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28/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47494

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2022, 47494


Tribunal administratif N° 47494 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2022 3e chambre Audience publique du 28 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47494 du rôle et déposée le 31 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Aline CONDROTTE, avocat à la Co

ur, assistée de Maître José STEFFEN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des av...

Tribunal administratif N° 47494 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2022 3e chambre Audience publique du 28 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47494 du rôle et déposée le 31 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Aline CONDROTTE, avocat à la Cour, assistée de Maître José STEFFEN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, assigné à résidence à … (…), sise à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 mai 2022 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications des parties des 20 et 21 juin 2022 suivant lesquelles elles marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 21 juin 2022.

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Le 24 novembre 2021, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service criminalité organisée -

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC, qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne le 3 novembre 2021.

Toujours le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 26 novembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Par un arrêté du 30 novembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence dans … (…) pour une durée de trois mois.

Par courrier du 26 janvier 2022, les autorités italiennes s’adressèrent en les termes suivants aux autorités luxembourgeoises :

« Chers Messieurs, NOUS VOUS INFORMONS QUE LA PERSONNE EN QUESTION, n est que signalée pour entrée illégale à la date 3.11.2021 à sa charge aucun titre de séjour.

Après il est venu au Luxembourg en présentant sa demande d asile le 24.11.2021 et en déclarant etre arrivé le 21.11.2021 Ca signifie qu il est resté en Italie 18 jours.

En ce qui concerne ce cas nous ne donnons pas notre accord officiel […] ».

Par courrier du 18 février 2022, les autorités italiennes furent invitées par le ministre à faire parvenir une acceptation formelle quant à la requête de prise en charge du 26 novembre 2021.

Par arrêté du 28 février 2022, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la … pour une durée supplémentaire de trois mois, laquelle fut ensuite rapportée par arrêté du 4 mars 2022.

Par courrier du 8 mars 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’elles considèrent l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … le 27 janvier 2022 en application de l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III.

Par un arrêté du 4 avril 2022, le ministre assigna Monsieur … à résidence dans … (…) pour une durée de trois mois.

2 Par décision du 13 mai 2022, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 novembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 24 novembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 24 novembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 3 novembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 24 novembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 26 novembre 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 13(1) du règlement DIII.

En date du 26 janvier 2022, les autorités italiennes nous ont fait parvenir un courrier intitulé « information », confirmant que vous avez franchi illégalement la frontière italienne en date du 3 novembre 2021. Cependant, ce courrier d’information ne comprend ni un accord formel, ni un refus formel, tel que les articles 5 et 6 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présenté dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d’exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, le prévoient. En effet, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d’aucun autre élément du dossier administratif que l’Italie aurait expressément refusé la demande de prise en charge au sens de l’article 5 du 3 règlement d’exécution qui prévoit qu’une réponse négative est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. Même si les informations reçues en date du 26 janvier 2022 confirment que l’article 13(1) du règlement Dublin III s’applique clairement dans votre cas, la Direction de l’immigration a demandé aux autorités italiennes de lui faire parvenir une acceptation formelle quant à sa requête du 26 novembre 2021. Ce courrier est cependant resté sans réponse.

Or, l’absence de réponse à la demande de prise en charge équivaut, conformément à l’article 22(7) du règlement DIII, à l’acceptation de la demande par lesdites autorités italiennes en date du 27 janvier 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, conformément à l’article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l’Italie est acquise suivant l’article 22(7) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux mois équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

4 3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 24 novembre 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 3 novembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en septembre 2020. Vous vous seriez rendu en Turquie où vous seriez resté pendant un an et deux mois. Selon vos dires, vous auriez été bénéficiaire d’un permis de séjour turque et vous indiquez que votre femme et vos trois enfants se trouveraient actuellement encore en Turquie. Vous seriez parti en embarcation clandestine vers l’Italie et la traversée aurait duré environ huit jours. Vous auriez traversé l’Italie en cinq jours sans introduire une demande de protection internationale et vous auriez payé un passeur afin qu’il vous conduise au Luxembourg. Vous déclarez être arrivé en date du 21 novembre 2021.

Lors de votre entretien Dublin Ill en date du 24 novembre 2021, vous avez fait mention d’avoir des maux de tête depuis deux mois. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez ne pas avoir introduit une demande de protection internationale en Italie parce que votre but était de venir au Luxembourg.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement et des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l’Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienzo e integrazione). Ce nouveau système en matière d’accueil et 5 d’intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d’améliorer l’accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est 6 déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2022, inscrite sous le numéro 47494 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 mai 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision ministérielle litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre celle-ci, lequel recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle tout d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, tels que retranscrits ci-avant.

En droit, il se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », en ce que le ministre n’aurait pas tenu compte de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie. Il renvoie dans ce contexte de manière générale à un article intitulé « Fiche Dublin » publié par l’organisation « La Cimade » au mois de décembre 2018, concernant le problème général que rencontrent les personnes « dublinées » en Italie quant aux conditions d’accueil et d’hébergement, à un article intitulé « Migrants in Italy ΄left to sleep in streets΄ while asylum applications processed » publié sur le site « www.euronews.com » en date du 30 septembre 2020, suivant lequel un grand nombre de demandeurs de protection internationale seraient livrés à eux-mêmes à Rome et n’auraient pas d’autre choix que de dormir et vivre à la rue, ainsi qu’à un article intitulé « Italie : des démantèlements à tour de bras qui mettent des milliers de migrants à la rue » publié sur le site « Infomigrants » en date du 14 mars 2019, et suivant lequel les évacuations et démantèlements de camps de réfugiés se multiplieraient en Italie sans qu’un relogement ne serait garanti pour la plupart des réfugiés.

Le demandeur souligne également que même si l’Italie avait récemment mis en place un nouveau système en matière d’accueil et d’intégration pour les demandeurs de protection internationale, l’effet dudit changement législatif demeurerait largement théorique, le demandeur se référant à cet égard à un rapport intitulé « Conditions d’accueil en Italie » publié par l’OSAR en date du 10 juin 2021, suivant lequel les demandeurs de protection internationale 7 ne se verraient attribuer un logement que dans la limite des logements disponibles, que le nombre de logements serait loin d’être suffisant et que les demandeurs d’asile transférés vers l’Italie en vertu du règlement Dublin III seraient souvent livrés à eux-mêmes à leur arrivée dans les aéroports et dépourvus de logements.

Le demandeur se réfère ensuite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », dans une affaire Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, inscrit sous le numéro C-163/17, selon lequel le transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait exclu dans toute situation dans laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur de protection internationale encourt un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants lors de son transfert ou par suite de celui-ci. Il y ressortirait encore que même si l’article 4 de la Charte ne s’opposait pas au transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, il appartiendrait néanmoins à la juridiction saisie d’un recours contre une décision de transfert vers un Etat membre de vérifier si ce transfert risque d’exposer ce demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant atteignant un seuil minimal de gravité auquel cas ce transfert devrait être annulé.

Il en conclut qu’il serait établi qu’en cas de transfert vers l’Italie, il encourrait un risque réel et sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants atteignant un seuil minimal de gravité en ce qu’il se retrouverait à la rue, privé des moyens de subsistances les plus élémentaires, et ce en raison de la pénurie de logements en l’Italie, risque qui se trouverait encore renforcé par la circonstance que l’Italie ne serait pas au courant de son transfert.

Monsieur … s’empare ensuite d’une violation, par le ministre, de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Dans ce contexte, il souligne que la CJUE, dans son arrêt du 16 février 2017, C.K. et autres c. Republika Slovenija, inscrit sous le numéro C-578/16 aurait jugé, d’une part, que l’application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III constituerait une question d’interprétation du droit de l’Union européenne, et, d’autre part, que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne pourrait être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article.

Il en conclut qu’un Etat membre devrait se déclarer compétent pour l’examen d’une demande de protection internationale si le transfert d’un demandeur de protection internationale vers un autre Etat membre normalement compétent pour cet examen l’expose à un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de 8 l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés2.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est l’Italie, en ce qu’il aurait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 3 novembre 2021 et que les autorités italiennes auraient tacitement 2 Trib. adm., 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

9 accepté sa prise en charge le 27 janvier 2022, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient, en substance, qu’un transfert en Italie l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison des défaillances systémiques qui y existeraient dans les conditions d’accès et les conditions matérielles d’accueil en violation de l’article 4 de la Charte, de l’article 3 de la CEDH, et des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Or, les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord la violation alléguée de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, similaire à l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé3.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

10 l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

5 Idem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

11 En effet, suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 du règlement Dublin III, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201710.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur de protection internationale, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201911 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13.

Le tribunal rappelle tout d’abord que la décision déférée du 13 mai 2022 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, à savoir celle d’une personne ayant franchi irrégulièrement la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, il n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu rencontrer en Italie, étant encore relevé que dans le cadre de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III en date du 24 novembre 2021, il a indiqué que son « but était toujours de venir ici au Luxembourg car [il a] entendu que c’est un pays cher14 », sans toutefois avoir fait état de problèmes particuliers rencontrés en Italie lors de son séjour, le demandeur ayant encore répondu à la question pour quelles raisons il ne souhaiterait pas retourner en Italie par « Je ne sais pas15 ».

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

12 Idem, p. 92.

13 Idem, p. 93.

14 Entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III, p. 6.

15 Idem.

12 D’autre part, même si, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le demandeur sera dorénavant considéré par les autorités italiennes comme demandeur de protection internationale, force est de constater qu’il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure qu’il craint avec raison qu’en tant que demandeur de protection internationale en Italie, les conditions minimales d’accueil n’y seraient pas assurées en raison de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs.

En effet, il est certes exact qu’il ressort des documents invoqués par le demandeur, à savoir l’article intitulé « Fiche Dublin » publié par l’organisation « La Cimade » au mois de décembre 2018, l’article intitulé « Migrants in Italy ΄left to sleep in streets΄ while asylum applications processed » publié sur le site « www.euronews.com » en date du 30 septembre 2020, l’article intitulé « Italie : des démantèlements à tour de bras qui mettent des milliers de migrants à la rue » publié sur le site « Infomigrants » en date du 14 mars 2019, ainsi que le rapport intitulé « Conditions d’accueil en Italie » publié par l’OSAR en date du 10 juin 2021, que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes, suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent, au niveau de l’accès à l’hébergement, ainsi que des conditions de vie en général, et que la situation régnant en Italie semble inquiétante, force est cependant de constater que les documents invoqués par le demandeur, dont celui-ci se limite à des renvois tout à fait généraux, sont insuffisants pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Or, mis à part ces documents, le demandeur ne fournit aucun autre élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Italie, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes, étant rappelé que l’Italie est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.

De plus, en l’absence d’une jurisprudence révisée par la Cour européenne des droits de l’Homme ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale déconseillant des transferts vers l’Italie en raison de défaillances systémiques qui auraient pu être constatées dans cet Etat, le tribunal n’est pas en mesure, en l’état actuel du dossier, de retenir de telles déficiences systématiques pour l’Italie.

13 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence de défaillances systémiques en Italie qui s’opposeraient à son transfert dans ce pays, de sorte qu’il y a lieu de rejeter ce moyen pour ne pas être fondé.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres16, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201717. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge18, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée19, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 4 de la Charte et à l’article 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

16 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

17 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

18 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

19 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

14 Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47494
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-28;47494 ?

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