La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2022 | LUXEMBOURG | N°46904

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2022, 46904


Tribunal administratif N° 46904 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique du 31 janvier 2022 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Madame A et Monsieur B, …, par rapport à des décisions du bourmestre de la commune de Heffingen en présence de Monsieur C, …, en matière de permis de construire

___________________________________________________________________________


ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46904 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal admini

stratif par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a...

Tribunal administratif N° 46904 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique du 31 janvier 2022 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Madame A et Monsieur B, …, par rapport à des décisions du bourmestre de la commune de Heffingen en présence de Monsieur C, …, en matière de permis de construire

___________________________________________________________________________

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46904 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Madame A et de Monsieur B, demeurant à …, tendant à voir dire « que le recours en annulation, déposé par acte séparé en date de ce jour, produit un effet suspensif quant à l'exécution de :

1) L'Autorisation de bâtir n°…/2021 délivrée en date du 13 août 2021 habilitant Monsieur C à construire une pergola sur la terrasse existante au … (…) 2) La décision du 1er décembre 2021 prise sur recours gracieux (…) confirmant l'autorisation de construire du 13 août 2021 à la suite du recours gracieux introduit par les parties requérantes en date du 25 août 2021 (…) et du 19 octobre 2021 (…) » cette autorisation étant encore attaquée au fond par une requête en annulation introduite le 14 janvier 2022, portant le numéro 46903 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 12 janvier 2022, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à l’administration communale de Heffingen ainsi qu’à Monsieur C, demeurant à … ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2022 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Heffingen ;

Vu la note de plaidoiries déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2022 par Maître Albert RODESCH, pour l’administration communale de Heffingen ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Maître Adrien KARIGER en remplacement de Maître Steve HELMINGER, pour les requérants, ainsi que Maître Stéphane SUNNEN en remplacement de Maître Albert RODESCH pour l’administration communale de Heffingen, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 janvier 2022.

___________________________________________________________________________

Le 13 août 2021, le bourgmestre de la commune de Heffingen, désigné ci-après par « le bourgmestre », délivra à Monsieur C, en sa qualité de propriétaire de la parcelle sis à …, une autorisation pour « construire une pergola sur la terrasse existante à … ».

Par courrier adressé le 25 août 2021 au bourgmestre, Madame A et Monsieur B, désignés ci-après par « les consorts AB », ont introduit un recours gracieux contre l’autorisation de construire précitée du 13 août 2021, en leur qualité de propriétaires de la maison sise à …, accolée à la maison faisant l’objet de l’autorisation de construire en question. Par courrier de leur litismandataire du 19 octobre 2021 au bourgmestre, les consorts AB ont complété leur recours gracieux.

Le 1er décembre 2022 le bourgmestre a confirmé l’autorisation de construire précitée par une décision rédigée en les termes suivants : « (…) Le projet soumis est parfaitement conforme aux dispositions réglementaires en matière d'urbanisme en vigueur.

Je maintiens donc le permis de construire n°56/2021 du 13 août 2021 ».

Par requête déposée le 14 janvier 2021 et inscrite sous le numéro 46903 du rôle, les consorts AB ont fait introduire un recours en annulation contre la décision précitée du bourgmestre du 13 août 2021, ainsi que contre la décision confirmative intervenue le 1er décembre 2021, suite à l’introduction d’un recours gracieux. Par requête séparée déposée également le 14 janvier 2022, inscrite sous le numéro 46904 du rôle, les consorts AB ont encore demandé à voir prononcer un sursis à exécution des décisions déférées en attendant la solution du recours au fond.

A l’appui de leur requête les consorts AB exposent être les voisins directs du titulaire de l’autorisation de construire déférée. A leurs yeux la particularité de la situation d’espèce résiderait dans le fait que la dalle sur laquelle la pergola, pour laquelle l’autorisation de construire a été émise, sera érigée serait commune aux deux maisons. Ainsi, une seule et même dalle aurait été érigée pour la réalisation des terrasses des deux maisons, de sorte que les deux maisons disposeraient matériellement d’une seule grande terrasse, divisée au milieu par une cloison de séparation. La dalle des terrasses constituerait en même temps le toit des surfaces habitables situées au rez-de-chaussée. Selon les consorts AB, tous les travaux, notamment ceux nécessaires pour ancrer la pergola sur la terrasse, risqueraient de causer des dégâts à la dalle sinon pour le moins à la membrane d'étanchéité.

Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif ils exposent que la réalisation de la pergola risquerait de causer différents préjudices, à savoir :

« -

Durchbohrung und Beschädigung der wasserdichten Abdichtungsplane der gesamten Terrasse -

was unvermeidlich zur Folge hat dass Wasserinfiltration in den unterliegendenWohnräumen (Salon, Schlafzimmer) im Erdgeschoss vorprogrammiert ist.

-

Durchbohrung der Isolationstruktur der gesamten Terrasse mit Materialschaden -

und starke Reduktion des Isolationskoeffizients durch infiltrierendes Wasser -

unmögliche Kontrolle und Reinigung der Wasserabflussrohre der Terrasse durch Überbauung mit Pergola-Pfosten -

Stabilität der Konstruktion und Statik 2 -

Beschädigung der gemeinsamen Sichtschutzwand von 2 m zwischen unseren beiden Terrassen -

Unzugänglichkeit der Dachrinne bei Schäden oder Verstopfung -

nicht Beachtung der vorgeschriebene Distanzen zum Nachbar -

mögliche Risse in den Mauern und Wänden ».

Les consorts AB exposent encore que les conduites d'évacuations des eaux de pluie en provenance des rigoles de toitures seraient posées dans cette même dalle. Dans la mesure où une pergola devrait être solidement ancrée au sol, ce d'autant plus lorsqu'elle serait posée de façon surélevée par rapport au terrain sur la terrasse et donc d'avantage exposée aux vents, son installation nécessiterait des ancrages solides et d'une certaine profondeur. Le risque de percement des étanchéités existerait donc.

Les consorts AB déclarent encore disposer d’un intérêt né actuel et direct pour agir contre la décision litigieuse, étant donné que la pergola dépasserait d’un mètre la hauteur du pare-vue actuellement en place dont la vocation unique serait d'assurer de part et d'autre une certaine intimité sur les terrasses. En raison de l'orientation des immeubles, la hauteur de la pergola aura pour effet de plonger du moins pour la deuxième moitié de la journée, l'intégralité de leur terrasse dans l'ombre.

De l’avis des requérants, la construction de la pergola risquerait de causer un préjudice grave et irrémédiable à leur construction. Ils précisent à cet égard que la jurisprudence administrative retiendrait que l'intérêt du voisin s'apprécierait in concreto au regard de l'aggravation réelle de la situation de voisin découlant de la réalisation, par le titulaire de l'autorisation, de la construction dont l'autorisation est querellée.

Les consorts AB estiment en résumé que la pose de la pergola non autorisable et particulièrement son ancrage dans la dalle en béton risquerait de leur nuire de manière grave et irrémédiable en portant atteinte à l'étanchéité de leur terrasse mais surtout à l'étanchéité du plafond de leur pièce de vie située au rez-de-chaussée et de porter atteinte à l'isolation de cette dernière.

Ils ajoutent qu’une fois cette pergola installée, ils ne disposeraient plus d'aucun moyen légal pour la faire enlever et ce même à supposer qu’ils obtiennent gain de cause dans leur recours en annulation. Le préjudice résultant de l'ombre que jetée par cette pergola sur leur propre terrasse pendant plus de la moitié de la journée serait donc définitif et irrémédiable.

Ce préjudice serait d'autant plus grave et surtout définitif qu'au vu de la jurisprudence constante des tribunaux civils, une construction une fois terminée, même en dépit d'une autorisation annulée, n'est par la suite jamais démolie.

Les consorts AB estiment ensuite que les moyens invoqués quant au fond du recours seraient sérieux, dans la mesure où la construction autorisée serait directement contraire à la réglementation urbanistique en vigueur en permettant l'érection d'une dépendance dans un recul inférieur à 1 mètre de la parcelle voisine ce qui serait expressément interdit par l'article 18 du plan d’aménagement particulier « quartier existant », désigné ci-après par « PAP QE ». De plus, l’autorisation déférée irait à l'encontre de l’obligation imposée par le PAP QE de réaliser des constructions jumelées uniformes sur le territoire communal et elle ne respecterait pas les dispositions relatives à la hauteur maximale autorisée pour les clôtures sises en limite de propriété. Dans la mesure où le bourgmestre ne disposerait d'aucune marge d'appréciation pourstatuer quant à une autorisation de construire, les violations du PAP QE impliqueraient l’illégalité de la décision déférée.

L’administration communale conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause, leur litismandataire contestant le sérieux des moyens ainsi que, et surtout, l’existence d’un préjudice grave et définitif. L’administration communale insiste plus particulièrement sur le fait que la mise en place d’une pergola selon les règles de l’art serait susceptible de causer des dommages à la propriété des demandeurs. Il ne s’agirait que d’une simple allégation non étayée par des éléments objectifs, de sorte que ce moyen ne saurait pas aboutir à une mesure de sursis à exécution. L’administration communale précise encore que l’ensoleillement ne saurait pas constituer un droit acquis et que de surplus il serait matériellement impossible qu’une pergola ne dépassant que de très peu le pare-vue entre les terrasses soit effectivement de nature à plonger l’ensemble de la terrasse des demandeurs d’une longueur de 8 mètres dans l’ombre. De plus, l’exposition sud-est de la terrasse des demandeurs empêcherait la construction litigieuse de produire un quelconque impact sur l’ensoleillement de ladite terrasse.

Enfin, l’administration communale conteste le caractère définitif du préjudice invoqué, en expliquant que l’argument selon lequel les juridictions civiles n’ordonneraient que rarement le rétablissement des lieux en leur pristin état ne serait pas pertinent étant donné qu’un tel rétablissement serait expressément prévu par la loi.

L’administration communale conteste encore le caractère sérieux des moyens invoqués.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 14 janvier 2022 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne plus particulièrement le préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

En l’espèce, l’exécution de la décision litigieuse, avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé par rapport au recours au fond, se traduit par la réalisation d’une pergola sur la terrasse de la maison accolée à la maison des demandeurs et implique le risque pour ces derniers, dans l’hypothèse de la présence de certaines illégalités par rapport à la législation urbanistique, de ne plus pouvoir voir ces illégalités redressées, en raison de la jurisprudence des juridictions judiciaires qui refusent d’ordonner la démolition de constructions érigées sous lecouvert d’une autorisation administrative annulée dans la suite. En fonction de l’importance des éventuelles illégalités, le préjudice afférent pourrait donc être qualifié de définitif, sinon, au moins, de difficilement réparable.

Toutefois, en ce qui concerne la question de la gravité du préjudice, il résulte d’une jurisprudence constante que le demandeur doit donner concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice1.

Plus particulièrement, en matière d’autorisation de construire le préjudice grave et définitif est à apprécier par rapport aux travaux envisagés, en ce que ceux-ci sont de nature à nuire au demandeur. Dans ce contexte, il importe de vérifier en quoi la situation de voisin se trouve aggravée par un quelconque élément de l’autorisation de construire critiquée de sorte à l’exposer à un risque de préjudice grave, c’est-à-dire dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société ni comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, et plus particulièrement dans quelle mesure le projet litigieux porterait une atteinte grave, aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de la propre propriété du demandeur.

En ce qui concerne la question de la gravité du préjudice, il convient d’ajouter qu’aux termes de la jurisprudence des juges du fond2, l’intérêt à agir s’apprécie non pas de manière abstraite, mais concrètement au regard de la situation de fait invoquée. Ainsi, le juge doit rechercher si la construction est susceptible d’avoir une incidence sur la situation du demandeur compte tenu de la proximité par rapport à son domicile ou des caractéristiques mêmes de la commune. Dès lors, un administré ne peut valablement recourir contre une décision individuelle qu’à condition que celle-ci lui fasse grief, c’est-à-dire qu’elle aggrave effectivement et réellement, à la date de l’introduction du recours, sa situation.

D’après la jurisprudence récente3, la seule et simple qualité de voisin ne suffit pas à établir l’intérêt pour agir contre un permis de construire ; alors que c’est au regard de l’incidence concrète du projet sur la situation du demandeur que l’intérêt pour agir de ce demandeur devant le juge de l’excès de pouvoir doit être apprécié. En effet, le juge tiendra compte pour apprécier la qualité de voisin d’une construction autorisée par le permis de construire querellé, à la fois, de la distance entre le projet et leurs domiciles respectifs, de la nature et de l’importance du projet, ainsi que de la configuration des lieux.

Ce durcissement de la jurisprudence relative à l’intérêt à agir en matière d’urbanisme a, de manière évidente, une incidence sur l’appréciation du préjudice grave et définitif, la seule situation de voisin, même direct, n’implique dès lors nécessairement pas, ipso facto, automatiquement, l’existence d’un préjudice grave et définitif4.

La reconnaissance d’un risque de préjudice grave nécessite par conséquent la démonstration d’un grief d’une intensité supérieure à celui requis pour justifier d’un intérêt à agir.

1 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 626.

2 Voir notamment trib. adm. 19 octobre 2015, n° 34271 du rôle.

3 Cour adm. 12 octobre 2017, n° 39490C ainsi que 17 octobre 2017, n° 39527C et 39542C.

4 Voir trib. adm. (prés.), 18 mars 2019, n° 42408.Il est certes vrai que l’appréciation du degré de gravité d’un tel préjudice comporte toujours, essentiellement, une large part de subjectivité ; il est encore vrai que faire preuve d’une sévérité excessive dans l’appréciation de cette condition aboutirait in fine à exclure toute possibilité de recourir en la matière de l’urbanisme à une mesure de suspension et de vider la possibilité ouverte par l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999 de tout sens5. Néanmoins, même si traditionnellement le juge des référés ne procède pas une mise en balance des intérêts, il ne saurait toutefois ignorer que le contentieux administratif de l’urbanisme se traduit également par la recherche d’un équilibre entre le développement de la construction, sur la toile de fond spécifiquement luxembourgeoise d’une pression foncière importante, et le droit au recours.

D’ailleurs, la demande en obtention d’une mesure provisoire a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif. Les effets de la suspension sont d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue. Par ailleurs, comme la procédure en obtention d’une mesure provisoire doit rester une procédure exceptionnelle, puisqu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Enfin, il convient encore de rappeler que l’appréciation d’un préjudice invoqué ne s’effectue pas théoriquement ou abstraitement, mais toujours in concreto, ce qui se traduit par une appréciation du préjudice au vu non seulement des plans, mais encore de la situation concrète du projet litigieux et de son environnement, ainsi que de la situation concrète du demandeur.

En l’espèce, les demandeurs estiment que l’exécution de la décision déférée leur causerait divers préjudices en leur qualité de voisins directs et accolés à la maison sur la terrasse de laquelle la pergola litigieuse est projetée, à savoir un risque de détérioration de l’étanchéité de la terrasse et des risques corrélatifs d’infiltration d’eau ainsi qu’une perte d’ensoleillement, sur la terrasse.

Cette argumentation est toutefois à nuancer.

Il convient à titre liminaire de relever que le principe même du projet de la réalisation d’une pergola sur la terrasse de la maison de Monsieur C, directement accolée à celle des demandeurs et disposant d’une seule et même dalle, n’est pas contesté en l’espèce.

En ce qui concerne, ensuite, plus particulièrement l’allégation des demandeurs relative au risque d’un endommagement de l’étanchéité posée sur la dalle de la terrasse - constituant en même temps le toit des surfaces habitables situées au rez-de-chaussée - il appert, au terme d’une analyse nécessairement sommaire, que la substance de cet argument réside dans la crainte, par les demandeurs, d’un préjudice apporté à leur propre propriété par la réalisation des travaux de fixation de la pergola sur la terrasse de la maison voisine. Plus particulièrement, les demandeurs ne semblent pas critiquer la légalité même de l’autorisation mais les effets concrets de la réalisation de la pergola.

A cet égard, il convient d’abord de souligner que la loi ne permet pas au président du tribunal administratif ou au magistrat siégeant en son remplacement de prendre des mesures ayant pour objet des droits civils6.

5 Trib. adm. (prés.), 15 juin 2020, n° 42292.

6 trib. adm. (prés.) 24 septembre 2008, n° 24817.

Il convient ensuite de retenir que la requête semble a priori méconnaître la jurisprudence solidement établie7 selon laquelle une autorisation de construire consiste en substance en la constatation officielle par l’autorité compétente - en l’espèce le bourgmestre - de la conformité d’un projet de construction aux dispositions réglementaires (plan d’aménagement et règlement sur les bâtisses) applicables. En effet, d’après la jurisprudence, la finalité première d’une autorisation de construire consiste à certifier qu’un projet est conforme aux règles d’urbanisme applicables et par principe le propriétaire peut faire tout ce qui ne lui est pas formellement interdit par une disposition légale ou réglementaire. Ainsi, la conformité de la demande d’autorisation par rapport aux dispositions légales ou réglementaires existantes entraînerait en principe dans le chef de l’administration l’obligation de délivrer le permis sollicité, sous peine de commettre un abus respectivement un excès de pouvoir8.

Il résulte encore de cette jurisprudence que le bourgmestre, à l’occasion de la délivrance d’une autorisation de construire, ne doit prendre en considération que les prescriptions administratives et qu’il ne lui appartient pas de prendre en compte des considérations d’intérêt privé sans commettre un excès de pouvoir. Le bourgmestre, en délivrant l’autorisation de construire, se prononce donc uniquement du point de vue administratif, l’exécution concrète et technique de l’installation, ainsi que les litiges sur le droit de propriété restant l’affaire des bénéficiaires de l’autorisation9.

Cette conclusion se dégagerait encore du fait que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers : les droits généralement quelconques des tiers étant réservés, il leur appartient de les faire valoir devant le juge compétent, à savoir les juridictions civiles. Ainsi, le bourgmestre, en délivrant l’autorisation de bâtir, constate dans la forme passive d’une autorisation que la réalisation du projet est permise. Cet acte d’administration ne peut avoir pour l’administration aucune conséquence civile : si le bâtisseur construit sur le bien d’autrui, ou si le bien est grevé de servitudes civiles, la demande est néanmoins accueillie, parce que l’administration ignore le point de droit civil et qu’elle ne prend aucune responsabilité technique10.

L’allégation d’un risque d’endommagement de la propriété des demandeurs causé non pas par l’autorisation déférée, respectivement par son objet, mais par le mode de réalisation matérielle et technique de la pergola projetée, ne saurait partant justifier la mesure provisoire sollicitée.

En ce qui consiste ensuite le risque de préjudice allégué, causé par une perte d’ensoleillement, il appert en premier lieu qu’en tout état de cause la vue et l’ensoleillement ne sauraient constituer des droits acquis, sauf à rendre impossible toute évolution du tissu construit, même s’il n’est pas urbain11.

7 Voir p.ex. trib. adm. 7 février 2017, n° 37219.

8 trib. adm. 21 octobre 2012, n°27540 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Urbanisme n° 663 et les autres références y citées.

9 trib. adm. 8 novembre 2012, n°28985 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Urbanisme, n° 757.

10 Cour adm. 17 décembre 2015, n°36487C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Urbanisme, n° 770 et les autres références y citées.

11 Cour d’appel de Toulouse, 1ère chambre, 17 septembre 1991, n°2330/89 ; trib. adm. (prés.) 7 décembre 2020, n° 45232.Plus concrètement, et en l’espèce, il ressort des différents plans versés en cause et il n’est d’ailleurs pas contesté que la parcelle des demandeurs et celle de Monsieur C sont directement adjacentes, accueillent deux maisons accolées et sont situées du côté sud de la rue …, dans la commune de Heffingen. Par ailleurs, la parcelle des demandeurs est située à l’est, tandis que celle de Monsieur C est située à l’ouest. Il ressort encore des photographies en cause ainsi que des explications des parties que les terrasses des deux maisons se situent à l’arrière des maisons au premier étage, donc du côté sud, et qu’elles sont séparées par une cloison. Les terrasses du premier étage forment le toit des surfaces habitables situées en dessous au rez-de-

chaussée. Au vu de cette configuration des lieux, de l’orientation plein sud des maisons et de la position du soleil au cours de la journée, il peut d’ores et déjà être constaté que la terrasse des demandeurs bénéficie d’un ensoleillement ininterrompu durant une large partie de la journée et qu’en seconde partie de journée, voire en fin de journée, la cloison d’ores-et-déjà existante génère inévitablement une perte d’ensoleillement. Les demandeurs affirment ensuite, certes à juste titre, que la pergola projetée risque d’accentuer cette perte d’ensoleillement en fin de journée, en raison du fait que sa hauteur dépasse celle de la cloison d’ores-et-déjà existante.

Toujours est-il qu’en raison de l’orientation plein sud des maisons et du fait que la perte d’ensoleillement existe de toute façon d’ores et déjà en raison de la cloison de séparation entre les terrasses et, enfin, en raison du fait qu’elle ne concerne que la fin de la journée, le risque de préjudice ainsi généré n’est pas à considérer comme aggravant effectivement et réellement la situation des demandeurs, ni comme dépassant le cadre de ce qui doit être accepté normalement.

Cette conclusion est encore confortée par le fait qu’il ressort des plans versés en cause que la pergola projetée consiste en une structure en aluminium composée de quatre piliers, reliés entre eux en haut par quatre poutres entre lesquelles un store peut être ouvert ou fermé, à la guise des propriétaires, à l’image d’un toit ouvrant, d’une simple marquise ou encore d’un pare-soleil.

Une éventuelle perte d’ensoleillement ou de luminosité ne pourrait donc exister qu’en cas de fermeture complète du store et ne serait donc en tout état de cause ni permanente ni définitive.

Eu égard aux développements qui précèdent et compte tenu de la configuration générale des lieux et de la situation géographique des parcelles il n’appert pas que la réalisation du projet litigieux serait effectivement de nature à engendrer dans le chef des demandeurs un préjudice grave, c’est-à-dire dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société ni comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, la réalisation de ce projet peut tout au plus impliquer des désagréments, pouvant être qualifiés d’usuels en milieu urbanisé.

Il n’appert dès lors pas que le projet litigieux porte une atteinte grave aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de la propriété des demandeurs, dans le sens que la réalisation du projet litigieux voisin n’a pour effet ni de les priver de leur propriété, ni de porter à cette propriété une atteinte d’une gravité telle que le sens et la portée de ce droit s’en trouvent dénaturés, sinon considérablement amoindris.

En d’autres termes, le projet de construction litigieux n’est pas de nature à entraîner une atteinte démesurée, inacceptable, aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des propriétés des demandeurs, n’ayant pas une incidence directe, concrète et significative sur leurs conditions de vie personnelle12.

12 Voir C.E. belge, 5 novembre 2014, X, n° 229.076 ; C.E. belge, 16 septembre 2014, Leboeuf, n° 228.382.Il convient par ailleurs de relever qu’une construction, même conforme aux règles d’urbanisme ou à un permis de construire effectivement délivré par l’autorité, est toujours délivrée sous réserve des droits des tiers, et notamment le droit de propriété des voisins, en application de l’article 544 du Code civil. Par ailleurs, la jurisprudence judiciaire admet que le principe des troubles anormaux de voisinage trouve également à s’appliquer au domaine de la construction immobilière, tandis que le juge judiciaire peut en tout état de cause réparer l’indemnisation de deux types de préjudices, à savoir la perte de valeur pour le propriétaire et le trouble de jouissance du bien pour ses occupants13.

Il s’ensuit que les demandeurs sont à débouter de leur demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Il convient toutefois de souligner que la solution ci-avant retenue, encore qu’à première vue favorable à l’administration communale et au tiers intéressé, est la conséquence du fait que l’une des conditions devant être cumulativement remplies pour prétendre à l’obtention d’une mesure provisoire n’est pas donnée en l’espèce, et ne préjudicie dès lors pas de l’issue future du recours au fond, ni ne signifie, à ce stade, que les moyens des demandeurs ne seraient pas suffisamment sérieux. Le préjudice grave et définitif ainsi que la démonstration de moyens sérieux sont en effet deux conditions distinctes du recours au référé administratif : en d’autres termes, la démonstration d’un moyen sérieux, même de manière manifeste, ne crée pas en tant que telle une situation de risque de préjudice grave et définitif, tandis que l’absence de préjudice grave et définitif, inversement, ne signifie pas l’absence de moyens sérieux.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure des montants de 1.000 euros formulées par les demandeurs laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, la soussignée, premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président, légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros telle que formulée par les demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 janvier 2022 par Françoise EBERHARD, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.

13 Cass. fr. 19 janvier 2017, req. n°15-28591.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46904
Date de la décision : 31/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-31;46904 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award