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29/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47219

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 2022, 47219


Tribunal administratif N° 47219 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2022 Audience publique du 29 avril 2022 Requête en obtention d’un sursis à exécution sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par la société A, …, contre une décision de l’administration communale de Dippach en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 47219 du rôle et déposée le 23 mars 2022 au g

reffe du tribunal administratif par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l...

Tribunal administratif N° 47219 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2022 Audience publique du 29 avril 2022 Requête en obtention d’un sursis à exécution sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par la société A, …, contre une décision de l’administration communale de Dippach en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 47219 du rôle et déposée le 23 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision de l’administration communale de Dippach du 21 février 2022 par laquelle la soumission publique concernant le réaménagement de la « rue du Cimetière » à Dippach, l’aménagement d’un îlot à l’intersection N13 / « rue Jean Urbany » à Sprinkange, ainsi que l’aménagement de la liaison cyclable « rue de Landiras » à Schouweiler a été attribuée à la société B, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro sous le numéro …, représentée par son gérant en fonction, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre ladite décision par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 47218 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 25 mars 2022, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à l’administration communale de Dippach ainsi qu’à la société B ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la commune de Dippach, du 1er avril 2022 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Georges WIRTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la société B, du 7 avril 2022 ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision querellée ;

1 Maître Lynn FRANK, pour la partie requérante, ainsi que Maître Adrien KARIGER, en remplacement de Maître Steve HELMINGER, et Maître Georges WIRTZ entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2022.

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Au courant de l’année 2021, l’administration communale de Dippach annonça l’ouverture d’une procédure de soumission publique en vue de l’attribution du marché public relatif au réaménagement de la « rue du Cimetière » à Dippach, de l’aménagement d’un îlot à l’intersection N13/ « rue Jean Urbany » à Sprinkange, ainsi que de l’aménagement de la liaison cyclable « rue de Landiras » à Schouweiler.

La société A ainsi que la société B, entre autres concurrents, déposèrent une offre y relative.

Suite à l’ouverture des offres en date du 29 juillet 2021, l’administration communale de Dippach informa la société A, ci-après « la société A », que son offre n’avait pas été retenue, ledit courrier étant libellé comme suit :

« Conformément au règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, nous avons le regret de vous confirmer que le collège des bourgmestre et échevins n’a pas pris en considération votre offre relative au marché mentionné sous rubrique, l’offre n’étant pas économiquement la plus avantageuse.

Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au collège des bourgmestre et échevins.

En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, nous vous informons que vous avez la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication définitive du 3 février 2022 par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.

Passé le délai de quinze jours à compter de la présente information, la décision définitive du collège des bourgmestre et échevins sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. A l’égard de ces soumissionnaires le délai de recours devant le tribunal administratif de trois mois ne commencera à courir qu’à partir de la communication de la décision définitive. » En date du 21 octobre 2021, la société A s’adressa à la commune de Dippach afin de contester le résultat de l’offre publique, dénonçant en particulier l’absence des autorisations nécessaires dans le chef de la société adjudicataire, à savoir la société B.

La commission de soumission étatique, saisie du litige, émit en date du 19 janvier 2022 un avis recommandant à la commune de Dippach, compte tenu de l’absence dans le chef de la société B « de l’aptitude d’exercer l’activité professionnelle requise » et du fait que tous les autres concurrents dépasseraient largement le devis estimatif, d’annuler la procédure en question « pour la raison qu’elle n’a pas donné de résultat satisfaisant ».

2 Toutefois, par courrier du 21 février 2022, l’administration communale informa la société A de ce qui suit :

« Conformément au règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, nous avons le regret de vous confirmer que le collège des bourgmestre et échevins n’a pas pris en considération votre offre relative au marché mentionné sous rubrique, l’offre n’étant pas économiquement la plus avantageuse.

En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, nous vous informons que vous avez la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication définitive du 3 février 2022 par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2022, inscrite sous le numéro 47218 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision telle que matérialisée par le prédit courrier du 21 février 2022. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 47219 du rôle, la société A sollicita encore le sursis à exécution de la décision susvisée telle qu’attaquée dans le cadre du recours au fond et, à titre subsidiaire, l’instauration de toute mesure de sauvegarde qui s’imposerait afin de lui éviter un préjudice irrémédiable suite à cette décision manifestement illégale.

La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir qu’en vertu de la jurisprudence des juridictions tant administratives que civiles en la matière, il serait impossible pour elle d’exiger le retour en arrière voire la démolition des travaux exécutés hors son autorisation valable par la société B, la décision une fois exécutée, la société requérante estimant encore qu’elle subirait un préjudice irréparable en cas de continuation des travaux, puisque en tant que soumissionnaire ayant soumis le prix le plus économiquement avantageux après la société B, même si en cas d’annulation du marché public elle réclamerait une perte de chance de pouvoir soumettre une nouvelle offre, « ceci constituera un préjudice certain définitif et grave ».

La société requérante estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler la décision querellée et elle se prévaut factuellement au fond en substance de l’absence dans le chef de la société B de l’autorisation requise pour effectuer les travaux d’infrastructure du marché litigieux, la société requérante mettant notamment en exergue le fait que l’autorisation d’entrepreneur de construction de génie civil de la société B aurait expiré en date du 23 mars 2021.

L’administration communale de Dippach, rejointe en ce moyen par la société B, soulève à titre liminaire l’irrecevabilité de la requête en obtention d’un sursis à exécution au vu de la signature en date du 3 février 2022 du contrat avec le soumissionnaire retenu.

3 En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

Deux conclusions s’imposent au vu des développements théoriques ci-dessus :

conformément à l’article 11 (3) de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, les demandes de sursis à exécution, et a fortiori celles tendant à l’obtention d’une mesure de sauvegarde sont à présenter par requête distincte au président du tribunal qui a une compétence exclusive pour statuer sur lesdites demandes. Il s’ensuit qu’une demande de sursis adressée à la formation collégiale du tribunal administratif doit entraîner une décision d’incompétence de ce dernier1, sans qu’il n’existe de possibilité de renvoi devant le président du tribunal2.

La requête sous analyse ayant été adressée erronément dans son dispositif au tribunal administratif siégeant dans sa formation collégiale, ce dernier devrait se déclarer incompétent, tandis que le soussigné devrait se considérer comme n’ayant pas été valablement saisi ;

toutefois, dans l’intérêt du justiciable bien compris, le soussigné passera outre à cette erreur imputable à l’avocat.

Force est ensuite au soussigné de relever que si la partie requérante situe la base légale du présent recours en les articles 11 et 18 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la base légale de droit commun de toute mesure en obtention d’un sursis à exécution par rapport à un acte individuel se situe toutefois dans le seul article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’article 18 tel qu’invoqué se rapportant aux seuls recours dirigés contre les actes administratifs à caractère réglementaire.

Il appert ensuite, comme indiqué ci-avant, que se pose directement la question de la recevabilité même de la mesure de sursis à exécution, question soulevée par la partie défenderesse et tirée du non-respect du délai imparti par l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics.

L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 ».

L’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit :

« La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ 1 Trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11595, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 550.

2 Trib. adm. 14 octobre 1999, n° 11574, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 549.

4 d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés.

Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours.

Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».

Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.

Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill3.

Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19994, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.

En effet, le juge administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution du contrat d’exécution d’un marché public alors même que celui-ci aurait été conclu en violation de la réglementation en vigueur. Il ne saurait qu’ordonner le sursis par rapport à la décision d’adjudication et, de ce fait, interdire au pouvoir adjudicateur de conclure un contrat sur base de ladite décision d’adjudication. Si le pouvoir adjudicateur passe outre à l’interdiction légale de conclure le contrat d’exécution du marché avant l’expiration du délai de quinzaine après la décision d’adjudication, il commet une illégalité mais le contrat civil reste valable. La victime d’une telle illégalité peut alors soit poursuivre l’annulation du contrat devant le juge civil sur base des causes d’annulation reconnues par le droit civil et le droit des marchés publics ou 3 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14.

4 Trib. adm. prés. 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. prés. 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 598.

5 demander l’annulation de la décision d’adjudication au juge administratif et demander ensuite au juge civil, sur base de cette décision d’annulation, l’allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice lui causé par la décision illégale de conclure un contrat en violation des règles normales applicables en matière de marchés publics. En revanche, le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution de la décision d’adjudication dès lors que le contrat civil d’exécution est conclu. En effet, une telle mesure ne serait pas de nature à empêcher l’exécution du contrat5.

Même l’annulation de la décision administrative servant de base à la conclusion du contrat est dépourvue d’effet direct sur le contrat qui continue à exister, serait-ce de manière précaire puisque sa survie dépend de la décision du juge du contrat, c’est-à-dire du juge judiciaire qui doit cependant être saisi par une partie au contrat pour décider du sort de celui-ci.

Alors que le juge administratif est en effet compétent pour annuler l’acte administratif servant de base à la conclusion du contrat, il appartient au seul juge civil, en vertu de l’article 84 de la Constitution, de décider du sort du contrat ainsi vicié quant à sa formation. En toute hypothèse, il n’appartient pas au juge administratif de constater, de manière incidente, comme suite à l’annulation de l’acte administratif préalable à la formation du contrat, l’absence de validité du contrat et d’en suspendre l’exécution. Le juge administratif ne saurait que prononcer l’annulation de l’acte administratif détachable et le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution que dudit acte administratif, mais non pas du contrat formé sur sa base6.

Il convient encore, dans le même contexte mais sous un autre angle d’approche, de rappeler qu’une demande de suspension a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif, les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue, ledit préjudice découlant en son principe, en la matière des marchés publics, précisément de la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire retenu, et par rapport à laquelle le législateur, pour des raisons d’accès à la justice et de recours effectif, a instauré le prédit délai de standstill.

Aussi, il n’y a pas lieu de faire droit à des conclusions aux fins de sursis dès lors que la décision est déjà exécutée et que la mesure n’est plus susceptible de produire d’effet utile. En d’autres termes, même à admettre que l’exécution de la mesure incriminée ait été susceptible de causer au requérant un préjudice grave et définitif, qu’il s’agissait de prévenir, ce préjudice est consommé par l’exécution de la mesure litigieuse et la juridiction du président du tribunal est dès lors épuisée7.

En l’espèce, il est apparu que le pouvoir adjudicateur avait d’ores et déjà contre-signé le bordereau de l’offre de la société B en date du 3 février 2022, ce qui vaut aux termes de l’article 98, alinéa 2, du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 («la conclusion du contrat doit obligatoirement avoir lieu par l’apposition de la signature du pouvoir adjudicateur sur le document de soumission remis par l’adjudicataire »), conclusion formelle du contrat.

5 Trib. adm. prés. 22 août 2006, n° 21820, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 724.

6 Trib. adm. prés. 22 août 2006, n° 21820, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 725, et autres citations figurant sous ce n°.

7 Trib. adm. 10 avril 2001, n° 13203, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 664, et autres références y citées.

6 En d’autres termes, même à admettre que l’exécution de la mesure incriminée, à savoir en la matière des marchés publics la signature du contrat en exécution de la décision d’adjudication, ait initialement été susceptible de causer à la partie requérante un préjudice grave et définitif, un tel préjudice doit être considéré actuellement comme consommé par la signature du contrat portant sur l’exécution du marché public litigieux, de sorte, d’une part, que le risque de préjudice est consommé, et, d’autre part, que la juridiction du président du tribunal est épuisée.

Il suit des considérations qui précèdent que, d’une part, le sursis à exécution de la décision d’adjudication n’est plus de nature à prévenir un préjudice grave et définitif au vu de la conclusion, d’ores et déjà intervenue, du contrat d’exécution du marché litigieux et que, d’autre part, le sursis à exécution du contrat conclu entre le pouvoir adjudicateur et l’entité adjudicatrice ne relève pas de la compétence du juge administratif.

Le recours en obtention d’une mesure provisoire tel qu’introduit par la société A est dès lors à rejeter sans qu’il n’y ait lieu d’analyser plus avant le respect éventuel des conditions énoncées à l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Toutefois, à titre superfétatoire, il convient de relever qu’en tout état de cause, le ou les moyens d’annulation de la requérante ne présentent pas en l’état actuel d’instruction du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire le sérieux nécessaire.

Le soussigné relève d’abord que dans sa requête au fond, la société requérante affirme péremptoirement que la décision attaquée aurait été « prise en méconnaissance du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, sinon de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, sinon du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors que dans sa requête en obtention d’une mesure provisoire, la société A base son argumentation à ce stade sur la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et sur le règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, pris particulièrement en son article 71.

Il s’agit là d’un nouvel argumentaire juridique produit dans le seul cadre de la requête en obtention d’une mesure provisoire, argumentaire qui n’a pas été produit devant les juges du fond puisqu’il ne figure pas dans la requête au fond déposée le 23 mars 2022 au greffe du tribunal administratif, enrôlée sous le n° 47218.

Or, il échet de rappeler que la juridiction du magistrat appelé à prendre une mesure provisoire s’inscrit étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond8. En effet, toute requête en institution d’une mesure provisoire s’appuie directement et uniquement sur les moyens invoqués au fond, le juge statuant au provisoire étant seulement appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués au fond et non pas à se prononcer par rapport à des moyens qui 8 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2002, n° 15086 ; trib. adm. (prés.) 30 août 2012, n° 31142 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36826 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36753 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36754 ; trib. adm.

(prés.) 18 mars 2016, n° 37644 ; trib. adm. (prés.) 22 avril 2016, n° 37766, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 581.

7 pourraient venir s’intégrer, postérieurement à sa saisine, dans de futurs et hypothétiques mémoires ampliatifs9.

Aussi, le soussigné ne saurait de toute façon pas tenir compte d’un tel moyen en droit et d’une telle argumentation juridique n’ayant pas été développés dans la requête introductive d’instance relative au recours en annulation déposé au fond.

Par ailleurs, et en tout état de cause, si le marché sous analyse a été ouvert par un appel d’offres datant de l’année 2021, il convient de souligner que la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics a été abrogée et remplacée par la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, tandis que le règlement grand-ducal du 3 août 2009, plus particulièrement invoqué, a été pour sa part abrogé et remplacé par le règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ces deux textes étant d’application depuis le 20 avril 2018, étant par ailleurs relevé que ces deux textes ont été explicitement indiqués par le pouvoir adjudicateur dans son courriel du 28 octobre 2021 adressé à la société requérante.

Si, éventuellement, les dispositions de la loi du 8 avril 2018 et celles du règlement grand-

ducal du 8 avril 2018 se recoupent partiellement avec les principes, voire avec certaines des dispositions des législation et règlementation antérieures, actuellement abrogées, il convient de souligner qu’il n’appartient pas au soussigné, juge de l’évident et du manifeste, de procéder de sa propre initiative à une instruction juridique du dossier en procédant à une confrontation et à une comparaison des textes invoqués mais abrogés avec les textes effectivement applicables, et le cas échéant, de reformuler les moyens juridiques de la requérante afin de les mettre au diapason de la législation actuellement applicable, le juge du provisoire n’étant pas compétent pour procéder à une analyse poussée aux seuls fins de comprendre la finalité et l’argumentation de la requête, étant par ailleurs souligné qu’un tel argumentaire adapté ne se trouve, en tout cas pour l’heure, pas libellé dans l’affaire au fond, étant rappelé que le magistrat appelé à prendre une mesure provisoire ne peut avoir égard, au niveau de l’analyse du sérieux des moyens présentés qu’aux seuls moyens présentés par le requérant en question dans l’instance au fond au jour où le juge du provisoire est appelé à statuer.

Quant aux moyens figurant uniquement dans le recours au fond, il convient de retenir qu’il s’agit essentiellement en l’état d’affirmations, mais non de moyens cohérents et précis: il s’agit en effet tout au plus de moyens simplement ébauchés, voire suggérés, qui ne présentent tels quels pas le sérieux requis, étant rappelé que selon la jurisprudence des juges du fond, des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, étant encore rappelé qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’exposé d’un moyen de droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué :

aussi, comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les 9 Trib. adm. (prés.) 30 mai 2013, n° 32344 ; trib. adm. (prés.) 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. (prés.) 14 mai 2014, n° 34060 ; trib. adm. (prés.) 22 avril 2016, n° 37766 ; trib. adm. (prés.) 15 septembre 2017, n° 40095, Pas.

adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 581.

8 conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère, de sorte que de tels moyens ébauchés, non autrement précisés, ne sauraient en tout état de cause être considérés comme sérieux.

En ce qui concerne la demande formulée à titre subsidiaire et portant sur l’instauration de mesures de sauvegarde, il convient de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde10.

Il convient encore de rappeler que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution11, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative. La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend dès lors comme une procédure complémentaire12 à celle de l’effet suspensif, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes.

Toutes les raisons ci-avant justifiant le rejet de la demande en obtention d’un sursis à exécution s’imposent dès lors également par rapport à la demande en instauration d’une mesure de sauvegarde.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, pris en son double volet ;

condamne la société requérante aux frais et dépens.

10 Trib. adm. (prés.) 14 janvier 2000, n° 11735, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 748.

11 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.

12 Ibidem.

9 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 avril 2022 par Marc SÜNNEN, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Marc SÜNNEN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47219
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-29;47219 ?

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