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04/03/2022 | LUXEMBOURG | N°47019

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 mars 2022, 47019


Tribunal administratif N° 47019 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2022 4e chambre Audience publique du 4 mars 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47019 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2021 par la société à respons

abilité limitée NCS Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-1475 Luxembourg, 7, ...

Tribunal administratif N° 47019 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2022 4e chambre Audience publique du 4 mars 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47019 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2021 par la société à responsabilité limitée NCS Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-1475 Luxembourg, 7, rue du St. Esprit, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 225706, inscrite à la liste V du tableau de l'Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Aline Condrotte, avocat à la Cour, inscrite à l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie) et de son épouse Madame …, née le … à … (Tunisie), accompagnés de leur enfant mineur…, née le … à … (Turquie), tous de nationalité tunisienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 janvier 2022 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Aline Condrotte du 1er mars 2022 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que de Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er mars 2022, Maître Aline Condrotte étant excusée.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 En date du 10 janvier 2022, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leur enfant mineur…, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes luxembourgeois, direction de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des consorts … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 21 janvier 2022, Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 27 janvier 2022, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », résuma les déclarations des consorts … comme suit : « (…) Monsieur, vous déclarez vous nommer …, être né le 12 juillet 1988 à Tunis (Tunisie) et être de nationalité tunisienne. Vous seriez marié depuis novembre 2019 à la dénommée …, née le …. Vous auriez vécu ensemble avec votre épouse à Tunis depuis votre mariage jusqu'au 22 mars 2020. Par la suite, votre épouse serait partie vivre chez sa mère, tandis que vous-même seriez parti vivre chez la vôtre jusqu'à mi-juillet 2020 « à cause du Covid on ne pouvait pas voyager entre les villes » (entretien page 2). A compter de juillet 2020 votre épouse serait venue vous rejoindre à Tunis chez votre mère. A compter des « trois jours de l'Aid » (entretien page 2), soit fin mai 2020, vous auriez logé dans différentes maisons à Tunis.

Vous auriez quitté ensemble la Tunisie en date du 22 octobre 2020 pour la Turquie où vous auriez séjourné pendant un an. Ensuite, vous seriez partis pour la Serbie et, après un mois, vous seriez venus au Luxembourg en passant par la Hongrie, la Slovaquie, l'Autriche et l'Allemagne. Vous déclarez être venu ensemble avec votre épouse et votre enfant au Luxembourg « pour demander l'asile » (entretien page 5) parce que « je parle et comprend le français et j'aime le pays » (entretien page 5).

Monsieur, vous déclarez avoir introduit une demande de protection internationale alors que votre belle-famille voudrait tuer votre fille. Le frère de votre épouse, votre beau-frère, aurait dès le départ été contre votre mariage alors que vous et votre épouse ne vous seriez pas connus. Votre beau-frère n'aurait été informé de votre mariage que le jour-

même, après la signature du contrat de mariage. Lorsqu'il aurait eu connaissance de votre mariage, « il est venu me voir et il est reparti » (entretien page 6). Vous déclarez ensuite que votre beau-frère aurait été « présent lors de la signature du contrat et après il est reparti » (entretien page 6).

Vous auriez fait connaissance de votre épouse en date du 13 octobre 2019 et vous vous seriez mariés le 17 novembre 2019. Les ennuis auraient commencé lorsque vous auriez emménagé ensemble et lorsqu'ils auraient appris que votre épouse serait enceinte. Dès le départ, votre beau-frère aurait causé des ennuis, « ils disaient que ma femme m'avait acheté avec de l'argent » (entretien page 6). Vous sauriez que votre belle-famille tuerait votre fille alors qu' « ils ont réellement menacé de tuer la fille » (entretien page 6).

2Convié à donner davantage de détails au sujet des menaces proférées envers votre fille non encore née au moment des faits allégués, vous déclarez être allé avec un notaire chez votre épouse pour signer le contrat de mariage. Le frère de votre épouse se serait trouvé devant la maison et aurait été « très fâché » (entretien page 7). Après la signature du contrat il aurait commencé à vous contacter par téléphone. « Il nous dérangeait » (entretien page 7).

Pendant la période du Covid, lorsque votre épouse aurait été chez sa mère, il aurait appris qu'elle serait enceinte « et là les problèmes ont commencé. (…). Il lui a causé beaucoup d'ennuis » (entretien page 7). Dès qu'elle aurait eu l'occasion, elle serait venue vous rejoindre. Vous auriez alors séjourné ensemble pendant quelques mois chez votre mère et « puis on a loué » (entretien page 7). Lorsqu'elle vous aurait rejoint, vous auriez décidé de quitter la Tunisie à cause de l'enfant à naître. Vous rajoutez qu' « on lui a même demandé d'avorter » (entretien page 7). Vous-même auriez reçu des appels téléphoniques de votre beau-frère qui vous aurait dit « je ne te laisserais pas tranquille, là où tu iras je serais derrière toi » (entretien page 7). Vous n'auriez pas cherché à régler ce problème avec votre beau-frère alors qu' « il ne me connaissait pas et il était contre le mariage ». Votre épouse aurait porté plainte, mais en Tunisie, il faudrait attendre longtemps et « la décision du tribunal prend beaucoup de temps » (entretien page 7).

Vous rajoutez encore que votre propre famille aurait également été contre ce mariage et lorsque votre épouse serait venue chez votre mère, cette dernière n'aurait pas souhaité qu'elle reste et « ma famille était tout le temps mal à l'aise » (entretien page 7).

Vous n'auriez pas de documents à l'appui de vos dires alors que vous auriez tout laissé en Tunisie. Vous auriez des photos des tampons du passeport « de quand j'ai quitté la Tunisie » (entretien page 8). Vous ne pourriez pas remettre votre carte d'identité alors qu'elle se trouverait en Tunisie dans un hôtel lequel vous n'auriez pas pu payer. Votre passeport se trouverait en Serbie chez un Tunisien originaire de …. Vous n'auriez pas ramené votre passeport alors que vous auriez eu « peur de le perdre, pour arriver j'ai dû traverser une forêt et un fleuve… » (entretien page 2). Convié à expliquer l'origine des photos de votre passeport ainsi que de celui de votre épouse et de votre fille et lesquelles ont été prises en date du 9 janvier 2022, soit le jour précédent votre demande de protection internationale, vous déclarez que la veille de votre demande, votre ami en aurait pris des photos et vous les aurait envoyées sur votre portable. Il résulte desdites photos que vous-même, ainsi que votre épouse et votre fille, êtes en possession de passeports émis par les autorités tunisiennes en date du …, concernant votre passeport Monsieur, en date du …, concernant le passeport de votre épouse, ainsi qu'en date du …, concernant le passeport de votre fille. Pour le surplus vous déclarez ne pas avoir de preuves à l'appui de vos dires alors que vous auriez « tout laissé en Turquie » (entretien page 8).

Madame, vous déclarez avoir vécu dans le quartier … à Tunis de février 2019 à avril 2020, d'abord seule, puis avec votre mari. A compter d'avril 2020, en raison de la pandémie liée au Covid-19, « j'ai choisi de rester avec ma mère à la campagne ». La pandémie vous « aurait aidée » alors que « mes frères et sœurs n'allaient et ne venaient pas chez ma mère » (entretien page 2). Après le ramadan, vous seriez retournée à Tunis, mais votre belle-mère n'aurait pas été contente de votre présence et « des fois j'étais seule dans un foyer pour femme ». Vous auriez fait des « demandes de visas normales » (entretien page 2) pour essayer de partir à cause des problèmes « que me causait ma belle-sœur » (entretien page 2), l'épouse de votre frère ….

Par après, lorsque vous auriez été enceinte de six mois, vous auriez contacté votre ancien propriétaire qui aurait accepté de vous héberger sans loyer. Vous y seriez alors restée 3avec votre mari jusqu'à votre départ en date du 22 octobre 2020.

Vous seriez spécialement venue au Luxembourg à cause des langues parce que « je n'ai plus la tête pour apprendre d'autres langues » (entretien page 4).

Vous déclarez introduire une demande de protection internationale alors que vous ne pourriez plus vivre avec vos frères et sœurs. L'épouse de votre frère se serait mise contre vous, « elle était jalouse » (entretien page 5). Cette dernière aurait même réussi à vous séparer de votre mère. Vous relatez qu'après la deuxième attaque cardiaque de votre père en 2013, vous auriez démissionné de votre emploi pour pouvoir vous occuper de vos parents.

Votre belle-sœur et votre frère auraient également vécu avec eux à cette époque. Au bout de quinze jours, votre belle-sœur aurait dit « que s'était soit elle, soit moi », de sorte que depuis votre démission en 2013 et jusqu'au décès de votre père en 2015, vous n'auriez pas pu rester avec vos parents pour vous occuper d'eux. Votre belle-sœur serait par la suite partie vivre chez sa mère et « elle créait des problèmes à cause des biens et des terres » (entretien page 5).

Par ailleurs, vos frères seraient contre vous et votre mariage et votre frère … vous aurait demandé d'avorter lorsque vous auriez été enceinte. Vos frères ne seraient pas d'accord avec votre mariage alors qu' « ils sont contre tout, tout contre moi, en particulier mon mariage » (entretien page 5). Il n'y aurait pas de « raison particulière, toute ma vie ils ont été contre moi » (entretien page 5). Votre frère ne vous aurait pas directement demandé d'avorter mais « c'était à travers ma mère ». Il n'aurait pas accepté le mariage et « il n'aimait pas mon mari » (entretien page 5) au motif qu'il ne chercherait qu'à profiter de vous.

Vous ne pourriez pas retourner en Tunisie alors qu' « ils ont fait avorter ma mère, je risquais de subir la même chose » (entretien page 5). Vos frères et vos sœurs ne seraient « pas gentils » (entretien page 5) et votre enfant risquerait de souffrir tel que vous auriez souffert. Depuis le décès de votre père en 2015, vos frères et sœurs n'auraient pas arrêté « de faire des problèmes entre moi et ma mère » et ils auraient même demandé qu'elle porte plainte contre vous « pour désobéissance » (entretien page 6).

Conviée à expliquer si vous aviez porté plainte, vous déclarez « Non, moi jamais » (entretien page 6). Par contre, votre frère aurait porté plainte contre vous « pour satisfaire sa femme, c'est toujours elle qui crée des problèmes » (entretien page 6). Il aurait dit que vous l'auriez frappé de même que votre mère, mais la police vous aurait donné raison.

Vous déclarez encore qu'après votre démission en 2013 et lorsque vous n'auriez pas pu rester chez vos parents, vous auriez tenté de récupérer votre emploi, mais cela vous aurait été refusé. Vous auriez par ailleurs vendu un terrain et auriez dépensé tous vos avoirs pour financer votre mariage et pour quitter la Tunisie. Vous déclarez ne pas avoir de preuves à l'appui de vos dires. (…) ».

Le ministre informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 février 2022, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 4janvier 2022 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 janvier 2022, telles que déférées.

Le recours en réformation a été, en outre, introduit dans les formes et délai de la loi, de sorte qu’il est à déclarer recevable.

A l’appui du recours, les demandeurs exposent, tout d’abord, les rétroactes à la base du présent litige.

En ce qui concerne son recours dirigé contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, les consorts … estiment que le ministre aurait à tort retenu que les faits qu’ils auraient vécus dans leur pays d’origine seraient dénués de pertinence, de sorte à avoir à tort fait usage de la procédure accélérée dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale. Le ministre aurait ainsi également violé l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », alors qu'à cause du recours à une procédure accélérée, les demandeurs n'auraient pas pu faire valoir tous leurs moyens et arguments et n'auraient pas le temps de rapporter les preuves matérielles nécessaires justifiant de leur situation.

En ce qui concerne le refus d’octroi d’une protection internationale, les demandeurs, par rapport au statut de réfugié, sur base des articles 2, f), 42, paragraphe (1) et 39 de la loi du 18 décembre 2015, contestent la décision ministérielle déférée en ce que le ministre leur aurait, à tort, reproché de ne pas avoir pu prouver les menaces et agressions subies en Tunisie, preuve qu’il serait très compliqué de rapporter, s’agissant de menaces orales qui se seraient produites il y a quelques années. Le fait que les demandeurs auraient quitté leur pays d’origine, alors même que Madame … aurait été enceinte, démontrerait à suffisance la gravité des menaces et des agressions subies. Par ailleurs, les plaintes des demandeurs auprès des autorités répressives tunisiennes n’auraient pas connu de suites. Au regard de la gravité des faits et du risque d’exécution en cas de retour dans leur pays d’origine, la seule issue pour les demandeurs aurait été de quitter leur pays d’origine et de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg. Dans la mesure où ils en rempliraient les conditions, les demandeurs devraient se voir accorder, par réformation de la décision entreprise, le statut de réfugié.

S’agissant du refus ministériel de leur accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, les demandeurs font valoir, en s’appuyant sur les articles 2 g), 48 et 39 de la loi du 18 décembre 2015, qu'ils auraient de sérieuses raisons de craindre pour leur vie, alors que leur famille aurait proféré des menaces de mort à leur encontre, lesquelles auraient été d’une telle gravité à les avoir obligé de quitter leur pays. Ils exposent encore, dans ce contexte, s’être d'ores et déjà bien intégrés dans la société luxembourgeoise, grâce aux cours de 5luxembourgeois et aux formations y suivi, dans l’objectif de trouver un emploi au Luxembourg afin d’y construire leur vie sans être à charge de l’Etat. En conséquence, au cas où le tribunal devrait les débouter de leur demande d’octroi du statut de réfugié, il y aurait lieu, par réformation de la décision déférée, de leur accorder le statut conféré par la protection subsidiaire.

S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs concluent à la réformation de cette décision, sans fournir une quelconque argumentation factuelle ou juridique à l’appui de ce volet de leur recours.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

1) Quant au recours visant la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur le point a) et de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, dont les termes sont les suivants : « (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

6a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) Il en résulte que dans l’hypothèse où le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour l’octroi du statut conféré par la protection internationale, sa demande de protection internationale peut être toisée par le ministre dans le cadre d’une procédure accélérée.

Concernant plus particulièrement le point a) de l’article 27, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 visant l’hypothèse où le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour l’octroi du statut conféré par la protection internationale, il y a lieu de rappeler que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ 7d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Il y a lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Nonobstant la question de la crédibilité du récit des demandeurs, du prétendu motif de persécution, respectivement de la gravité des faits, il y a lieu de relever que les auteurs des agissements mis en avant par les demandeurs, à savoir les auteurs des menaces proférées à leur encontre, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, alors qu’il s’agit des membres de la famille de Madame …, de sorte que, les consorts … ne peuvent, en tout état de cause, faire valoir une crainte fondée d’être persécutés, respectivement un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités tunisiennes ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre les agissements dont ils font état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’ils ont de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de leur pays d’origine.

Dans ce cadre, il y a lieu de rappeler que chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754 8En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il incombe au juge administratif de vérifier si, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, une protection adéquate a été offerte au demandeur de protection et lui est ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit.

Or, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments à la disposition du soussigné que les autorités tunisiennes n’auraient pas été capables, respectivement disposées à offrir aux demandeurs une protection adéquate contre les agissements dont il aurait été victime, dans la mesure où les demandeurs n’ont fait appel à ces dernières suite aux menaces de mort proférées à leur encontre par des membres de la famille de Madame …3. De plus, il y a lieu de relever que les autorités tunisiennes sont, d’après les déclarations de Madame …4, intervenues suite à la plainte déposée à son encontre par son frère pour diligenter une enquête ayant abouti à un abandon des poursuites, ce qui témoigne de la disponibilité et d’une certaine efficacité desdites autorités.

Dès lors, le soussigné est amené à conclure que les demandeurs n’ont manifestement pas établi un défaut de protection de la part des autorités étatiques de leur pays d’origine.

Au vu des considérations qui précèdent, le soussigné est amené à conclure que les demandeurs n’ont manifestement pas fait état et n’ont pas établi qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, respectivement des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours des demandeurs dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’ils ont présentés pour établir que les faits soulevés à la base de leur demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.

Cette conclusion n’est manifestement pas remise en cause par l’argumentation des demandeurs relatifs à une violation de l’article 6 de la CEDH, étant donné qu’ils sont restés en défaut, dans le cadre du recours sous examen, de faire valoir un quelconque élément factuel ou juridique qu’ils auraient été dans l’impossibilité de présenter à cause de la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de leur recours dans le cadre d’une procédure accélérée, un tel élément ayant, pour le surplus, pu être pris en considération par le soussigné statuant dans le cadre d’un recours en réformation.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

3 Page 6 du rapport d’audition de Madame … du 21 janvier 2022.

4 Ibidem.

92) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est de rappeler que le soussigné vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs sont restés en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire, dans la mesure où l’une des conditions d’octroi de la protection internationale, à savoir plus particulièrement la preuve d’un défaut de protection des autorités tunisiennes, n’étant manifestement pas remplie en l’espèce.

Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de leurs auditions respectives, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, que les demandeurs ne remplissent manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et les demandeurs sont à débouter de leur demande de protection internationale.

3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour des demandeurs en Tunisie ne les expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit, en l’absence de tout moyen juridique portant sur l’ordre de quitter le territoire que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros formulée par les demandeurs sur la base de l’article 33 de la loi 10modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.

Par ces motifs, le vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 janvier 2022 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts … dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours dirigé contre ces décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute les demandeurs de leur demande de protection internationale ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mars 2022 par le soussigné, Paul Nourissier, vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47019
Date de la décision : 04/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-04;47019 ?

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