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17/06/2021 | LUXEMBOURG | N°46093

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2021, 46093


Tribunal administratif N° 46093 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2021 Audience publique du 17 juin 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par la société …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de licence de transport

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46093 du rôle et déposée le 7 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée

VOGEL AVOCAT SARL, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de L...

Tribunal administratif N° 46093 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2021 Audience publique du 17 juin 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par la société …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de licence de transport

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46093 du rôle et déposée le 7 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée VOGEL AVOCAT SARL, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société …, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, à savoir l’instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 3 mai 2021, confirmée par décision négative prise sur recours gracieux du 21 mai 2021, et refusant à la requérante le renouvellement de sa licence communautaire de transport, un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre les prédites décisions ministérielles, inscrit sous le numéro 46092, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées au fond ;

Maître Valentin FÜRST, en remplacement de Maître Gaston VOGEL, et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 15 juin 2021.

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La société de transport …, constituée en date du 30 janvier 2020, fit l’objet d’un contrôle courant novembre 2020 par l’administration des Douanes et Accises, le résultat dudit contrôle ayant fait l’objet d’un rapport daté du 26 mars 2021.

La société …, ci-après « la société … », s’adressa en date du 24 février 2021 au ministre de la Mobilité et des Travaux publics afin d’obtenir le renouvellement de sa licence communautaire de transports internationaux de marchandises par route arrivant à échéance le 26 avril 2021.

Par courrier du 19 avril 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après « le ministre », fit part à la société … de son intention ne pas faire droit à sa demande de renouvellement, tout en l’invitant à lui faire des observations sous huitaine, ledit courrier étant libellé comme suit :

« Par rapport à votre demande émargée, permettez-moi de vous informer comme suit.

En mains le rapport établi par l’Administration des douanes et accises en date du 26 mars 2021, dont je vous fais tenir une copie ensemble avec la présente.

Pour résumer votre situation administrative, il y a lieu de citer que la licence communautaire pour le transport international de marchandises par route vous a été délivrée le 27 avril 2020, c’est-à-dire l’an dernier, ensemble avec une seule copie conforme, comme demandé, du moment que votre garantie bancaire ne couvrait qu’un seul véhicule.

Aussitôt après avoir obtenu une copie conforme de votre licence communautaire, vous avez agrandi votre parc de véhicules de 4 véhicules tracteurs supplémentaires. Vous avez par la suite augmenté progressivement la garantie bancaire pour demander et obtenir davantage de copies conformes. Ainsi, le nombre de copies conformes a été porté successivement à 5 à partir du 26 mai, à 8 à partir du 9 septembre et à 10 à compter du 1 er octobre 2020.

Mais à chaque fois, vous n’avez pas respecté les contraintes liées au nombre de copies conformes à votre disposition.

En d’autres mots, suivant le rapport précité auquel je vous renvoie pour le détail, vous avez tout au long de cette première année d’exploitation effectué de manière constante et régulière des transports internationaux en nombre largement supérieur à ce qui vous était autorisé légalement. Rien que pour la période du contrôlée du 18 mai 2020 au 30 septembre 2020, au cours de 213 journées d’activité analysées, 735 transports internationaux ont été effectués de manière illégale, soit sans copie conforme de la licence communautaire à bord des véhicules concernés.

Ainsi, il vous est reproché d’avoir effectué 36 transports dans l’illégalité pendant la période du 18 au 25 mai 2020, 613 transports entre le 26 mai et le 9 septembre 2020, 86 transports entre le 9 septembre et le 1er octobre 2020.

Or, le fait d’effectuer un transport international de marchandises par route sans être en mesure de présenter une copie conforme valable de la licence communautaire appartient au groupe d’infractions de la catégorie « infraction très graves » au sens de au sens de l’annexe I du règlement 2016/403 de la Commission du 18 mars 2016 relatif à la classification des infractions pouvant porter atteinte à l’honorabilité professionnelle du transporteur.

Toutefois, conformément à l’annexe II du règlement 2016/403 précité, les infractions très graves, lorsqu’elles sont répétées et qu’elles comportent l’envergure et la fréquence telle que décrite dans le rapport précité du 26 mars 2020, sont considérées comme infractions de la catégorie « des plus graves » au sens du règlement 2016/403 précité.

Au-delà, suivant le rapport précité, des conduites sans carte ont également été constatées. Or, le fait de conduire un véhicule sans insérer de carte de conducteur dans l’appareil tachygraphe constitue aussi une infraction de la catégorie « des plus graves » au sens du règlement précité.

Finalement, mis à part les multiples irrégularités constatées en droit du travail notamment en rapport avec les contrats de travail ou le contrôle médical, ou même l’occupation de certains chauffeurs pendant leur congé de maladie - que je laisse le soin aux administrations respectives de traiter - je ne terminerai pas sans énumérer les multiples avertissements taxés dont la plupart sanctionnent l’état inadmissible des pneus sur les véhicules utilisés par votre entreprise, considérant qu’en plus, la surcharge du véhicule constituait précisément un autre motif de verbalisation récurrent.

Les faits ci-avant développés ensemble avec le contenu du rapport de l’Administration des douanes et accises me portent à conclure qu’au vu du nombre et de la gravité des infractions recensées au cours d’une partie seulement de votre première année d’exploitation, doublé du reproche que vu votre historique professionnel, vous avez agi de manière consciente et calculée, portent à croire que la présence d’ « infraction grave » au sens de l’article 12 du règlement (CE) n°1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route, est rapportée à plus d’un titre.

Dès lors, en vertu des dispositions de l’article 12 du règlement (CE) n°1072/2009 précité, j’envisage de refuser le renouvellement de la licence n°120573-00001 émargée.

Vous disposez de huit jours dès notification de la présente pour présenter vos observations éventuelles. (…) » Par courrier du 23 avril 2021, la société … fit part de ses explications au ministre, explications consistant en substance à expliquer les défauts et défaillances constatés, à expliquer que leur redressement respectivement régularisation aurait été achevée ou serait en cours et que le non-renouvellement envisagé serait disproportionné.

Par décision du 3 mai 2021, le ministre refusa le renouvellement de la licence tel que sollicité, ladite décision étant motivée comme suit:

« En réponse à votre demande émargée, je suis au regret de vous informer comme suit.

Aux reproches vous adressés en date du 19 avril d’avoir effectué 735 transports illégaux en seulement 213 jours d’activité analysés, vous vous suffisez tout d’abord d’une seule phrase pour relativiser la gravité des faits vous reprochés, comme s’il s’agissait d’une bagatelle sur laquelle il ne fallait pas s’attarder davantage puisque c’est de l’histoire ancienne et que maintenant tout serait en ordre.

Dans votre réponse datée au 23 avril 2021, transmise par courriel le 26 avril 2021 au travers de votre fiduciaire, vous admettez « avoir effectué certains transports en désaccord de [vos] obligations liées aux licences par inadvertance ». Et c’est tout à ce sujet.

Ensuite, par courrier daté au 28 avril 2021, vous mettez en avant un contretemps indépendant de votre volonté pour compléter votre explication : le Ministère de l’Economie avait égaré la garantie bancaire devant vous permettre de demander 4 copies supplémentaires de la licence. Ces faits ont été corroborés par Madame … le 29 avril 2021. Un duplicata de la garantie bancaire accordée le 28 avril 2020 a été émis par la banque le 18 mai 2020 ; la société … disposait de 5 copies à compter du 26 mai 2020.

Cet argument mérite deux remarques : il reste sans incidence sur la gravité des reproches et il ne vaut pas comme excuse pour les dépassements.

En d’autres termes, pendant la 1ère phase d’activité contrôlée, du 18 au 25 mai 2020, 36 transferts illégaux ont été comptabilisés, et seuls ceux-ci pourraient être mis sur le compte du retard, sans toutefois être justifiés pour autant. Donc, en faisant abstraction du contretemps, il resterait 699 transferts illégaux, donc près de 95.1% des transferts non couverts par l’explication de l’égarement de la garantie bancaire originale.

Ensuite et avant tout, le fait pour l’administré d’être victime d’une maladresse administrative ne l’affranchit pas des obligations légales qui lui incombent. Vous n’aviez pas le droit d’effectuer les 36 transferts en trop pendant la période du 18 au 25 mai 2020, peu importe la raison pour laquelle il n’y avait pas les 4 copies conformes manquantes. Il ne s’agit pas d’une question d’indulgence ou non de la part de l’administration et il convient de placer ces agissements dans leur contexte général.

J’aimerais clarifier que je prends note des explications au sujet des autres irrégularités soulevées dans le rapport de l’Administration des douanes et accises, mais que je ne compte pas les prendre en compte pour fonder la présente décision.

Aux termes de l’article 12 du règlement (CE) n°1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route, en cas d’infraction grave à la législation communautaire dans le domaine des transports routiers, l’autorité compétente peut prononcer soit le retrait temporaire ou définitif de tout ou partie des copies conformes de la licence communautaire, soit le retrait temporaire ou définitif de la licence communautaire, le tout bien entendu en tenant compte de la gravité de l’infraction et du nombre de copies conformes dont dispose le transporteur pour le trafic international.

Pour tenir compte de la gravité des infractions, je retiens que 70 % de votre chiffre d’affaire provient du trafic international, et il vous est reproché d’avoir effectué sciemment et de manière constante des transports internationaux en nombre largement supérieur à ce qui vous était légalement admis. En termes de gravité, cela se traduit p.ex. par le fait que vous avez utilisé simultanément 5 véhicules pour effectuer avec chacun 4 transferts internationaux en une journée, alors que légalement, vous ne pouviez effectuer que 4 transferts avec un seul véhicule.

En d’autres mots, dans l’exemple cité, vous avez effectué 20 transferts, dont 16 de manière illégale, et au risque de devenir redondant, il ne s’agit pas d’un cas isolé mais sur les seuls 213 jours analysés le total s’élève à 735 transferts illégaux.

Dans cette optique, le bon sens laisse entrevoir que les options alternatives en termes de sanction administrative autres que le retrait, respectivement refus de renouvellement de la licence communautaire telles que proposées par l’article 12 du règlement (CE) n°1072/2009, que ce soit un retrait temporaire de tout ou d’une partie des copies conformes, restent assurément dépourvus d’effet, à cause précisément du caractère calculé et réfléchi des infractions constatées, inhérent probablement à la personne du gérant technique. Et pour comprendre cette affirmation, il faut la placer dans son contexte, comme suit.

Et je tiens à préciser à cet endroit que la présente décision n’empiète pas sur une éventuelle décision de révocation de l’honorabilité professionnelle du gérant technique, donc, la vôtre en l’occurrence, sanction qui reviendrait au ministère ayant les Classes moyennes dans ses attributions. Néanmoins, la présente décision doit permettre à l’autorité compétente en charge de la licence communautaire de mettre un terme aux infractions graves constatées.

Étant donné que l’attitude d’une personne par le passé joue un rôle déterminant dans l’étendue de la crédibilité qui peut être rattachée à ses engagements pour le futur, considérant particulièrement qu’au cours de l’année 2019 vous étiez occupé en tant qu’employé administratif auprès de la société … (déclarée en état de faillite par jugement du 16.10.2020) pour laquelle une licence communautaire avait été issue pour la période du 19 mai 2019 au 20 mai 2020, et que pendant cette occupation antérieure, vous vous étiez déjà trouvé confronté personnellement pour les mêmes motifs avec les agents des douanes et accises alors que des véhicules appartenant à l’entreprise … s’étaient fait arrêter plusieurs fois en trafic international - 1 non seulement sans copie conforme de la licence communautaire à bord, mais - 2 avant même d’avoir sollicité une licence communautaire pour le transport international de marchandises par route auprès de l’autorité compétente, et finalement - 3 même après avoir obtenu la licence communautaire, en effectuant des transports avec plus de véhicules que légalement autorisés par le nombre de copies conformes mises à disposition de l’entreprise.

Dans ces conditions, venir demander bienveillance en vous appuyant sur des débuts difficiles en mettant en avant un soi-disant manque d’expérience, ou encore vous retrancher derrière l’argument que « certains transports » auraient été effectués « en désaccord avec [vos] obligations liées aux licences par inadvertance » relève d’une hypocrisie navrante et limite vexatoire.

D’autre part, comment justifier un traitement égalitaire entre administrés s’il devait être permis aux uns de multiplier par X leur chiffre d’affaire et en même temps diminuer les frais de fonctionnement de leur entreprise en faisant passer une grande partie de leur activité à côté du cadre légal, tandis que d’autres jouent cartes sur table, si les premiers ne risquent rien quand ils se font attraper dans les cas classiques d’« inadvertance » ? Je ne terminerai pas sans souligner que je n’entends pas porter le chapeau pour le personnel salarié qui pourrait se retrouver au chômage suite à la présente décision. D’un, c’est votre comportement qui se trouve à l’origine des évènements dont objet ; de deux, si l’entreprise utilise réellement la moitié de ses véhicules en trafic national, pourquoi licencier tout le personnel ? Admettre le contraire revient à faire de l’instigateur des infractions la victime, et de ses salariés des boucliers humains qu’il n’hésite pas à sacrifier si le chantage ne marche pas. Et l’histoire se répète une n-ième fois. Ce n’est pas acceptable.

Ainsi, pour avoir ignoré sciemment, de manière répétée, constante et en nombre largement excessif les limitations imposées par la réglementation applicable au transport international de marchandises par route comme précisé dans le rapport de l’Administration des douanes et accises du 26 mars 2021, je suis au regret de vous annoncer que je me dois de refuser le renouvellement de la licence communautaire, conformément à de l’article 12 du règlement (CE) n°1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route.

Le courrier du 19 avril 2021 ainsi que le rapport de l’Administration des douanes et accises du 26 mars 2021 sont joints à la présente et en font partie intégrante.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours à introduire par voie d’avocat à la Cour dans un délai de trois mois à compter de sa notification. Elle peut également faire l’objet d’un recours gracieux à adresser au ministre ».

La société … fit adresser le 11 mai 2021 un recours gracieux au ministre, libellé comme suit:

« Je suis le conseil de la société …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, qui me soumet la décision de refus du 3 mai 2021 relative à la demande de renouvellement présentée par ma partie au niveau des licences communautaires.

La présente vaut recours gracieux.

Il ne m’appartient pas de mettre en cause l’analyse de Monsieur …, encore que je ne comprenne pas comment vos services arrivent au nombre élevé des transports effectués illégalement.

Monsieur … est une personne honnête, malheureusement pas formé pour se retrouver dans le domaine très compliqué des droits communautaires en matière de transport.

Il faut souvent avoir des qualités intellectuelles avancées pour s’y retrouver.

D’où des impairs, qui ne sont pas contestés, mais qui ne sont néanmoins pas à mettre sur le compte une mauvaise volonté.

Et dans ce contexte, qu’il me soit permis de m’étonner du fait que Monsieur … se laisse aller à des appréciations un tant soit peu à la limite de ce à quoi on peut s’attendre d’une Administration !!! « Hypocrisie navrante » sic ….

Je voudrais souligner d’emblée que 70% du chiffre d’affaires provient du trafic international, ce qui signifie malheureusement en clair que faute d’un renouvellement, il ne resterait à cette jeune entreprise, pourtant florissante, aucune autre solution que de déposer le bilan.

Je suis d’avis que chacun fût-il fautif a droit à retrouver une chance. La lettre de refus de Monsieur … a une valeur pédagogique.

Il est actuellement très bien conseillé par une Fiduciaire et je suis certain qu’il ne récidiva plus.

La leçon a été amère.

Auriez-vous, dans ces conditions, donner une suite favorable au recours gracieux que j’introduis par la présente auprès du Ministre ? (…) » Par décision du 21 mai 2021, le ministre rejeta en les termes suivants le prédit recours gracieux :

« En réponse à votre recours gracieux daté au 11 mai 2021, je suis au regret de vous informer qu’il n’apporte pas d’élément nouveau me permettant de revenir sur ma décision du 3 mai 2021. En effet, l’argument que Monsieur … ne serait pas formé pour se retrouver dans la matière qui régit son entreprise ne tient pas face au fait que votre mandant a obtenu le 7 décembre 2019 sa capacité professionnelle qui lui ouvre le droit d’être gérant technique d’une entreprise de transport.

Au-delà, je précise que ma décision n’avait pas comme objectif d’être pédagogique, mais de sanctionner un comportement imprégné de fraude, conscient et répété, afin de tenter de mettre un terme de manière effective à des pratiques qui faussent la concurrence loyale ou l’égalité de traitement entre administrés.

Je vous l’assure, je partage votre avis quant au droit de retrouver une chance. Cette chance pourtant, votre mandant l’a déjà consommée comme décrit dans la décision du 3 mai 2021. C’est la raison pour laquelle je suis moins enclin à rencontrer l’assurance que votre mandant aurait compris sa leçon que vous ne l’eussiez souhaité.

Partant, je confirme la décision du 3 mai 2021. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2021, inscrite sous le numéro 46092 du rôle, la société … a introduit un recours en réformation sinon annulation contre les décisions ministérielles précitées. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 46093 du rôle, elle a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire, tendant à voir surseoir aux décisions de refus sinon à voir instaurer une mesure de sauvegarde.

Après avoir rappelé avoir été bénéficiaire en tant qu’entreprise de transport d’une licence communautaire l’autorisant à effectuer « sur toutes les relations de trafic, pour les trajets effectués sur le territoire de la Communauté, des transports internationaux de marchandises par route pour compte d’autrui (…) » valable du 27 avril 2020 au 26 avril 2021, la société … expose que les décisions querellées refusant de renouveler la validité de sa licence communautaire l’empêcherait d’effectuer des transports de marchandises intracommunautaires, activité qui représenterait plus de 70 % de son chiffre d’affaires, de sorte que l’exécution des décisions provoquerait un préjudice grave et définitif dans son chef, alors qu’elle menacerait la survie même de son entreprise et entrainerait vraisemblablement sa faillite.

Elle se réfère ensuite aux moyens développés dans le cadre de son recours au fond et qui en substance sont les suivants :

Elle s’empare du règlement (CE) n° 1072/2009 du Parlement Européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route, pour soutenir que la sanction lui infligée serait disproportionnée, alors que ledit règlement (CE) n° 1072/2009 prévoirait une gradation des sanctions, dont l’avertissement, et exigerait que les sanctions infligées soient proportionnées à l’infraction ou aux infractions.

Elle s’empare ensuite de l’article 5, paragraphe (2) du règlement grand-ducal du 19 avril 2012, pris en exécution du prédit règlement (CE) n° 1072/2009, pour soulever qu’en dépit du texte, qui prévoirait la saisine d’une commission avant toute décision de retrait de licence, aucune commission n’aurait avisé les décisions querellées.

Dès lors, elle considère les décisions comme arbitraires, du fait de l’absence de saisine de la commission prévue, et comme ayant été prises entièrement à charge, en violation des principes fondamentaux de loyauté, d’objectivité, d’impartialité et de proportionnalité.

En ce qui concerne ce dernier reproche, la société requérante relève que le ministre lui opposerait un prétendu problème d’honorabilité de son gérant, sur base du seul fait qu’il aurait été un employé d’une ancienne société de transports déclarée à l’époque en faillite judicaire, tout en reconnaissant que la question de l’honorabilité ne serait pas dans ses attributions.

Elle relève encore avoir été constituée que récemment de sorte qu’il ne serait pas déraisonnable de lui accorder une certaine marge d’erreur dans sa mise en conformité avec les nombreux textes, souvent complexes. Elle souligne encore avoir toujours été détentrice d’une licence communautaire valable, mais qu’on ne lui reprocherait que de ne pas avoir été en possession d’un nombre suffisant de copies conformes, eu égard au nombre de camions opérationnels ; par ailleurs, il lui serait encore reproché d’avoir été sanctionnée quelques fois pour des pneus légèrement endommagés.

Elle reproche ensuite au ministre de s’être basé sur un calcul non étayé du nombre de transports illégaux, plus précisément, du nombre de voyages que les transporteurs de la requérante auraient effectué sans copie conforme de la prédite licence à bord de leur camion lors des passages de frontières, de sorte que ces calculs seraient contestés ;

Enfin, elle souligne n’avoir précédemment jamais fait l’objet d’une quelconque procédure ou enquête administrative par le passé, de sorte qu’en tenant également compte de son jeune âge, il n’aurait pas été déraisonnable que le ministre prononce un avertissement accompagné, éventuellement, d’une mise à l’épreuve, sinon un retrait temporaire, sinon définitif de la validité de certaines des copies conformes dont elle disposait.

Le représentant de l’Etat, pour sa part, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 7 juin 2021 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

La décision de refus de renouvellement, telle que confirmée par la décision de refus sur recours gracieux, déférée au provisoire constitue toutefois une décision négative qui n’est pas susceptible d’un effet suspensif. En effet, une décision administrative négative qui ne modifie pas une situation de fait ou de droit antérieure ne saurait faire l’objet d’une mesure de sursis à exécution, puisqu’une décision négative, c’est-à-dire qui dénie à un administré un droit, n’est pas susceptible d’un sursis à exécution en ce qu’une telle mesure ne serait pas de nature à lui reconnaître positivement le droit contesté, même si elle est en revanche susceptible de faire l’objet d’une mesure de sauvegarde.

En ce qui concerne ensuite la mesure de sauvegarde sollicitée à titre subsidiaire, il échet encore de rappeler qu’en vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Or, comme relevé ci-dessus, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou 1 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 592, et les autres références y citées.

minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction2.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs3.

A cet égard, aucun des deux moyens opposés par la société requérante aux deux décisions ministérielles déférées ne convainc à ce stade et aux termes d’un examen nécessairement sommaire du dossier.

Ainsi, en ce qui concerne l’absence de saisine de la Commission ad hoc prévue à l’article 5, paragraphe (2) du règlement grand-ducal du 19 avril 2012, il appert que ce texte, qui prévoit que « Le Ministre prend sa décision sur avis d’une commission composée de trois membres, ayant pour mission d’instruire le dossier, d’entendre le transporteur au cas où il le demande et d’émettre un avis à la majorité des voix. Les membres de la Commission sont nommés par le Ministre », est à lire conjointement avec le paragraphe 1er du même article, lequel dispose que « La licence communautaire ou l’attestation de conducteur est retirée au cas où le transporteur a falsifié ce document ou une copie conforme de celui-ci », de sorte qu’à première vue, ladite Commission ne devrait être saisie qu’en cas de retrait d’une licence au motif que le transporteur a falsifié une licence ou une copie conforme de celle-ci, et non comme en l’espèce en cas de refus de renouvellement de la licence pour d’autres motifs.

Cette analyse paraît encore corroborable par les travaux parlementaires, tels qu’invoqués par le délégué du gouvernement.

Ainsi, il résulte du commentaire des articles afférent4 qu’« il est proposé de prévoir un retrait de la licence communautaire respectivement de l’attestation de conducteur également pour le cas où le transporteur falsifie un de ces documents ou une copie conforme de ceux-ci.

Il s’agit ici d’un des cas de concurrence déloyale les plus graves possibles. (…) La Commission à mettre en place doit prendre son avis selon les principes de la proportionnalité, tels que fixés à l’article 12 du règlement (CE) No 1072/2009 (…) ».

2 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

3 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

4 Projet n° 6345 de règlement grand-ducal, session ordinaire 2011-2012, commentaire des articles, ad article 5, pp.7-8.

Il résulte encore à première vue de l’avis afférent du Conseil d’Etat5 que le cas de figure spécifiquement visé serait celui des transporteurs ayant usé de documents falsifiés et que la création d’un organe consultatif appelé à fournir des avis au ministre s’inscrirait dans ce cadre-

là.

L’argumentation de la société requérante, consistant à soutenir que ladite disposition serait également à appliquer en cas de refus de renouvellement de la licence opposé en-dehors du cas spécifique de la falsification des documents visés ne paraît à ce stade, au vu du libellé des textes et en l’absence de toute jurisprudence allant dans le sens préconisé, pas de nature à justifier la mesure provisoire sollicitée, alors qu’exigeant une interprétation extensive inédite, à laquelle le juge du provisoire ne saurait sans autres éléments procéder.

En ce qui concerne le second moyen, tiré concrètement du caractère disproportionné de la sanction infligée, il appert, en substance, que la société … se voit reprocher sur base d’un rapport de constatation dressé par les agents de l’administration des Douanes et accises et suite à un savant calcul d’avoir effectué 735 transports illégaux en seulement 213 jours d’activité analysés.

Si ledit chiffre se voit actuellement contesté par la société … qui évoque un « calcul bidon », il convient de rappeler que le régime administratif de la preuve fait en premier lieu peser le fardeau de la preuve sur le requérant, lequel doit effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué :or, en l’espèce, si la société … affirme que le calcul de l’administration serait erroné, il lui appartiendrait d’en établir ledit caractère erroné, ou à tout le moins de fournir des indices allant dans ce sens, la société requérante étant en effet présumée disposer des documents et des éléments probants susceptibles de justifier de la légalité des transports effectués, respectivement de contrer l’argumentation étatique.

Le fait - indépendamment du chiffre exact - que la société requérante ait effectué un nombre très important, à raison de plusieurs par jour, de transports illégaux sur une courte période d’activité, c’est-à-dire sans disposer des copies conformes nécessaires de la licence communautaire, ne paraît dès lors à ce stade pas sérieusement énervé.

S’il est vrai, comme soutenu par la société requérante, que le règlement (CE) n° 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route prévoit en son article 12, d’une part, le principe d’une application proportionnée des sanctions (« Ces sanctions (…) tiennent compte de la gravité de l’infraction commise par le titulaire de la licence communautaire ainsi que du nombre total de copies certifiées conformes de ladite licence dont il dispose pour le trafic international » et, d’autre part, un catalogue de sanctions, allant de l’avertissement au retrait définitif de la licence communautaire, il n’appert toutefois pas, de manière évidente, que le ministre, en refusant le renouvellement de la licence communautaire, ait agi de manière illégale ou disproportionnée.

En effet, il semble d’abord se dégager que la sanction éventuellement préconisée par la partie requérante, à savoir l’avertissement, n’ait en tout état de cause pas pu lui être infligée, le prédit article 12 ne prévoyant la sanction de l’avertissement que « si la législation nationale le 5 Projet n° 63453 de règlement grand-ducal, session ordinaire 2011-2012, Avis du Conseil d’Etat, ad article 5, pp.3-

4.

prévoit », ce qui ne semble pas être le cas en l’état actuel des plaidoiries, le règlement grand-

ducal du 19 avril 2012 invoqué ne prévoyant à première vue pas une telle sanction.

Quant aux autres possibilités de sanction - l’autorité compétente peut encore prononcer soit le retrait temporaire ou définitif de tout ou partie des copies conformes de la licence communautaire, soit le retrait temporaire ou définitif de la licence communautaire -, si la sanction infligée doit certes comme exigé par le texte européen être proportionnée à l’infraction, il résulte toutefois, comme retenu par le ministre dans son courrier du 19 avril 2021, prima facie, que l’infraction constatée ne constitue pas seulement une « infraction grave » au sens du règlement (CE) n° 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, mais qu’elle semble encore constituer d’abord per se une « infraction très grave » selon l’annexe I, point 10, n° 2, du règlement (UE) 2016/403 de la Commission du 18 mars 2016 complétant le règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la classification des infractions graves aux règles de l’Union pouvant porter préjudice à l’honorabilité des transporteurs par route, et modifiant l’annexe III de la directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil, et ensuite, en l’espèce, une « infraction la plus grave » conformément à l’annexe II, 1, du règlement (UE) 2016/403 précité, du fait de son caractère répété.

Il n’appert dès lors pas de manière évidente que le ministre, en refusant de renouveler la licence au vu des infractions « les plus graves » ainsi à première vue commises par le transporteur - s’agissant de l’infraction la plus grave sur une échelle prévoyant des infractions graves, des infractions très graves et des infractions les plus graves - ait arrêté une sanction disproportionnée.

En tout état de cause, dans la mesure où la société requérante reproche au ministre d’avoir pris une décision disproportionnée, il résulte à cet égard de la jurisprudence des juges du fond que si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge, le contrôle afférent à exercer par le juge de l’annulation est limité aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité, alors que ce contrôle ne saurait avoir pour but de priver le ministre, ni l’autorité, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation6. En d’autres termes, lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il ne saurait pas, sous peine de méconnaître le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée en ce qu’il dispose d’une marge d’appréciation, se placer tout simplement en lieu et place de l’administration et substituer son appréciation à celle de l’administration.

Cependant, dans le cadre du contrôle de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation est appelé à vérifier s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée7.

6 Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 54.

7 Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28611C et 28617C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 35, et les autres références y citées.

Il découle de cette limitation apportée au pouvoir de contrôle du juge de l’annulation, qu’en ce qui concerne plus particulièrement le juge du provisoire, que celui-ci doit user avec une parcimonie extrême de ses pouvoirs lorsqu’une erreur d’appréciation manifeste ou la violation du caractère proportionné d’une décision administrative est reprochée à son auteur8 ;

ainsi, un moyen reprochant à une autorité une erreur d’appréciation non manifeste, là où l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, voire d’un pouvoir discrétionnaire, ne constitue pas un moyen sérieux au sens de la loi modifiée du 21 juin 1999, puisqu’un moyen sérieux doit faire pressentir une annulation au terme d’un examen prima facie et qu’un simple doute quant à l’issue du recours n’est à cet égard pas suffisant.

Or, il n’appert là encore pas que le fait pour le ministre, face aux infractions massivement constatées - la société … n’ayant à ce stade fourni aucun élément crédible susceptible d’énerver le constat ministériel - de finalement décider, confronté par ailleurs à des réponses toujours insatisfaisantes du transporteur, de refuser le renouvellement de la licence communautaire, constitue dans son chef une erreur manifeste d’appréciation, voire une erreur d’appréciation.

En tout état de cause, il s’agirait là essentiellement d’une question d’appréciation qui requiert une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder, même à admettre que le juge du fond, statuant en tant que juge de l’annulation, puisse y procéder.

Il suit de ce qui précède que les moyens invoqués tant à l’appui du présent recours qu’à l’appui du recours au fond par la société requérante relativement aux décisions déférées ne présentent pas, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, le caractère sérieux nécessaire pour justifier le bénéfice de la mesure provisoire sollicitée.

Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence de moyens sérieux, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 8 Trib. adm. prés. 14 novembre 2006, n° 22110 ; trib. adm. prés. 30 mai 2013, n° 32344, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 605.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46093
Date de la décision : 17/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-17;46093 ?

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