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06/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47205

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 avril 2022, 47205


Tribunal administratif N° 47205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 Audience publique du 6 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47205 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2022 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie),...

Tribunal administratif N° 47205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 Audience publique du 6 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47205 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2022 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mars 2022 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 mars 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications de Maître Faisal QURAISHI et de Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER du 5 avril 2022, informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le premier juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport à l’audience publique de ce jour.

Le 23 février 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 1er mars 2022 Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 mars 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 février 2022, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 1er mars 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les pièces composant votre dossier.

Il échet de relever avant tout autre développement en cause qu’il ressort d’un rapport de police n° 2021/14801/377/RY du 3 mai 2021 que vous avez été appréhendé pour vol dans un supermarché à Foetz.

En date du 23 février 2022, vous introduisez une demande de protection internationale « à cause de la pauvreté » (fiche des motifs). Vous déclarez dans ce contexte vous nommer …, être né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, de confession musulmane. Vous auriez vécu à …, commune de …, avec vos parents, votre grand-père ainsi que votre fratrie. Votre père vivrait en France à ….

Vous auriez quitté l’Algérie en date du 7 mars 2014 moyennant visa touristique pour la France. Vous auriez séjourné illégalement à … jusqu’en décembre 2020. Vous auriez travaillé pour la société …, mais vous n’auriez pas réussi à obtenir un permis de séjour. Vous auriez quitté la France « parce que je n’y ai aucune perspective » (rapport de police page 2), de sorte que vous vous seriez informé sur internet et auriez décidé de venir au Luxembourg. Fin 2020, lorsque vous auriez été en visite au Luxembourg « pour acheter des cigarettes » (entretien page 5), vous auriez fait connaissance d’une dénommée …, ressortissante syrienne avec laquelle vous seriez marié suivant la « coutume musulmane ». Depuis, vous n’auriez plus quitté le territoire luxembourgeois. Suite à des recherches effectuées sur internet, vous auriez constaté que « le Luxembourg paie bien et que c’est un beau pays » (entretien page 5).

Vous ne voudriez plus retourner en Algérie alors qu’il n’y aurait pas de travail. En cas de retour, « ils vont me mettre en prison » et « marquent quelque chose sur ton dossier », « ils te compliquent la vie » (entretien page 5). Ce serait donc « mieux de rester ici » que de retourner en Algérie. Il n’y aurait pas de loi en Algérie et à l’aéroport « ils te mettent en garde-à-vue » (entretien page 5).

2 Vous rajoutez encore ne pas avoir accompli le service militaire obligatoire de 18 mois, de sorte qu’en cas de retour, vous seriez amené à le faire mais « je n’ai pas envie de le faire ».

En cas de refus, vous écoperez une peine d’emprisonnement de « quatre fois 18 mois » et « ils vont me mettre en prison au Sahara, à 50 degrés, sans chaussures. Ils vous administrent des substances qui font te perdre la tête » (entretien page 6).

Vous auriez pris la décision de quitter votre pays d’origine depuis au moins dix ans. Vous auriez de la famille en France qui serait venu vous visiter en Algérie et vous aurait raconté « comment se passent les choses en Europe. Tout le monde veut quitter l’Algérie » (entretien page 6).

A l’appui de votre demande, vous soumettez un acte de naissance établi en date du 10 novembre 2021. Votre passeport, vous l’auriez perdu en France. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 4 mars 2022 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 4 mars 2022, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … estime tout d’abord que ce serait à tort que le ministre a estimé que ses déclarations seraient sans pertinence et qu’il ne remplirait pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié, et ce, alors même que sa demande n’aurait pas été analysée conformément à la loi du 18 décembre 2015 et à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il fait plus particulièrement valoir que ses déclarations auraient mérité une analyse et un examen concrets des faits à la base de sa demande de protection internationale. Il précise encore qu’une crainte réelle de persécution, de menaces sinon d’attentat à la vie ressortiraient de ses déclarations alors qu’il aurait fui l’Algérie pour ne pas effectuer le service militaire obligatoire et ceci pour des raisons de conscience. Il indique plus particulièrement qu’il aurait réussi à « échapper » à son enrôlement jusqu’à sa fuite à l’étranger et qu’en cas de retour en Algérie, il serait forcé d’effectuer son service militaire. Par ailleurs, le refus d’effectuer le service militaire serait toujours puni d’un emprisonnement et des tortures. Il est ainsi d’avis qu’il aurait dû bénéficier d’une procédure « dite classique » et il en déduit que le ministre, en décidant de statuer sur le bien-fondé de ladite demande dans le cadre d’une procédure accélérée, aurait commis un abus de droit entachant la légalité de la décision déférée.

3 A l’appui de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, Monsieur … invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée en soulignant qu’il aurait dû quitter l’Algérie en raison de son refus d’effectuer le service militaire. Pour le surplus, il fait valoir que le ministre n’aurait pas pris en compte ses déclarations, de sorte que la décision déférée serait dépourvue de toute motivation et violerait son droit à un examen effectif de sa demande. Il reproche encore au ministre d’avoir fait une appréciation erronée et superficielle des faits de l’espèce et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées compte tenu des menaces d’emprisonnement et de torture en Algérie. Il ajoute qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court. En conclusion, il soutient qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, sinon à celui conféré par la protection subsidiaire, de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation en ce sens.

Le demandeur sollicite finalement la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif, d’un côté, qu’il aurait invoqué des motifs sérieux et suffisants de crainte de persécutions et, de l’autre côté, qu’eu égard au principe de précaution, il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours 4 soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Avant tout progrès en cause, la soussignée est amenée à constater que l’affirmation non autrement étayée du demandeur selon laquelle il n’aurait pas bénéficié d’une analyse de sa demande conformément à la loi du 18 décembre 2015 et à la Convention de Genève est à écarter, étant donné qu’il ne lui appartient pas de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher elle-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.

Pour les mêmes motifs, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne les moyens tirés d’un défaut de motivation, respectivement d’une irrégularité formelle de la décision ministérielle litigieuse de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur étant resté en défaut de préciser dans quelle mesure la décision déférée ne serait pas suffisamment motivée et de quelle irrégularité formelle elle serait entachée.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels : « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

5 L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 392 et 403 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 6 Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, il ressort des déclarations du demandeur que sa demande en obtention d’une protection internationale est essentiellement basée sur des motifs économiques, financières, voire de convenance personnelle.

En effet, Monsieur … a déclaré le 23 février 2022, jour de l’introduction de sa demande de protection internationale, auprès de la direction de l’Immigration que « je veux une protection à cause de la pauvrete de la vie sordide, de la maladie et de tout ce que la moindre de vie n’existent pas4 » et auprès de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers que « J’ai quitté l’Algérie pour trouver une meilleure vie5». Le demandeur a ensuite, le 1er mars 2022, déclaré auprès de l’agent du ministère en charge de l’entretien que « J’ai de la famille en France qui venait nous visiter en Algérie et nous racontait comment se passent les choses en Europe. Tout le monde veut quitter l’Algérie6 » et sur question s’il avait quitté l’Algérie pour des raisons économiques par « C’est ça7 ».

En ce qui concerne ensuite concrètement les raisons du demandeur l’ayant amené à déposer une demande de protection internationale au Luxembourg huit années après son arrivée en Europe, celui-ci a déclaré auprès de la police grand-ducale que « J’ai décidé à demander asile maintenant pour régler ma situation8 » et quant à sa situation personnelle, il a souligné que « J’ai quitté l’Algérie en 2014 avec un visa touristique en avion. J’ai atterri à Lyon et je suis resté jusqu’en décembre 2020 à …. Je travaillais pour la société Vinci mais je n’ai pas réussi à obtenir un permis de séjour parce que j’ai perdu tous mes documents et les preuves que j’ai travaillé pendant tout le temps. J’ai décidé de quitter la France parce que je n’y ai eu aucune perspective. Je me suis informé sur l’internet et j’ai décidé de venir à Luxembourg.9».

Ainsi, il ressort clairement des déclarations du demandeur, que sa demande en obtention d’une protection internationale est essentiellement basée sur des motifs économiques, financières, et de convenance personnelle en ce qui concerne sa situation en Algérie, voire sa situation en France. Or, de tels motifs, non fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015, ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié, de sorte à être dépourvus de toute pertinence au regard des conditions d’obtention du statut de réfugié. S’agissant de la protection subsidiaire, la soussignée précise que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 fait état de traitements ou de sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu 4 Fiche des motifs du 23 février 2022.

5 Rapport du 23 février 2022 sur l’identité de Monsieur … et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, page 2.

6 Page 6 du rapport d’entretien de Monsieur … du 1er mars 2022.

7 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur … du 1er mars 2022.

8 Rapport du 23 février 2022 sur l’identité de Monsieur … et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, page 2.

9 Idem.

7 responsable10. Le simple fait qu’une atteinte soit liée d’une façon ou d’une autre à l’activité humaine n’est pas suffisant à cet égard. Pour pouvoir être considérée comme étant « infligée », elle doit, en effet, être le résultat voulu d’une intervention humaine. Or, tel n’est manifestement pas le cas des difficultés sous examen, qui sont dès lors, de par leur nature, étrangères à la notion d’atteinte grave, telle que définie par l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Dans ce contexte, il convient encore de rejeter les affirmations du demandeur contenues pour la première fois dans la requête introductive d’instance, suivant lesquelles il aurait quitté l’Algérie pour ne pas effectuer son service militaire « pour des raisons de conscience », alors qu’elles sont contredites par les déclarations-mêmes du demandeur auprès de la direction de l’Immigration, celui-ci n’ayant pas fait état d’un quelconque incident concret survenu en Algérie. En effet, il se dégage des éléments du dossier administratif que Monsieur … n’a ni dans le cadre de ses déclarations auprès de la police grand-ducale ni dans le cadre de son entretien avec un agent du ministère, déclaré avoir quitté l’Algérie en raison d’un quelconque refus de sa part d’effectuer le service militaire obligatoire et n’a pas non plus fait état des causes d’un tel refus, mais a, au contraire, clairement affirmé avoir quitté l’Algérie pour des motifs économiques, et avoir introduit sa demande de protection internationale pour régler sa situation, les seules déclarations du demandeur relatives au service militaire en Algérie ont eu lieu dans le contexte d’un éventuel retour dans son pays d’origine.

Ensuite, et en ce qui concerne un éventuel retour en Algérie, le demandeur a indiqué lors de son entretien du 1er mars 2022 que « Je ne peux plus rentrer en Algérie parce qu’il n’y a pas de travail. C’est moi qui donne l’argent pour ma famille. J’ai passé plusieurs années en France et en cas de retour, ils vont me mettre en prison. Après, ils marquent quelque chose sur ton dossier et tu ne pourras plus trouver de travail ou te marier. Ils te compliquent la vie. C’est mieux de rester ici. Il est mieux de rester clandestin que de retourner en Algérie11 », que « Il y a pleins de risques. On ne peut pas vivre avec les gens là-bas. « T’as passé 8 ans en France. » Je n’ai pas fait le service général, ils vont me le reprocher12 » et sur le service militaire que « En cas de retour, je serais amené à le faire. Je n’ai pas envie de le faire. En cas de refus, j’écoperai d’une peine de prison de quatre fois 18 mois13». Or, il se dégage ainsi de la lecture des déclarations du demandeur auprès de la direction de l’Immigration que, questionné sur un éventuel retour en Algérie, celui-ci a procédé à une énumération d’événements hypothétiques de nature à lui « compliquer » la vie, dont notamment l’obligation d’effectuer son service militaire, le demandeur n’ayant dans ce contexte pas concrètement fait état d’une crainte de persécution, voire d’atteintes graves dans son chef, mais a simplement souligné ne pas avoir « envie » de l’effectuer.

Concernant ensuite plus particulièrement les craintes du demandeur liées au service militaire obligatoire en Algérie qu’il serait amené à effectuer en cas de retour, déclarées pour la première fois dans la requête introductive d’instance, force est de constater qu’elles sont manifestement infondées, alors qu’elles restent en l’état de pures allégations, le demandeur étant notamment resté en défaut d’expliquer concrètement pourquoi il serait amené à effectuer le service militaire en cas de retour dans son pays d’origine, pourquoi il n’aurait « pas envie » d’effectuer ledit service militaire, et quelles seraient les conséquences concrètes d’un refus de 10 Trib. adm., 14 janvier 2008, n° 23556 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 237 et les autres références y citées.

11 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur … du 1er mars 2022.

12 Idem.

13 Page 6 du rapport d’entretien de Monsieur … du 1er mars 2022.

8 sa part de l’effectuer, et de présenter ainsi sa crainte avec le sérieux nécessaire, étant souligné qu’un Etat de droit a le droit de se constituer une armée et de recruter des citoyens, et que ni un tel recrutement ni la sanction judiciaire de citoyens refusant d’effectuer leur service militaire ne constituant une persécution, voire une atteinte grave, au sens de la Convention de Genève et que l’insoumission ne constitue, par ailleurs, pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de la protection internationale14.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale sont visiblement dénués de tout fondement.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur …, il convient de constater, tel que retenu ci-

avant dans le cadre de l’analyse du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer par la voie d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.

Ainsi la soussignée, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, qu’il ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre à un des deux statuts de protection internationale, de sorte que le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et Monsieur … est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

14 Trib. adm., 13 août 1997, n° 9792 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 169 et les autres références y citées.

9 Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire sans violer le principe de précaution.

Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, Le premier juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 mars 2022 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les mêmes décisions ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 avril 2022, par la soussignée, Géraldine Anelli, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Géraldine Anelli Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47205
Date de la décision : 06/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-06;47205 ?

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