Tribunal administratif N° 45925 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2021 Audience publique du 19 mai 2021 Recours formé par Madame …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45925 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2021 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 mai 2021 ;
Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1;
Vu la communication de Maître Louis TINTI du 11 mai 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;
Vu la communication du délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI du 12 mai 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le soussigné entendu en son rapport à l’audience publique du 12 mai 2021.
En date du 16 mars 2020, Madame …, introduisit, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par une consultation de la base de données EURODAC, il fut constaté que Madame … avait préalablement introduit des demandes de protection internationale en Grèce le 27 août 2019, et en Croatie le 28 janvier 2020.
En date du 18 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités croates en vue de la reprise en charge de Madame … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III demande qui fut refusée par les autorités croates en date du 31 mars 2020, en demandant aux autorités luxembourgeoises de prolonger le délai de réponse au motif que la procédure de détermination de l’Etat compétent avec la Grèce serait toujours pendante.
Par courrier du 2 avril 2020, les autorités luxembourgeoises sollicitèrent un réexamen de leur requête sur base de l’article 5, paragraphe 2 du règlement n°1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers.
En date du 18 mai 2020, les autorités croates acceptèrent la demande de reprise en charge concernant Madame ….
Le 28 juillet 2020, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 18 novembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre » informa Madame … qu’il va examiner sa demande de protection internationale du 16 mars 2020 sur base de l’article 29 (2) du règlement Dublin III.
Le 17 février 2021, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 7 avril 2021, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 13 avril 2021, le ministre résuma les déclarations de Madame … comme suit: « « En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 mars 2020, le rapport d'entretien Dublin Ill du 28 juillet 2020, ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 février 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il en ressort que vous déclarez vous nommer …, être née le … à …, être de nationalité marocaine et d'ethnie arabe. Vous auriez vécu dans la région … avec votre père, votre belle-
mère et votre fratrie et auriez travaillé dans une fabrique de poissons.
Vous ne faites état d'aucun motif de fuite lie au Maroc alors que « personnellement », vous n'auriez eu aucun problème au Maroc (p. 5 du rapport d'entretien).
Vous relatez être arrivée au Luxembourg en date du 13 mars 2020, accompagnée d'un dénommé …, alias …, un citoyen syrien avec lequel vous auriez fait connaissance sur internet pendant que ce dernier aurait résidé en Turquie. Le 17 juin 2019, vous auriez quitté le Maroc pour lui rendre visite en Turquie et, deux jours plus tard, vous vous y seriez mariés religieusement. Par la suite, au motif qu’… aurait perdu son autorisation de séjour turque, que sa liberté de circulation aurait été conditionnée à l'octroi d'une « Reiseerlaubnis, qu'il aurait été difficile d’y trouver un travail et qu’après trois mois, vous auriez dû y demander un titre de séjour coûteux, votre « époux » aurait conclu qu’il n'y aurait plus de « vie » pour vous en Turquie et que vous devriez partir pour l'Europe.
Le 27 août 2019, vous seriez arrivés en Grèce. Après un mois de séjour en Grèce et quatre mois en Serbie, vous auriez été interceptés par la police en voulant gagner la Slovénie et vous auriez été ramenés en Croatie, où vous avez introduit des demandes de protection internationale en date du 28 janvier 2020. Vous-même avez à cet effet fait usage d'une fausse identité en prétendant vous nommer …, être née le …, et être de nationalité syrienne. Après avoir passé deux semaines en prison en Croatie, vous auriez été amenés dans un camp, où vous seriez restés pendant un mois. Ensuite, au vu des mauvaises conditions de vie en Croatie, vous auriez gagné à pied la Slovénie, puis l’Italie avant de prendre le train pour gagner la France et finalement arriver au Luxembourg le 13 mars 2020.
Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu vous installer avec votre « époux » chez vous au Maroc étant donne qu'il serait très compliqué pour lui de fournir les documents demandés à cet égard, tel un passeport, au vu du prix demande par les autorités syriennes. A cela s’ajouteraient des problèmes d’intégration et de logement au Maroc, ainsi que des soucis liés au travail étant donne que vous-même auriez déjà éprouvé des difficultés à y trouver un emploi.
Vous ne présentez aucun document d’identité alors que ceux-ci se trouveraient chez des amis en Turquie. Dans le cadre de votre entretien Dublin Ill mené en juillet 2020, vous avez encore de manière volontaire affirmé pouvoir faire parvenir vos pièces d'identité aux autorités luxembourgeoises; or, contrairement à vos promesses, aucun document ou pièce d'identité n’a à ce jour été remis aux autorités. » Le ministre informa Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27(1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2021, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation 1) de la décision précitée du ministre du 7 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale – la demanderesse déclarant renoncer à sa demande en obtention du statut de protection subsidiaire, ce dont il échet de lui donner acte – et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur le refus d’une demande de protection internationale et sur l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître du recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation ainsi introduit.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique qu’elle n’aurait pas eu de problèmes particuliers dans son pays d’origine, mais qu’elle serait mariée à Monsieur …, de nationalité syrienne, qui aurait demandé la protection internationale au Luxembourg alors que la vie de celui-ci serait en danger en raison du fait qu’il refuserait d’être enrôlé dans l’armée régulière syrienne. Elle aurait communiqué les documents relatifs à son mariage au ministre. Son mari se serait vu notifier une décision d’irrecevabilité contre laquelle un recours aurait été déposé au tribunal administratif en date du 20 avril 2021, inscrit sous le numéro 45916 du rôle.
En droit, la demanderesse fait valoir que conformément aux points 1 et 2 de l’article 23 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive Qualification », les Etats membres veilleraient à ce que l’unité familiale puisse être maintenue et à ce que les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement ne rempliraient pas les conditions nécessaires pour obtenir une protection internationale pussent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35 de ladite directive, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela serait compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille. Il se dégagerait du dossier administratif que le mariage entre la demanderesse et Monsieur … serait à considérer comme « valable » alors qu’elle aurait présenté l’original de leur acte de mariage sans que l’authenticité de celui-ci aurait été remis en cause. La demanderesse conteste à cet égard qu’il s’agirait d’un mariage de complaisance alors que la demanderesse et Monsieur … vivraient ensemble et auraient un enfant commun, même si la paternité de celui-ci ne serait pas officiellement enregistrée. A cet égard, elle fait valoir que pour autant que Monsieur … se verrait octroyer le statut de réfugié politique, les effets de ce statut devraient être étendu à la demanderesse, le cas échéant, un titre de séjour en qualité de membre de famille devrait lui être accordé afin de préserver l’unité familiale. La demanderesse conclut que le soussigné devrait surseoir à statuer afin d’attendre le jugement à intervenir dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 45916 du rôle, et, le cas échéant, le jugement du tribunal administratif siégeant en formation collégiale.
S’agissant plus particulièrement de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sur le fondement du point a) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse conteste le recours à cette procédure dans la mesure où elle serait l’épouse d’un syrien qui risquerait des actes de persécution sinon des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 en raison du fait du refus de ce dernier de s’enrôler dans l’armée régulière syrienne. A cet égard, la demanderesse se prévaut d’un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) du 18 janvier 2018 intitulé « Syrie : procédure de recrutement de l’armée » duquel il résulterait que la police militaire contrôlerait les jeunes hommes en âge de servir en examinant notamment au sein des écoles et des universités si les jeunes hommes se seraient déjà annoncés auprès de leur bureau de recrutement.
Conformément à la loi militaire syrienne, les hommes refusant de servir risqueraient l’arrestation et une condamnation. Les déserteurs seraient parfois arrêtés au moment d’accomplissement de démarches administratives comme l’enregistrement de leur mariage, et une fois appréhendés, ils seraient remis à la police militaire qui les enverrait à un centre de recrutement, respectivement seraient recrutés de force. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), le refus de servir serait perçu comme un acte d’opposition et les déserteurs serait condamnés à des peines privatives de liberté plus ou moins longues. Ainsi, les jeunes hommes qui ne s’annonceraient pas endéans un délai de 30 jours risqueraient, en cas de situation de paix, une peine d’emprisonnement d’un an à six mois et seraient ensuite tenus d’effectuer leur service militaire. En temps de guerre, ils risqueraient une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les déserteurs absents depuis deux ans seraient jugés par contumace devant un tribunal et condamnés à des peines privatives de six mois à un an. Durant leur détention, les déserteurs risqueraient des actes de torture et d’autres formes d’abus.
En tant qu’épouse de Monsieur …, la demanderesse serait à considérer comme victime par ricochet et dès lors en droit de se prévaloir desdits actes de persécution personnels à son époux et devrait pouvoir se prévaloir du champ d’application de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. Elle conclut, en conséquence, à la réformation de la décision ministérielle déférée ayant statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et demande de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale conformément à l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015.
Quant à son recours en réformation dirigé contre la décision lui refusant une protection internationale, la demanderesse fait valoir que les faits d’espèce permettraient de retenir qu’ils relèveraient d’une gravité suffisante dès lors que le risque serait réel de la voir séparée de son époux pour cause d’incarcération dans le chef de ce dernier au cours de laquelle celui-ci risquerait des actes de torture qui de par leur gravité rentreraient dans le champ d’application de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015. Elle soutient encore qu’elle risquerait ainsi d’être victime de violences mentales qui seraient liées aux opinions politiques « réelles ou supposées » de son époux en raison du fait de son refus de servir pour conclure que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé le droit d’asile politique.
En ce qui concerne sa demande en obtention d’une protection subsidiaire, la demanderesse demande acte de ce qu’elle renonce à cette demande.
A l’appui de son recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire, la demanderesse invoque une violation du principe de non-refoulement, tel qu’inscrit à l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève » et à l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs de refus à la base des décisions déférées.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par la demanderesse à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
En ce qui concerne le moyen de la demanderesse selon lequel le ministre, par sa décision du 7 avril 2021, n’aurait pas tenu compte de l’unité familiale et aurait violé les points 1 et 2 de l’article 23 de la directive Qualification, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la définition de la notion de réfugié inscrite à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, qui vise la personne qui fait état de la crainte décrite audit article 2 f) et qui « se trouve hors du pays dont [elle] a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays », de celle de la personne pouvant prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire inscrite à l’article 2 g) de la même loi, qui fait référence au risque encouru si l’intéressé « était renvoyé dans son pays d’origine » et de celle de la notion de « pays d’origine » inscrite à l’article 2 p) de la même loi, qui vise le pays « dont le demandeur a la nationalité », - sauf l’hypothèse d’un apatride, qui ne se trouve cependant pas vérifiée en l’espèce -, que les craintes de persécutions ou d’atteintes graves qui sont à prendre en considération dans le cadre de l’examen du bien-fondé d’une demande de protection internationale sont celles qui se rapportent au pays dont le demandeur a la nationalité. A cet égard, il convient de relever que la demande de Monsieur …, d’origine syrienne, aurait dû être analysée par rapport aux craintes liés à la Syrie, et de celle de la demanderesse, de nationalité marocaine, aurait dû être analysée par rapport aux craintes liés au Maroc. Or le soussigné se doit de constater que le ministre a déclaré la demande de protection internationale de Monsieur … du 7 avril 2021 irrecevable sur base de l’article 28 (2) c) de la loi du 18 décembre 2015 dans la mesure où le Maroc a été considéré comme un pays tiers sûr dans son chef et a assorti cette décision d’une obligation de quitter le territoire à destination du Maroc.
La demanderesse quant à elle s’est vue refuser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, refus qui a été assorti d’une obligation de quitter le territoire à destination du Maroc, de sorte que le ministre a bien tenu compte de l’unité familiale dans le cadre de ses décisions précitées dans la mesure où l’ensemble de la famille devra quitter le Luxembourg vers le même pays à savoir le Maroc.
En ce qui concerne la demande de la demanderesse au soussigné de surseoir à statuer en attendant le jugement à intervenir dans le cadre du recours de Monsieur … inscrit sous le numéro 45916 du rôle, dans la mesure où, le cas échéant, le statut de réfugié politique pourrait être octroyé à ce dernier de sorte que la demanderesse puisse, en tant qu’épouse de Monsieur … et afin de préserver l’unité familiale, se faire accorder une autorisation de séjour, il convient de rappeler que le sursis à statuer constitue la possibilité pour le juge de suspendre le cours de l’instance dans l’attente d’une décision ou d’un événement susceptible d’avoir une influence ou des effets sur l’instance introduite devant lui.
Le soussigné estime qu’en l’espèce, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer dans la mesure où il ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation que le jugement à intervenir dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 45916 du rôle, soit susceptible d’avoir une influence sur le sort de la présente affaire, dans la mesure où le ministre a relevé qu’un renvoi éventuel de l’ensemble de la famille serait uniquement envisageable vers le Maroc et, même en cas d’annulation de la décision de Monsieur …, l’unité familiale sera maintenue.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur le point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Dans ce contexte, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
Concernant plus particulièrement ledit point a) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, force est de relever que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève ou sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Il y a ensuite lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance et que seuls les faits susceptibles d’être pris en compte dans le cadre de l’analyse de la demande de protection internationale sont ceux qui se sont déroulés au Maroc, qui est le pays d’origine de la demanderesse, étant donné que l’article 2, points f) et g) précité de la loi du 18 décembre 2015 ne prend en considération que les risques de subir des persécutions, respectivement des atteintes graves en cas de renvoi dans le pays dont le demandeur de protection internationale a la nationalité, respectivement dont il est originaire. Il s’ensuit que les moyens ayant trait à des évènements qui ont eu lieu dans des pays autres que dans son pays d’origine ne sauraient être pris en considération dans le cadre de la présente analyse.
En l’espèce, il ressort des déclarations de la demanderesse, telles qu’actées aux rapports d’audition, ainsi que de la requête introductive d’instance, qu’elle n’a pas eu de problèmes particuliers dans son pays d’origine et qu’elle l’a quitté afin de rejoindre Monsieur … en Turquie lequel elle avait rencontré sur un portail de rencontre en ligne, pour l’épouser religieusement deux jours plus tard. Au regard de ce qui précède et étant donné que Madame … ne fait état d’aucun traitement discriminatoire dont elle aurait été victime dans son pays d’origine, le soussigné est amené à constater que les faits ainsi invoqués ne sont manifestement pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, de sorte qu’elle ne peuvent pas justifier l’octroi du statut de réfugié.
Concernant la crainte de la demanderesse de persécutions en raison du fait qu’elle serait à considérer comme « victime par ricochet », dans la mesure où elle serait épousée à un syrien qui risquerait des actes de persécution sinon des atteintes graves en raison du fait qu’il refuserait de s’enrôler dans l’armée régulière syrienne, et qu’elle pourrait dès lors se prévaloir des actes de persécution personnels à son époux relevant du champ d’application de l’article 2, point f), force est toutefois de constater que, d’une part, le risque personnel de la demanderesse, de nationalité marocaine, d’être victime de tels actes de persécution n’est pas établi alors qu’il concerne que Monsieur …, et d’autre part, ni la demanderesse et ni Monsieur … n’ont été invité de quitter le territoire luxembourgeois en direction de Syrie. La même conclusion s’impose en ce qui concerne le risque invoqué par la demanderesse, « d’être victime de violences mentales […] liées aux opinions politiques réelles ou supposées de son époux » ainsi que le risque d’« être séparée de son époux pour cause d’incarcération dans le chef de ce dernier au cours de laquelle il risque des actes de torture ». Ainsi, contrairement à ce qui est affirmé dans la requête introductive d’instance, la demanderesse ne fournit manifestement aucun élément concret permettant d’établir une crainte réelle de subir des persécutions au sens des dispositions légales précitées.
Dans ces conditions, le soussigné est amené à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de refus d’accorder une protection internationale Il est donné acte à la demanderesse de sa renonciation à sa demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder une protection internationale à la demanderesse, force est de rappeler que le soussigné vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la demanderesse est restée en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre au statut de réfugié.
Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que la demanderesse ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et la demanderesse est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné, d’une part, qu’il vient d’être retenu que le recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale du demandeur est manifestement infondé et, d’autre part, que le refus ministériel d’octroi du statut de protection subsidiaire ne fait pas l’objet du présent recours, de sorte à être passé en force de chose décidée, un retour de la demanderesse dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, de sorte que le ministre a valablement pu assortir sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-
refoulement, tel qu’invoqué par la demanderesse.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 7 avril 2021 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Madame … dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
rejette la demande de surseoir à statuer ;
donne acte à la demanderesse qu’elle renonce à sa demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 2021 par le soussigné, Marc Frantz, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto.
s. Paulo Aniceto s. Marc Frantz Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 mai 2021 Le greffier du tribunal administratif 11