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02/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45976

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2021, 45976


Tribunal administratif N° 45976 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2021 1re chambre Audience publique du 2 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45976 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2021 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), ...

Tribunal administratif N° 45976 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2021 1re chambre Audience publique du 2 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45976 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2021 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), de nationalité albanaise, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2021 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge, en remplacement du président de la première chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport à l’audience publique du 19 mai 2021, et vu les remarques écrites de Maître Michel Karp du 18 mai 2021 et celles de Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes du 19 mai 2021 produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

Le 26 janvier 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du 5 mars 2021.

Le 10 mars 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 avril 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 21 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

1« […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 mars 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 10 mars 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être né le …, être de nationalité et d'ethnie albanaise, de confession musulmane et avoir vécu à … avec votre mère et votre frère. Vous auriez quitté l'Albanie parce que vous craindriez pour votre sécurité dans le cadre d'un conflit relevant de la loi du Kanun et à cause de soucis médicaux.

Vous expliquez qu'en 2014, votre père, …, aurait tenté d'assassiner, mais aurait uniquement réussi à blesser, un dénommé …. En 2017 ou 2018, votre père aurait été condamné à huit ans de prison et depuis ce jour, vous auriez eu peur d'être tué par un membre de la famille … qui devrait se venger de cet acte sur base de la loi du Kanun. Vous n'auriez jamais été menacé par qui que ce soit, mais à …, tout le monde suivrait la loi du Kanun et … aurait expliqué à une association de réconciliation engagée par votre père qu'il aurait « absolument » envie de se venger sur un membre de votre famille. A cela s'ajoute que tous les gens à … diraient que la famille … se vengerait. Ainsi, depuis 2017 ou 2018, sur conseil de votre famille, vous ne seriez plus sorti de chez vous jusqu'à votre départ du pays. Vous ne sauriez pas si un membre de votre famille se serait à un moment donné adressé à la police.

Vous ajoutez souffrir d'épilepsie et ne pas pouvoir vous faire soigner en Albanie parce que cela coûterait trop cher. Vous précisez toutefois avoir par le passé été hospitalisé en Albanie.

Fin novembre 2019, en n'informant personne, vous auriez quitté l'Albanie à l'aide d'un ami de votre père, voire d'un passeur, en direction de la France, où vous auriez introduit une demande de protection internationale. Vous prétendez que vous auriez alors été logé dans un foyer mais qu'on ne vous aurait donné aucun papier. Or, ne vous sentant plus en sécurité en France alors que tout le monde en Albanie aurait été au courant de votre séjour dans ce pays, qu'on se serait informé sur vous et après que votre maladie se serait « aggravée rapidement » (p. 6 du rapport d'entretien), le 22 janvier ou le 26 janvier 2021, vous auriez décidé de venir au Luxembourg pour introduire une nouvelle demande de protection internationale.

Il ressort dans ce contexte du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez selon toute apparence utilisé une autre identité lors de votre séjour en France. Vous expliquez que cela serait faux, que les autorités françaises auraient probablement « complètement effacé mes données » (p. 5 du rapport d'entretien) alors que vous auriez même remis votre passeport aux autorités françaises. A noter que vous avez toutefois aussi précisé que vous auriez oublié votre passeport dans la voiture de votre passeur qui vous aurait amené en France, de sorte que vous n'avez donc pas pu le présenter aux autorités françaises.

Il en ressort en outre, que le jour de votre arrivée au Luxembourg en janvier 2021, vous avez encore signalé que vous auriez visité votre cousine qui habiterait au Luxembourg. Or, deux mois plus tard, vous avez prétendu n'avoir aucune famille au Luxembourg et n'y connaître personne. Vous auriez par ailleurs pris en photo en tout hasard une quelconque voiture que vous auriez vue au Luxembourg. Après avoir été mis au courant par la Police Judiciaire que la voiture sur la photo en question qui se trouvait dans votre téléphone serait pourtant enregistrée au nom d'une personne mariée à une dénommée …, vous répondez qu'il s'agirait d'un pur hasard. Dans le cadre de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires 2étrangères et européennes, vous changez de nouveau de version en avouant que vous auriez « menti » et en expliquant cette fois-ci que le lendemain de votre arrivée au Luxembourg, vous auriez croisé par hasard l'époux de votre cousine à la gare du Luxembourg et que vous auriez alors tous les trois fait un seul tour en voiture avant de ne plus jamais les revoir. Vous n'auriez d'ailleurs pas été au courant que votre cousine habite au Luxembourg.

A l'appui de votre demande, vous ne présentez pas de pièce d'identité mais les documents suivants:

- La copie d'une attestation d'emprisonnement de votre père, datée au 1er novembre 2019.

- La copie d'une attestation de l'association de réconciliation « Association des Missionnaires de la Paix et des Réconciliations d'Albanie » datée au 19 février 2021, attestant que votre famille et vous particulièrement, seriez mêlés dans « un conflit de vendetta » depuis que votre père aurait blessé le dénommé … le 29 mars 2014 et que la famille … aurait refusé toute réconciliation.

- Un certificat de naissance établi le 2 décembre 2019.

- La copie d'un rapport médical albanais, établi en avril 2019. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) de la décision précitée du ministre du 15 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation ainsi introduit.

Le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique qu’il serait de nationalité albanaise et de confession musulmane et qu’il aurait quitté son pays d’origine par peur d’être victime de représailles de la part de la famille de la personne que son père aurait tenté d’assassiner. Il renvoie pour le surplus à ses déclarations faites auprès d’un agent ministériel lors de son entretien en date du 10 mars 2021.

3 En droit, et quant à la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, il reproche tout d’abord au ministre de ne pas avoir procédé à un examen individuel de sa demande de protection internationale et d’avoir, en conséquence, considéré l’Albanie comme étant un pays d’origine sûr dans son chef.

Il fait, à cet égard, valoir qu’il se dégagerait de nombreux rapports d’organisations internationales ou non gouvernementales que la loi coutumière du Kanun occuperait toujours une place importante en Albanie et que nombreux de morts y seraient encore à déplorer, tout en soulignant que la région de …, dont il serait originaire, serait particulièrement touchée par le phénomène.

Il reproche au ministre de ne pas avoir démontré avec certitude qu’il n’aurait pas à craindre pour sa vie au sens du chapitre 3 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine, alors qu’il résulterait à suffisance des informations des différentes organisations internationales que l’Albanie serait marquée par l’insécurité, l’inefficacité de la justice, ainsi que la faiblesse de son appareil étatique.

Il reproche également au ministre d’avoir considéré qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, en rappelant que sa demande serait fondée sur sa crainte de se voir appliquer les règles du Kanun en raison des agissements criminels de son père, faits qui seraient manifestement pertinents dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale.

Il conclut que le ministre, en analysant sa demande de protection internationale pour justifier l’application de la procédure accélérée, aurait confondu l’examen au fond d’une demande de protection internationale avec celui de l’applicabilité de la procédure accélérée.

Quant au refus de lui accorder le statut de réfugié, il fait valoir que les faits de l’espèce permettraient de retenir qu’il satisfait aux critères prévus à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, tout en soulignant que ces faits seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la même loi pour constituer une violation de ses droits humains et un risque pour sa vie.

Il serait incontestable que les violences dont il risquerait de faire l’objet seraient motivées par des considérations attachées à son appartenance à un certain clan, respectivement à une certaine famille, en l’occurrence la famille …, de sorte qu’il devrait être retenu en l’espèce qu’il appartiendrait à un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève », et de l’article 43, point d) de la loi du 18 décembre 2015.

Ce serait partant à tort que le ministre lui a refusé l’octroi du statut de réfugié, dès lors que les critères auxquels ce statut se trouve soumis seraient vérifiés dans son chef.

Il reproche ensuite au ministre de critiquer le fait qu’il n’aurait pas sollicité l’aide des autorités de son pays d’origine sans toutefois prendre en considération son jeune âge au 4moment des faits, tout en avançant que le recours à la procédure accélérée l’empêcherait de fournir des éléments supplémentaires à ce sujet.

Il donne à considérer que sa crainte de subir des persécutions serait en lien direct avec la politique menée par l’Etat albanais dès lors qu’aucune mesure efficace ne serait prise pour assurer la protection des citoyens.

Il met en exergue que le système judiciaire actuellement en place en Albanie ne pourrait être considéré comme étant impartial, ce qui serait également vivement critiqué par de nombreux observateurs.

En se prévalant, dans ce contexte, de l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, il avance qu’au regard de la situation des personnes sous le coup d’une vendetta en Albanie, il paraîtrait difficile de retenir que le système judiciaire en place dans son pays d’origine permettrait d’accorder une protection suffisante aux personnes concernées.

Il fait valoir que lorsque cette absence de protection émanerait directement des autorités en place, les auteurs des persécutions auraient la qualité d’« agents de persécution » au sens de la Convention de Genève et de l’article 39, point c) de la loi du 18 décembre 2015, conclusion qui se trouverait encore renforcée par les dispositions visées à l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant que le fait pour un demandeur de protection internationale d’avoir déjà fait l’objet de persécutions, constituerait un indice sérieux de sa crainte fondée d’être de nouveau persécuté en cas de retour dans son pays d’origine, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas.

Il n’existerait, en l’espèce, toutefois aucune « bonne raison » de penser que les craintes supportées par lui ne se réaliseraient pas en cas de retour en Albanie dès lors que, depuis son départ, la situation n’aurait pas évolué de manière suffisamment favorable, mais qu’il aurait, au contraire, subi des pressions alors qu’il se serait déjà trouvé en France.

S’agissant du refus du ministre de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur soutient que ce serait à tort que celui-ci a considéré qu’en l’absence d’incident et de menaces marquantes à son encontre, tout danger réel contre sa personne devrait être écarté.

Ce constat ne prendrait, en effet, pas en considération le fait qu’il aurait choisi de vivre la majorité de son temps reclus et enfermé à domicile, ce qui lui aurait permis d’être protégé contre les agissements de la part de la famille de la victime de son père.

Il estime que cette conclusion ne pourrait être contredite par des éléments isolés relevés par le ministre, à savoir son séjour à l’hôpital ou des « rendez-vous administratifs », en insistant sur le fait que ses déplacements se seraient produits dans des cas très particuliers et avec beaucoup de prudence.

Il explique qu’il aurait continué d’avoir des nouvelles de l’extérieur via ses proches qui lui auraient dit que la situation de tension serait toujours palpable, tout en soulignant qu’il aurait opté pour cette solution qu’il pensait être temporaire en vue de la conciliation des différends qui existeraient entre les deux familles laquelle aurait toutefois été refusée par l’autre partie, confirmant dès lors le bien-fondé de ses craintes.

5Il se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) à travers laquelle il aurait été retenu qu’un acte de torture, voire un traitement inhumain ou dégradant couvrirait un large éventail de réalité du moment qu’il atteindrait un certain niveau de gravité.

Concernant les traitements dégradants, il soutient que ce qualificatif renverrait à des traitements ou à sanctions provoquant chez la victime des sentiments de crainte, d’angoisse et d’infériorité pouvant l’humilier ou la déstabiliser. Il conviendrait, à cet égard, de souligner qu’un objectif spécifique ne serait pas requis et que l’évaluation visant à déterminer si un traitement ou une sanction est inhumain ou dégradant impliquerait également un ressenti subjectif de la part de la personne qui subit ce traitement ou cette sanction. Il ajoute que le caractère inhumain serait retenu s’il s’agissait de souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière, tout en précisant que ces actes devraient être de nature à créer des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement la résistance physique et morale du demandeur d’asile.

Il fait valoir que si sa crainte était certes subjective, elle aurait toutefois entrainé pour lui des conséquences graves tant d’un point de vue mental que d’un point de vue physique avec une aggravation de sa pathologie, le demandeur soulignant qu’il aurait arrêté de se rendre à l’école, ce qui confirmerait que tous les pans de sa vie auraient été impactés.

Il soutient que la loi du Kanun ne constituerait pas un mythe, mais bien une réalité en Albanie à laquelle les enfants y vivant seraient très tôt confrontés entraînant inévitablement de vives souffrances mentales et de profondes angoisses devant être considérées comme une forme de traitement inhumain et dégradant.

A cela s’ajouterait que les autorités ne seraient pas en mesure de faire échec à ce système ancien qui continuerait de s’appliquer en toute impunité sur l’ensemble du territoire.

Il s’ensuivrait que bien que l’auteur des mauvais traitements ne soit, en l’espèce, pas l’Etat, il devrait être considéré comme un acteur de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 en l’absence de toute mesure prise par les autorités locales pour y mettre fin.

Le demandeur conclut que les critères posés par l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 seraient réunis dans son chef, de sorte que la décision déférée serait à réformer.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en son triple volet.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 : « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la 6part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il résulte de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

A cet égard, il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion étant le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours1.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle déférée est, en l’espèce, fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».

1 Trib. adm., 27 juin 2016, n° 37963 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 272 et les autres références y citées.

7Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».

En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays sûr, à savoir l’Albanie.

Il n’est pas contesté que le demandeur a la nationalité albanaise et il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr.

8Il convient toutefois de relever que vu le libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe, par ailleurs, au ministre d’évaluer si le demandeur de protection internationale ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Pour l’examen de la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, s’il fait, comme en l’espèce, état de faits subis par des personnes non étatiques, le demandeur invoquant, en effet, des difficultés qu’il craint rencontrer avec des personnes privées et plus particulièrement avec les membres de la famille de nom « … » suite à la tentative d’assassinat de la part de son père d’un membre de cette famille, à savoir un dénommé …, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 392 et 403 de la loi du 18 décembre 2015 est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par le demandeur tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans son chef.

Il convient, en effet, de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.

Il y a partant lieu d’analyser si le demandeur a soumis, conformément à l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas un pays sûr compte tenu de sa situation personnelle.

2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

9En l’espèce, indépendamment de la question de l’opportunité de la demande de protection internationale de Monsieur …, soulevée par la partie étatique, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet cependant pas à la soussignée d’en dégager des éléments convaincants pour renverser la présomption se dégageant de l’inscription de son pays d’origine sur la liste des pays sûrs et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision déférée.

La soussignée relève, en effet, que le demandeur n’a apporté aucune raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée contre les agissements qu’il craint recevoir de la part des membres de la famille de nom … s’inscrivant, selon le demandeur, dans le cadre d’une dette de sang.

A cet égard, il convient de relever que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, un demandeur de protection internationale ne saurait reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de l’aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de 10protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, force est toutefois à la soussignée de constater que le demandeur n’a pas recherché l’aide de la police ou d’une autre autorité locale en relation avec les représailles qu’il craint subir de la part des membres de la famille …. En effet, sur question de l’agent ayant mené son entretien, le demandeur a expliqué qu’il ne s’est jamais adressé à la police et qu’il ne savait, par ailleurs, pas si un autre membre de sa famille avait à un moment recherché l’aide ou la protection de celle-ci4 dans le cadre du litige s’inscrivant, selon lui, dans le cadre d’une vendetta.

Or, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, le demandeur n’est pas fondé à soutenir que son pays d’origine ne puisse pas être qualifié de pays d’origine sûr.

S’agissant de l’affirmation du demandeur qu’il aurait été trop jeune pour s’adresser à la police, force est de relever que celle-ci n’est en tout état de cause pas de nature à conclure que les autorités albanaises n’auraient pas pu ou pas voulu, respectivement qu’ils ne pourraient ou ne voudraient pas l’aider dans le cadre du conflit qui l’oppose à la famille …. Ce constat est d’autant plus vrai alors que le demandeur est désormais majeur, de sorte qu’il pourra entreprendre personnellement toutes les démarches nécessaires auprès des autorités policières albanaises en vue d’une protection en cas de menaces ou de représailles de la part des membres de cette famille.

En ce qui concerne ensuite l’affirmation du demandeur que la loi coutumière du Kanun occuperait toujours une place importante en Albanie, remettant par là en question l’efficacité du système policier et judiciaire albanais qui, selon lui, ne pourrait être considéré comme étant impartial, la soussignée relève qu’outre le fait que cette affirmation n’est sous-tendue par aucun élément concret de son vécu, elle est, par ailleurs, infirmée par les explications fournies par la partie étatique.

En effet, tel que le soutient la partie étatique, les actes commis dans le cadre d’une vendetta constituent des infractions de droit commun, réprimées par le Code pénal albanais, prévoyant en son article 78 (a) que « Murder committed due blood feud shall be punishable to not less than 30 years of life imprisonment »5.

Par ailleurs, la partie étatique a mis en exergue, sources internationales à l’appui, que la police albanaise interviendrait « in blood feud situations », en assurant une protection effective aux familles concernées (« (…) Local police officers are tasked to stay near the affected families and to stay in contact with them. (…) « all the affected families know neigbourhood police officers. They have their phone numbers and general emergency numbers » »6), et en encourageant les personnes en question à dénoncer les actes se situant dans le cadre d’une vendetta. Il ressort encore des documents de la partie étatique que « (…) the authorities are nowadays closely monotoring the known cases of contemporary blood feuds and that de phenomenon is largely under control (…) et que « a lot of people have been 4 Page 5 du rapport d’entretien.

5 https://www.legislationline.org/documents/section/criminal-codes/country/47.

6https://www.cgra.be/sites/default/files/rapporten/blood_feuds_in_contemporary_albania._characterisation_prev alence_and_response_by_the_state.pdf.

11arrested after the amendments in the penal code and that judges do not have an alternative anymore but to give the proscribed, fixed penalty»7, de sorte qu’en l’absence d’éléments permettant de retenir le contraire fournis par le demandeur, le bon fonctionnement du système policier et judicaire albanais ne saurait être remis en cause en l’espèce.

A cela s’ajoute que si Monsieur … devait estimer que la police ne veut pas lui accorder la protection dont il aurait besoin, il a encore la possibilité, tel que le soutient la partie étatique, sources internationales à l’appui, de dénoncer les policiers qui ne rempliraient pas convenablement leurs missions, en faisant valoir ses droits auprès d’un commissariat, de la direction régionale de la police, de la direction générale de la police, du ministre de l’Intérieur ou encore de l’Ombudsman.

En ce qui concerne le certificat émis le 19 février 2021 par l’ « Association des Missionnaires de la Paix et des Réconciliation d’Albanie » ou encore le document intitulé « Confirmation » émis le 1er novembre 2019 par le ministère de la Justice albanais, versés en cause par le demandeur, ceux-ci ne font, indépendamment de la crédibilité qui peut être accordée à ces documents, qu’attester que la famille du demandeur « est menacée de vendetta de la famille … selon le Code d’honneur », que le père du demandeur a été condamné et qu’il se trouve en prison et qu’une réconciliation entre les deux familles a échoué, sans pour autant affirmer que la famille … et plus particulièrement le demandeur risquerait sa vie en Albanie en raison concrètement de l’absence d’un système policier et judicaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou un acte grave et auquel les personnes, victimes de tels actes, peuvent avoir accès.

Il en est de même en ce qui concerne le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), intitulé « Albanie : vendetta, Renseignement de l’analyse-pays de l’OSAR », du 13 juillet 2016 dont se prévaut le demandeur, dans la mesure où, outre le fait qu’il a été invoqué en l’espèce sans mise en relation avec la situation particulière, personnelle et concrète de Monsieur …, le demandeur se bornant, en effet, à soutenir l’insécurité, l’inefficacité de la justice ainsi que la faiblesse de l’appareil étatique albanais sans pour autant faire valoir le moindre évènement personnel y relatif tiré de son vécu, il ne se dégage pas de ladite pièce que le système policier et judiciaire albanais serait défaillant à tel point qu’en tout état de cause, les victimes d’infractions pénales ne pourraient raisonnablement espérer obtenir une protection étatique suffisamment efficace.

La partie étatique a, dans ce contexte, encore fait état, sources internationales à l’appui, des derniers efforts entrepris par les autorités albanaises pour combattre la corruption et le crime organisé, le gouvernement albanais se trouvant, en effet, selon les explications de la partie étatique, dans un processus de refonte législative en vue de rapprocher le système judiciaire des normes prévues par l’Union européenne, comprenant la réévaluation des juges et des procureurs en exercice au regard de leur intégrité, du contexte éthique, de leurs compétences professionnelles et de la vérification de leur patrimoine mettant les juges et procureurs impliqués dans des cas de corruption sous forte pression et ayant d’ailleurs déjà amené à contraindre plusieurs juges et procureurs à donner leur démission. Par ailleurs, la partie étatique a encore évoqué, pièce internationale à l’appui, la possibilité pour toute personne rencontrant des problèmes d’abus de pouvoir des forces de l’ordre de porter plainte auprès du service de contrôle interne (ICS) et auprès de la direction des normes professionnelles (PSD).

7 https://www.ecoi.net/en/file_upload/90_1507641496_blood-feuds-in-contemporary-albania-characterisation-

prevalence-and-response-by-the-state.pdf.

12 Dès lors, le demandeur n’est manifestement pas fondé à soutenir qu’il n’aurait eu aucune possibilité de requérir une aide contre les difficultés qu’il craint rencontrer dans son pays d’origine, et que de la sorte l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr compte tenu de sa situation particulière.

En ce qui concerne, enfin, les motifs économiques, respectivement médicaux invoqués par le demandeur, celui-ci affirmant, en effet, souffrir de crises d’épilepsie à cause du stress, force est de constater que de tels motifs ne sauraient justifier l’octroi dans son chef du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire, alors qu’ils ne tombent manifestement ni dans le champ d’application de la Convention de Genève ni dans celui de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande d’octroi d’une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays sûr dans son chef sont visiblement dénués de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

Il s’ensuit que le recours principal en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale La soussignée relève qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 précités de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

13 S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

Or, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux agissements qu’il craint recevoir de la part des membres de la famille …. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours, la soussignée ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les agissements en question ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire. S’agissant des motifs économiques, respectivement médicaux invoqués par le demandeur, il a été retenu ci-avant qu’il ne s’agit là pas de motifs pouvant justifier dans le chef d’une personne une protection internationale pour ne pas tomber dans le champ d’application ni de la Convention de Genève ni de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que Monsieur … est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire 14 A cet égard, le demandeur fait valoir que dans la mesure où la décision refusant de faire droit à sa demande de protection internationale serait à réformer, il y aurait lieu de réformer également l’ordre de quitter le territoire.

Par ailleurs, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Albanie serait suivi de traitements contraires aux articles 3 de la Convention européenne de droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) et 1er et 3 de la Convention des nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En se prévalant d’un arrêt Vilvarajah c/ Royaume Uni de la Cour EDH du 30 octobre 1991, le demandeur estime avoir établi à suffisance la réalité du risque d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Albanie en raison des agissements de son père, respectivement de l’existence d’un danger sérieux contre sa personne.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer les articles 129 de la loi du 29 août 2008, 3 de la CEDH ou 1er et 3 de la Convention des nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, Le juge, en remplacement du président de la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

15au fond, déclare le recours dirigé contre les trois décisions déférées manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande d’octroi du statut conféré par la protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juin 2021, par la soussignée, juge, en remplacement du président de la première chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45976
Date de la décision : 02/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-02;45976 ?

Source

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