulé des deux membres de l’association momentanée, de sorte qu’au vu des incidences d’un point de vue commercial, combinées à l’absence d’une réparation adéquate et en temps utile, un tel préjudice serait à caractériser de définitif, l’association momentanée relevant que le chiffre d’affaires moyen et cumulé de ses deux membres sur les trois dernières années s’élèverait à ….- euros.
Au-delà de ce montant particulièrement substantiel, l’association momentanée relève également qu’il s’agirait d’une question d’image de marque et de prestige pour les deux sociétés concernées qui seraient empêchées injustement de pouvoir réaliser ce marché particulièrement représentatif dans le cadre de la construction de la nouvelle cité de la sécurité sociale.
Dès lors, une simple réparation par équivalent, qui interviendrait au terme d’une procédure civile, longue et coûteuse, ne saurait lui procurer une quelconque satisfaction. Par ailleurs, si le contrat était signé, malgré les informations transmises au pouvoir adjudicateur endéans la période de stand-still, le juge administratif serait incompétent pour annuler postérieurement le marché, ce qui occasionnerait un préjudice définitif pour les parties requérantes.
Enfin, dans un dernier ordre d’idées, l’association momentanée souligne que la privation d’une telle référence diminuerait également les chances pour ses deux membres de pouvoir se voir attribuer des marchés ultérieurs, pour lesquels une telle référence d’envergure pourrait être requise.
Dans le cadre de son recours au fond, l’association momentanée demande, en application des articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la communication par le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION de l’ensemble du dossier administratif, et ce afin de pouvoir justement apprécier la façon dont les offres ont été rédigées, présentées et évaluées par le pouvoir adjudicateur, l’association momentanée sollicitant à ce titre, également, dans le cadre de sa requête en obtention d’une mesure provisoire, « la production du dossier administratif au FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, le cas échéant sous astreinte ».
Elle estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler les décisions querellées.
A cet égard, l’association momentanée fait plaider que les décisions déférées seraient entachées d’une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et de l’article 154 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, sinon d’un défaut de motivation, dans la mesure où nonobstant la règle selon laquelle les marchés devraient, à défaut de justification spécifique, être divisés en 4 lots, le marché sous analyse n’aurait pas fait l’objet d’une telle division en lots, sans que la justification avancée par le pouvoir adjudicateur ne convainque.
En effet, l’association momentanée estime que cette justification, selon laquelle les travaux relatifs au projet de la Cité de la Sécurité Sociale auraient déjà fait l’objet d’une première division en plusieurs marchés par corps de métiers séparés, de sorte à ne pas devoir faire l’objet d’une subdivision supplémentaire, ne serait pas fondée, alors qu’une division en lots aurait parfaitement trouvé application dans le cadre de ce marché, en répartissant notamment les lots par types de mobiliers et qu’il n’y aurait pas d’ouvrages importants dans le cas d’espèce, mais simplement une commande d’une importance certaine et aucune obligation, ou surtout de nécessité, à invoquer une indivisibilité des responsabilités, de sorte que ces motifs erronés, qui ne justifieraient nullement une dérogation au principe d’allotissement, équivaudraient à une violation de l’article 154 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité, aux termes duquel « Les pouvoirs adjudicateurs indiquent les principaux motifs justifiant la décision qu’ils ont prise de ne pas subdiviser le marché en lots; lesquels motifs figurent dans les documents de marché ou le rapport individuel visé à l’article 195 ».
L’association momentanée se prévaut ensuite d’une violation des articles 12 de la loi du 8 avril 2018 et 16 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 ainsi qu’une violation des principes généraux des marchés publics et d’une distorsion de concurrence, dans la mesure, en substance, qu’elle aurait été obligée de constater, a posteriori, entre le dépôt de son offre et la décision d’adjudication, qu’un fournisseur de mobilier, à savoir la société allemande X, travaillerait exclusivement avec son partenaire luxembourgeois, à savoir la société C. Or, les types de mobilier à fournir auraient été déterminés par le bureau d’architectes d’intérieur en charge de l’élaboration du cahier des charges de sorte à restreindre la concurrence puisqu’à plusieurs endroits du bordereau, les descriptions des produits seraient restrictifs et orientés vers des produits exclusifs à la société allemande X.
Ainsi, certaines spécificités tellement détaillées des clauses techniques limiteraient les possibilités de trouver des fournisseurs répondant effectivement à l’ensemble de ces spécificités avec un produit de leur gamme, le pouvoir adjudicateur ayant par exemple exigé des bureaux avec exactement les mêmes caractéristiques visuelles que des produits X, des descriptions figurant au cahier des charges seraient spécifiques aux produits X, tandis que la majorité des illustrations du cahier des clauses techniques proviendrait directement dudit site X.
L’association momentanée estime qu’une telle façon de procéder romprait l’égalité de traitement entre les soumissionnaires et le principe de non-discrimination, tandis que cette distorsion de concurrence serait encore plus flagrante au vu de l’article 2.9.5. des clauses administratives particulières, qui stipulerait un délai raccourci pour réclamer sinon signaler des erreurs ou ambiguïtés, le cahier des charges laissant aux soumissionnaires factuellement 7 jours ouvrables pour prendre la mesure des documents contractuels, dont 193 pages de clauses techniques, et, le cas échéant, pour poser des questions, sans que le pouvoir adjudicateur n’ait justifié d’une quelconque manière une telle réduction des délais de collaboration active, et ce alors que l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 prévoirait le principe d’un délai de sept jours avant le jour fixé pour le dépôt des offres, l’exception étant un délai plus long.
L’association momentanée en conclut qu’il serait clair que sans avoir été explicitement désignée, une importante partie des produits fournis par la société X à l’un des soumissionnaires aurait été sélectionnée à travers la formulation du cahier des charges. Or, ce constat, associé à la réduction du temps de contestation et aux difficultés imposées aux autres soumissionnaires 5 pour pouvoir répondre, dans un temps court, aux spécificités techniques du cahier des charges, ne feraient qu’illustrer de manière plus criante, sinon suspicieuse, les violations alléguées des règles et principes d’une saine concurrence.
En guise d’ultime moyen, l’association momentanée fait plaider que les décisions déférées violeraient encore les principes généraux et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Ainsi, si l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 disposerait certes que « Toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent ni être barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro (-, o), à moins que le cahier spécial des charges n’en dispose autrement et sans préjudice des dispositions relatives aux variantes, prévues aux articles 19 et 155 » et que sa propre offre comporterait certes pour trois positions un prix de 0 euros, à savoir la position n° 1 « dossier de la préparation de la commande », la position n°133 « supplément pour panneaux en finition silver pour la bibliothèque type 3.03 » et la position n°134 « supplément pour élément de prolongation de la bibliothèque type 3.03 en finition silver », l’association momentanée estime que le fait de rejeter son offre à cause de ces trois positions serait contraire à l’arrêt de la CJUE du 10 septembre 2020 et aux principes généraux en découlant et dont il résulterait qu’en application de l’article 69 de la directive 2014/24 du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, une offre ne saurait automatiquement être rejetée au seul motif que le prix proposé est de zéro euro, mais qu’il appartiendrait alors au pouvoir adjudicateur de demander au soumissionnaire des explications quant au montant de l’offre.
L’association momentanée en conclut qu’en application de l’article 95 de la Constitution, les juges du fond, au vu de l’illégalité partielle de l’article 61 du règlement grand-
ducal du 8 avril 2018, ne devraient pas appliquer la sanction y inscrite.
L’association momentanée expose ensuite que les trois positions critiquées ne donnaient pas lieu à un prix supérieur à zéro euro, dès lors que le dossier de préparation de commande serait toujours inclus dans le prix et qu’il n’y aurait jamais de supplément pour ce travail, tandis qu’en ce qui concerne les positions 133 et 134, celles-ci n’impliqueraient aucun supplément de prix alors que la couleur « silver », si elle était choisie, ferait partie des couleurs de base proposées par le fabricant. Il n’y a donc aucun supplément, sauf, à nouveau, à en inventer, de sorte que l’indication d’un prix de « zéro » euro pour ces trois positions se justifiait.
Elle donne encore à considérer que si biffer un poste du métré ou inscrire « néant » laisserait supposer que le soumissionnaire n’entend pas exécuter ce poste, ce qui ne serait pas tolérable, la mention zéro ne signifierait en revanche pas qu’un poste ne sera pas exécuté, mais qu’il sera exécuté gratuitement, de sorte que zéro constituerait dans ce cas l’indication d’un prix.
Enfin, dans ce contexte, elle relève que l’utilisation des spécificités des produits X, telle que critiquée dans le cadre de son second moyen, aurait également eu pour conséquence que le soumissionnaire en relation contractuelle avec X aurait certainement pu, sans peine, remplir tous les postes du bordereau par un prix autre que zéro euro, puisque la ventilation des postes correspondrait précisément au catalogue de son fournisseur, tandis que les autres soumissionnaires, utilisant d’autres fournitures, auraient dû proposer des produits combinant les caractéristiques de deux positions du bordereau, de leur point de vue artificiellement découpées, pour répondre à un besoin ou une fonctionnalité identique. Or, ils auraient alors été obligés, en 6 méconnaissance de l’optimisation de l’allocation des deniers publics, de proposer des montants eux-mêmes artificiels en vue de remplir tous les postes du bordereau d’un prix non nul, alors qu’ils auraient dû, en toute logique et transparence, émettre un prix zéro pour ces postes uniquement disponibles de façon distinctive dans le catalogue d’X, et, ce faisant, s’exposer à l’exclusion arbitraire résultant d’une application automatique, non conforme au droit européen, de l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018.
Le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION s’oppose à l’argumentation contenue dans les deux requêtes en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, la partie défenderesse contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de l’association momentanée.
L’association momentanée invoque à la base de ses prétentions les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ainsi que l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Il convient à cet égard de rappeler que l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 », tandis que l’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit : « La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés. Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».
Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.
7 Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 ». Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill1.
Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19992, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.
Il est en l’espèce constant, pour découler notamment des pièces versées en cause par le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION que le contrat n’a pas encore été signé.
Or, en vertu de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 9 septembre 2022 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Force est à titre liminaire au soussigné de constater que la requête sous analyse, dans la mesure où elle sollicite la condamnation du FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION à la communication du dossier administratif sous peine d’astreinte, pose une question de compétence du juge administratif du provisoire, question soulevée d’office conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999.
En effet, dans la mesure où la demande tend à voir adresser une injonction au FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION sous peine d’astreinte, il y a lieu de souligner que les juridictions administratives, d’une part, ne sauraient à défaut de base légale ordonner de telles injonctions à l’encontre de l’administration et, d’autre part, qu’elles ne sauraient - hormis le cas des dépens et des indemnités de procédure régis respectivement par l’article 32 et par l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 - prononcer de condamnation à l’encontre d’une partie, serait-ce au titre d’astreintes comminatoires.
Il convient ensuite de rappeler que le président du tribunal administratif, lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur les articles 11 ou 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, n’est habilité qu’à prendre des mesures provisoires, qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond3.
1 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14 2 Trib. adm. (prés.) 16 janvier 2014, n° 33723; trib. adm. (prés.) 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 598.
3 Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, Références citées sous les n° 538, 577 et 578.
8 Or, la mesure provisoire est par définition celle qui présente un caractère réversible4, celle qui peut être remise en cause par le juge du fond. Toutefois, pour que la mesure prononcée présente bel et bien un caractère réversible, il est nécessaire que la possibilité de remise en cause de la décision ne soit pas seulement virtuelle mais effective, ce qui suppose, par conséquent, que le litige ne s’éteigne pas par le seul prononcé de cette décision5.
Le juge des référés ne peut ainsi, sans excéder sa compétence, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l’exécution par l’administration d’un jugement d’annulation6.
En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.
En l’espèce, la demande de l’association momentanée tend à se voir communiquer l’intégralité du dossier administratif. Or, la mesure sollicitée, indépendamment de sa justification et de son bien-fondé permettrait à l’association momentanée de créer une situation de droit et de fait définitive, puisque l’exécution d’une ordonnance qui impose la divulgation de certaines informations a des effets irréversibles en ce que la situation existant avant cette divulgation ne saurait plus être recréée. La connaissance acquise à partir d’informations divulguées ne saurait en effet être annihilée7.
En d’autres termes, la réalisation de la communication sollicitée entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision de refus serait rejeté par le tribunal.
Enfin, si l’association momentanée base sa demande adressée tant aux juges du fond qu’au juge du provisoire sur les articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ces dispositions ne jouent a priori qu’au niveau de la procédure non contentieuse, de sorte à ne pas pouvoir servir de base à une demande formulée dans le cadre de la procédure contentieuse.
En revanche, une violation de ces dispositions peut être invoquée dans le cadre de la procédure contentieuse et la sanction par le tribunal d’une telle violation peut être sollicitée.
Or, si la jurisprudence admet certes que l’administration produise ou complète les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, en se basant par exemple sur des éléments issus du dossier administratif non communiqués auparavant, cette jurisprudence ne saurait toutefois trouver application devant le juge du provisoire.
En effet, la requête en effet suspensif sinon en institution d’une mesure de sauvegarde, en ce qu’elle sollicite une mesure provisoire, s’appuie directement et uniquement sur les moyens invoqués au fond, le juge statuant au provisoire est uniquement appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués au fond. Il y a en effet lieu de distinguer entre les moyens nouveaux proposés en cours d’instance devant le juge du fond, admissibles comme constituant la contrepartie du droit de l’autorité qui a pris une décision litigieuse de fournir, en cours 4 Trib. adm. (prés). 18 janvier 2019, n° 42209, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 547.
5 Olivier Le Bot, Le Guide des référés administratifs et des autres procédures d’urgence devant le juge administratif, Dalloz, 2013, n° 234.62.
6 Voir Conseil d’Etat fr., 1er mars 2010, n° 337079 ou encore Conseil d’Etat fr., 1er octobre 2016, n° 395211.
7 Voir trib. adm. (prés.) 16 juin 2006, n° 21452a.
9 d’instance, des motifs non invoqués dans la décision critiquée mais de nature à la justifier légalement, et ceux invoqués devant le seul magistrat appelé à prendre une mesure provisoire, ce dernier ne pouvant avoir égard à ces moyens, étant donné que sa juridiction s’inscrit étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond8, c’est-à-dire les moyens figurant à ce stade dans la requête introductive d’instance enrôlée devant le juge au fond, le juge du provisoire ne pouvant plus particulièrement pas tenir compte de moyens qui pourraient figurer postérieurement à sa saisine dans de futurs et hypothétiques mémoires ampliatifs9 : c’est en effet par rapport aux seuls moyens développés dans le recours au fond que le juge des référés appréciera la demande de suspension.
Ce constat a pour corollaire logique de refuser également à l’administration de compléter sa motivation devant le juge du provisoire, puisque celui-ci ne saurait avoir égard à pareils motifs additionnels, non invoqués dans la décision attaquée, que l’administration se propose éventuellement d’invoquer en cours d’instance devant le juge du fond afin de justifier sa décision, mais qui n’existent, à défaut de mémoire en réponse utilement déposé par l’administration, pas encore : la juridiction du juge du provisoire s’inscrivant étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens d’ores et déjà produits devant le juge du fond10, il ne saurait baser son analyse sur d’éventuels motifs complémentaires, non encore procéduralement formalisés au moment où il statue.
En d’autres termes, si devant les juges du fond les droits de la partie requérante sont certes préservés par l’effet évolutif du litige tel que consacré par la jurisprudence, qui permet, d’une part, à l’administration de compléter ou modifier ses motifs, et, d’autre part, à la partie requérante, de faire évoluer en conséquence son propre argumentaire, le cas échéant dans un mémoire supplémentaire, une telle possibilité n’existe pas devant le juge du provisoire, ce qui aboutit à vider la protection juridictionnelle de l’administré d’une partie de sa substance, de sorte à être susceptible de justifier purement et simplement l’exécution de la décision déférée11.
En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
8 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2002, n° 15086.
9 Trib. adm (prés.) 30 août 2012, n° 31142.
10 Trib. adm (prés.) 30 avril 2014, n° 34403.
11 Voir p.ex. trib. (prés.) 15 juillet 2021, n° 46088 ; trib. adm. (prés.) 13 décembre 2021, n° 46731.
10 L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte12, dans le sens que l’on peut pressentir une possible, voire probable annulation ou réformation.
Si une certaine doctrine estime certes qu’il ne saurait être admis que lorsque l’évaluation du caractère fondé des moyens proposés à l’appui d’une demande de suspension ou d’institution d’une mesure de sauvegarde nécessite un examen poussé non différent de celui auquel il devra être procédé dans le cadre de la procédure au fond, le juge du référé ne pourrait pas admettre que lesdits moyens sont sérieux, puisqu’un tel raisonnement aboutirait à exclure d’office du champ des référés tout recours qui susciterait des questions juridiques complexes, ce qui viderait la protection juridictionnelle d’une partie de sa substance13, cette position méconnaît toutefois que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés : en effet, le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens, ne bénéficiant d’ailleurs pas de l’éclairage dont bénéficie le juge du fond à travers les mémoires en réponse, en réplique et en duplique et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile. Ainsi, l’office même du juge des référés l’empêche d’exercer un contrôle semblable à celui du juge du fond qui aura un pouvoir d’investigation plus important : le juge des référés ne doit ainsi pas se fonder sur des appréciations réservées au juge du fond.
Partant, si une matière technique ou juridique complexe n’échappe évidemment pas automatiquement et par définition à la compétence d’un juge du provisoire, alors que même une question complexe peut susciter une réponse évidente ou directe - par exemple lorsqu’il existe un précédent jurisprudentiel aisément transposable ou une illégalité ou irrégularité manifeste, dont le caractère manifeste résulte soit de la décision déférée per se, soit des explications convaincantes du requérant, de sorte que le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés14, une matière technique ou juridique complexe se heurte toutefois à davantage d’obstacles pour justifier l’intervention du juge du provisoire, appelé seulement à retenir comme sérieux les moyens s’imposant prima facie et ne requérant pas une analyse poussée.
Le soussigné tient encore à rappeler que, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
12 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 611, et les autres références y citées.
13 Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2021, p. 103.
14 Trib. adm. (prés.) 22 mars 2019, n° 42434 ; trib. adm. (prés.) 5 avril 2019, n° 42557 ; trib. adm. (prés.) 14 juin 2019, n° 43039.
11 Ainsi, le Conseil d’Etat français a rappelé15 que le caractère exécutoire des actes administratifs est « la règle fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n’est pour le juge qu’une simple faculté, alors même qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable ». Pour cette raison, le sursis reste pour la Haute juridiction française « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »16.
Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.
Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »17. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie18 : l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration19.
Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.
Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.
Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.
15 Conseil d’Etat fr., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. p. 257.
16 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190 17 Trésor de la langue française.
18 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».
19 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.
12 C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction20.
Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs21.
Or, de ce point de vue, le premier des moyens d’annulation présentés à l’appui du recours au fond ne présente pas en l’état actuel d’instruction du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire le sérieux nécessaire.
L’association momentanée fait en effet plaider que les décisions déférées seraient illégales pour se baser sur un marché public qui serait illégal pour ne pas avoir divisé en lots, sans que la justification avancée par le pouvoir adjudicateur ne convainque à cet égard.
L’association momentanée tente, ce faisant, de contester le cadre légal choisi par le pouvoir adjudicateur, tel que retenu à l’article 1.9.3 des clauses contractuelles générales.
Or, à cet égard, la jurisprudence a retenu qu’une contestation du cadre légal choisi par le pouvoir adjudicateur levée par un soumissionnaire qui a participé sans réserve à la procédure de soumission publique querellée constitue l’adoption d’une attitude incohérente et contradictoire et une violation de l’exigence de bonne foi entre parties22.
Il est dès lors possible que les juges du fond, plutôt que d’annuler les décisions déférées du fait du prétendu caractère illégal du cadre du marché tel que retenu par le pouvoir adjudicateur, renvoient le soumissionnaire à son obligation telle que figurant à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité, aux termes duquel « Le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu, sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges 20 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.
21 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.
22 Trib. adm. 26 janvier 2015, n° 33531, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 221.
13 ne stipule un délai plus long », et ce d’autant plus que l’association momentanée disposait spécifiquement, tel que prévu à l’article 1.9.5. des clauses contractuelles générales, de la possibilité de signaler des ambiguïtés par l’intermédiaire du portail des marchés publics, ledit article 1.9.5., renvoyant d’ailleurs directement à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité, et ce d’autant plus que l’association momentanée disposait, sinon dans le cadre de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, sinon dans celui du droit commun, d’une voie de recours directe qui lui aurait permis le cas échéant de faire corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation du marché en cause.
En effet, en vertu de l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010, le président du tribunal administratif peut ordonner au provisoire toutes les mesures nécessaires qui ont pour but de faire corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation du marché en cause tant que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas procédé à la correction ordonnée, le président pouvant ainsi notamment supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause.
L’article 3 précité confère aux personnes remplissant les conditions d’accès aux marchés publics et qui s’estiment lésées par une violation de leurs droits, la possibilité de saisir le président du tribunal administratif, à condition de le faire au cours de la procédure de passation du marché et avant la décision d’adjudication.
Il en découle que le président est compétent pour prendre les mesures prévues par cette loi tant que la décision d’adjudication n’a pas été prise23, la prise de la décision d’adjudication exclut la possibilité d’agir au niveau des documents de soumission dans le cadre d’un référé précontractuel ou de corriger, le cas échéant, des irrégularités procédurales, le stade où de telles irrégularités auraient pu être corrigées, à savoir le stade de la mise en compétition de plusieurs candidats, étant dès lors révolu.
L’intervention du président est ainsi prévue à un stade où les éventuelles violations aux règles de mise en concurrence peuvent encore être empêchées ou corrigées. Il s’agit de donner ainsi sa pleine effectivité à l’intervention du juge en favorisant la prévention, en amont, des manquements aux règles de passation de la commande publique, avant qu’une décision d’adjudication n’ait été prise.
La même conclusion s’impose à ce stade en ce qui concerne le second moyen de l’association momentanée, dans le cadre duquel la partie requérante excipe de l’illégalité des décisions déférées pour avoir été prises sur base d’un cahier des charges technique dont les spécifications auraient été rédigées de telle sorte qu’elles avantageraient directement, sinon indirectement, un concurrent.
23 Trib. adm. (prés). 4 décembre 2012, n° 31731, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 19.
14 En effet, dans la mesure où l’association momentanée reproche à certaines exigences du cahier des charges d’être discriminatoires pour avoir été prétendument confectionnées sur mesure en faveur d’un concurrent et qu’elle allègue de ce fait l’illégalité du cahier des charges, il y a lieu de relever d’après la jurisprudence, toujours sur base de l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité, il ne serait admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue, un tel soumissionnaire pouvant se voir reprocher une attitude incohérente et contradictoire, consistant à accepter dans un premier temps, du moins en apparence, les règles régissant une soumission publique, pour ensuite, en se prévalant de prétendues illégalités à ce point criantes et évidentes qu’elles ne pouvaient pas lui avoir précédemment échappé, chercher à annuler l’intégralité de ladite soumission alors que son offre n’a pas été retenue, faisant ainsi encore preuve de mauvaise foi manifeste, violant ainsi l’exigence de bonne foi entre parties, et ce tant au niveau précontentieux que contentieux. Un tel comportement doit, selon les juges du fond, être sanctionné en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant24.
Il convient de relever qu’ici également, l’association momentanée aurait eu la possibilité d’introduire sur base de l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 précitée un recours, de surcroît suspensif, avant toute décision d’adjudication, afin de faire corriger les irrégularités alléguées au niveau des dossiers de soumission, sans qu’une nouvelle procédure de mise en concurrence ne doive être lancée, et ce d’autant plus qu’il résulte des propres écrits de l’association momentanée que celle-ci avait dénoncé indirectement cette problématique de distorsion de concurrence dès le 1er juin 2022 et qu’elle avait encore concrètement constaté ce problème a posteriori, entre le dépôt de l’offre le 21 juin 2022 et la décision d’adjudication, de sorte à avoir théoriquement eu la possibilité d’introduire un recours sur base de l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 avant la décision d’adjudication.
Enfin, tel que mis en exergue par le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, il appert que nonobstant la distorsion de concurrence résultant d’une rédaction trop spécifique des clauses techniques désignant directement les produits d’un concurrent telle que mise en avant par l’association momentanée, cette dernière a bien déposé une offre qu’elle estime être techniquement conforme aux spécifications du cahier des charges, de sorte que la discussion ci-avant appert à ce stade être avant tout théorique et, a priori - l’offre afférente n’ayant pas été examinée par le pouvoir adjudicateur sous cet aspect-là - dépourvue d’incidence concrète.
Le moyen afférent ne présente dès lors à ce stade, et au terme d’un examen sommaire et cursif, pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
Dans le cadre de son troisième et dernier moyen, la société requérante fait plaider que les décisions déférées, lesquelles auraient rejeté son offre pour contenir des positions comportant des prix « zéro » en violation de l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 violeraient encore les principes généraux et la jurisprudence de la Cour de Justice de 24 Trib. adm. 26 mai 2014, n° 32374; trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 ;
trib. adm. 16 mars 2016, n° 35736, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 85.
15 l’Union européenne, tandis qu’elle estime encore que cette application rigoureuse et stricte de l’article 61 par le pouvoir adjudicateur ne serait matériellement et factuellement pas justifiée.
L’article 57 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 dispose que « Sur le bordereau de soumission fourni par le pouvoir adjudicateur, les prix d’unité sont indiqués en chiffres et en toutes lettres en euros. Sur les documents fournis par le soumissionnaire, les prix d’unité sont indiqués en chiffres en euros. (…) », tandis que l’article 61 du même règlement exige que « Toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent ni être barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro (-, o), à moins que le cahier spécial des charges n’en dispose autrement et sans préjudice des dispositions relatives aux variantes, prévues aux articles 19 et 155 ».
L’article 63 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précise que « Les offres non conformes à l’une ou l’autre des dispositions ci-dessus ne sont pas prises en considération ».
La jurisprudence nationale appert pour le moment et à cet égard sanctionner automatiquement le non-respect de l’obligation prévue actuellement à l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018.
Ainsi, à titre d’exemple, si l’association momentanée entend justifier la prévision d’un prix « zéro » pour les positions 1, 133 et 134 par le fait que ces positions n’incluraient pas de supplément de prix, les juges du fond ont sanctionné des offres comportant sur le bordereau de soumission les mentions « ohne Berechnung » ou « im Preis enthalten » - partant de facto des prix « zéro » justifiés pour les mêmes motifs -, par le fait qu’en vertu des principes de la transparence, ainsi que de l’égalité des chances et de traitement des soumissionnaires, les offres afférentes auraient été écartées à bon droit pour non-conformité notamment aux dispositions en question, « étant donné que la finalité des prescriptions y renseignées consiste à assurer un maximum de comparabilité entre les différentes offres soumises, ceci dans un souci d’objectivation de l’attribution du marché concerné »25, un autre jugement, par rapport aux mêmes dispositions ayant encore retenu que « les offres dont les positions du bordereau n’ont pas toutes été remplies doivent être rejetées, afin de permettre la comparabilité entre les différentes offres soumises, sans qu’il ne puisse être admis que l’adjudicataire complète, après l’ouverture des offres, les positions du bordereau, cette conséquence étant dictée par des considérations tenant au respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques »26.
Il appert encore que dans une affaire similaire, où une position d’un bordereau prévoyait précisément un prix « zéro », la Cour administrative, par confirmation du jugement des premiers juges27, a retenu l’obligation pour les offrants d’indiquer un prix pour chaque position, obligation qui reposerait sur la prémisse que seule une offre détaillée, s’inscrivant dans un schéma déterminé, identique pour tous les soumissionnaires, permettrait d’assurer un maximum de comparabilité entre les différentes offres et de garantir ainsi l’égalité de traitement des différents soumissionnaires dans un souci d’attribution objective du marché concerné, de sorte 25 Trib. adm. 3 décembre 2003, n° 16763 ; trib. adm 18 juin 2007, n° 22659, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 108.
26 Trib. adm. 26 novembre 2018, n° 40222, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 109.
27 Trib. adm. 13 mars 2006, n° 20028.
16 que cette obligation s’analyserait en un élément essentiel de la procédure de soumission28, de sorte à confirmer le rejet d’une telle offre.
Il appert dès lors que juridiquement, la solution retenue par le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION serait conforme au texte de l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 et à l’application jurisprudentielle afférente.
Cette conclusion est toutefois, à première vue, à nuancer par rapport au cas d’espèce.
En effet, il appert que la jurisprudence, qui retient à première vue un rejet automatique d’une offre en cas de non-conformité à l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, repose essentiellement sur le souci d’assurer la comparabilité des offres et, partant, l’égalité des soumissionnaires.
Or, en l’espèce, nonobstant l’interdiction de principe de prévoir un prix « zéro » pour les trois positions concernées, il n’appert pas que la comparabilité des offres ou l’égalité entre soumissionnaires ait souffert, l’association momentanée n’ayant, tel qu’expliqué, pas notifié son refus ou son impossibilité de fournir les prestations relatives à ces positions, mais le fait que les prestations y prévues ne donneraient à cet égard pas lieu à un quelconque supplément, la première position, à savoir le prix du dossier de préparation de commande, étant apparemment toujours incluse dans le prix pour l’association momentanée, tandis que les positions 133 et 134 n’impliquaient aucun supplément de prix, la couleur « silver » ne constituant pas une option susceptible de faire l’objet d’une surfacturation, mais une couleur standard, de base, disponible sans surcoût.
Il appert dès lors que l’association momentanée, sauf à inventer un prix inexistant et à augmenter artificiellement ses prix afin de se conformer scrupuleusement au bordereau, ne pouvait pas valablement remplir ces positions, tandis que si elle, comme en l’espèce, se conformait à la réalité et ne facturait aucun montant pour ces positions, s’exposait au risque, avéré en l’espèce, de voir son offre automatiquement rejetée.
Ce dilemme illustre le caractère en l’espèce absurde d’une application automatique et stricte des dispositions de l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018.
Il appert encore que la jurisprudence communautaire et étrangère, certes par rapport à des offres à prix « zéro » et non par rapport à une position à prix « zéro », ait retenu, certes sur la toile de fond d’une offre anormalement basse et non comme en l’espèce d’une non-
conformité formelle, a estimé qu’il n’y aurait pas lieu de rejeter une offre « au seul motif que le prix proposé dans l’offre est de zéro euro »29. Il ressort encore de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), telle qu’invoquée par l’association momentanée, que celle-ci s’oppose à l’instauration d’un critère d’exclusion mathématique. La CJUE tend à favoriser une concurrence effective conformément aux objectifs des règles de passation des marchés publics. Ainsi, la CJUE, dans un autre arrêt,30 a jugé qu’un critère d’exclusion mathématique privait les soumissionnaires qui avaient présenté des offres particulièrement basses de la possibilité de prouver que ces offres étaient sérieuses et était, par conséquent, 28 Cour adm. 17 octobre 2006, n° 21236C 29 CJUE, 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex d.o.o, C-367/19.
30 CJUE, 22 juin 1989, Costanzo, aff. 03/88, point 18.
17 contraire à l’objectif de favoriser le développement d’une concurrence effective dans le domaine des marchés publics.
Plus particulièrement, par rapport à l’offre d’un soumissionnaire qui avait chiffré une prestation supplémentaire éventuelle en mentionnant dans son bordereau de prix unitaire un prix à zéro euro, le Conseil d’Etat français31 a confirmé une ordonnance du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris qui avait annulé la décision de rejet et celle d’attribution du marché et avait enjoint au pouvoir adjudicateur de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres, en retenant qu’« en jugeant que la seule référence, dans la réponse de la société, à la volumétrie des licences actuelles du marché n’avait pu, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de l’ensemble des réponses apportées par la société [soumissionnaire], créer une ambiguïté sur le prix de zéro euro proposé […] et en déduisant que l’offre de la société ne pouvait être regardée comme irrégulière, le juge des référés n’a entaché son ordonnance ni d’une erreur de droit, ni d’une dénaturation des pièces du dossier », de sorte que selon cet arrêt, lorsque le concurrent doit déposer, en plus de l’offre de base, une offre pour une prestation complémentaire éventuelle, aucune règle ne s’oppose à ce que son offre soit à zéro euro, de sorte qu’un pouvoir adjudicateur ne peut pas écarter comme irrégulière une offre chiffrée à zéro euro.
D’une manière plus générale, il résulte de la doctrine belge - certes au vu d’une disposition légale instaurant expressément une distinction entre formalités substantielles et formalités non-substantielles - qu’en cas de non-respect d’une formalité par un soumissionnaire, le pouvoir adjudicateur devra s’interroger sur le caractère essentiel ou non de la formalité non respectée pour déterminer si l’offre doit être rejetée ou non, le pouvoir adjudicateur pouvant ainsi se référer32 pour déterminer le caractère essentiel ou non à l’incidence de cette irrégularité sur le principe d’égalité des soumissionnaires, c’est-à-dire de vérifier si l’irrégularité est susceptible de créer une discrimination et d’avantager ou de désavantager un concurrent, ou encore à son incidence sur la décision finale, c’est-à-dire sur le classement des offres, ou sur son incidence sur la comparaison des offres ou sur le caractère fondamental ou non de la prescription du cahier spécial des charges qui n’est pas respecté, l’intention de l’auteur du cahier spécial des charges étant à ce titre important, en particulier lorsqu’il y a été mentionné une disposition instaurant explicitement une sanction de nullité.
La pratique française semble encore aller dans le même sens, en distinguant, toujours sur base de dispositions spécifiques, entre offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées et entre offres régularisables et offres non régularisables, une offre étant notamment régularisable lorsque le bordereau des prix unitaires est incomplet ou mal renseigné33.
La jurisprudence luxembourgeoise34 précise quant à elle que le respect des formalités s’impose afin d’exclure tout risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires face à une soumission, de sorte à exiger de tous les soumissionnaires qu’ils respectent scrupuleusement le cahier des charges, toutes les entreprises devant en effet faire, l’objet d’un traitement identique : a contrario, il n’est pas exclu qu’une formalité ne soit pas 31 Conseil d’Etat fr., 24 décembre 2020, n° 439430.
32 P. Thiel, Mémento des marchés publics et des PPP, édition 2014, n° 355, page 479 et les références citées.
33 Voir :
https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-
techniques/mise-en-oeuvre-procedure/examen-des-offres-2016.pdf 34 Trib. adm. 26 novembre 2018, n° 40222, ainsi que trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Marchés publics, n° 94.
18 impérieuse lorsqu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires.
Une jurisprudence luxembourgeoise35 a à cet égard retenu que les formalités telles que prévues aux dispositions en question ne sauraient constituer une fin en soi, mais ont pour but d’écarter le danger de fraudes et d’éviter que le pouvoir adjudicateur puisse être induit en erreur en ce qui concerne le contenu de l’offre lui soumise. La même jurisprudence a encore retenu que l’administration ne serait pas obligée de rejeter une soumission non conforme, à condition d’user des mêmes critères envers tous les soumissionnaires pour apprécier leurs offres et à condition que les irrégularités ne soient pas substantielles, c’est-à-dire de nature à empêcher une comparaison des offres, étant donné qu’il n’y aurait pas lieu de multiplier les causes de nullité absolue pour des non-conformités de pure forme, mais de laisser une certaine marge d’appréciation à l’administration. Les juges du fond en ont conclu que comme le non-respect d’une de ces formalités ne serait pas expressément assorti de la sanction de la nullité de la procédure d’adjudication et que comme elles ne tiendraient pas à l’existence ou à la substance même de l’acte, lesdites formalités constituant des prescriptions supplémentaires tendant à garantir la régularité de la procédure d’adjudication et le principe de l’égalité des chances entre les soumissionnaires, leur inobservation affecterait par conséquent la légalité de la procédure d’adjudication que s’il ressortait en outre des éléments du dossier que le jeu de la concurrence aurait été faussé, c’est-à-dire que les intérêts du maître de l’ouvrage ou des soumissionnaires auraient été lésés.
Cette approche se retrouve encore dans d’autres décisions36 qui ont retenu qu’une formalité imposée aux soumissionnaires ne constitue pas nécessairement une fin en soi et qui ont distingué entre formalités substantielles et formalités vénielles.
Le soussigné relève par ailleurs que la Cour administrative a reformé un jugement du tribunal administratif qui avait retenu l’impossibilité de régulariser une non-conformité37, la Cour administrative ayant manifestement admis la possibilité de couvrir une irrégularité, à condition qu’une telle régularisation n’affecte ni l’offre ni le principe de l’égalité des soumissionnaires ni enfin la décision finale, et que l’omission critiquée ne soit pas de nature à conférer un quelconque avantage au soumissionnaire.
La doctrine luxembourgeoise semble finalement aller dans le même sens, en préconisant l’admission des offres comportant des omissions ou erreurs qui ne sont de nature ni à induire le pouvoir adjudicateur en erreur, ni à fausser le jeu de la concurrence et l’égalité entre les opérateurs économiques, ladite doctrine insistant sur le fait que l’objectif à l’origine des marchés publics était une bonne gestion des deniers publics en confiant l’exécution d’un marché public au mieux offrant « et non de récompenser l’offre formellement la plus parfaite »38.
Ces principes ont d’ailleurs d’ores et déjà amené le juge du provisoire39 à suspendre une décision de rejet d’une offre, malgré une non-conformité formelle indéniable, le juge du provisoire ayant relevé que la formalité litigieuse dans ce cas d’espèce, à savoir l’obligation d’indiquer les prix en chiffres et en toutes lettres, ne constitue pas une formalité substantielle 35 Trib. adm. 15 mars 2010, n° 25592, confirmé par arrêt du 18 novembre 2010, n° 26843C.
36 Trib. adm. 16 juin 1999, n° 10970 ou encore trib. adm. (prés.) 7 décembre 2016, n° 38722.
37 Cour adm. 14 juillet 2015, n° 35887C.
38 Olinger B., « L’appréciation des offres », Marchés publics et concessions, Droit luxembourgeois et européen, Legitech 2018, p.168.
39 Trib. adm. (prés.) 10 janvier 2019, n° 42125.
19 imposée per se afin de garantir une saine concurrence, mais plutôt comme garantie devant profiter au soumissionnaire et au pouvoir adjudicateur.
Enfin, il convient de rappeler qu’il résulte des règles d’interprétation des lois qu’en toutes matières, il convient d’avoir égard à la substance plutôt qu’aux mots qui la décrivent. De même, ce sont les exigences systémiques de logique et de cohérence qui sont appelées à guider les décideurs, dont le juge administratif en fin de processus contentieux40. Aussi, en vertu du principe général suivant lequel il n’est point permis aux juges de consacrer une conclusion en droit qui aboutirait à une solution absurde ou fondamentalement injuste, le juge ne peut pas retenir une solution qui se dégagerait a priori de l’application de la loi d’après les principes constants s’imposant à lui, lorsque précisément cette application de la loi aboutirait à une absurdité ou injustice fondamentale41.
Or, l’application en l’espèce rigoureuse et formaliste de l’article 61 du règlement grand-
ducal du 8 avril 2018 expose le soumissionnaire concerné, comme indiqué ci-avant, soit à surévaluer artificiellement son offre, afin de se conformer au bordereau, soit à indiquer le prix réel des prestations visées, à savoir un prix « zéro », et à s’exposer au rejet automatique de son offre, sans que celle-ci ne soit autrement examinée.
La première hypothèse est de nature à aboutir à une dilapidation non justifiable des fonds publics confiés au pouvoir adjudicateur et à une violation des principes de proportionnalité, de bonne administration et de saine gestion des deniers publics, tandis que la seconde hypothèse aboutit à une violation au principe de concurrence, résultant notamment de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018, alors que l’application rigoureuse de la disposition est susceptible de favoriser ou d’éliminer, du fait de cette contrainte, certains opérateurs économiques ou produits, de sorte à réduire, voire à éliminer toute concurrence, l’application critiquée ayant en effet, en l’espèce, abouti à limiter l’accès à la commande publique et, concrètement, à écarter l’offre a priori la moins-disante, inférieure de 825.252.- euros de l’offre retenue, ce qui à nouveau constitue le cas échéant une dilapidation non justifiable des deniers publics.
Aussi, les critiques de l’association momentanée par rapport aux deux décisions déférées et par rapport à l’application excessivement stricte et formaliste des articles 61 et 63 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 présentent un caractère sérieux, de sorte qu’il se peut fort bien que les juges du fond, sans remettre fondamentalement en cause les principes tels que mis en avant par le FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, concluent au vu des circonstances particulières de l’espèce à l’annulation des décisions a quo.
En ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste 40 Cour adm.14 novembre 2019, n° 43098C, Pas. adm. 2021, V° Lois et règlements, n°149.
41 Cour adm.13 décembre 2018, n° 41111C ; Cour adm. 13 décembre 2018, n° 41218C, Pas. adm. 2021, V° Lois et règlements, n° 161.
20 postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.
En ce qui concerne le caractère grave du préjudice, la perte d’une chance de se voir attribuer un marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire42.
Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, d’autant que même un soumissionnaire dont l’offre a été retenue doit s’attendre à ce que le pouvoir adjudicateur, procède, avant la signature du contrat, soit à la renonciation du marché, soit à l’annulation de la procédure de passation du marché, sans que ce soumissionnaire puisse, en principe, prétendre à une quelconque indemnisation. En effet, avant la signature du contrat avec le soumissionnaire sélectionné, le pouvoir adjudicateur n’est pas engagé et peut ainsi, dans le cadre de sa mission relevant de l’intérêt général, renoncer librement au marché ou annuler la procédure d’appel d’offres, sans être tenu d’indemniser ledit soumissionnaire43.
Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face44, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce45.
En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante46.
En ce qui concerne plus particulièrement la matière des marchés publics, un préjudice peut être qualifié de grave notamment lorsqu’il est d’une envergure telle qu’il menace la survie même d’une entreprise, ou lui impose une restructuration néfaste ou encore lorsque les circonstances du refus d’attribution entraînent une perte de réputation réelle pour l’entrepreneur du fait de la publicité donnée à la mesure.
Ainsi, un préjudice financier peut se révéler grave, lorsque la privation du marché compromet la survie sur le plan économique du soumissionnaire, ou l’accule à la faillite47.
42 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R ; Trib. U.E., 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T 511/08 R.
43 Trib. U.E., 11 mars 2013, Communicaid Group / Commission, aff. T-4/13 R.
44 Par analogie : Trib. U.E., 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, aff. T 211/07 R.
45 Par analogie : Trib. U.E., 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T 195/05 R.
46 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R.
47 voir. C.E. belge, 9 novembre 2007, SA Mexys c/ CHU de Liège, n° 176.607.
21 Il s’agit d’une évaluation in concreto, reposant notamment sur la prise en compte de la taille de l’entreprise concernée et de l’importance du manque à gagner, exigeant une démarche probatoire concrète et chiffrée de la part du requérant, cette exigence étant la contre-partie du principe selon lequel le juge des référés ne saurait faire une application mécanique et rigide de la condition liée au caractère définitif du préjudice - ni, d’ailleurs, au caractère grave du préjudice invoqué -, mais doit tenir compte des circonstances qui caractérisent chaque affaire.
La preuve de la gravité du préjudice implique ainsi en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice48.
Dans le cadre bien précis et particulier des marchés publics, bien que la jurisprudence, de manière générale, ait admis comme principe qu’un préjudice financier est toujours réparable, celui-ci peut néanmoins être considéré comme définitif, sans qu’il ne soit exigé du requérant la preuve, en sus, de la survenance d’un préjudice définitif lié au rejet de son offre dans le cadre de la passation d’un marché public - l’exigence d’un préjudice définitif dans le cadre d’une demande de sursis à l’exécution d’une décision d’attribution d’un marché public ne pouvant être satisfaite que de manière excessivement difficile -, alors qu’une appréciation trop rigoureuse de cette condition risquerait de porter une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle dont il bénéficie en phase précontractuelle, cela conformément à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne conjugué notamment à l’article 2.1 a) de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007, le législateur communautaire ayant estimé nécessaire de requérir la mise en place de procédures permettant des recours rapides à un stade où les violations peuvent encore être efficacement corrigées : partant, il convient de limiter l’exigence de preuve à la gravité du préjudice qui serait causé par l’absence de suspension de la procédure49.
En l’espèce, l’exécution immédiate des décisions attaquées et plus particulièrement de la décision d’adjudication moyennant la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et la société adjudicatrice avant que le tribunal administratif se soit prononcé par rapport au recours au fond, implique en l’espèce le risque tant définitif que grave pour l’association momentanée de perdre toute chance de se voir attribuer un marché - dont les deux parties se rejoignent pour souligner l’envergure - et d’une importance certaine - l’offre de l’association momentanée, pour rappel, s’élevant à ….- euros HTVA - et de référence pour lequel elle a présenté l’offre la moins-disante, l’association momentanée s’exposant par ailleurs, outre à la perte de ce marché d’envergure et à ses conséquences financières directes importantes, ledit marché représentant quelques 31 % du chiffre d’affaires cumulé de ses deux membres, à un manque à gagner important ainsi que, le cas échéant, à la perte d’une occasion d’obtenir une renommée pour de futurs appels d’offres susceptibles d’être lancés par un autre pouvoir adjudicateur, étatique ou communal, pour la fourniture de mobilier meublant de bureau.
Il s’ensuit que la seconde exigence légale est également remplie en cause.
Les deux principales conditions posées par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 étant remplies et l’affaire n’étant pas en état d’être plaidée et décidée à brève échéance, il y a partant lieu de faire droit à la demande.
48 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 626.
49 En ce sens : trib. U.E., 24 mars 2015, Europower c. Commission, T-383/14 ; voir aussi trib. adm. 11 juin 2021, n° 46031 ; trib. adm. (prés) 26 mai 2021, n° 45882 ; trib. adm. (prés). 26 mai 2021, n° 45884.
22 La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros tel que demandé par l’association momentanée laisse en revanche d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;
rejette le recours tendant à la communication du dossier administratif sous peine d’astreinte ;
reçoit en revanche le recours en sursis à exécution en la forme ;
le déclare également justifié ;
partant, dit qu’en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé au fond sur le mérite du recours introduit sous le numéro 47918 du rôle, il sera sursis à l’exécution de la décision du FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION telle que matérialisée par le courrier du 24 août 2022 portant rejet de l’offre des société A et société B, réunies en association momentanée, ainsi que de celle corrélative portant attribution du marché public de « travaux de mobilier meublant - LOT 17» concernant le projet « Cité de la Sécurité Sociale - Phase I », à la société C, et dit qu’en attendant la décision au fond de l’affaire par le tribunal administratif le contrat avec l’adjudicatrice ne pourra pas être conclu ;
rejette toutefois la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
réserve les frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 septembre 2022 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 septembre 2022 Le greffier du tribunal administratif 23