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27/09/2021 | LUXEMBOURG | N°46382

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2021, 46382


Tribunal administratif N° 46382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2021 Audience publique du 27 septembre 2021 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame X, …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch en présence de Madame Y, …, et de Madame Z, …, en matière de permis de construire

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46382 du rôle et déposée le 23 août 2021

au greffe du tribunal administratif par l’Etude d’Avocats WEILER, WILTZIUS, BILTGEN SARL, étab...

Tribunal administratif N° 46382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2021 Audience publique du 27 septembre 2021 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame X, …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch en présence de Madame Y, …, et de Madame Z, …, en matière de permis de construire

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46382 du rôle et déposée le 23 août 2021 au greffe du tribunal administratif par l’Etude d’Avocats WEILER, WILTZIUS, BILTGEN SARL, établie à L-9234 Diekirch, 30, route de Gilsdorf, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Diekirch, immatriculée au RCS de Luxembourg sous le N° B239498, représentée par Maître Christian BILTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch, au nom de Madame X, demeurant à L-… Diekirch …, tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution, sinon qu’il soit instauré une mesure de sauvegarde par rapport à la décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch du 11 mars 2021, référencée sous le n° … et de la décision du même bourgmestre du 15 juin 2021 portant rejet d’un recours gracieux introduit en date du 20 mai 2021 contre la prédite autorisation de construire, autorisant la construction d’une maison bi-familiale à L-… Diekirch, …, sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Diekirch, section … de Diekirch, n°… d’une contenance de 6,54 ares, cette autorisation ayant encore été attaquée au fond par une requête en annulation introduite le 14 juillet 2021, portant le numéro 46229 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MULLER, demeurant à Diekirch, du 24 août 2021 portant signification de la prédite requête en institution d’une mesure provisoire à l’administration communale de la Ville de Diekirch ainsi qu’à Madame Y et à Madame Z ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 août 2021 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Diekirch ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 août 2021 par Maître Edith REIFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame Y et de Madame Z ;

Vu la note de plaidoiries déposée à l’audience publique par Maître Albert RODESCH, pour l’administration communale de la Ville de Diekirch ;

Vu les explications complémentaires et les plans communiqués contradictoirement par Maître Albert RODESCH, pour l’administration communale de la Ville de Diekirch, en date du 23 septembre 2021 à la demande du soussigné ;

1 Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Maître Christian BILTGEN, pour la requérante, ainsi que Maître Stéphane SUNNEN, en remplacement de Maître Albert RODESCH, pour l’administration communale de la Ville de Diekirch, et Maître Edith REIFF pour Mesdames Y et Z, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2021.

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Madame X expose être propriétaire et habitante de la maison sise à L-… Diekirch …, érigée sur la parcelle n°… de la commune de Diekirch, section … de Diekirch, parcelle immédiatement adjacente à la parcelle n°…, sise à L-… Diekirch … et devant accueillir le projet d’une maison bi-familiale de Madame Y et de Madame Z, projet autorisé par le bourgmestre de la Ville de Diekirch en date du 11 mars 2021, référencée sous le n°….

Madame X introduisit en date du 20 mai 2021 un recours gracieux à l’encontre de cette autorisation de bâtir, au travers duquel, sur base des plans et de différentes dispositions du Plan d’Aménagement Particulier «Quartier Existant» (PAP-QE) de Diekirch et après consultation d’un architecte et d’un conseiller juridique, elle conclua à la non-conformité du projet de construction avec la réglementation en vigueur, Madame X critiquant ainsi en détail la hauteur trop élevée d’acrotère, la profondeur excessive de la construction, le nombre de niveaux, l’existence d’un local à poubelles et l’absence d’entrée séparée pour les deux logements prévus.

Par décision du 15 juin 2021, le bourgmestre rejeta ledit recours gracieux en les termes suivants :

« Suite à votre recours gracieux du 20 mai 2021, nous avons vérifié les plans avec les dispositions du PAP QE et du règlement des bâtisses actuellement en vigueur.

En considérant les articles 29, 31, 60 et 85 et les définitions 22 et 60 du PAP Quartier existant le projet présenté remplit parfaitement les dispositions des règlements communaux énoncés.

De ce fait je maintiens l’autorisation de bâtir … du 24/03/2021 (sic).

Pour ces motifs, l’autorisation … est conformément à notre règlementation en vigueur.

(…) » Madame X a dès lors introduit par requête déposée le 14 juillet 2021 et inscrite sous le numéro 46229 du rôle un recours en annulation contre l’autorisation de construire précitée du 11 mars 2021, émise par le bourgmestre de la Ville de Diekirch sous la référence n° … au profit des dames YZ ainsi que contre la décision de rejet de son recours gracieux, datée du 15 juin 2021.

2 Par requête séparée, déposée postérieurement le 23 août 2021, inscrite sous le numéro 46382 du rôle, Madame X a encore demandé à voir prononcer un sursis à exécution de l’autorisation de construire déférée et de la décision confirmative de celle-ci, sinon à voir instaurer une mesure de sauvegarde en attendant la solution de son recours au fond.

Elle affirme à l’appui de sa requête en instauration d’une mesure provisoire que la construction projetée aggraverait sa situation de voisine, affectée en sa jouissance de lumière, de luminosité, de vue et de soleil, alors que les plans et la construction projetée ne seraient en de multiples points pas conformes à la règlementation urbanistique.

Elle affirme que réciproquement, la construction projetée dotée de larges fenêtres et dépassant le gabarit de la maison unifamiliale antérieurement en place, poserait une atteinte substantielle à l’intimité du jardin à l’arrière de sa propre maison.

La requérante explique encore que le côté jardin de sa maison d’habitation, où elle dispose également de son atelier de travail en tant que graphiste, donnerait sur la construction projetée, qui une fois achevée bloquerait toutes les vues sur le Herrenberg, ainsi que les fenêtres de la façade arrière de sa maison de la requérante, de sorte que la requérante serait affectée gravement quant à sa jouissance de lumière, de luminosité, de vue et de soleil.

Comme elle estime que la construction projetée dépasserait de loin les hauteurs admises à l’acrotère, engendrant l’existence d’un niveau de trop, tout en dépassant la profondeur maximale de la construction et tout en dépassant le recul latéral admissible avec le local poubelles, et qu’elle considère de même que la maison bi-familiale dépasserait le nombre d’unités de logement admis et provoquerait un problème de stationnement, elle en conclut que ces griefs, tant pris isolément que combinés, dépasseraient ce qu’un voisin devrait normalement tolérer, la requérante estimant encore que la condition de l’existence d’un préjudice grave et définitif serait donnée en l’espèce, du fait que la construction enfreignant la réglementation applicable se trouverait dans son champ de vision direct et aggraverait sa situation de voisin ;

par ailleurs, comme les juridictions judiciaires refuseraient d’ordonner la démolition de constructions érigées sous le couvert d’une autorisation administrative annulée par la suite, son préjudice serait encore définitif au cas où la construction serait achevée sous le couvert de l’autorisation attaquée, et ce même si elle était ensuite annulée, la requérante rappelant que d’ailleurs en matière d’urbanisation, le rétablissement des lieux ne serait pas obligatoire, la réparation du préjudice pouvant également se faire par l’allocation de dommages et intérêts, lesquels toutefois ne permettraient « jamais à refaire briller le soleil sur [son] terrain », à enlever le niveau de trop et à maintenir des conditions de luminosité, de vue et de lumière lui permettant de jouir paisiblement de son jardin et de travailler à l’intérieur de sa maison dans son atelier en tant que graphiste où de bonnes conditions de luminosité seraient essentielles pour apprécier les couleurs, graphiques et autres œuvres élaborées par ses soins.

Madame X estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler le permis querellé et elle se prévaut à cet effet des moyens d’annulation suivants :

Après avoir indiqué que la parcelle devant accueillir le projet litigieux serait sise selon le plan d’aménagement général de la Ville de Diekirch (« PAG ») en zone HAB-1 ainsi que soumise au plan d’aménagement particulier « Quartiers existants » « Espace résidentiel 2 » (ci-

après « PAP QE »), Madame X expose sur base de l’article 31 b) du PAP QE prévoyant une hauteur maximale admissible à la corniche ou à l’acrotère de 5,5 mètres avec un maximum fixé 3 à 7 mètres, ensemble le chapitre L du PAP QE définissant sous son point 22 la hauteur d’acrotère, que le projet autorisé accuserait une hauteur de 9,66 mètres du point 0 défini par la voie desservante, soit 2,66 m plus haut que la hauteur maximale autorisée.

Elle s’empare ensuite de l’article 31 a) du PAP QE et du point 11 du chapitre L du PAP QE, ensemble l’annexe II du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier pour soutenir que le projet présenterait un niveau supplémentaire ne répondant pas à la définition des combles, de sorte à disposer d’un niveau de trop.

Sur base de l’article 31 c) PAP QE, déterminant la profondeur des constructions comme se situant entre 8 mètres et 14 mètres, hormis (entre autres exceptions) le cas des constructions accolées que sont les « verrières, vérandas ou assimilées », lesquelles peuvent porter la profondeur maximale admissible sur un niveau hors sol à un total de 18 mètres, et du point 13 du chapitre L du PAP QE, la requérante fait plaider que la construction projetée litigieuse comprendrait une partie dite « véranda » apparaissant plus précisément comme étant une extension du rez-de-chaussée, à savoir un agrandissement horizontal de la construction existante, présentant un lien fonctionnel et physique avec celle-ci, sans correspondre à la définition de « Véranda ou jardin d’hiver » et à celle de construction accolée telle que dégagée par la jurisprudence, de sorte qu’il s’agirait en l’espèce un prolongement dans l’espace du rez-

de-chaussée, une adjonction de consistance sinon identique, du moins fort comparable à celle de la construction principale et ayant partant illégalement dépassé la profondeur maximale autorisable.

Madame X se prévaut ensuite de l’article 85 b) du PAP QE interdisant dans les espaces situés au-delà de la bande de construction, y compris ceux classés au plan d’aménagement général en « zone de jardins familiaux », toute construction à l’exception des abris de jardin, constructions légères, piscines non couvertes, piscines naturelles, étangs, murs et clôtures, pour soutenir que faute de spécification figurant sur les plans sur les matières à employer pour la construction du local-poubelles et eu égard à l’aspect uniforme sur les vues des façades et les vues en 3D avec les façades usuelles, ce local à poubelles devrait être considéré comme une construction en dur construite dans la zone de retrait latéral et partant comme autorisé illégalement.

Sur base de l’article 29 du PAP, elle relève que seules des « maisons unifamiliales et plurifamiliales » seraient autorisables sur la parcelle concernée, mais qu’en l’espèce une maison bi-familiale aurait été autorisée. Elle souligne à cet égard que selon le point 30 du chapitre L du PAP QE : une maison plurifamiliale serait définie comme « construction servant au logement permanent et comprenant plus de deux unités de logement », de sorte qu’une maison plurifamiliale comporterait au moins 3 unités de logement, tandis qu’une maison bi-familiale telle qu’autorisée en l’espèce ne comporterait que deux unités de logement.

Partant, ce serait à tort qu’une maison bi-familiale aurait été autorisée, alors que soit une maison individuelle aurait été autorisable, soit une maison plurifamiliale à 3 unités au moins.

Madame X relève finalement que les plans soumis à l’autorisation ne mentionneraient nulle part l’aménagement de places de stationnement, alors pourtant qu’aux termes de l’article 88 du PAP QE chapitre K, « les emplacements de stationnement sont entièrement aménagés en 4 nombre requis sur le même fonds privé que le bâtiment concerné », mais qu’une dérogation serait possible moyennant paiement d’une taxe.

Or, la partie écrite de l’autorisation ne mentionnerait pas le nombre d’emplacements, ni l’autorisation dérogatoire, ni la taxe compensatoire à régler outre la taxe usuelle pour la construction, alors que le projet nécessiterait selon les dispositions applicables 1 place pour visiteurs et au moins 2 places pour les unités, voire même 4 places, suivant le cas où l’on interprète la construction litigieuse de maison plurifamiliale réduite à 2 unités de logement ou non.

Elle relève encore que l’autorisation de bâtir entreprise mentionnerait le montant total des taxes comme portant sur 10.450.- euros, ce qui à son avis et au terme de ses calculs serait insuffisant pour couvrir tant la taxe relative à l’autorisation de bâtir, comprenant les taxes sur les unités de logement, les taxes de raccordement à la conduite d’eau et la taxe de raccordement à la canalisation, sans compter l’éventuelle taxe de compensation pour les places de stationnement manquantes.

L’administration communale de la Ville de Diekirch, rejointe en son argumentation par les dames YZ, conclut au rejet du recours.

Ces deux parties contestent d’abord l’existence d’un préjudice, tant grave que définitif, tant l’administration communale de la Ville de Diekirch que les dames YZ estimant que la requérante resterait en défaut de démontrer l’existence d’un tel préjudice, de nature à justifier un sursis à exécution ou une mesure provisoire de sauvegarde, tandis qu’elles soulignent qu’en dépit des affirmations de la requérante, les tribunaux judiciaires disposeraient toujours du droit d’ordonner la démolition d’une construction jugée illégale.

Le mandataire des dames YZ insiste plus particulièrement sur la situation factuelle du projet litigieux et de la propriété de la requérante, sis tous deux dans une zone résidentielle relativement dense, et sur le fait que la requérante, à l’instar de tous ses voisins, ne disposerait pas d’un droit acquis à un entourage dégagé, ayant résulté du seul fait que le terrain des dames YZ n’aurait auparavant accueilli qu’une maisonnette.

Les parties défenderesse et tiers-intéressées contestent encore le bien-fondé, et partant le sérieux, des moyens opposés aux décisions du bourgmestre.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas 5 remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 14 juillet 2021 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie demanderesse apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.

6 Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

A cet égard, il appert, au terme d’une analyse nécessairement superficielle, que certains des moyens de la requérante sont de nature à mettre sérieusement en doute la légalité de l’autorisation de construire telle que déférée.

Ainsi, sans nécessairement respecter l’ordre de présentation des différents moyens, il appert que si dans la zone accueillant la parcelle litigeuse, classée comme « espace résidentiel 2 » par le PAP QE, l’article 29 du PAP QE, seules des « maisons unifamiliales et plurifamiliales » seraient autorisables sur la parcelle concernée, les plans révèlent toutefois une maison bi-familiale, comprenant un appartement et un duplex. Il appert encore que selon le point 30 du chapitre L du PAP QE une maison plurifamiliale serait définie comme « construction servant au logement permanent et comprenant plus de deux unités de logement », de sorte qu’une maison plurifamiliale devrait comporter au moins 3 unités de logement.

Il échet de rappeler à ce sujet que les dispositions d’une réglementation d’urbanisme sont d’interprétation stricte1, dans le sens d’une interprétation restrictive2. Or, une interprétation stricte voire restrictive d’un texte juridique signifie que l’attitude que doit adopter l’interprète du texte doit aller dans le sens d’une restriction de sa portée, par opposition à une interprétation large voire extensive, c’est-à-dire allant dans le sens d’un élargissement de sa portée3.

Il convient partant de retenir, au terme d’un examen superficiel, que le fait d’autoriser une maison bi-familiale, là où la règlementation n’autorise qu’une maison unifamiliale, sinon, à condition que les règles relatives aux reculs, au gabarit et au degré d’utilisation du sol soient respecté, un immeuble de logement comprenant « plus de deux unités de logement », devrait encourir la sanction de l’annulation par-devant les juges du fond : le moyen est partant sérieux.

L’administration communale, rejointe en son argumentation par les dames YZ, estime toutefois que ce moyen ne saurait être retenu au provisoire alors que la prétendue violation du PAP QE serait sans lien causal avec le préjudice allégué, et ce puisque le fait d’avoir autorisé une maison bi-familiale à cet endroit et non pas une maison plurifamiliale d’au moins trois unités de logement serait sans incidence sur la problématique d’un surdimensionnement de l’immeuble litigieux.

Le soussigné constate d’abord, au vu de l’argumentation de l’administration communale, que l’illégalité de la maison bi-familiale en l’endroit tel qu’autorisé n’est pas sérieusement contestée par l’administration communale, celle-ci se contentant d’exposer que l’interprétation retenue par la requérante entraînerait une situation absurde dans laquelle seule les maisons bi-familiales seraient interdites dans la zone en question ce qui n’aurait manifestement pas été l’intention de la commune et ne se justifierait par aucune considération urbanistique objective.

1 Cour adm. 26 janvier 2006, n° 20285C ; Pas. adm. 2020, V° Urbanisme, n° 29, et les autres références y citées.

2 Trib. adm. 15 décembre 1998, n° 10655 et 10696 ; Pas. adm. 2020, V° Urbanisme, n° 40, et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 11 juillet 2002, n° 14307, confirmé par arrêt du 3 décembre 2002, n° 15271C, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 163, et les autres références y citées.

7 Une telle argumentation, consistant à soutenir que l’administration communale, respectivement le bourgmestre, en dépit d’un texte clair, ne serait pas tenu d’appliquer les règles que cette même administration communale s’est pourtant données à travers l’adoption du PAP QE, ne saurait être sérieusement accueillie, alors qu’ouvrant très largement la porte à l’arbitraire du bourgmestre, alors qu’une autorisation dépendrait alors de sa propre appréciation subjective, en dépit du texte règlementaire, de ce qui serait absurde ou présenterait à ses yeux, en dépit du texte règlementaire et de la volonté manifeste du conseil communal, une quelconque utilité urbanistique ; le soussigné rappelle encore à cet égard que la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain précise encore dans son article 107.3 que la violation des procédures prévues aux articles 35, 36 et 37 constitue une faute grave au sens des articles 41 et 63 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

En ce qui concerne ensuite l’intérêt de la requérante à soulever ce moyen, consistant à soutenir qu’il y aurait eu lieu d’autoriser un immeuble unifamilial ou un immeuble d’au moins trois logements au lieu de l’immeuble bi-familial litigieux, si cette argumentation peut sembler à première vue receler une incohérence, puisque ce faisant, la requérante appellerait de ses vœux un immeuble d’au moins trois logements au lieu de l’immeuble bi-familial projeté, il ne paraît toutefois pas qu’un tel immeuble, comportant plus de deux logements, puisse être accueilli par la parcelle n°…, d’une surface limitée de 6,54 ares, tout en respectant les règles relatives aux reculs, au gabarit et au degré d’utilisation du sol, ainsi que, comme relevé par la requérante, la moyenne minimale de 80 m2 de surface construite brute par unité de logement, de sorte que l’alternative au projet litigieux se limiterait vraisemblablement à une maison unifamiliale d’une taille inférieure au projet litigieux : de ce point de vue, la requérante a indubitablement intérêt à soulever ce moyen.

Le reproche d’une hauteur excessive de l’ouvrage principal présente également un caractère sérieux.

Ainsi, il se dégage des plans que l’immeuble accuse en son point le plus élevé une hauteur de 9,66 mètres, alors que selon l’article 31b) du PAP QE, la hauteur maximale admissible à la corniche ou à l’acrotère est fixée à 5,5 mètres, avec un maximum de 7 mètres, et la hauteur maximale au faite est fixée à 11 mètres.

Selon l’administration communale et les dames YZ, la hauteur de l’acrotère serait mesurée au milieu de la façade de la construction principale, mais rien n’exigerait que l’acrotère doive se trouver dans la façade principale : aussi, en l’espèce, l’acrotère se trouverait dans la façade arrière du bâtiment et présenterait une hauteur de 6,40 mètres mesurée de la voie desservante, tandis que la hauteur au faîte serait de 9,66 mètres soit en dessous de la hauteur maximale autorisée.

Cette explication présente toutefois à première vue plusieurs failles importantes.

Ainsi, il est constant en cause que le projet présente une toiture plane, de sorte à ne présenter a priori ni de corniche, ni de faîte.

Ainsi, il appert à la lecture du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », pris en son article 1er, qu’il conviendrait de distinguer, pour le calcul des hauteurs, deux situations différentes, à savoir, soit la hauteur des constructions à la 8 corniche et au faîte, soit la hauteur des constructions au seul l’acrotère, l’acrotère étant défini par ce même règlement en son annexe II comme « la remontée verticale encadrant la dalle d’une toiture-terrasse, d’une toiture plate ou d’une terrasse » : en d’autres termes, le mur d’acrotère est une petite construction qui borde les toitures plates ou terrasses, et qui prolonge le mur de façade jusqu’au toit-terrasse afin de faciliter le relevé d’étanchéité de ce dernier, tout en participant également à la protection contre les chutes.

Quant au faîte, celui-ci est défini par le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 comme correspondant à « la ligne d’intersection des deux versants d’une toiture dont les pentes sont opposées ou encore le segment le plus élevé d’une toiture à une pente », ce qui implique a priori nécessairement une toiture présentant une ou deux pentes opposées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Quant à la corniche, si celle-ci n’appert être spécifiquement définie, le point 19 du chapitre L du PAP QE, définit la « Hauteur à la corniche », comme étant la « différence d’altitude entre l’axe de la voie desservante et le point d’intersection entre le plan extérieur de la façade (isolation et revêtement inclus) et le plan extérieur de la toiture (couverture incluse), mesurée au milieu de la façade de la construction principale donnant sur la voie desservante et perpendiculairement à l’axe de la voie desservante » : il n’appert pas en l’espèce qu’il y ait de tel point d’intersection entre le plan extérieur de la façade « de la construction principale donnant sur la voie desservante » et le plan extérieur de la toiture, le seul point d’intersection entre la façade et la toiture se situant à la base de l’acrotère, soit à plus de 9 mètres.

A défaut d’existence de corniche et de faîte, il appert que la seule hauteur autorisable pour une construction à toiture plate serait celle de l’acrotère, soit 7 mètres.

Le soussigné relève à cet égard, comme souligné par la partie requérante, que selon le point 22 du chapitre L du PAP QE, la hauteur d’acrotère équivaut à la « différence d’altitude entre l’axe de la voie desservante et le plan supérieur (isolation et revêtement inclus) de l’acrotère, mesurée au milieu de la façade de la construction principale donnant sur la voie desservante et perpendiculairement à l’axe de la voie desservante. » L’acrotère se mesurant partant, au terme d’une lecture superficielle de cette disposition, « au milieu de la façade de la construction principale donnant sur la voie desservante », cette précision tend à exclure l’endroit indiqué par l’administration communale et les maîtres de l’ouvrage comme constituant selon eux le point de mesure, à savoir la balustrade de la terrasse supérieure, sise à l’arrière du bâtiment à une hauteur de 6,40 mètres ; partant, le seul acrotère décelable sur la façade de la construction principale donnant sur la voie desservante accuse une hauteur de quelques 9 mètres, soit supérieure à la hauteur maximale autorisable de 7 mètres.

En ce qui concerne la question litigieuse du nombre de niveaux, si la requérante soutient sur base de l’article 31 du PAP QE, ensemble le chapitre L du PAP QE définissant en ses points 11 et 32 respectivement les combles et le niveau plein, qu’il y aurait trois niveaux pleins, alors pourtant que le PAP QE n’en admettrait que 2, l’administration communale et les dames YZ exposent que la construction ne présenterait que deux niveaux pleins, à savoir le rez-de-

chaussée et le 1er étage, surplombé de combles, ce dernier étage n’affichant qu’une surface de 80 % du dernier niveau plein de la construction.

9 Conformément à l’article 31 du PAP QE, le nombre de niveaux pleins est effectivement limité à 2, tandis que des combles peuvent être aménagés sur un niveau au maximum et à concurrence d’une surface construite brute inférieure ou égale à 80% de la surface construite brute du dernier niveau plein de la construction.

Les combles sont toutefois définies tant par l’annexe II du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » que par le point 11 du chapitre L du PAP QE comme « le volume compris entre le dernier niveau plein et les pans de toiture en pente d’un bâtiment » : une application littérale de ces dispositions réserverait partant la possibilité d’aménager des combles aux constructions disposant d’une toiture en pente, ce qui, manifestement, n’est pas le cas en l’espèce.

Cette appréciation provisoire, combinée à celle d’une hauteur excessive, est de nature à jeter de forts doutes quant à la légalité du dernier niveau en retrait, qualifié de « combles ».

Il en va de même de la légalité de la partie arrière du 1er niveau de l’immeuble principal, qualifiée de véranda.

Il est constant en cause que le 1er niveau accuse une profondeur de 18 (14 +4) mètres, alors que l’article 31 du PAP QE, relatif au gabarit des constructions et plus particulièrement son point c), relatif à la profondeur des constructions, énonce que la profondeur des constructions est limitée à 14 mètres à l’exception des bâtiments érigés sur des terrains à forte pente, où une profondeur maximale de 16 mètres est admise sur un niveau maximum, hypothèse non donnée en l’espèce.

L’administration communale et les dames YZ entendent justifier la profondeur de 18 mètres par l’application de la dérogation prévue in fine de l’article 31, c), aux termes duquel « Pour les bâtiments auxquels sont accolés des verrières ou vérandas, sur un niveau hors sol uniquement, est admise une profondeur totale maximale de 18 m pour autant que les reculs réglementaires sur les limites de propriété soient respectés ».

Ces parties insistent encore sur le fait que les plans feraient une distinction claire et nette entre la construction principale et la véranda qui serait séparée de la construction principale de la façade arrière par la maçonnerie porteuse, de sorte qu’on ne saurait qualifier la construction principale et la véranda comme un tout indissocié et indissociable.

Elles relèvent encore le caractère abondamment vitré de cette construction accolée, en conformité avec la définition règlementaire d’une véranda - le point 60 du chapitre L du PAP QE, étant en effet libellé comme suit : « Véranda ou jardin d’hiver : Galerie couverte et vitrée ou semi-vitrée prolongeant un bâtiment sur une ou deux de ses façades maximum. Il peut s’agir d’un balcon fermé. Au minimum 50% des surfaces de la véranda (y compris toiture) seront vitrées. La véranda peut comporter des parties en dur telles que cloisons maçonnées ou en bois » - , de sorte qu’elle ne serait pas de la même consistance en gabarit que la construction principale et qu’elle ne saurait être qualifiée en l’espèce comme faisant elle-même partie de la construction principale 10 Il appert toutefois d’une lecture superficielle des deux dispositions invoquées que le point 60 ne véhicule à première vue qu’une définition terminologique générale, tandis que l’article 31 c) du PAP QE précise quant à lui une situation spécifique, c’est-à-dire les conditions permettant de déroger à la profondeur maximale autorisée. Ainsi, si de manière générale, une véranda ou un jardin d’hiver ne doivent pas nécessairement être accolés, il semblerait toutefois que pour justifier une extension de la profondeur à 18 mètres, une véranda, telle que définie au point 60, c’est-à-dire une galerie couverte et vitrée ou semi-vitrée comportant au minimum 50 % des surfaces (y compris toiture) vitrées, doit être seulement accolée au bâtiment principal.

Or, il résulte de la jurisprudence, que ce soit celle du juge du provisoire4 que celle des juges du fond, que cette caractéristique précise distingue une dépendance accolée d’une extension ou prolongation d’un bâtiment. Ainsi, il résulte du jugement du 12 février 2020, n° 42027 du rôle, confirmé en appel par arrêt du 27 octobre 2020, n° 44298C du rôle, que la notion de construction accolée s’applique en substance à un accessoire au bâtiment principal, de dimensions plus réduites que la construction principale, de sorte à viser « des éléments de construction qui sont détachables de la construction principale, ce critère permettant, en effet, de distinguer une construction accolée d’une extension de la construction principale. Ainsi, la construction principale doit pouvoir exister isolément si la construction accolée, telle qu’une annexe, était enlevée, ce qui exclut toute imbrication de cette construction à la construction principale », pour dénier à une extension comparable à celle autorisée dans le présent cas le caractère de « construction accolée » et partant annuler pour illégalité l’autorisation de bâtir a quo délivrée.

Il convient de relever que les conclusions des premiers juges reposent essentiellement sur la circonstance que le bâtiment principal constitue avec la « construction accolée » un tout, intégré et imbriqué, de sorte que les deux constructions, juxtaposées - signification première du terme « accolé », qui signifie a priori « mettre l’un à côté de l’autre, par juxtaposition, contiguïté », ce qui implique la coexistence de deux entités toujours distinctes - ne demeurent pas deux constructions, certes juxtaposées, mais structurellement et fonctionnellement autonomes. Ainsi, à première vue, une construction accolée serait une structure présentant certes un lien fonctionnel avec la construction principale (p.ex. une véranda), apportant un complément aux fonctionnalités de la construction principale, sans toutefois être intégrée à celle-ci, tandis qu’une extension consisterait en un agrandissement (horizontal ou vertical) de la construction existante, et présentant un lien fonctionnel et physique avec la construction existante. Ainsi, l’extension constituerait un ensemble architectural avec la construction principale existante.

Or, à première vue, en application de la jurisprudence précitée, mais aussi, de manière autonome, par analyse sémantique du terme « accolé », la « véranda », ainsi qualifiée, constitue un agrandissement matériel et fonctionnel de la maison d’habitation, avec lequel elle est visiblement destinée à constituer un tout inséparable, ne constitue a priori pas un accessoire, mais bien une partie supplémentaire totalement intégrée, matériellement et fonctionnellement, à la construction principale - comme relevé par la partie requérante tant la dalle portante de la construction principale que le plafond du rez-de-chaussée semblent présenter une continuité englobant la « véranda » - aboutissant in fine à doter l’appartement sis au rez-de-chaussée d’un séjour, aucune autre pièce de cet appartement n’y étant affectée ou ne s’y prêtant à première vue : la véranda, ainsi dénommée, constitue au terme d’un examen succinct des plans et à première vue une extension horizontale du bâtiment principal au niveau du rez-de-chaussée, 4 Voir trib. adm. (prés.) 16 mai 2020, n° 44372 et trib. adm. (prés.) 15 juin 2020, n° 44494.

11 avec lequel elle constitue un tout, intégré et imbriqué, matériellement et fonctionnellement inséparable : il ne paraît dès lors pas que l’extension sur 18 mètres ait pu être autorisée, à défaut d’accueillir une véranda simplement « accolée ».

Ce moyen paraît, également, présenter actuellement des chances sérieuses d’aboutir à l’annulation de l’autorisation de bâtir déférée.

Il convient ensuite de rappeler que la demande en obtention d’une mesure provisoire a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif ; les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue. Par ailleurs, comme la procédure en obtention d’une mesure provisoire doit rester une procédure exceptionnelle, puisqu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Il en résulte qu’une mesure de sauvegarde ne saurait être ordonnée que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué : en d’autres termes, la décision contestée doit porter préjudice ou atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, aux intérêts du requérant.

Plus particulièrement, lorsque la mesure sollicitée, telle qu’en l’espèce l’arrêt des travaux du projet immobilier litigieux, constitue une mesure grave, susceptible d’avoir des conséquences financières et économiques importantes pour le bénéficiaire de l’autorisation querellée et d’engager, le cas échéant, la responsabilité du magistrat appelé à prendre une telle mesure, ce dernier est en droit d’attendre que le requérant prenne explicitement position par rapport aux deux conditions prévues par la loi et, en particulier, convainque le juge du provisoire de la nécessité d’ordonner la mesure sollicitée afin d’empêcher précisément la survenance d’un dommage grave et irréversible dans son chef.

Il suit partant de ce qui précède que le préjudice grave et définitif est à apprécier par rapport aux travaux envisagés, en ce que ceux-ci sont de nature à nuire au requérant. En effet, dans ce contexte, il importe de vérifier en quoi la situation de voisin se trouve aggravée par un quelconque élément de l’autorisation de construire critiquée de sorte à l’exposer à un risque de préjudice grave, c’est-à-dire dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société ni comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, et plus particulièrement dans quelle mesure le projet litigieux porterait une atteinte grave et définitive, ou du moins difficilement réparable, aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de la propre propriété du requérant, étant toutefois souligné que la seule situation de voisin, même direct, n’implique dès lors pas, ipso facto, automatiquement, l’existence d’un préjudice grave et définitif5. En effet, si la reconnaissance d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef d’un requérant implique nécessairement l’existence dans son chef d’un intérêt à agir, l’inverse n’est pas vrai puisqu’un administré peut disposer d’un intérêt à agir à voir contrôler la légalité d’un acte administratif lui faisant grief, sans toutefois que ce grief ne soit grave et irréversible.

5 Voir trib. adm. prés. 18 mars 2019, n° 42408.

12 En l’espèce, il est constant en cause que le projet litigieux, constitué d’une maison bi-

familiale, comprenant un appartement et un duplex, d’une hauteur totale de 9,66 mètres, d’une profondeur de 18 mètres et d’une largeur de 8 mètres, comportant 3 niveaux, à savoir un rez-

de-chaussée et deux étages, remplace sur cette parcelle une petite maisonnette d’une surface d’environ 9 mètres sur 8,50 mètres, ayant comporté à première vue un rez-de-chaussée et un étage sous combles.

Comme dégagé ci-avant, il appert à première vue que ledit projet serait surdimensionné, en ce qu’il accuserait une hauteur et une profondeur excessive et comporterait un niveau de trop.

Il se dégage encore des plans soumis à l’appréciation du soussigné que si l’immeuble ayant existé antérieurement sur ladite parcelle ne situait pas directement derrière le terrain et l’immeuble de la requérante compte tenu de sa profondeur moindre, l’immeuble tel que projeté actuellement s’étendra à l’arrière sur toute la largeur du terrain de la requérante, laquelle sera dès lors confrontée, là où elle disposait auparavant d’une vue directe sur un jardin comprenant apparemment une petite dépendance, sur la moitié de la largeur de sa propriété à un immeuble de trois étages, cumulant à 18 mètres, érigé à 3 mètres de la limite parcellaire, de sorte, outre d’entrainer effectivement une perte d’ensoleillement, de confronter la requérante visuellement avec un important pignon doté de larges fenêtres, justifiant la crainte de la requérante de voir son jardin, voire son immeuble, visuellement écrasé par le projet litigieux et impactant négativement sur sa qualité de vie, étant souligné que la requérante, de manière non contestée, y exerce son activité professionnelle de graphiste, nécessitant une bonne luminosité.

Le soussigné relève encore la présence d’une terrasse partiellement accessible offrant, du moins de manière oblique, une vue sur la propriété de la requérante.

Ces circonstances, résultant d’un apparent surdimensionnement illégal, sont de nature à entrainer outre une moins-value financière, des désagréments issus d’une telle proximité immédiate, telle qu’une perte manifeste d’intimité et de luminosité.

Il est certes vrai que, d’un côté, l’appréciation du degré de gravité d’un tel préjudice comporte toujours, essentiellement, une large part de subjectivité ; d’un autre côté, faire preuve d’une sévérité excessive dans l’appréciation de cette condition aboutirait in fine à exclure toute possibilité de recourir en la matière de l’urbanisme à une mesure de suspension et de vider la possibilité ouverte par l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives de tout sens. Aussi, en l’espèce, compte tenu de l’état actuel de l’immeuble et du jardin de la requérante, bénéficiant d’un ensoleillement donné - l’impact de la dépendance ayant existé sur la parcelle litigieuse n’étant pas comparable en termes de dimensions avec celui de la véranda telle que projeté, ainsi que d’une intimité certaine, le soussigné peut admettre que la dégradation de cette situation puisse être considérée comme grave par la requérante, c’est-à-dire comme dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société.

Quant au caractère du quartier, tel que mis en avant par les dames YZ, le soussigné constate que si le quartier en question présente certes une occupation relativement dense, tous les immeubles existants semblent présenter un certain volume contenu, de façon à libérer des espaces privatifs relativement dégagés, ce qui, une fois le projet litigieux réalisé, ne sera plus le cas, ce projet présentant une profondeur manifestement beaucoup plus importante que les immeubles existants, du moins tel que cela ressort des photographies versées en cause, de sorte 13 à aller largement au-delà des profondeurs des autres immeubles et partant, en ce qui concerne la requérante, empiéter sur la vue directe dégagée dont elle disposait et devrait a priori continuer à profiter de l’arrière de son jardin, par rapport à un immeuble construit conformément à la règlementation urbanistique.

Il est certes vrai que la requérante ne saurait prétendre, dans un quartier résidentiel construit de manière relativement dense, à la pérennité de la situation actuelle, caractérisée par un terrain voisin vide de toute construction, voire à la pérennité de la situation antérieure, où le terrain en question n’abritait qu’une maisonnette et un garage, alors que la parcelle en question, classée en zone HAB-1 et soumise aux dispositions du quartier « espace résidentiel 2 » du PAP QE, est par nature appelée à accueillir une construction plus importante que la maisonnette entretemps démolie, engendrant nécessairement une vue moins dégagée et une perte relative de luminosité : toutefois, elle ne saurait être présumée devoir accepter le surdimensionnement constaté au provisoire du projet et les nuisances en résultant, dépassant manifestement les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société.

Par ailleurs, au vu de la jurisprudence des juridictions judiciaires qui refusent d’ordonner la démolition de constructions érigées sous le couvert d’une autorisation administrative annulée dans la suite6, le préjudice allégué serait encore définitif au cas où la construction serait achevée sous le couvert de l’autorisation attaquée, alors même qu’elle serait annulée, puisque le caractère définitif d’un préjudice est établi dès lors que le succès de la demande au fond, c’est-

à-dire un jugement d’annulation ou de réformation, ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal : en d’autres termes, l’existence d’un préjudice définitif, dans le sens d’un préjudice pas ou difficilement réparable, est établie et retenue comme telle que si le risque allégué est réel et n’est pas seulement aléatoire et que s’il résulte des circonstances concrètes de fait exposées par le requérant que l’exécution de la décision attaquée risque de provoquer des effets irréversibles, qui ne pourraient être annihilés en cas d’annulation ultérieure.

Il suit de ce qui précède que le préjudice allégué par la requérante est grave et définitif au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, précitée, de sorte qu’il y a lieu, en attendant la solution du litige au fond, d’ordonner le sursis à exécution de l’autorisation de construire litigieuse.

La requérante sollicite la condamnation des parties adverses solidairement, sinon in solidum, sinon chacune pour sa part (1/3) à lui payer une indemnité de procédure de 5.000.-

euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives.

Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue, du fait que l’administration communale de Diekirch, confrontée à un recours gracieux dûment et précisément motivé, reposant notamment sur une jurisprudence que la Ville de Diekirch ne saurait ignorer, a choisi de ne pas rencontrer concrètement les arguments lui opposés, de sorte à contraindre la requérante à se pourvoir en justice, il serait inéquitable de laisser à charge de celle-ci l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.

6 Voir notamment Cour d’appel 30 juin 1993, n° 13662 du rôle ; 11 janvier 1995, n° 15963 du rôle.

14 Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du soussigné, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à payer par l’administration communale de Diekirch à la requérante à un montant de 1.650.- euros.

La demande en condamnation des dames YZ, parties intéressées, est toutefois à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

reçoit en la forme le recours en sursis à exécution introduit par rapport à l’autorisation de construire du bourgmestre de la Ville de Diekirch du 11 mars 2021, référencée sous le n°…, telle que confirmée par décision du 15 juin 2021, portant sur la construction d’une maison bi-

familiale à L-… Diekirch, …, sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Diekirch, section … de Diekirch, n°…;

partant ordonne qu’il sera sursis à l’exécution de l’autorisation de construire du bourgmestre de la Ville de Diekirch du 11 mars 2021, référencée sous le n°…, telle que confirmée par décision du 15 juin 2021, portant sur la construction d’une maison bi-familiale à L-… Diekirch, …, sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Diekirch, section … de Diekirch, n°…, en attendant la solution du litige au fond, actuellement pendant devant le tribunal administratif et portant le numéro 46229 du rôle ;

condamne l’administration communale de Diekirch à payer à Madame X une indemnité de procédure d’un montant de 1.650.- euros rejette en revanche la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie requérante à l’encontre des dames YZ ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46382
Date de la décision : 27/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-09-27;46382 ?

Source

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