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29/03/2022 | LUXEMBOURG | N°46836C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2022, 46836C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46836C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46836 Inscrit le 27 décembre 2021

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Audience publique du 29 mars 2022 Appel formé par Monsieur (B), …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 novembre 2021 (n° 44639 du rôle) en matière de de police des étrangers - sursis à l’éloignement Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46836C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 27 décembre 2021 par Maître Ibtihal EL BOUYO

USFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46836C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:46836 Inscrit le 27 décembre 2021

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Audience publique du 29 mars 2022 Appel formé par Monsieur (B), …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 novembre 2021 (n° 44639 du rôle) en matière de de police des étrangers - sursis à l’éloignement Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 46836C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 27 décembre 2021 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (B), né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine et demeurant à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 16 novembre 2021 (n° 44639 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 décembre 2019 rejetant sa demande d’octroi d’un sursis à l’éloignement, ainsi que de la décision confirmative du 8 avril 2020 du même ministre prise sur recours gracieux du 23 mars 2020;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 27 janvier 2022;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 15 mars 2022.

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Le 17 juillet 2019, Monsieur (B) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection 1internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 14 août 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après le « ministre », informa Monsieur (B) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), sous a), de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision deviendrait définitive.

Le recours contentieux introduit par Monsieur (B) contre cette décision fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 11 octobre 2019, statuant en formation de juge unique, inscrit sous le numéro 43520 du rôle.

Par un courrier de son mandataire du 27 novembre 2019, Monsieur (B) sollicita ensuite un sursis à l’éloignement sur base des dispositions des articles 130 et 131 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après la « loi du 29 août 2008 », demande que le ministre rencontra le 23 décembre 2019 dans les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 27 novembre 2019 par lequel vous sollicitez un sursis à l'éloignement pour le compte de votre mandant conformément aux articles 130 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Il y a lieu de rappeler que le médecin délégué de la Direction de la Santé a été saisi en date du 2 décembre 2019 concernant l'état de santé de Monsieur (B) et suivant son avis du 20 décembre 2019, reçu le 23 décembre 2019, un sursis à l'éloignement est refusé à l'intéressé conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « (…) Vu l'examen médical effectué par le médecin délégué le 20.12.2019; Constate : Le concerné présente un déficit total de la vue irréversible. Dans ce contexte le concerné signale une certaine sensation d'inconfort de la pensée qui est présente depuis au moins 15 ans. Ceci concernant le médecin traitant avait proposé par précaution une mise au point neurologique et psychiatrique non-urgentes. Le concerné présente un léger eczéma de la peau traité par crème hydratante. Le concerné ne prend pas d'autres médicaments. Les problèmes de santé du concerné peuvent être pris en charge au Maroc (…) l'état de santé de Monsieur (B) ne nécessite pas une prise en charge médicale au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent, Monsieur (B), ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ».

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif.

Votre mandant reste dans l'obligation de quitter le territoire. (…) ».

2Le 23 mars 2020, Monsieur (B) fit introduire un recours gracieux contre la décision précitée du 23 décembre 2019 lui refusant le bénéfice d’un sursis à l’éloignement.

Par une décision du 8 avril 2020, le ministre confirma sa décision initiale du 23 décembre 2019, aux motifs suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre recours gracieux du 23 mars 2020 contre la décision ministérielle du 23 décembre 2019 refusant un sursis à l'éloignement à votre mandant.

Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision du 23 décembre 2019 dans son intégralité. Force est entre autre de constater que les certificats médicaux annexés à votre recours gracieux ont tous été pris en compte par le médecin délégué dans son avis du 20 décembre 2019 qui a également examiné votre mandant à la même date.

Par ailleurs, veuillez noter qu'à la suite des mesures décidées par le Gouvernement luxembourgeois concernant les restrictions à respecter dans le cadre du virus COVID-19 l'exécution des mesures d'éloignement sont actuellement suspendues jusqu'à nouvel ordre. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 juillet 2020, Monsieur (B) fit introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées des 23 décembre 2019 et 8 avril 2020 lui refusant le bénéfice d’un sursis à l’éloignement.

Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en rejetant sa demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel et en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 27 décembre 2021, Monsieur (B) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 16 novembre 2021.

L’appelant réexpose les motifs à la base de sa demande de sursis à l’éloignement, à savoir en substance le fait qu’il serait apparu lors de différents contrôles médicaux au service de neurologie de la direction de la santé qu’il n'aurait pas le contrôle de ses facultés mentales et qu’une hospitalisation et un examen IRM cérébral auraient été prescrits en raison d’un soupçon de la vérification d’un syndrome de Charles Bonnet dans son chef. Or, dans ces circonstances, il devrait bénéficier du sursis à l’éloignement sollicité, étant précisé que dans son pays d’origine, le Maroc, les conditions d’existence des aveugles seraient mauvaises et qu’il ne pourrait pas y bénéficier de soins médicaux appropriés.

En droit, l’appelant reproche tant au ministre qu’aux premiers juges d’avoir commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation de santé et, dans ce contexte, de l’avis médical du 20 décembre 2019 du médecin délégué, ainsi que de sa situation en cas de retour au Maroc, au motif que pareil retour serait constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme (« CEDH ») dès lors qu’il y serait exposé à un risque réel pour sa vie et son intégrité physique.

3L’appelant estime que l'avis du 20 décembre 2019 du médecin délégué n’est pas le reflet d’un examen approfondi et complet de son état de santé et que les conclusions dudit médecin délégué ne sont pas à considérer comme étant réelles et exactes.

Il se réfère à deux ordonnances médicales du docteur (I) du 6 septembre 2019, desquelles il se dégagerait qu’il présenterait « des hallucinations visuelles, une suspicion de syndrome de Charles Bonnet et une perte de contrôle de ses facultés mentales » et que des examens supplémentaires seraient requis et il soutient que l’on ignorerait quels examens auraient été faits par le médecin délégué, lequel se serait contenté du formulaire de demande d'examen d'imagerie médicale du 6 septembre 2019, sans être en possession d'un quelconque résultat d'une IRM cérébrale pourtant indispensable pour connaître son état de santé exact. Le médecin délégué n’aurait pas non plus recherché à éclairer plus en avant son état psychiatrique et neurologique.

En substance, l'avis du médecin délégué ne reposerait pas sur un examen médical physiologique suffisant et complet, de sorte qu’il ne saurait valablement sous-tendre la décision ministérielle, le ministre s’étant basé sur des faits matériellement inexacts.

Or, selon l’appelant, comme la charge de la preuve de son état de santé reposerait sur les autorités luxembourgeoises et non pas sur lui, le jugement serait à réformer et la décision ministérielle à annuler.

L’appelant demande encore à la Cour d’ordonner qu'il soit procédé à une expertise médicale pour établir son état de santé exact.

Concernant les conséquences de son renvoi au Maroc, l’appelant soutient que ses pathologies neurologiques et psychiatriques requerraient un suivi médical approprié, lequel ne lui serait pas garanti au Maroc, de sorte que son intégrité physique et même sa vie seraient mises en danger lorsqu’il serait rapatrié et la décision violerait les articles 2 et 3 de la CEDH sous ce rapport.

La Cour, à l’instar des premiers juges, constate qu’il se dégage des dispositions combinées des articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008 que pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger, qui ne doit pas présenter de menace pour l’ordre ou la sécurité publics, doit établir de manière cumulative, premièrement, au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, deuxièmement, qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.

En ce qui concerne plus particulièrement la maladie visée par l’article 131 de la loi du 29 août 2008, il se dégage des travaux préparatoires à ladite loi que « les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe 4un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ».

C’est encore à bon droit que les premiers juges ont rappelé que l’article 130 de la loi du 29 août 2008 place principalement la charge de la preuve du côté de l’étranger demandeur lequel doit, aux termes de ladite disposition légale, « établir au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale (…) », d’une part, et cumulativement « rapporter la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné », d’autre part.

Il s’ensuit que l’appelant ne saurait se contenter d’argumenter que le médecin délégué n’aurait pas fait des diligences suffisantes pour établir son état de santé exact, alors qu’il manque de son côté fondamentalement d’apporter un quelconque certificat médical complémentaire permettant d’évaluer la gravité de son état de santé et, par-là, de documenter un état de santé nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Les premiers juges ont pointé à juste titre que l’appelant a omis de compléter et d’actualiser son dossier médical au niveau de son recours gracieux et, plus spécialement, a manqué de produire le moindre certificat médical additionnel confirmant la suspicion initiale d’un syndrome de Charles Bonnet.

Ceci étant, dès lors qu’il ne se dégage pas des certificats médicaux versés par Monsieur (B) à l’appui de sa demande d’un sursis à l’éloignement qu’il serait effectivement atteint du syndrome de Charles Bonnet, de même qu’il manque de documenter les éventuelles implications de cette maladie sur son état de santé, l’appelant, qui ne soutient même pas avoir suivi ou suivre un quelconque traitement médical au Luxembourg, est resté et reste en défaut d’établir qu’au moment où le ministre était appelé à décider, il souffrait d’une maladie qui, sans traitement ou soins médicaux, entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour sa personne.

C’est à bon droit que les premiers juges ont ajouté que la cécité irréversible dont l’appelant est atteint n’est pas non plus de nature à ébranler le constat du médecin délégué selon lequel l’intéressé ne souffre pas d’une maladie qui nécessiterait une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Il n’appert donc point des éléments de la cause que la décision ministérielle, tablant sur l’avis du médecin délégué du 20 décembre 2019, dont les constats ne sont pas utilement ébranlés, soit entachée d’une erreur d’appréciation des faits ou d’une violation de la loi, de sorte que la première condition des conditions posées par l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’est pas remplie en l’espèce, sans qu’il y ait par ailleurs lieu de faire droit à la demande de l’appelant à voir instituer une mesure d’instruction, qui vise en définitive à voir suppléer à sa carence dans l’administration d’une preuve qu’il lui incombe en principe de rapporter.

Les deux conditions légalement posées pour justifier un sursis à l’éloignement étant cumulatives, il n’est pas nécessaire ou utile d’examiner si l’appelant remplit la deuxième condition posée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008, tenant à une impossibilité de bénéficier des soins adéquats dans son pays d’origine et il convient de conclure que le ministre a valablement pu refuser la demande en sursis à éloignement litigieuse.

5 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel est à rejeter pour manquer de fondement.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 27 décembre 2021 en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 16 novembre 2021;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s….

s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 mars 2022 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46836C
Date de la décision : 29/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-29;46836c ?

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