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21/01/2022 | LUXEMBOURG | N°43917

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 janvier 2022, 43917


Tribunal administratif No 43917 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2019 4e chambre Audience publique du 21 janvier 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43917 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2019 par Maître David Giabbani, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation...

Tribunal administratif No 43917 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2019 4e chambre Audience publique du 21 janvier 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43917 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2019 par Maître David Giabbani, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 10 septembre 2019 portant résiliation de son contrat de travail en tant que chargé de cours avec effet au 31 octobre 2019.

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2020 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2020 par Maître David Giabbani pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu l’information de Maître David Giabbani du 4 octobre 2021 suivant laquelle celui-

ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu l’information de Madame le délégué du gouvernement Tara Désorbay du 4 octobre 2021 suivant laquelle celle-ci se rapporte à ses écrits ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Tara Désorbay en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 octobre 2021.

___________________________________________________________________________

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 En date du 17 août 2018, Monsieur … fut engagé, avec effet au 1er septembre 2018, par un contrat à durée indéterminée en qualité de chargé de cours de la réserve de suppléants de l’enseignement fondamental, conformément aux dispositions des articles 20bis et 22 de la loi modifiée du 6 février 2009 concernant le personnel de l'enseignement fondamental, dénommée ci-après « la loi du 6 février 2009 ».

Par un courrier recommandé du 1er août 2019, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, dénommé ci-après « le ministre », s’adressa à Monsieur … dans les termes suivants :

« (…) Je tiens à vous informer que j'ai l'intention de procéder à la résiliation de votre stage, suite à votre entretien d'appréciation lors duquel vous vous êtes vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l'article 4 bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat.

En effet, Monsieur …, directeur de la Direction de région …, m'a transmis une proposition d'appréciation motivée qu'il a élaborée en tant que votre supérieur hiérarchique.

Suite à l'entretien d'appréciation qui a eu lieu en date du 12 juillet 2019, en présence de Monsieur …, et de Madame …, votre personne de référence, votre supérieur hiérarchique a proposé de retenir le niveau de performance 1 équivalant à « ne répond pas aux attentes ».

Or, selon l'article 7. paragraphe 1er de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et le traitement des employés de l'Etat, le contrat peut être résilié avec préavis dans un tel cas de figure.

Selon l'appréciation remise par le directeur, dont l'entièreté se trouve dans la proposition d'appréciation jointe en annexe, il ressort que vous afficheriez de trop nombreuses déficiences, qui sont notamment les suivantes:

- Difficultés manifestes quant à l'enseignement direct (conception, préparation, mise en œuvre et conduite) ;

-

Présence de nombreuses plaintes de la part des parents d'élèves ayant rendues nécessaires une adaptation de votre tâche ;

-

Absence complète de documentation écrite du programme suivi en classe ;

-

Non-respect de l'obligation de préparation écrite des classes ;

-

Défaut de préparation pour votre leçon d'inspection et omission de se présenter à une deuxième session ;

-

Réticence à s'intégrer dans le travail d'équipe ;

-

Non-validation tant de la formation théorique que de la formation pratique.

S'y ajoute que vous avez fait l'objet de deux ordres de justifications, en date du 8 avril 2019 et du 14 mai 2019, auxquels vous n'avez pas daigné donner une suite. Or, vous n'êtes pas sans savoir que conformément à l'article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 fixant les conditions et modalités de l'ordre de justification à adresser aux fonctionnaires de l'Etat, « le refus ou l'abstention de prendre position dans le délai imparti vaut aveu du ou des faits reprochés ».

Eu égard aux considérations exposées ci-dessus, aucune évolution n'a pu être constatée au courant de l'année scolaire et la qualité du travail fourni semble ne pas 2répondre ni aux attentes ni aux exigences du métier d'enseignant.

Finalement, je tiens à vous informer qu'en vertu de l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, vous disposez d'un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne. Dans ce dernier cas, je vous prie de bien vouloir contacter (…) en vue de la fixation d'une date pour cet entretien. (…) ».

En date du 14 août 2019, Monsieur … fit valoir sa position lors d’une entrevue au ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, dénommé ci-après « le ministère ».

Par décision du 10 septembre 2019, le ministre procéda à la résiliation du contrat de Monsieur … sur base de la motivation suivante :

« (…) Je fais suite à mon courrier du 1er août 2019 par lequel je vous ai informé de mon intention de procéder à votre licenciement avec préavis, alors que, lors de votre entretien d'appréciation, vous vous êtes vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l'article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat.

Or, selon l'article 7, paragraphe 1er de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et le traitement des employés de l'Etat, le contrat de travail peut être résilié avec préavis dans un tel cas de figure.

Dans mon courrier du 1er août précité, je vous avais informé de la possibilité de présenter vos observations par écrit ou oralement lors d'une entrevue. Cette entrevue s'est déroulée le 14 août 2019 au Ministère de l'Education nationale en présence de vous-même, de Madame …, Conseiller, et de Monsieur …, Conseiller, chef de service adjoint du service ressources humaines.

Lors de cette entrevue, il a été pris acte de vos observations.

Malgré les explications que vous avez fournies lors de l'entrevue précitée, j'estime que votre avenir professionnel est compromis. Le caractère répétitif de vos manquements et l'absence d'une perspective d'amélioration font que la situation est devenue intolérable et que le maintien d'une relation saine basée sur la confiance est compromis.

Je suis donc au regret de vous informer que j'ai décidé de procéder à votre licenciement avec préavis d'un mois, conformément à l'article 7, paragraphe 1er de la loi modifiée du 25 mars 2015 précitée et de l'article 2, paragraphe 3, alinéa 5, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut des fonctionnaires de l'Etat. Le préavis commencera à courir à partir du 1er octobre 2019 jusqu'au 31 octobre 2019.

Les motifs à la base de ce licenciement sont notamment les suivants :

Il ressort du courrier précité que lors de votre entretien d'appréciation, vous vous êtes vu attribuer une appréciation professionnelle insuffisante par application des dispositions de l'article 4bis.

3 Selon l'appréciation remise par le directeur, vous afficheriez de trop nombreuses déficiences, qui sont notamment les suivantes:

· Difficultés manifestes quant à l'enseignement direct (conception, préparation, mise en œuvre et conduite) ;

· Présence de nombreuses plaintes de la part des parents d'élèves ayant rendues nécessaires une adaptation de votre tâche ;

· Absence complète de documentation écrite du programme suivi en classe ;

· Non-respect de l'obligation de préparation écrite en classe ;

· Défaut de préparation pour votre leçon d'inspection et omission de vous présenter à une deuxième session · Réticence à vous intégrer dans le travail d'équipe ;

· Non-validation tant de la formation théorique que de la formation pratique.

S'y ajoute que vous avez fait l'objet de deux ordres de justification, en date du 8 avril 2019 et du 14 mai 2019, auxquels vous n'avez pas daigné donner une suite. Lors de l'entrevue, vous avez indiqué que l'absence de prise de position de votre part est due au fait que vous acceptiez les faits vous reprochés.

En conclusion et au vu de tout ce qui précède, dont l'entièreté se trouve dans l'appréciation de vos performances professionnelles transmise par voie postale par Monsieur …, directeur de la Direction de région …, vos capacités professionnelles et votre adaptation au métier d'enseignant sont fortement mises en doute. En effet, l'on ne peut que constater, à la lecture dudit courrier, que votre qualification professionnelle est insuffisante et que vos méthodes de travail ne sont pas adaptées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 10 septembre 2019.

Aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », « Les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond.

Le délai de recours est de trois mois à partir de la notification de la décision.».

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation dirigé contre la décision du 10 septembre 2019 portant résiliation du contrat d’employé de l’Etat dans le chef de Monsieur ….

Dans son mémoire en réponse, la partie gouvernementale conclut, dans le cadre de son dispositif, à l’irrecevabilité du recours, sans pour autant fournir le moindre moyen à ce sujet dans le corps de son mémoire, qui se limite à se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.

Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge 4administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors que la partie gouvernementale est restée en défaut de formuler un moyen concret, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend les rétroactes passés en revue ci-avant.

En droit, le demandeur relève que son contrat de travail à durée indéterminée serait soumis, selon son article 11, aux dispositions légales en vigueur et notamment à la loi modifiée du 31 juillet 2006 portant introduction d'un Code du travail, dénommé ci-après le Code du Travail », à la loi du 25 mars 2015, ainsi qu’à la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après dénommé « le statut général ».

Il donne à considérer que si aux termes de l'article 7 de la loi du 25 mars 2015, le contrat pourrait être résilié par le ministre soit pour des raisons dûment motivées, soit lorsque l'employé s'est vu attribuer un niveau de performance 1, la résiliation pour insuffisance professionnelle ne devrait pas être un automatisme dispensant l'employeur de motiver la lettre de résiliation sous peine de dégénérer en abus de droit.

Ainsi, au regard des exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, dénommées ci-avant « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », la lettre de résiliation devrait être motivée et une simple référence à une mauvaise notation ne suffirait pas à cet égard.

Il fait encore plaider qu'à défaut d'autres textes plus protecteurs en la matière, il conviendrait de se référer à l'article L.124-5 du Code du Travail, lequel exigerait que les motifs de licenciement soient fournis avec une précision telle que leur énoncé même en révèle la nature et la portée afin de permettre, d'une part, au salarié d'apprécier s'ils ne sont pas illégitimes ou si le licenciement n'a pas le caractère d'un acte économiquement ou socialement anormal et, d'autre part, de faire la preuve de la fausseté ou de l'inanité des griefs invoqués. Or, il faudrait constater que la lettre de résiliation ne répondrait pas aux critères de l'article L.124-5 du Code du Travail, alors que le ministre se contenterait d'accusations vagues et imprécises non autrement étayées et non autrement contextualisées.

Ainsi, ce dernier ne préciserait ni la nature, ni l’occasion, ni les circonstances des « difficultés manifestes quant à l'enseignement direct » lui reprochées.

Il en serait de même en ce qui concernerait les plaintes de la part de parents d'élèves, ainsi que le reste des reproches lui adressés.

5Au fond, le demandeur invoque le paragraphe 1er de l'article L.124-11 du Code du Travail selon lequel serait abusif pour constituer un acte socialement et économiquement anormal, le licenciement qui serait contraire à la loi ou qui ne serait pas fondé sur des motifs réels et sérieux liés à l'aptitude ou à la conduite du salarié ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

Il estime que le ministre aurait en l’espèce agi avec une légèreté blâmable sinon avec mauvaise foi, alors qu'aucun des reproches ne correspondrait à des motifs réels et sérieux.

Ainsi, il n'aurait jamais entendu la moindre plainte provenant de parents d'élèves, de même qu’il ne comprendrait pas les reproches lui faits quant à des « difficultés manifestes quant à l'enseignement direct », ainsi que quant à un « défaut de préparation écrite », alors que tout en soutenant qu’il ne lui aurait jamais été demandé de tenir pareille documentation, il aurait envoyé hebdomadairement ses préparations par email à sa personne de référence.

Il s’étonne de la notation négative lui attribuée, alors qu’il aurait volontairement été mis à l’écart par sa personne de référence qui n'aurait jamais assuré le moindre contact régulier avec lui, sinon pour le discréditer et se moquer de lui publiquement, ce qui l’aurait amené à en faire part au directeur, alors que ces difficultés rencontrées se seraient apparentées à du harcèlement moral.

Il affirme encore ne pas comprendre le reproche vague et imprécis consistant à lui reprocher de ne pas s'intégrer dans le travail d'équipe, alors qu'il aurait été présent à toutes les réunions, qu'il aurait déménagé à … et qu’il aurait participé activement à l'amélioration de la vie de l'établissement, notamment par l’acquisition d'une chaise roulante.

Le demandeur en conclut qu’il ne serait pas étonnant qu’il en aurait été épuisé moralement et physiquement de manière à avoir envisagé de se présenter l'année prochaine au concours avec une tâche moins délicate, à savoir, en tant que surnuméraire.

Finalement, il fait préciser qu'il aurait participé à tous les cours à …, ainsi qu’à des cours auxiliaires, comme le cours de premiers secours et celui du lifesaver (natation), de même qu’il aurait participé avec succès aux épreuves préliminaires au concours au mois d'octobre 2018.

Le demandeur en conclut que les motifs ne seraient pas précis et ne présenteraient pas les caractères de réalité et de sérieux requis par la loi. Ainsi, rien ne justifierait la résiliation de son contrat de travail sinon l'intention malveillante de sa personne de référence.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait préciser que les motifs imprécis seraient peu garants de la sécurité juridique qui devrait coexister entre l'administration et ses employés, alors que la précision des motifs serait une condition première pour qu'un licenciement soit déclaré régulier.

Or, en l'espèce, le gouvernement, « dans sa toute-puissance », se contenterait de reproches vagues et imprécis, de sorte que le délégué du gouvernement serait même obligé d’ajouter un motif dans le cadre de son mémoire en réponse. Or, il serait de jurisprudence constante que l'imprécision des motifs ne pourrait être rattrapée en cours d'instance, le demandeur citant un arrêt de la Cour supérieure de justice du 30 mai 2016, inscrit sous le numéro 42240 du rôle, selon lequel la possibilité offerte à l'employeur par l'article L.124-11 6(3) du Code du Travail d'apporter en cours d'instance des précisions complémentaires par rapport aux motifs énoncés ne saurait être interprétée dans le sens d'une atténuation de l'exigence quant à la précision des motifs, de sorte qu’il ne serait pas permis à l'employeur d'y apporter des modifications substantielles ni des détails ou des faits nouveaux sortant du cadre des faits reprochés au salarié dans la lettre de motivation.

Le demandeur estime encore que la partie gouvernementale ne rapporterait pas la preuve, sinon au travers d'une notation unilatérale ne souffrant guère la contradiction, qu’il aurait été repris à plusieurs reprises sur son absence de préparation, alors qu’elle aurait pourtant la charge de la preuve des faits lui reprochés.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

A titre liminaire, il échet au tribunal de relever qu’au vœu de l’article 4, alinéa 3 de la loi du 25 mars 2015, seuls sont applicables au contrat de travail d’un employé de l’Etat, les articles L.121-1 à 121-4, les articles L.122-1 à L.122-10 et les articles L.122-12 et L.122-13 du Code du Travail en ce qui concerne les formes et les modalités de l’engagement de l’employé de l’Etat.

Il s’ensuit que, dans le cadre de la procédure de résiliation du contrat d’un employé de l’Etat, les dispositions du Code du Travail, tel que l’article L.124-5 du Code du Travail, sur l’indication des motifs de licenciement, ainsi que l’article L124-11, sur la définition du licenciement abusif, ne sauraient trouver application, de sorte que les moyens du demandeur fondés sur lesdites dispositions légales sont d’ores et déjà à rejeter pour être dépourvus de pertinence.

En effet, selon l’article 5 de la loi du 25 mars 2015, « [l]a résiliation du contrat de travail est prononcée par une décision motivée du ministre, sur demande du ministre du ressort. (…) ».

En ce qui concerne le moyen de légalité externe tenant à une insuffisance de motivation de la décision déférée, force est de relever que si la loi du 25 mars 2015 prévoit certes une disposition spécifique à cet égard, en son article 7, exigeant que la résiliation du contrat de travail d’un employé de l’Etat doit se baser sur des « raisons dûment motivées », il s’agit en l’occurrence plutôt d’une règle de fond, de sorte qu’en ce qui concerne les formalités à respecter dans ce contexte, il y a lieu de se reporter au droit commun relevant de la procédure administrative non contentieuse telle que régie par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, également applicable aux employés de l’Etat2.

Aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « [t]oute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l´énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu´elle: (…) révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l´intéressé (…) ».

Ainsi, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit 2 Trib. adm. 26 janvier 2021, n° 42606 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 7formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle révoque ou modifie une décision antérieure, étant souligné que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, alors que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.

En l’occurrence, force est de retenir qu’il ressort de la lecture de la décision déférée du 10 septembre 2019 que cette dernière suffit aux exigences de l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce qu’elle est motivée tant en droit qu’en fait. En effet, le ministre a non seulement invoqué l’article 7, paragraphe 1er de la loi du 25 mars 2015 en tant que base légale de la résiliation, mais a également cité l’article 2, paragraphe (3), alinéa 5 et 4bis du statut général. De même, le ministre a fourni des éléments de fait sous-jacents, à savoir le fait que Monsieur … s’est fait attribuer un niveau de performance 1 lors de son entretien d’appréciation, de même qu’il lui est reproché toute une série de déficiences professionnelles telles que citées in extenso dans la décision déférée.

Par ailleurs, en tout état de cause et notamment quant au reproche adressé au délégué du gouvernement d’avoir ajouté un motif supplémentaire dans son mémoire en réponse, force est de relever qu’en application de la jurisprudence constante en la matière, la partie gouvernementale est autorisée à fournir des motifs nouveaux en cours d’instance, avec la possibilité aux administrés d’y prendre position3.

Il suit de toutes ces considérations que le moyen de légalité externe relatif à un manque de motivation est à rejeter, étant relevé que la pertinence de la motivation fournie par la partie gouvernementale est un problème de fond à toiser dans le cadre de l’analyse de la légalité interne.

Quant à la légalité interne, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 7 de la loi du 25 mars 2015 « (1) Le contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire ainsi que pour l’application de la procédure d’amélioration des prestations professionnelles et de la procédure d’insuffisance professionnelle. Pendant la période précédant cette échéance, il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort soit pour des raisons dûment motivées, soit lorsque l’employé s’est vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat.

(2) Le ministre ou le ministre du ressort prononce la résiliation du contrat, à titre de mesure disciplinaire, après décision conforme du conseil de discipline institué pour les fonctionnaires de l’Etat. Le conseil procède conformément aux dispositions légales qui déterminent son organisation et son fonctionnement.

(3) Sans préjudice des paragraphes 1 et 2, le ministre ou le ministre du ressort est en droit de résilier le contrat en cas d’absence prolongée ou d’absences répétées pour raisons de santé de l’employé qui ne bénéficie pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l’Etat. (…) ».

3 Trib. adm. 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 87 et les autres références y citées.

8A titre liminaire, il échet de rappeler qu’il n’est pas contesté que le demandeur a été engagé depuis le 1er septembre 2018 en qualité d’employé de l’Etat, soit, au jour de la décision déférée du 10 septembre 2019, depuis moins de dix ans, de sorte que les conditions de l’article 7, paragraphe 1er de la loi du 25 mars 2015 disposant que « [l]e contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire (…) », ne sont pas réunies dans son chef.

En ce qui concerne la procédure applicable à la résiliation du contrat de travail du demandeur, il y a lieu de se référer au droit commun des employés de l’Etat, à savoir en l’occurrence, à l’article 7, paragraphe 1er, in fine, de la loi du 25 mars 2015 qui dispose que « [p]endant la période précédant cette échéance, [contrat en vigueur depuis moins de dix ans], il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort (…) pour des raisons dûment motivées, soit lorsque l’employé s’est vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat. ».

Il s’ensuit que la résiliation du contrat de travail d’un agent ayant le statut d’un employé de l’Etat avec une ancienneté de moins de 10 ans doit se faire par une décision de la part de l’autorité compétente basée sur des raisons dûment motivées, respectivement si l’employé s’est vu attribuer un niveau de performances « 1 ».

En l’espèce, les reproches adressés au demandeur ont tous trait à son insuffisance professionnelle. S’il prétend actuellement avoir du mal à comprendre ce qui lui est reproché, force est néanmoins de constater, au vu des éléments du dossier administratif, que le demandeur est parfaitement au courant des problèmes soulevés, faits qu’il n’a d’ailleurs jamais contestés durant la phase contentieuse.

Ainsi, il ressort du dossier administratif que lors de l’appréciation des performances professionnelles du stagiaire sur la période du 1er septembre 2018 au 31 août 2019, bilan effectué le 12 juillet 2019, contresigné par le demandeur sans autre observation, ce dernier a obtenu une appréciation professionnelle insuffisante, à savoir la note globale « 1 », au motif qu’il « ne répond pas aux attentes pour les activités ciblés dans les différents domaines. ».

Or, contrairement à ce qu’il prétend actuellement, le demandeur a concédé, dans le cadre de cette appréciation, qu’« en tant que titulaire [il se serait] vite retrouvé devant des problèmes », de même que le « travail d'équipe [se serait avéré ] compliqué dû à [s]on incapacité partiel d'intégration dans le nouveau entourage ».

Or, même s’il a été procédé à un changement de tâche à partir de Pâques, il ressort dudit bilan que le demandeur n’avait toujours pas pu présenter de préparation écrite lors des visites en classe et que « Les leçons observées dans le cadre de cette nouvelle tâche n'ont pas été préparées, leur(s) objectif(s) reste(nt) flou(s) et ne sont pas opérationnalisé(s). Les activités d'apprentissage ne sont pas structurées de manière formative. », constats que le demandeur n’a pas démentis dans le cadre de ladite appréciation.

Il a également été constaté, sans que cela ne soit contesté par le demandeur, qu’il n’a pas remis certaines productions écrites, qu’il n’a pas préparé la leçon d’inspection et qu’il ne s’est pas présenté à une 2e session.

9Il ressort finalement de manière non contestée dudit bilan que le demandeur n’avait pas pris position quant à deux ordres de justification lui adressés, notamment en ce qui concerne le reproche de ne pas avoir réagi à temps au courriel de son directeur au sujet de la leçon d'inspection prévue pour le 14 mai 2019 qui, de ce fait, n’a pas pu avoir lieu, attitude que le demandeur explique, dans son entretien du 14 août 2019 auprès du ministère, par le fait qu’il n’aurait pas contesté les reproches y énoncés, précisant, dans ce contexte, qu’il se serait senti dépassé.

Il suit de ces considérations que le demandeur est actuellement malvenu de contester les motifs énoncés dans la décision déférée, lesquels ne sont que le résumé des reproches avancés de manière non contestée dans le cadre de l’appréciation du 12 juillet 2019.

Il est également à noter qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le demandeur se serait, à un quelconque moment, plaint de « difficultés rencontrées s’apparentant à du harcèlement moral » dans sa relation avec sa personne de référence laquelle l’aurait « volontairement isolé ». Au contraire, dans le cadre de son entretien du 14 août 2019, le demandeur explique qu’il avait eu la possibilité de s’échanger avec sa personne de référence sur son état épuisé et débordé et que la direction serait venue à son encontre en lui enlevant sa charge de titulaire de classe pour lui attribuer un poste de surnuméraire comportant moins de responsabilités à partir de Pâques 2019.

Etant donné que le demandeur n’a pas valablement contesté l’appréciation de ses performances professionnelles, évaluée au niveau « 1 », il n’a pas énervé la décision du ministre, en application de l’article 7 précité de la loi du 25 mars 2015, de procéder à la résiliation de son contrat d’employé de l’Etat.

Il s’ensuit que le recours est à rejeter en tous ses moyens.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.500,- euros, telle que présentée par le demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par Monsieur … ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 janvier 2022 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, 10Michèle Stoffel, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 43917
Date de la décision : 21/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-21;43917 ?

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