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07/06/2021 | LUXEMBOURG | N°46003

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 2021, 46003


Tribunal administratif Numéro 46003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2021 Audience publique du 7 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46003 du rôle et déposée le 11 mai 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mali)

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Tribunal administratif Numéro 46003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2021 Audience publique du 7 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46003 du rôle et déposée le 11 mai 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mali), de nationalité malienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Marcel Marigo du 27 mai 2021 informant le tribunal qu’il ne se présenterait pas à l’audience des plaidoiries et que l’affaire pouvait être prise en délibéré hors sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en sa plaidoirie à l’audience publique du 31 mai 2021.

Le 3 juin 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », dans le cadre d’un programme de relocalisation au Luxembourg, après avoir introduit le 6 février 2020, une demande de protection internationale auprès des autorités maltaises.

Le 18 août 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministère », une 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, criminalité organisée et police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 17 mars 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 avril 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« (…) En mains, le formulaire de demande de protection internationale établi à Malte le 6 février 2020, le rapport d'entretien de relocalisation du 3 juin 2020, le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 août 2020 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 mars 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Concernant vos craintes en cas de retour au Mali, vous indiquez que vous craignez d'être tué par un vieil homme de votre village qui aurait revendiqué la propriété d'un terrain agricole que vous auriez exploité.

Concernant les événements qui se seraient déroulés dans votre pays d'origine avant votre départ, vous indiquez, à Malte lors de votre entretien de relocalisation du 3 juin 2020 que votre père serait décédé en août 2018. Vous expliquez que votre père aurait été blessé lors d'une dispute qui aurait éclaté suite à un différend avec des bergers dont le bétail aurait détruit ses plantations. Votre père aurait été blessé à la tête et aurait succombé le jour même à ses blessures. Vous ajoutez que vous n'auriez pas déclaré ces prétendus faits à la police au motif que « les autorités n'aident pas les pauvres citoyens » (page 2 de votre rapport d'entretien de relocalisation). Après la mort de votre père, vous auriez cultivé un autre terrain dont une autre personne du village aurait voulu vous expulser. Par peur, vous auriez décidé de quitter votre pays.

Monsieur, au Luxembourg, lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous confirmez dans les grandes lignes vos déclarations faites à Malte, cependant dans cette version des faits, vous prétendez que suite au décès de votre père, vous vous seriez rendu à 25 kilomètres de votre village afin d'alerter des gardes des forces armées maliennes qui auraient demandé 150.000 francs CFA afin qu'ils se déplacent. Comme vous n'auriez pas pu payer cette somme, ils ne seraient pas intervenus. Vous précisez également que les faits auraient eu lieu en août 2019 et qu'après un court séjour chez votre sœur vous vous seriez rendu à Bamako pour y faire faire votre passeport.

Vous présentez votre passeport malien. L'Unité de Police à l'Aéroport confirme l'authenticité du document. (…)» Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa prédite demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2021, inscrite sous le numéro 46003 du rôle, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 avril 2021, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui du recours dirigé contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, après avoir cité l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … estime que l’examen de sa demande de protection internationale suivant la procédure accélérée résulterait d’une interprétation erronée des éléments invoqués par lui à l’appui de sa demande, sinon d’une fausse application de la loi.

Il précise encore que les faits exposés seraient pertinents, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

En ce qui concerne le refus d’octroi d’une protection internationale, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait état d’un manque de crédibilité de son récit. Il explique que le fait de ne pas avoir déclaré le décès de son père lors de son entretien à Malte n’entraînerait pas ipso facto un défaut de crédibilité de ses déclarations. Il ajoute être illettré et ne pas comprendre correctement le français, de sorte qu’il ne pourrait lui être reproché de ne pas avoir mentionné le décès de son père. Il conteste encore avoir construit un récit de toute pièce en vue d’augmenter ses chances d’obtenir une protection internationale.

Concernant plus particulièrement le refus du statut de réfugié, Monsieur … reproche au ministre d’avoir fait une interprétation erronée de son récit. Il fait valoir, à cet égard, que son père aurait été tué sans que les autorités maliennes ne poursuivent l’auteur de ce crime, ce qui, selon lui, constituerait un acte relevant du champ d’application de la loi du 18 décembre 2015.

Lui-même n’aurait pas été épargné et aurait fait l’objet de menaces de mort, face auxquelles il aurait été obligé de fuir son pays d’origine. Il estime, ainsi, avoir subi des actes de persécution, d’ordre physique et mental, au Mali, de sorte que sa demande en obtention du statut de réfugié devrait être déclarée fondée. Il donne encore, dans ce contexte, à considérer que sa situation devrait s’analyser à l’aune de la situation politique dans son pays d’origine, laquelle serait caractérisée par des violences aveugles. En cas de retour au Mali, il risquerait ainsi de subir de nouveau des actes de violence.

En ce qui concerne ensuite le refus de la protection subsidiaire, en s’appuyant sur l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur argumente que les actes qu’il aurait subis entreraient dans le champ d’application dudit article. Il estime encore remplir les conditions découlant de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 en soutenant que les personnes à l’origine des actes subis seraient, contrairement aux affirmations étatiques, à considérer comme des acteurs au sens du prédit article 39.

S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, le demandeur requiert la réformation de cette décision comme conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale, alors qu’il serait impossible, selon lui, de procéder à son éloignement forcé vers son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est fondée sur le point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, dont les termes sont les suivants : « (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il en résulte que dans l’hypothèse où le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour l’octroi du statut conféré par la protection internationale, sa demande de protection internationale peut être toisée par le ministre dans le cadre d’une procédure accélérée, impliquant nécessairement que ce dernier ait vérifié au préalable si les faits relatés par le demandeur entrent dans la définition de la notion de réfugié ou dans celle de la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

La soussignée est tout d’abord amenée à relever que le demandeur n’a fait mention ni lors de son audition devant les agents de la police judiciaire ni dans la fiche remplie lors du dépôt de sa demande de protection internationale ni lors de son audition auprès du ministre du fait qu’il aurait subi une quelconque persécution physique ou mentale dans son pays d’origine, ce qu’il invoque à présent vaguement dans sa requête introductive d’instance.

Or, il y a lieu de relever que Monsieur … a signé un document intitulé « déclaration finale » certifiant qu’il n’avait aucun problème de compréhension lors de son audition, qu’il n’a retenu aucune information essentielle portant un changement significatif au contexte de sa demande, qu’il n’a pas donné d’informations inexactes et, surtout, qu’il n’existe plus d’autres faits à invoquer au sujet de sa demande de protection internationale.

Dans ce contexte, la soussignée relève qu’en vertu de l’article 37 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur de protection internationale a l’obligation de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande. Par ailleurs, un demandeur qui, tel que Monsieur …, atteste lui-même par sa signature que le rapport d’audition constitue un résumé fidèle et complet des motifs de sa demande de protection internationale, est malvenu à contester le contenu de ce rapport.2 En outre, le fait pour un demandeur de maintenir le silence quant à des éléments essentiels jusqu’au dépôt de la requête introductive d’instance jette un doute considérable sur sa crédibilité.3 En l’espèce, ce manque de crédibilité amène la soussignée à ne pas tenir compte des éléments fondamentalement nouveaux produits in tempore suspecto par le demandeur, à savoir les persécutions physiques et mentales qu’il aurait subies, et ce d’autant plus que le demandeur reste en défaut de fournir la moindre précision quant au déroulement concret de ces faits.

En ce qui concerne les autres points de crédibilité soulevés par le ministre, notamment quant à la date du décès du père du demandeur et quant au fait qu’il n’aurait pas déclaré cette agression à la police, force est à la soussignée de constater que les incohérences dans le récit du demandeur soulevées par le ministre ne sont pas de nature à énerver la crédibilité de celui-

ci dans son intégralité. En effet, s’il y a une confusion dans la date du décès de son père, le demandeur a expliqué être illettré et dans son rapport d’entretien pour la relocalisation il est indiqué que « (…) Je suis parti en août 2019 (2018) – confusion avec les dates, 2018, 2019.

(…) »4. Il a également expliqué à plusieurs reprises avoir pris la décision de quitter le Mali deux semaines après le décès de son père. Dans la mesure où il a quitté son pays d’origine en 2019, il échet de conclure que le décès de son père a eu lieu en 2019. En ce qui concerne la déclaration à la police du décès de son père, Monsieur … a relaté à Malte ne pas l’avoir déclaré à la police car il n’en avait pas les capacités financières5, ce qui n’est pas contredit par ses déclarations faites après son arrivée au Luxembourg où il a indiqué, lors de son entretien avec un agent du ministère, que les gendarmes auxquels il s’est adressé lui auraient demandé le paiement de 150.000 francs CFA pour qu’ils se déplacent et qu’il n’avait pas cet argent6.

Partant, la soussignée est amenée à considérer le récit du demandeur comme étant crédible dans son ensemble, d’autant plus que le ministre s’est limité à soulever certaines 2 Trib. adm. 10 novembre 2000, n° 12390 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 janvier 2001, n° 12602C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 45 et les autres références y citées.

3 Voir en ce sens : trib. adm. 9 octobre 2013, n° 33202 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

4 page 3 du rapport d’entretien pour la relocalisation.

5 page 2 du rapport d’entretien pour la relocalisation.

6 page 9 du rapport d’entretien du 17 mars 2021.

incohérences du récit sans pour autant en tirer une quelconque conclusion et surtout, sans conclure au rejet de sa demande de protection internationale au motif que le récit n’était pas crédible, mais en procédant, en revanche, à une analyse détaillée du fond de la demande introduite par Monsieur ….

Il ressort ainsi des déclarations du demandeur qu’il craint d’être tué par un individu qui revendiquerait la propriété du terrain qu’il cultivait.

Or, ces motifs sont étrangers au champ d’application du statut de réfugié tel que déterminé par la loi du 18 décembre 2015, de sorte à ne pas pouvoir justifier l’octroi du statut de réfugié.

Quant à la protection subsidiaire, si le demandeur exprime des craintes de subir des atteintes graves, à savoir une atteinte à sa vie en raison des menaces de mort qu’il a reçues, la soussignée rappelle que le demandeur doit rapporter la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

Par rapport à cette condition, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut7. Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.

Force est de relever, à cet égard, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

En ce qui concerne l’absence de protection à laquelle le demandeur entend faire référence en invoquant le fait que des gendarmes auxquels il s’est adressé n’ont pas voulu se déplacer pour appréhender le meurtrier de son père sans paiement de leur frais, si un tel comportement de la part de gendarmes est évidemment condamnable, ce comportement n’est cependant pas le reflet des autorités maliennes dans son ensemble. D’ailleurs, le demandeur ne déclare pas avoir tenté de s’adresser à d’autres gendarmes. Dès lors, il reste en défaut de démontrer que les autorités maliennes seraient entièrement corrompues, de sorte que toute tentative d’obtenir une protection auprès d’elles seraient nécessairement vouée à l’échec.

Par ailleurs, il a précisé lors de son audition du 17 mars 2021 que « (…) les [gendarmes] m’ont dit que les gardes vont venir après. Je suis retourné à la maison et pendant ce temps le vieil homme est venu dire que les terres ne nous appartiennent pas mais à lui. Pendant ce temps j’ai pris la fuite. »8 7 Jean-Yves Carlier, « Qu’est-ce un réfugié ? », Edition Bruylandt, 1998, p. 754 8 page 7 du rapport d’entretien du 17 mars 2021.

A cet égard, le demandeur ne soutient pas que les gardes ne seraient pas venus et précise avoir fui la maison tout de suite et avoir quitté le Mali deux semaines après le décès de son père, sans attendre l’arrivée des autorités, de sorte qu’il ne démontre pas que les autorités maliennes n’ont rien entrepris et ne justifie dès lors pas son inaction.

A défaut d’avoir valablement recherché la protection des autorités de son pays d’origine, la soussignée est amenée à conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur ni des pièces au dossier, que les autorités maliennes compétentes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements dont il déclare avoir été victime.

Enfin, si le demandeur a entendu invoquer l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 en faisant référence « à la violence aveugle [qui serait] omniprésente alors que les autorités [resteraient] impuissantes pour assurer notamment la sécurité de la population », il y a lieu de rappeler qu’il lui appartient d’établir qu’il existe dans son pays d’origine « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Or, force est de constater, à cet égard, que le demandeur n’apporte aucun élément visant à établir l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au Mali, de sorte que le moyen ayant trait à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 encourt le rejet.

Il se dégage partant de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, la soussignée est amenée à retenir que le récit de Monsieur … n’est pas de nature à établir l’existence d’une persécution ou d’une atteinte grave, ni même l’existence d’une crainte de persécution ou atteinte grave, susceptible de justifier dans son chef la reconnaissance d’une protection internationale.

Par voie de conséquence, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, est à déclarer manifestement infondé dans la mesure où le demandeur n’a pas étayé le caractère pertinent des faits soumis à l’appréciation de la soussignée au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

En ce qui concerne le volet du recours dirigé contre le refus d’octroi d’une protection internationale, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse du recours dirigé à l’encontre de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les craintes du demandeur de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour ne rentrent pas dans les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et qu’il n’invoquait aucune persécution ou atteinte grave répondant à la définition de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, dont il aurait été victime au Mali ou dont il risquerait de faire l’objet en cas de retour dans ce pays, et que, dès lors, son récit ne saurait, de toute évidence, justifier ni l’octroi du statut de réfugié ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Etant donné que dans le cadre du présent recours dirigé à l’encontre du refus d’octroi d’un statut de protection internationale, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments lui permettant de se départir de cette conclusion, le recours en question est, lui aussi, à rejeter pour être manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Finalement, quant à la décision portant ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour du demandeur au Mali ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier vice-président du tribunal administratif, présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juin 2021 par la soussignée, Françoise Eberhard, premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Présidant la deuxième chambre du tribunal administratif
Numéro d'arrêt : 46003
Date de la décision : 07/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-07;46003 ?

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