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05/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47529

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2022, 47529


Tribunal administratif N° 47529 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47529 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2022 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …...

Tribunal administratif N° 47529 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47529 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2022 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 mai 2022 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 juin 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Faisal QURAISHI du 27 juin 2022 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge, en remplacement du président de la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 juin 2022.

Le 4 mai 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 à relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date du 13 mai 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 19 mai 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le 23 mai 2022 et à son mandataire par courrier recommandé expédié le 31 mai 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), sous a) et b), de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire. Le ministre estima que les conditions d’une protection internationale ne seraient pas remplies, alors que Monsieur … proviendrait d’un pays d’origine sûr et que sa demande serait basée essentiellement sur des motifs économiques ou de convenance personnelle que le demandeur essayerait d’étoffer par une histoire qualifiée par le ministre de non convaincante concernant des persécutions par la police en raison de son engagement politique, explications qui ne seraient toutefois pas crédibles à défaut d’incidents concrets. Le ministre releva encore que le demandeur n’avait jamais déposé plainte et conclut que les craintes seraient purement hypothétiques, voire pas suffisamment graves. Il résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 mai 2022 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 mai 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il ressort de vos dires que vous seriez de nationalité géorgienne, de confession orthodoxe, célibataire et que vous auriez vécu à …. Vous seriez au chômage depuis sept ou huit ans et vous auriez bénéficié d'une aide étatique pour subvenir à vos besoins.

Vous déclarez avoir introduit une demande de protection internationale parce que vous seriez « persécuté » en Géorgie par la police alors que vous « appartiendriez » (p. 4 du rapport d'entretien) au parti national. Par la suite, vous confirmez toutefois ne pas être membre de ce parti (p. 5 du rapport d'entretien). Ainsi, vous ne pourriez pas descendre dans la rue, vos portables seraient sous écoute et vous ne pourriez pas trouver de travail. De plus, « nous », à savoir « Einfach die Leute » (p. 4 du rapport d'entretien) auriez été frappés par la police, notamment lorsque vous auriez participé vers avril 2022, à des manifestations organisées dans le but de faire libérer l'ancien Président SAAKASHVILI. A cette même occasion, des policiers vous auraient par ailleurs dit de quitter le pays et vous auraient menacé de vous arrêter pour avoir participé à des manifestations. Selon vous, ils ne vous auraient pas encore arrêté parce que « Sie konnte das nicht machen, uns wurde Zeit gegeben um das Land zu verlassen » (p. 6 du rapport d'entretien).

Vous présentez un passeport géorgien, établi le 9 mars 2022. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 19 mai 2022 d’opter pour la procédure accélérée, de celle du même jour ayant 2refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 19 mai 2022, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les mêmes décisions ministérielles.

A l’appui de son recours et en droit, le demandeur critique d’abord la décision de recourir à la procédure accélérée en reprochant au ministre d’avoir retenu à tort qu’il n’aurait soulevé que des faits sans pertinence, alors qu’une persécution sinon une crainte réelle de persécution, de menaces sinon d’attentat à sa vie apparaîtraient clairement au vu du fait qu’il serait persécuté par la police géorgienne en raison de son engagement politique en faveur du parti national et des manifestations auxquelles il aurait participé. Ainsi, il aurait fait l’objet de violences graves par la police lors de manifestations au motif qu’il soutiendrait le parti national et qu’il militerait pour l’ancien président SAAKAHVILI, le demandeur ajoutant encore que les autorités géorgiennes l’auraient constamment mis sous pression et l’auraient surveillé en raison de son engagement politique.

Il donne à considérer qu’il n’aurait pas eu d’autre choix que de s’enfuir alors qu’il risquerait de se faire emprisonner ou tuer.

Il soutient ensuite que ce serait à tort que le ministre mettrait en doute la sincérité de son récit, sans trouver de contradictions ni d’autres éléments permettant de croire que les faits rapportés ne seraient pas avérés, tout en relevant qu’il ne serait pas obligé de rapporter des preuves à la base de sa demande de protection internationale tant qu’il se serait efforcé de rapporter les faits « tels qu’ils sont ».

Le demandeur estime ainsi que les faits invoqués seraient indéniablement des faits graves qui devraient le faire bénéficier d’une procédure « dite classique », de sorte que le ministre aurait en l’espèce abusé de la faculté d’utiliser la procédure accélérée.

Il fait ensuite valoir que ce serait également à tort que le ministre aurait retenu que la Géorgie serait à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, alors qu’il conviendrait de considérer sa situation personnelle sans se référer nécessairement à la situation générale de son pays d’origine. En l’espèce, la Géorgie ne serait pas à considérer comme un pays sûr alors qu’il ne pourrait recourir à aucune aide de la part des autorités de police qui seraient elles-mêmes à l’origine des menaces et intimidations et qui tenteraient de l’arrêter arbitrairement en raison de ses opinions politiques.

3Au vu de ce qui précède, la décision ministérielle de recourir à la procédure accélérée serait à réformer pour défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle.

A l’appui de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, Monsieur … fait plaider, qu’au regard des faits invoqués, il aurait valablement fait état d’une crainte fondée de persécutions conformément aux exigences de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », respectivement qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.

En relevant que les intimidations, menaces d’emprisonnement et mauvais traitements dont il ferait état seraient réels, actuels et concrets, il reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération ses déclarations et d’avoir pris une décision dépourvue de toute motivation.

Il reproche de même au ministre d’avoir fait une appréciation erronée et superficielle des faits de l’espèce pour de ne pas avoir tiré les conséquences qui s’imposeraient du fait des intimidations, menaces et violences policières dont il aurait été, voire dont il pourrait être victime en cas de retour en Géorgie, tout en insistant sur le fait qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court, de sorte que le défaut d’un examen effectif de sa demande de protection internationale serait avéré.

Il s’ensuivrait que la décision ministérielle entreprise serait à réformer pour violation de la loi, abus de droit sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits et que le statut de réfugié sinon celui octroyé par la protection subsidiaire devrait lui être accordé.

A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur estime qu’il y aurait lieu de réformer l’ordre de quitter au vu des craintes réelles de persécution ou d’atteintes graves dont il ferait l’objet en cas de retour en Géorgie, respectivement en application du principe de précaution suivant lequel il serait préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où elle risquerait de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève, respectivement de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

4Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

La soussignée constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».

Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

La soussignée relève de prime abord que si, de manière vague, le demandeur invoque un défaut de motivation des décisions litigieuses, le constat s’impose qu’il n’a pas autrement développé ce moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs, de sorte que ce moyen est d’emblée à rejeter, la soussignée n’ayant pas à répondre à des moyens simplement suggérés mais non autrement soutenus.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur suivant lesquelles sa demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’un examen individuel et approprié, celles-ci laissent manifestement d’être fondées, alors qu’il se dégage de la décision entreprise que le ministre a examiné en détail les explications fournies par le demandeur et que c’est sur base de ces déclarations et des recherches effectuées par les services du ministère pour vérifier les dires du demandeur, que le ministre a, en l’espèce, considéré que les faits invoqués par lui seraient dénoués de pertinence pour fonder une protection internationale dans son chef, étant à cet égard 5encore relevé que le seul fait de ne pas réserver une suite favorable à une demande de protection internationale ne saurait permettre de retenir une quelconque violation par le ministre des dispositions de la loi du 18 décembre 2015. Le reproche afférent est dès lors rejeté.

La soussignée relève encore, à l’instar du délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, qu’il ne ressort pas du récit du demandeur, tel qu’exposé lors de son entretien devant la direction de l’Immigration, qu’il aurait fait l’objet « de violences graves par la police lors de manifestations », voire de « menaces sinon d’attentat à [sa] vie », alors qu’il a simplement déclaré à l’agent ministériel en charge de son entretien qu’il aurait été frappé par des policiers lors d’une manifestation, sans faire état de blessures quelconques, et que lesdits policiers l’auraient menacé de l’arrêter pour avoir participé à des manifestations, de sorte que les allégations à cet égard par le mandataire du demandeur dans la requête introductive d’instance sont à rejeter.

S’agissant ensuite en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que la décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande ou si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

6Concernant plus particulièrement l’article 27, paragraphe (1), sous a) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de relever que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves 7avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est de constater que si le demandeur déclare avoir été obligé de quitter son pays d’origine alors qu’il serait « persécuté » par la police en raison de son « appartenance » au parti national en Géorgie, respectivement pour avoir participé à des manifestations pour soutenir ledit parti et notamment l’ancien président géorgien SAAKASHVILI, celui-ci ne fait toutefois état d’aucun élément concret en relation avec sa situation individuelle qui permettrait de retenir qu’il aurait été victime de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il risquerait de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

La soussignée constate de prime abord que les déclarations faites par le demandeur devant les services du ministère quant à son prétendu activisme politique sont essentiellement vagues et confuses. En effet, si le demandeur a affirmé à plusieurs reprises au début de son entretien appartenir au parti national géorgien23, il a, sur question afférente de l’agent ministériel plus loin dans son entretien, répondu ne pas y appartenir, mais d’avoir simplement soutenu ledit parti lors de manifestations4. Force est, par ailleurs, de relever que le demandeur reste en défaut d’expliquer concrètement (i) quand il a commencé à s’engager politiquement, (ii) la raison pour laquelle il soutiendrait ledit parti national et (iii) en quoi aurait consisté ce soutien, étant relevé que le fait de faire état de manifestations auxquelles il aurait participé non autrement précisées ni quant à leurs dates ni quant à leurs lieux exacts n’est pas suffisant pour combler ce manque de précision. Par ailleurs et en ce qui concerne l’affirmation vague du demandeur qu’il aurait assisté à une manifestation « […] vor einem Monat […]5 », il échet de relever que les recherches effectuées à cet égard par les autorités ministérielles n’ont pas permis de trouver de quelconques traces de manifestations organisées en Géorgie aux alentours du mois d’avril 2022 dont le but aurait été de faire libérer l’ancien président SAAKASHVILI.

Force est ensuite de constater que les seuls éléments invoqués par le demandeur à la base de sa demande de protection internationale sont le fait d’avoir été frappé par la police lors d’une manifestation et « ailleurs » « weil die Polizei uns kennt »6, le fait qu’il aurait été menacé par la police de se faire arrêter à cause de sa participation à des manifestations, le fait que son téléphone serait sous écoute, ainsi que le fait qu’il ne trouverait pas de travail en Géorgie à cause de son engagement politique.

2 Page 2/8 du rapport d’entretien.

3 Page 4/8 du rapport d’entretien.

4 Page 5/8 du rapport d’entretien.

5 Page 4/8 du rapport d’entretien.

6 Idem.

8Or, il échet de constater que le fait d’avoir été frappé, sans faire état de blessures quelconques, ensemble avec d’autres participants (« Einfach die Leute »7), par des agents de police non autrement identifiés lors d’une manifestation ayant prétendument eu lieu en avril 2022 ne permet pas de retenir que le demandeur aurait été persécuté ou subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine ni qu’il risquerait d’y être persécuté ou de subir des atteintes graves en cas de retour. En effet, outre le fait que cet incident n’est pas suffisamment précis pour permettre d’accorder un statut de protection internationale, celui-ci ne revêt en tout état de cause non seulement pas la gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 pour constituer une persécution au sens de la Convention de Genève ou pour pouvoir être qualifié d’atteinte grave au sens de la loi du 18 décembre 2015, ni ne permet-il de retenir, à défaut d’autres éléments concrets et tangibles, que Monsieur … aurait à craindre quoi que ce soit en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son engagement politique.

Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation non autrement précisée du demandeur que des policiers l’auraient menacé de l’arrêter pour avoir participé à des manifestations en vue de soutenir l’ancien président SAAKASHVILI, dans la mesure où des simples menaces ou intimidations en ce sens, proférées par des agents de police à l’occasion d’une manifestation et non suivies d’actes concrets ne sont en tout état de cause pas suffisantes pour retenir que le demandeur risquerait effectivement de se faire emprisonner en cas de retour en Géorgie en raison de son engagement politique, de sorte que les craintes afférentes du demandeur restent à l’état de pures allégations, voire sont purement hypothétiques.

Si, par ailleurs, le demandeur fait encore état de manière générale de pressions ou d’agressions de la part des autorités et de la police géorgiennes en raison de son engagement politique, le constat s’impose que le demandeur reste en défaut d’expliquer par des exemples tangibles et concrets en quoi auraient consisté ces pressions ou agressions, de sorte que celles-ci restent également à l’état de pures allégations, étant relevé que les affirmations vagues du demandeur à cet égard et non autrement circonstanciées par des incidents concrets suivant lesquelles il serait frappé « auch so weil die Polizei uns kennt » et qu’il ne pourrait pas descendre dans la rue sont en tout état de cause insuffisantes pour retenir le contraire à défaut d’être suffisamment précises. Il en est de même de l’affirmation du demandeur suivant laquelle son portable serait sous écoute, alors que le seul fait non autrement établi qu’il entendrait « die Stimmen doppelt »8 est largement insuffisant pour retenir que le demandeur serait effectivement dans le collimateur des autorités, voire de la police géorgiennes.

La soussignée relève encore que le demandeur reste par ailleurs en défaut d’établir par un quelconque élément objectif et tangible que le fait qu’il ne trouverait pas de travail en Géorgie soit en relation avec son engagement politique, de sorte que cette affirmation reste également à l’état de pure allégation. Il ressort, au contraire, des explications circonstanciées de la partie étatique, source internationale à l’appui, que le chômage reste élevé en Géorgie, de sorte qu’il n’est manifestement pas établi que la situation de chômeur de Monsieur … s’expliquerait par le seul prétendu soutien pour un parti politique.

Au vu de ce qui précède, force est dès lors de conclure que les craintes invoquées par le demandeur ne sont manifestement pas suffisamment graves, respectivement ne se fondent 7 Page 4/8 du rapport d’entretien.

8 Page 4/8 du rapport d’entretien.

9sur aucun élément concret et tangible pour être considérées comme des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015.

Cette conclusion est confirmée par le fait que le demandeur a remis aux autorités luxembourgeoises un passeport géorgien ayant été émis en mars 2022, soit quelques semaines avant son départ officiel de la Géorgie en date du 28 avril 2022, dans la mesure où il peut être légitimement être admis que si le demandeur était réellement « persécuté » et « surveillé » par la police ou les autorités géorgiennes et que lesdites autorités auraient effectivement l’intention de l’arrêter à cause de ses participations à des manifestations pour le parti national, elles ne lui auraient pas simplement délivré un passeport lui permettant de quitter facilement le pays, étant encore relevé que la simple explication du demandeur à cet égard suivant laquelle la police ne l’aurait pas encore arrêté pour lui donner le temps de quitter le pays, alors que « Ganz einfach, in Georgien kann alles passieren »9 n’est pas convaincante.

La conclusion retenue ci-avant est encore renforcée par les affirmations du demandeur faites lors de son audition par le ministère selon lesquelles il aurait été au chômage depuis sept ou huit ans et qu’il bénéficierait d’une aide étatique lui permettant de subvenir à ses besoins, laissant, en effet, conclure que les motifs réels de son départ de son pays d’origine sont essentiellement d’ordre économique ou de convenance personnelle.

Or, des motifs économiques ou de convenance personnelle ne sont manifestement pas de nature à octroyer au demandeur un statut conféré par la protection internationale alors qu’ils ne rentrent ni dans le champ d’application de la Convention de Genève ni dans celui de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu de tout ce qui précède, la soussignée est dès lors amenée à conclure que c’est manifestement à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a fait état que de faits sans pertinence au regard de l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé.

S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale du demandeur, dans la mesure où la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits présentés par le demandeur sont manifestement sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions d’une protection internationale, et où dans le cadre du présent recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’un statut de protection internationale, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, il convient de retenir que les faits avancés par le demandeur ne peuvent manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Dans ces circonstances, la soussignée conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

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10S’agissant du recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit et à défaut d’autres moyens que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, Le juge, en remplacement du président de la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 mai 2022 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre les trois décisions déférées manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre les trois décisions ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2022, par la soussignée, juge, en remplacement du président de la troisième chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Alexandra Bochet 11Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47529
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-05;47529 ?

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