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06/05/2021 | LUXEMBOURG | N°45888

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2021, 45888


Tribunal administratif N° 45888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2021 Audience publique du 6 mai 2021 Requête en obtention d’une mesure provisoire introduite par la société anonyme A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics en présence des sociétés B, C, D, E et F en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45888 du rôle et déposée le 12 avril 2021 au greffe du tribunal administratif

par la société à responsabilité limitée MOLITOR AVOCATS À LA COUR SARL, établie et ayant ...

Tribunal administratif N° 45888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2021 Audience publique du 6 mai 2021 Requête en obtention d’une mesure provisoire introduite par la société anonyme A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics en présence des sociétés B, C, D, E et F en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45888 du rôle et déposée le 12 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée MOLITOR AVOCATS À LA COUR SARL, établie et ayant son siège social à L-2763 Luxembourg, 8, rue Sainte-Zithe, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 211810, représentée dans le cadre de la présente procédure par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, inscrit à l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de et à Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics du 31 mars 2021 ayant déclaré irrecevable l’offre de la requérante présentée pour les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31 de l’appel d’offres pour l’exploitation de services de transports publics par route « RGTR », ainsi que par rapport à la ou les décision(s) d’attribution des lots n° 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31 de l’appel d’offres à certains soumissionnaires concurrents, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics du 31 mars 2021 par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45889 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 16 avril 2021, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société anonyme B, établie et ayant son siège social …, à la société anonyme C, établie et ayant son siège social à …, à la société à responsabilité limitée D, établie et ayant son siège social à … ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MULLER, demeurant à Diekirch, du 16 avril 2021, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société anonyme E, établie et ayant son siège social à …, ainsi qu’à la société anonyme F, établie et ayant son siège social à…;

Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries déposée le 29 avril 2021 par Maître Vincent WELLENS pour l’Etat ;

Vu la note de plaidoiries déposée le 29 avril 2021 par Maître François PRUM pour la société anonyme C ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Maître Jacques WOLTER, pour la requérante, ainsi que Maître François PRUM, assisté de Maître Lionel SPET, pour la société anonyme C, Maître Alain RUKAVINA, pour la société anonyme B, et Maître Vincent WELLENS, assisté de Maître Maxime VANDERSTRAETEN, avocat inscrit au Tableau du barreau de Bruxelles, représentants de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG SARL, pour l’Etat, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 avril 2021.

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Par avis de marché du 10 septembre 2020, le ministère de la Mobilité et des Travaux Publics, département de la Mobilité et des Transports, annonça l’ouverture d’une procédure d’appel d’offre pour l’exploitation de services de transports publics par route « RGTR » déterminés en 32 lots contenant à chaque fois différentes lignes régionales, locales ou expresses.

La société anonyme A ainsi que d’autres entreprises de transport de personnes déposèrent des offres, lesquelles furent ouvertes en public en date du 8 décembre 2020. Il s’avéra à cette occasion que la société anonyme A, ci-après « la société A » avait remis des offres avec le prix le plus réduit pour les lots 2, 4, 25, 28 et 31.

Par courrier électronique du 3 février 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics s’adressa à la société A pour relever des erreurs arithmétiques au sein de son offre relative aux lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31, ledit courrier étant libellé comme suit :

« (…) 1. Après une analyse approfondie de votre dossier, mes services ont pu constater des erreurs arithmétiques dans le calcul de vos offres pour les lots sous rubrique.

En particulier, la somme des tarifs horaires pour le personnel multipliés par les heures commerciales à prester ne correspond pas à la somme totale indiquée dans chacun des bordereaux pour les lots 2-3-4-12-18-25-28-31.

Conformément à l’article 81 (1) du Règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics; tel que modifié (Règlement MP), si le total ne correspond pas aux prix unitaires, ce sont les prix unitaires qui font foi. Dès lors, tous les prix totaux de vos neuf offres ont été recalculés en fonction des éléments que vous avez fournis dans vos offres, tant pour le prix kilométrique, que pour le prix horaire du personnel.

Conformément à l’article 81(2) du Règlement MP, je vous prie de trouver en annexe les bordereaux rectifiés et de me faire part par écrit de vos éventuelles observations après contrôle dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la présente.

2 A noter qu’en procédure ouverte comme en l’espèce, il n’est pas possible de vous donner l’opportunité de modifier les prix unitaires, car cela aboutirait à la présentation d’une offre nouvelle et violerait le principe d’égalité de traitement (art. 80(2) du Règlement MP).

2. Au vu des corrections effectuées, les montants corrigés semblent bas. Conformément à l’article 38 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, je vous invite également à me fournir par écrit, dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la présente, une analyse des prix unitaires proposés ou tous documents se rapportant à l’établissement de ces prix.

J’attire votre attention sur le fait que vous ne pouvez vous limiter, pour justifier un prix, à la seule référence au prix d’un sous-traitant ou d’une entité auquel vous faites recours augmenté d’une marge bénéficiaire. Le recours à la sous-traitance ou aux capacités d’une autre entité ne peut à lui seul constituer une explication quant au calcul du prix. Vous devez dans ce cas justifier les prix y relatifs.

Je vous signale enfin qu’en cas d’absence de réponse de votre part dans le délai imparti ou en cas de modification de vos prix unitaires, votre offre sera considérée comme irrégulière et sera écartée d’office. (…) » La société A prit position y relativement par courrier du 17 février 2021 en expliquant en substance que les tarifs horaires du personnel de conduite auraient été faussés par une malencontreuse erreur matérielle, ladite prise de position étant libellée comme suit :

« (…) Nous faisons suite à votre courrier reçu par voie électronique le 3 février 2021.

Nous contestons fondamentalement votre conclusion à une erreur arithmétique dans les tarifs horaires des lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31 mais nous concédons en effet qu’une erreur matérielle s’est glissée lors de la transcription dans les bordereaux.

Nous vous confirmons pour tous les lots que le « Total Annuel » soumis (tableau page 2 du bordereau de soumission), est correct et correspond à nos calculs sur la durée du contrat respectif. Par conséquent le « prix par an pour le personnel mobile » est aussi correct. Il est basé sur les besoins en personnel de conduite par têtes (ETP), en tenant compte des plans journaliers et d’une planification minutieuse des rotations (schémas hebdomadaires) ainsi que du facteur de productivité (congés, maladies et autres absences).

Ainsi, le coût du personnel mobile indiqué dans « I. décomposition du prix total, prix horaire pour le personnel mobile » représente la dépense nécessaire au bon fonctionnement et à la garantie de la continuité du trafic dans chaque lot, en tenant compte des paramètres susmentionnés (repos journalier et hebdomadaire du personnel du conduite et planification minutieuse de la rotation).

En réponse à votre courrier susmentionné il nous importe donc d’abord d’expliquer l’erreur qui s’est glissée dans nos calculs et ensuite nous vous exposons notre analyse des prix.

Notre méthodologie a été de déterminer les coûts totaux du service pour la durée du contrat comme décrit dans le cahier des charges. Pour remplir le tableau de la page 5 du bordereau „prix horaire pour le personnel de conduite" nous avons appliqué une méthode de 3 répartition du coût global, et c’est dans ce processus qu’une erreur de transposition d’une cellule Excel à une autre a été commise.

Explication de l’erreur contenue dans les bordereaux des lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31 L’erreur qui a été commise concerne les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31.

Le lot 24 ne comporte pas d’erreur et il nous sert d’exemple dans nos explications.

L’erreur se trouve dans les valeurs unitaires (« tarif horaire ») que nous avons transcrites à partir de notre tableau Excel dans le tableau du bordereau en page 5 « Prix horaires pour le personnel de conduite ». Le total de cette rubrique « Total annuel pour le lot » est correct et correspond à notre coût réel, et nous allons l’expliquer.

L’erreur détectée est une erreur matérielle de transposition de nos prix totaux vers les prix unitaires « tarif horaire ».

Pour illustrer nos propos, nous nous référons au lot 24 et au lot 02.

Sachant que les bordereaux des lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31 comportent tous la même erreur de transcription, nous vous fournissons des tableaux rectifiés et des bordereaux corrigés sur tous les lots concernés.

Pour tous ces lots, nous vous fournissons les tableaux suivants chaque fois en deux pages PDF :

 Le tableau original ayant servi de base à la transcription de l’offre du lot 24 correct.

 Le tableau original ayant servi de base à la transcription de l’offre du lot 02 erroné.

 Le tableau « squelette » (c.-à-d. les formules reprises dans le tableau Excel) du lot 24 correct  Le tableau « squelette » (c.-à-d. les formules reprises dans le tableau Excel) du lot 02 erroné.

 Le tableau pour le lot 02 corrigé  Le tableau « squelette » du lot 02 corrigé.

 Les tableaux erronés pour les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31  Les tableaux corrigés pour les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31  Les bordereaux corrigés des lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31 Pour expliquer notre erreur, nous devons retracer avec vous la construction du tableau qui est à la base de notre offre.

Sur la deuxième page de nos bordereaux, vous trouvez la rubrique « Décomposition du prix total » dans laquelle nous avons établi pour chaque lot, les calculs sur la totalité de notre offre.

Les deuxièmes pages des bordereaux de tous les lots sont justes et ne comportent ni omission ni erreur.

4 Sur la cinquième page de nos bordereaux, nous avons fait des calculs particuliers pour renseigner les tarifs horaires par plage horaire du tableau « Prix horaires pour le personnel de conduite ».

Le « tarif horaire » se compose :

 des coûts moyens des salaires des équipes affectées aux lignes qui sont rassemblées dans un lot,  auxquels nous appliquons un facteur qui est le facteur de productivité des postes occupés et nous ajoutons un supplément horaire qui permet de prendre en compte les trajets à vide et les coûts divers de formation, de recrutement, d’équipement des chauffeurs etc, coûts indirects ainsi qu’une marge bénéficiaire.

Par exemple pour le Lot 24, le « tarif horaire » pour un jour ouvrable est le prix de base de …€ (en considération de l’ancienneté moyenne du personnel roulant prévu sur ce lot augmenté des charges patronales) x … (Facteur de productivité) + la valeur de la position K78 (supplément horaire).

La position K78 est un supplément horaire, elle contient les frais de personnel de conduite restants qui doivent être imputés aux tarifs horaires (les coûts divers de formation, de recrutement, d’équipement des chauffeurs etc, coûts indirects ainsi qu’une marge bénéficiaire).

K78 est le résultat d’une répartition du montant total du surcoût sur chaque tarif horaire. La répartition se fait par division du montant total du surcoût en position K77 par le nombre total d’heures de service commercial à prester dans une année (position E83). Ce calcul sert à reporter le surcoût des frais non-productifs et de la marge bénéficiaire, sur toutes les heures qui sont à prester.

La position H40 est reportée par une formule en H77. La position I77 calcule le cumul des totaux par plage de H69 à H76.

La différence entre H77 et I77 est calculée automatiquement en J77. C’est le surcoût à répartir encore.

Le montant total du surcoût est repris manuellement depuis la position J77 à la position K77. Il était prévu d’avoir une reprise manuelle de J77 sur K77 et faute d’attention cette reprise manuelle a été omise sur les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31.

Dans le tableau à la page 2 du document « Lot 24 tableau original », vous voyez que le montant importé dans la position K77 est de ….-€. Le tableau calcule ensuite (dans la position K78) le supplément horaire qui est reporté dans la colonne des tarifs horaires, ici ….-€.

Dans le tableau à la page 2 du document « Lot 02 tableau original », vous voyez que la position K77 n’est pas remplie. Cela fait que le tableau ne calcule pas en K78 le supplément horaire et c’est donc le résultat 0 qui est reporté dans la colonne des tarifs horaires. La conséquence est que la différence entre H77 et I77 est restée à ….-€.

Nos annexes « Lot 24 tableau original - squelette » et « Lot 02 tableau original -

squelette » montrent le chemin que prennent les chiffres dans le tableau. Ces tableaux sont générés avec la fonction de Excel nommée « formules - afficher les formules - Repérer les antécédents » 5 Dans « Lot 24 tableau original-squelette », vous voyez les cheminements suivants :

 la flèche verticale de H40 à H77 qui montre que la position H77 n’est pas le total de H69 à H76 mais bien un montant de contrôle repris du tableau des prix totaux de la première page ;

 la flèche verticale dans K77 qui montre que le montant est utilisé dans le calcul en K78 ;

 la flèche diagonale de E83 sur K78, qui montre que E83 entre dans le calcul en K78  les flèches diagonales de K78 sur la colonne D69 à D76 qui indiquent que les cellules D69 à D76 viennent chercher le contenu de K78  la formule de la position I77 qui est la somme de H69 à H76  la formule de la position J77 qui est la différence entre H77 et I77.

Dans « Lot 02 tableau original -squelette », vous voyez que la position K77 est vide de sorte qu’il n’y a pas de valeur à reporter de K78 à D69 à D76.

La position 377 était censée avoir les deux fonctions :

 indiquer à l’opérateur du tableau quel était le montant à reporter manuellement sur K77 et  si, après report, elle était à 0,00.-€, indiquer que le tableau avait fait les calculs justement et que le total « Prix horaires pour le personnel de conduite » contenait toutes les positions liées.

Dans le tableau « Lot 24 tableau original » cette position J77 est de 0.-€ parce que l’opérateur qui a établi le tableau, a introduit manuellement le surcoût dans la position K77 comme prévu.

Dans le document « Lot 02 tableau original erroné », cette position I77 est à ….-€ (soit le total des surcoûts du Lot 02) parce que l’opérateur qui a établi le tableau, n’a pas introduit le surcoût dans la position K77.

La position I77 étant le total de la colonne H69 à H76, il s’agit de la somme que vous avez calculée et qui vous a fait demander des explications.

L’erreur de transcription qui a été faite dans les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28, 31 est de ne pas avoir inscrit le montant de la différence J77 dans la position K77.

L’erreur dans le tableau « Prix horaires pour le personnel de conduite » est due à une erreur de transcription sur le tableau secondaire des prix unitaires.

Nous estimons que notre offre est à considérer comme étant valable alors que le total de l’offre correspond bien à nos calculs. L’erreur matérielle n’a pas de conséquence sur le prix total de notre offre.

Il n’existe pas d’erreur arithmétique au sens de l’article 81(1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018. L’erreur arithmétique est l’erreur d’addition ou de multiplication, c’est-à-dire un faux calcul ».

6 Une erreur matérielle se définit comme « l’erreur qui résulte d’un défaut d’attention et qui n’est pas de nature à affecter la base des calculs nécessaires à la soumission » respectivement, comme il est précisé par la jurisprudence, « l’oubli de computer certaines données chiffrées lors d’une opération de calcul et, plus particulièrement, le fait de ne pas prendre en compte l’ensemble des postes de fournitures et de travaux composant le marché lors du calcul du prix total d’une soumission, s’il vicie le résultat de l’opération de calcul, il ne constitue pas pour autant une erreur arithmétique mais une simple erreur matérielle. » (TA 21-2-01 (12238); TA 11-3-13 (28881 et 29579); TA 27-4-16 (35919); TA 27-4-16 (35919)), A fortiori, le fait pour nous de ne pas avoir pris en compte un poste de frais qui ne vicie pas le résultat de l’opération de calcul, n’est pas une erreur qui atteigne la validité de l’offre.

Analyse des prix :

Nous vous fournissons aussi pour chaque lot, en annexe, une analyse de prix.

Nous estimons que la nécessité de l’analyse des prix n’est pas donnée puisque nous prouvons que notre offre est cohérente et conforme aux prix repris dans le tableau à la page 2 de notre bordereau.

Néanmoins nous vous livrons nos analyses des prix pour chaque lot.

Ces tableaux sont tous construits de la même façon et contiennent tous les mêmes postes calculés ; les rubriques sont :

 Carburants/Electricité  Autres consommables  Matériel roulant  Prix pour le personnel mobil (sic) par an  Prix pour le personnel sédentaire par an Dans les rubriques, nous avons indiqué aussi les sous-rubriques. Celles-ci sont composées de différents postes dont nous avons mis une liste indicative entre parenthèses.

Ce tableau récapitulatif est basé sur un tableau Excel détaillé que nous tenons à votre disposition si vous estimiez nécessaire de consulter les détails de chaque position.

Le prix pour le personnel mobile par an comprend trois grandes parties. Ce sont les blocs : 1) Les coûts salariaux des chauffeurs (Fahrerlohnkosten), 2) les coûts indirects (Indirekte Kosten) entre autres les frais de formation, équipement etc, et 3) les frais avancés ainsi que la marge bénéficiaire. Nous fournissons également une analyse de prix détaillée des coûts salariaux des chauffeurs pour chaque lot, où vous retrouvez le détail du calcul du premier bloc (Lot x Fahrerlohnkosten).

Ainsi nous établissons que nos offres contiennent tous les postes de frais à considérer pour établir une offre sérieuse et équilibrée.

Nous concluons à la conformité à la réglementation en vigueur en matière de marché publics de nos offres pour les lots 02, 03, 04, 12, 18, 25, 28 et 31 et demandons expressément au pouvoir adjudicateur de bien vouloir considérer les bordereaux de prix corrigés ci-joint. (…) » 7 Par décision du 31 mars 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics, ci-après « le ministre », ne tint pas compte des explications de la société A et écarta son offre relative aux lots 2 (Ettelbruck - Diekirch - Vianden), 3 (Luxembourg - Redange), 4 (Ettelbruck Wiltz), 12 (Ettelbruck - Redange - Arlon), 18 (Clervaux - St Vith), 25 (Grevenmacher - Echternach), 28 (Nordstad) et 31 (Diekirch - Echternach - Junglinster - Grevenmacher), ladite décision étant motivée comme suit :

« (…) 1. J’accuse bonne réception de votre courrier du 17 février 2021, répondant à notre courrier du 3 février. Vous y indiquez en substance qu’il n’y aurait pas d’erreur arithmétique dans les tarifs horaires des lots 2, 3, 4, 12, 18, 25, 28 et 31. En revanche, vous prétendez avoir commis une erreur matérielle lors de la transcription de ces tarifs dans les bordereaux, erreur dont vous sollicitez la correction.

2. Malheureusement, je ne peux faire droit à votre argumentation en raison du principe de l’immutabilité de l’offre, qui implique qu’aucune offre ne peut être modifiée après ouverture.

Ce principe se déduit de plusieurs dispositions :

 l’article 83 (1) du Règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics (ci-après « le Règlement ») , aux termes duquel "Il n’est pas tenu compte des changements et additions proposés par les soumissionnaires après l’ouverture des soumissions" ;

 l’article 63 du Règlement, qui prévoit que les offres non conformes ne sont pas prises en considération (ce que la jurisprudence interprète non pas comme une faculté, mais comme une obligation dans le chef du pouvoir adjudicateur ; entres autres TA, 13 novembre 2020, n° 45149) ;

 les clarifications ou précisions que le pouvoir adjudicateur peut demander à un soumissionnaire ne peuvent pas aboutir à la présentation, par le soumissionnaire concerné, d’une offre nouvelle (article 80 du Règlement).

La Cour administrative a par ailleurs rappelé que "la rigueur au niveau des indications par les candidats dans les bordereaux de soumission est la garantie nécessaire et incontournable d’une mise en concurrence loyale et d’un traitement égalitaire des opérateurs économiques, principes qui ne laissent pas de place des suppositions et autres risques d’arbitraire et de distorsion de la concurrence. Il incombe en effet principalement aux soumissionnaires - censés être des professionnels et spécialistes en la matière - de veiller à remplir les bordereaux de soumission avec précision et rigueur, tout comme il leur appartient de fournir d’emblée au pouvoir adjudicateur toutes informations et documentations pertinentes.

(…) s’en dégage une non-conformité manifeste (…) que les pouvoirs adjudicateurs se devaient de sanctionner, sans aucune possibilité de régularisation, aussi compréhensibles ou louables que puissent avoir été les intentions des décideurs" (CA, 8 mai 2018, n° 40528C).

3. Les seules exceptions au principe de l’immutabilité des offres sont limitées au redressement d’erreurs matérielles ou arithmétiques (CA, 8 mai 2018, n° 40528C).

L’article 81 du Règlement concerne les erreurs arithmétiques et vise expressément l’hypothèse, dans laquelle nous nous trouvons, où un "total ne correspond pas aux prix unitaires", auquel cas ces derniers font foi.

4. Outre la correction des erreurs arithmétiques, la jurisprudence reconnaît l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de redresser les erreurs matérielles. L’erreur matérielle visée par 8 cette obligation est néanmoins celle qui "apparaît de manière manifeste au moment de l’examen des offres" (TA, 19 juin 2019, n° 39736a).

La Cour de justice de l’Union européenne a elle aussi jugé que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence s’opposent à toute négociation entre le pouvoir adjudicateur et un soumissionnaire, ce qui implique que l’offre ne peut pas être modifiée après son dépôt, sous réserve de la correction ponctuelle de l’offre nécessitant "à l’évidence" une simple clarification ou contenant des erreurs matérielles "manifestes" (entre autres : CJUE, 28 février 2018, C-523/16 et C-536/16).

En l’espèce, à la lecture des explications contenues dans votre courrier du 17 février 2021, il apparaît que l’erreur que vous avez éventuellement commise ne présentait aucun caractère "manifeste au moment de l’examen des offres". Mon équipe n’aurait en effet pas pu, à la lecture de vos offres, comprendre la nature de l’erreur commise, et encore moins la corriger sans explications complémentaires de votre part.

L’absence de caractère manifeste de l’erreur commise se déduit notamment des longues explications comprises dans votre courrier du 17 février, qui se réfère par ailleurs à de multiples annexes, et en particulier à des tableaux Excel, et aux formules sous-jacentes à certaines cases de ces fichiers Excel.

Il ne saurait donc être question d’une erreur matérielle manifeste que mon équipe aurait pu détecter à la lecture de vos offres.

5. Dans votre courrier du 17 février, vous indiquez par ailleurs que l’erreur matérielle commise n’a pas de conséquence sur le prix total de vos offres.

6. Néanmoins, le marché n’est pas conclu de manière forfaitaire. Le montant total de l’offre sert certes à la comparaison des offres, mais ce sont les prix unitaires du bordereau qui serviront à déterminer le montant des prestations mensuelles et annuelles, par application des quantités de service réellement exécutées (dossier de soumission, A.6.3). Les corrections que vous voulez voir appliquer auraient donc un impact sur le prix d’exécution du marché.

C’est d’ailleurs également la raison pour laquelle l’article 81 du Règlement (relatif aux erreurs arithmétiques) distingue l’hypothèse d’une discordance entre le total (non forfaitaire) et les prix unitaires (ces derniers faisant foi) de celle d’une discordance entre le prix forfaitaire et les prix unitaires, le prix forfaitaire faisant alors foi.

6. Dès lors, je suis au regret de vous informer que vos offres pour les lots sous rubrique ont été jugées irrégulières et ont dû être écartées en application de l’article 80 paragraphes (1) et (2) du Règlement, car l’application des corrections que vous sollicitez aboutirait à la présentation d’offres nouvelles.

Conformément aux dispositions de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession, telle que modifiée, vous disposez d’un délai de dix jours à compter du lendemain du jour de l’envoi de la présente par le biais du Portail des marchés publics pour introduire un recours en suspension de l’exécution de la décision d’attribution des différents lots auprès du Président du Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg par une procédure en référé.

9 Passé ce délai, la décision d’adjudication du marché de même que la décision de ne pas retenir vos offres pour les lots sous rubrique peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg dans un délai de trois mois à partir de la date de notification du présent courrier. Le recours doit être introduit par un avocat à la Cour. (…) » Par arrêtés du 31 mars 2021, le ministre adjugea les différents lots litigieux aux sociétés B, C, D, E et F.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2021, inscrite sous le numéro 45889 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre du 31 mars 2021 et des décisions corrélatives d’attribution à un concurrent des lots en question. Par requête séparée déposée concomitamment le même jour, inscrite sous le numéro 45888 du rôle, la société A sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.

Les sociétés E et F, quoique valablement informées par la signification de la requête en sursis à exécution et dûment convoquées pour l’audience du 30 avril 2021, ne se sont pas fait représenter. Nonobstant ce fait, le soussigné statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision de rejet risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

La société A, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, fait valoir que la décision ministérielle ayant écarté son offre serait susceptible d’engendrer des conséquences extrêmement graves sur sa propre situation personnelle, mais encore plus largement sur le secteur des transports par bus au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle relate d’abord que du fait de la décision déférée, l’écartant du marché en question, elle serait exposée à une perte de marché auquel elle aurait pu légitiment prétendre puisqu’elle se serait trouvée en mesure de présenter la meilleure offre du marché.

Or, à défaut de suspension de la décision de rejet, un autre opérateur se verrait accorder le marché correspondant et le contrat afférent serait signé avec celui-ci, ce qui consommerait la perte définitive du marché.

Elle estime encore qu’en l’état actuel de la législation, son préjudice grave et définitif devrait être considéré comme donné « par essence même ».

Elle expose ensuite faire partie d’un groupe de transport à savoir le groupe A comportant notamment deux autres compagnies de bus, à savoir G et H et que dans l’hypothèse de son exclusion totale du marché public litigieux, tant sa survie que celle des autres deux sociétés se verrait compromise, alors que les activités de transport routier « RGTR » représenteraient un pourcentage important du chiffre d’affaire desdites sociétés, à savoir en ce qui la concerne pour l’année 2020 environ 59 % de son chiffre d’affaires.

10 Elle affirme encore que si la décision déférée devait être maintenue, le groupe A sera contraint d’arrêter complètement ses activités de transports en commun, faute de pouvoir entretenir sa flotte pour les autres services de transport proposés (ex : écoles, remplacement des trains, etc.), ce qui impacterait ses pertes prévisibles de chiffre d’affaires dans des proportions encore plus importantes que celles visées ci-dessus.

Elle affirme par ailleurs que « les soumissionnaires » auraient fait de lourds investissements dans leur infrastructure afin de pouvoir satisfaire aux critères de sélection, de sorte que la restriction du nombre d’acteurs pour l’exécution du marché public en question aurait des conséquences indirectes délétères sur la mise en service même des lignes de bus visées par les lots, notamment en termes d’infrastructure, de matériel et de personnel.

Dès lors, la décision de rejet aurait non seulement un impact sur la situation des soumissionnaires, mais elle déstabiliserait encore plus généralement le marché du « RGTR », la société A affirmant qu’une perte des prestataires du groupe A , comptant … salariés, et du groupe I, comptant … employés et … autocars, engendrerait une implosion qui créera de facto un besoin important dans le chef des futures entreprises adjudicatrices, besoin que la société A considère que les entreprises adjudicatrices ne pourraient pas couvrir avant de longs mois, de sorte que le vide dans les ressources disponibles en résultant perturberait les services intermittents comme les écoles, le transport de personnes handicapées, le service de remplacement des chemins de fer, etc..

La société requérante affirme encore que les futurs adjudicataires ne pourraient pas adapter leur structure de service en déléguant à de nouveaux sous-traitants alors que cette pratique serait interdite tant par la loi que le règlement sur les marchés publics, ce qui aurait d’ailleurs été confirmé par le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics dans une question préalable posée par un candidat, la société A doutant plus particulièrement que les futurs adjudicataires aient les capacités financières de faire les investissements dans leurs propres structures pour les lots où ils sont les mieux-disant et en plus pour les lots des offrants rejetés.

Aussi, elle considère qu’il serait d’ores et déjà certain que si deux entreprises importantes du marché luxembourgeois, à savoir le groupe A et le groupe I, devaient arrêter leurs activités, les lots qui seront attribués aux concurrents ne pourraient pas être desservis selon les prévisions du cahier des charges au début de l’année 2022.

La société A estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler la respectivement les décisions querellées.

A cet égard, elle considère que la décision de rejet de son offre, respectivement les décisions d’adjudication, devraient encourir l’annulation, la société A estimant que le ministre se serait livré à une interprétation erronée des articles 80, 81 et 83 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et qu’il aurait méconnu les critères d’attribution du dossier de soumission et aurait violé l’article 146 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Enfin, plus généralement, elle estime que le ministre se serait rendu coupable d’un manquement au principe général de bonne foi et d’une erreur d’appréciation manifeste.

Factuellement, la société A expose que la décision déférée reposerait sur le postulat erroné que l’erreur commise par elle constituerait une erreur arithmétique et non une erreur 11 matérielle, faisant fi des critères d’adjudication du marché public et du caractère manifeste de l’erreur matérielle. Sur cette base, et alors même que le ministre aurait reconnu le caractère anormalement bas des prix affectés par l’erreur matérielle, la société requérante reproche au ministre d’avoir rejeté toute rectification de son offre introduite, en pleine violation des principes de loyauté et de bonne foi gouvernant l’examen des offres ainsi que des dispositions de l’article 146 de la loi du 8 avril 2018.

La société A reproche ainsi plus particulièrement au ministre d’avoir invoqué l’erreur arithmétique et d’avoir recalculé le montant total des offres en considération des dispositions de l’article 81(1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, la société requérante soutenant, en substance, que la discordance constatée entre le montant total de l’offre et la somme des prix unitaires ne constituerait pas nécessairement une simple erreur arithmétique, mais qu’il se serait agi en l’espèce d’un erreur arithmétique apparente constituant une erreur matérielle.

En effet, il s’agirait d’une erreur dans le tableau « Prix horaires pour le personnel de conduite », due à une erreur de transcription sur le tableau secondaire des prix unitaires ; l’erreur résulterait ainsi d’un oubli de computation, dû à un défaut de report manuel du montant total du surcoût, ce montant n’apparaissant donc pas dans le tableau de prix unitaires, alors qu’il aurait été bien appliqué pour l’obtention du total de l’offre, ce dernier étant juste.

La société A soutient qu’une telle erreur constituerait une erreur matérielle et non une erreur arithmétique, l’absence de corrélation entre les tarifs horaires et le prix annuel total n’étant pas le résultat d’un mauvais calcul mais d’une erreur matérielle sous-jacente.

La société requérante reproche ensuite au pouvoir adjudicateur d’avoir retenu que l’erreur matérielle ne saurait être reconnue en l’espèce dans la mesure où elle n’apparaitrait pas de manière manifeste à l’examen de l’offre et ne ressortirait pas avec évidence de la seule lecture du bordereau de soumission, alors qu’elle estime au contraire que le seul constat d’incohérence entre les prix unitaires et le prix global de l’offre serait suffisant pour caractériser l’erreur matérielle, la société requérante considérant encore que contrairement aux affirmations du ministre, ses services auraient été parfaitement conscients de l’erreur, puisqu’ils auraient immédiatement relevé le caractère anormalement bas des offres corrigées sur base des tarifs horaires erronés, ce qui tendrait à démontrer que les prix unitaires avancés pour les incriminés ne pouvaient être raisonnablement considérés comme des prix corrects.

Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur aurait également disposé de sa soumission portant sur le lot 24 du marché public, non frappé d’erreur, de sorte que les services du ministère, par comparaison entre le Lot 24 non frappé d’erreur et les lots dont les offres étaient erronées, ne pouvait pas se méprendre sur le caractère erroné des tarifs horaires annoncés, le Lot 24 comportant un prix unitaire majoré d’un montant approximatif de ….- euros par rapport aux prix ayant fait l’objet d’un défaut de report des coûts divers et de la marge bénéficiaire.

La société requérante estime encore que comme antérieurement, c’est-à-dire avant l’appel d’offres litigieux, le ministère aurait rémunéré les exploitants sur base d’une méthodologie et d’un barème défini par ses propres services, il aurait une parfaite connaissance de l’ordre de grandeur d’un prix horaire moyen pour le personnel mobile d’un transporteur et des coûts encourus au-delà des seules heures de voyage.

La société A expose ensuite, sur base du cahier spécial des charges du marché public en question que nonobstant l’indication figurant à l’article A.6.3 du cahier spécial des charges 12 du marché public, tel qu’invoqué par le ministre, selon laquelle le marché public est placé sous le régime de l’offre à prix unitaires, le prix total annoncé par les soumissionnaires pour un lot donné aurait été seul déterminant au regard des critères d’attribution définis dans le cahier des charges. A tout le moins, à supposer même que le prix total n’ait pas été prépondérant, le tarif horaire ne pouvait nullement prévaloir en cas d’incohérence, de sorte qu’elle aurait dû être autorisé à l’erreur constatée afin de redonner à l’offre sa teneur réelle, la société A soulignant que la rectification proposée ne changerait rien ni au prix total de l’offre ni au « Total annuel pour le lot » du tableau « Prix horaire pour le personnel de conduite » puisque ces chiffres auraient été inscrits manuellement à partir des bonnes rubriques et ne seraient pas des déductions des chiffres transcrits dans les tableaux de l’offre.

La société A considère encore que le pouvoir adjudicateur aurait violé son obligation de rectification de l’offre, la société requérante faisant plaider que le principe de l’immutabilité des offres après l’ouverture des soumissions connaîtrait en effet une exception permettant la régularisation des offres affectées d’une erreur matérielle, à condition qu’un adjudicateur ne soit pas ainsi favorisé.

A cet égard, elle estime qu’aucun élément ne permettrait d’établir que la demande de clarification n’aurait pas été adressée de la même manière aux autres soumissionnaires se trouvant dans une situation comparable à celle de la Requérante, tandis que tous les points nécessitant clarification auraient bien été portés à sa connaissance et qu’elle-même, inversement, aurait bien clarifié l’ensemble des points ayant suscité des interrogations de l’adjudicateur, à savoir les montants des tarifs horaires du personnel mobile.

Elle estime encore que les rectifications opérées n’aboutiraient pas à une nouvelle offre puisque le prix global de l’offre, en tant que critère d’adjudication, resterait inchangé.

Enfin, elle considère qu’aucun soumissionnaire ne pourrait raisonnablement conclure à ce que elle-même, en tant qu’opérateur économique, aurait pu être indûment favorisée, et ce précisément car l’ensemble des soumissionnaires avait connaissance des prix proposés par elle depuis la publication du procès-verbal d’ouverture des offres, lesquels resteraient identiques suite à la correction de l’erreur matérielle.

La société A fait ensuite plaider que la correction d’une erreur matérielle portée à la connaissance de l’entité adjudicatrice ne constituerait pas une faculté, mais une véritable obligation à laquelle cette dernière est tenue au regard des principes de loyauté et de bonne foi.

A cet égard, elle conteste que le pouvoir adjudicateur puisse se retrancher derrière le fait que le marché en cause serait à prix unitaires et ignorer la réalité globale de l’offre, et ce à plus forte raison en l’espèce où ce serait bien le prix total qui prévaudrait comme critère d’adjudication selon les termes du dossier de soumission.

La société A au titre de son pénultième moyen, considère que le ministre aurait violé son obligation de rectification au titre des obligations prévues à l’article 146 de la loi du 8 avril 2018, en soutenant, en résumé, que comme cette disposition prévoit une possibilité de justification en cas d’offre anormalement basse, si les explications apportées par le soumissionnaire apportent une réponse satisfaisante au niveau anormalement bas des prix, le pouvoir adjudicateur ne pourrait pas rejeter l’offre.

13 Enfin, la société A conclut à l’aune de ses précédents moyens que la décision de rejet entreprise se fonderait sur des considérations de fait et de droit manifestement erronées, puisqu’elle aurait valablement pu justifier ses prix par son courrier du 17 février 2021, en apportant les corrections nécessaires aux tarifs horaires, sans modifier la teneur de son offre, de sorte qu’il conviendrait de considérer que les prix proposés par elle ne seraient pas anormalement bas mais bien les mieux-disants.

La partie gouvernementale, pour sa part, soulève d’abord l’irrecevabilité ratione materiae de la requête en obtention d’un sursis à exécution pour avoir été adressée au tribunal siégeant en composition collégiale.

Elle s’oppose ensuite à l’argumentation contenue dans la requête en obtention d’un sursis à exécution en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, la partie défenderesse contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société A.

La société A invoque à la base de ses prétentions l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ainsi que l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 en question dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 », tandis que l’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit : « La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés. Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».

Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.

14 Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill1.

Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19992, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.

Il est en l’espèce constant en cause que le respectivement les contrats avec les soumissionnaires retenus n’ont pas encore été signés, de sorte que le droit commun reste d’application.

Or, en vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

Une première conclusion s’impose au vu de l’article 11, (3) de la loi du 21 juin 1999 :

une demande de sursis à exécution est à présenter par requête distincte au président du tribunal qui a une compétence exclusive pour statuer sur lesdites demandes. Il s’ensuit qu’une demande de sursis adressée à la formation collégiale du tribunal administratif doit entraîner une décision d’incompétence de ce dernier3, sans qu’il n’existe de possibilité de renvoi devant le président du tribunal4.

Si la requête sous analyse a effectivement été adressée erronément dans son intitulé au tribunal siégeant dans sa formation collégiale, son dispositif, qui seul saisit la juridiction, s’adresse toutefois explicitement au seul président du tribunal administratif, de sorte que l’exception d’incompétence est à rejeter.

En ce qui concerne ensuite les conditions légales à remplir pour pouvoir prétendre à une mesure provisoire, force est de retenir que comme l’affaire au fond a été introduite le 12 avril 2021 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la 1 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14 2 Trib. adm. prés. 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. prés. 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 580.

3 Trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11595, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 532.

4 Trib. adm. 14 octobre 1999, n° 11574, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 531.

15 décision, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte5.

Si une certaine doctrine estime certes qu’il ne saurait être admis que lorsque l’évaluation du caractère fondé des moyens proposés à l’appui d’une demande de suspension ou d’institution d’une mesure de sauvegarde nécessite un examen poussé non différent de celui auquel il devra être procédé dans le cadre de la procédure au fond, le juge du référé ne pourrait pas admettre que lesdits moyens sont sérieux, puisqu’un tel raisonnement aboutirait à exclure d’office du champ des référés tout recours qui susciterait des questions juridiques complexes, ce qui viderait la protection juridictionnelle d’une partie de sa substance6, cette position méconnaît toutefois que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés : en effet, le juge des référés ne 5 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 592, et les autres références y citées.

6 Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2020, p.97.

16 dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens, ne bénéficiant d’ailleurs pas de l’éclairage dont bénéficie le juge du fond à travers les mémoires en réponse, en réplique et en duplique et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile. Ainsi, l’office même du juge des référés l’empêche d’exercer un contrôle semblable à celui du juge du fond qui aura un pouvoir d’investigation plus important : le juge des référés ne doit ainsi pas se fonder sur des appréciations réservées au juge du fond.

Partant, si une matière technique ou juridique complexe n’échappe évidemment pas automatiquement et par définition à la compétence d’un juge du provisoire, alors que même une question complexe peut susciter une réponse évidente ou directe - par exemple lorsqu’il existe un précédent jurisprudentiel aisément transposable ou une illégalité ou irrégularité manifeste, dont le caractère manifeste résulte soit de la décision déférée per se, soit des explications convaincantes du requérant, de sorte que le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés7, une matière technique ou juridique complexe se heurte toutefois à davantage d’obstacles pour justifier l’intervention du juge du provisoire, appelé seulement à retenir comme sérieux les moyens s’imposant prima facie et ne requérant pas une analyse poussée.

Le soussigné tient encore à rappeler que, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Ainsi, le Conseil d’Etat français a rappelé8 que le caractère exécutoire des actes administratifs est « la règle fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n’est pour le juge qu’une simple faculté, alors même qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable ». Pour cette raison, le sursis reste pour la Haute juridiction française « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »9.

Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.

Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »10. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie11 : l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration12.

7 Trib. adm. (prés.) 22 mars 2019, n° 42434 ; trib. adm. (prés.) 5 avril 2019, n° 42557 ; trib. adm. (prés.) 14 juin 2019, n° 43039.

8 Conseil d’Etat fr., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. p. 257.

9 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190 10 Trésor de la langue française.

11 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».

12 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.

17 Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction13.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs14.

13 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

14 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse, Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

18 Or, à cet égard et au terme d’un examen nécessairement superficiel des moyens avancés devant les juges, il n’appert pas que ceux-ci présentent le sérieux nécessaire afin de justifier l’instauration de la mesure provisoire sollicitée.

Ainsi, si la société requérante reproche en substance au ministre de ne pas avoir retenu dans son chef et à son avantage l’hypothèse d’une erreur matérielle susceptible de régularisation, il ne se dégage pas de manière manifeste que la société A puisse effectivement se prévaloir d’une erreur matérielle.

Il résulte en effet de l’instruction du dossier et des pièces versées en cause que l’offre globale initiale de la société A - la somme totale indiquée dans les bordereaux relatifs aux différents lots - différait avec la somme des tarifs horaires pour le personnel multipliée par les heures commerciales à prester, cette différence n’étant pas contestée par la société requérante qui admet qu’il y aurait eu une incohérence entre le « tarif horaire » et le « prix total annuel ».

Présumant une erreur arithmétique, le pouvoir adjudicateur a fait application de l’article 81 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, aux termes duquel « si le total ne correspond pas aux prix unitaires, ces derniers font foi », de sorte à ne pas tenir compte de la somme totale indiquée mais des seuls prix unitaires et a, à partir de ces prix unitaires, procédé à un recalcul des prix globaux, lesquels, après correction, apparurent toutefois comme anormalement bas, ce qui amena le pouvoir adjudicateur à demander en application de l’article 38 de la loi du 8 avril 2018 des explications relatives au prix ou aux coûts proposés, expliquant le bas niveau des prix ou coûts.

Il est ensuite toutefois apparu que les prix tels qu’offerts n’avaient pas été intentionnellement fixés à un niveau aussi bas, mais que la société requérante aurait omis, suite à une erreur de manipulation de fichiers Excel - la société requérante expliquant qu’il se serait agi d’une erreur de transposition d’une cellule Excel à une autre, erreur ayant affecté le calcul de 8 lots distincts -, d’adjoindre des coûts déterminés aux prix unitaires tels qu’offerts, de sorte que, après avoir plaidé l’erreur matérielle régularisable, elle a soumis des prix unitaires rectifiés à la hausse, soit à près du double du montant initial, rectification rejetée par le pouvoir adjudicateur.

Si la société A excipe actuellement d’une erreur matérielle manifeste dans son chef, il ne paraît pas de manière évidente que les juges du fond soient amenés à entériner l’existence d’une erreur matérielle, ces derniers venant d’ailleurs tout récemment15 de rappeler « de manière générale, le principe de l’immutabilité des offres, une offre ne pouvant en principe plus être modifiée ou complétée une fois qu’elle est déposée. Ce n’est que dans des cas limitativement prévus par la loi du 8 avril 2018 ou par le règlement grand-ducal du 8 avril 2018 qu’il est dérogé à ce principe, principe également rappelé par la jurisprudence de la CJUE sous l’égide de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services16, abrogée par la directive 2014/24/UE. » 15 Trib. adm. 28 avril 2021, n° 44235.

16 CJUE 12 octobre 2013, affaire C-336/12, ayant retenu que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence s’opposent à toute négociation entre le pouvoir adjudicateur et un soumissionnaire, ce qui implique que l’offre ne peut pas être modifiée après son dépôt, de sorte que le pouvoir adjudicateur ne peut pas demander des éclaircissements à un soumissionnaire dont il estime l’offre imprécise ou non conforme aux spécifications du cahier des charges, sous réserve de la correction ponctuelle de l’offre nécessitant à l’évidence une simple clarification ou contenant des erreurs matérielles manifestes (considérants n° 31 et 32).

19 En effet, s’il paraît patent que la société requérante a commis une erreur, lourde de conséquences, cette erreur ne paraît constituer une erreur matérielle telle qu’admise juridiquement. Plus précisément, à admettre les longues et complexes explications de la partie requérante qu’il se serait agi d’une erreur de manipulation de tableaux Excel - lesdites explications ne paraissant en tout état de cause pas évidentes, mais nécessitant une analyse approfondie et un suivi précis des différents documents et fichiers invoqués - il s’agirait à première vue certes d’une erreur matérielle au sens commun du terme, par opposition à une erreur intellectuelle, mais non d’une erreur matérielle telle que cernée par la jurisprudence, laquelle semble viser des erreurs qui apparaissent manifestement au moment de l’examen des offres17 : une telle erreur devrait partant être à ce point évidente que nul - principalement le pouvoir adjudicateur - ne doit pouvoir s’en prévaloir de bonne foi18 : cette notion semble ainsi viser en la matière des erreurs qui comportent, en quelque sorte, en elles-mêmes la rectification qu’elles appellent, telles que les absurdités ou les incohérences évidentes ; ainsi, il faut que le pouvoir adjudicateur soit en mesure de la corriger sur la base de l’offre elle-même19.

En effet, dans le cadre d’un arrêt du Conseil d’Etat français20 cité par la société A elle-

même, le rapporteur public, lors de ses conclusions sur cette affaire, avait ainsi tenté de définir l’erreur purement matérielle : selon lui, il s’agirait « d’erreurs qui comportent, en quelque sorte, en elles même la rectification qu’elles appellent », telles que les absurdités ou les incohérences.

En l’espèce, le pouvoir adjudicateur n’a toutefois pas relevé l’erreur matérielle qui n’a été invoquée - non spontanément - pour la première fois par la société A qu’à l’occasion de la vérification par le pouvoir adjudicateur des prix et sur demande d’explication du pouvoir adjudicateur : l’erreur ne se déduisait dès lors manifestement pas sans conteste de l’offre déposée, de sorte qu’elle ne peut dès lors être raisonnablement, prima facie, qualifiée d’erreur matérielle, le pouvoir adjudicateur ayant manifestement considéré que les prix unitaires proposés reflétaient bien l’intention réelle du soumissionnaire concerné, alors qu’il n’avait manifestement pas décelé d’erreur matérielle, à moins de lui imputer une volonté dolosive, thèse non soutenue par la société requérante.

Il n’appert partant pas à première vue que l’erreur commise par la société requérante, à savoir d’avoir oublié - les modalités techniques de cette erreur important peu - de tenir compte de la marge bénéficiaire et des frais « non productifs » dans le calcul du prix ait été manifeste ou évidente aux yeux du pouvoir adjudicateur, ce dernier ayant d’abord tablé sur un prix unitaire anormalement bas, l’erreur commise ayant été à première vue indétectable, ou du moins très difficilement détectable par le pouvoir adjudicateur. En tout état de cause, si le pouvoir adjudicateur semble avoir bien perçu l’existence d’un problème, il ne paraît pas avoir pu en identifier la nature et encore moins procéder de son propre chef à sa rectification.

Le soussigné constate d’ailleurs à cet égard, à l’instar du ministre, que l’absence de caractère manifeste de l’erreur commise peut encore a priori être déduite du besoin dans le chef de la société requérante de se livrer à « de longues explications comprises dans [son] courrier du 17 février, qui se réfère par ailleurs à de multiples annexes, et en particulier à des tableaux 17 Voir par exemple trib. adm. 21 février 2001, n° 12238, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 79.

18 CE fr., 21 septembre 2011, n° 349149 19 Y. Cabuy, G. Dereau, V. Dor, P. Thiel, M. Vastmans, Le nouveau droit des marchés publics en Belgique. De l’article à la pratique, coll. Performance publique, Larcier, Bruxelles, 2013, p. 552.

20CE fr . 21 septembre 2011, req. n° 349149.

20 Excel, et aux formules sous-jacentes à certaines cases de ces fichiers Excel » pour exposer la réalité et le contenu de ladite erreur, étant souligné que tous ces détails et documents ayant servi à la société A à justifier, respectivement à expliquer la nature et la portée de son erreur ne se trouvaient visiblement pas à la disposition du ministre.

Cette conclusion au provisoire ne paraît pas devoir être énervée par l’argumentation de la société requérante selon laquelle les services du ministère auraient dû être conscients qu’il s’agissait d’une erreur matérielle, ne serait-ce qu’au vu de la « différence énorme » entre les prix proposés par la société A au titre du lot 24, d’une part, et des lots litigieux, d’autre part, ou encore parce que les services du ministère connaitraient nécessairement l’ordre de grandeur d’un prix horaire moyen, les mêmes arguments étant susceptibles d’être opposés à la société requérante, laquelle en tant que soumissionnaire, censé être un professionnel et spécialiste en la matière, aurait dû veiller à remplir les bordereaux de soumission avec précision et rigueur21 et était manifestement la mieux placée pour détecter l’erreur manifeste alléguée, ne serait-ce que lors de la révision des offres avant leur dépôt, devoir incombant à tout soumissionnaire normalement diligent : à cet égard, il n’est pas inopportun de rappeler le principe général dégagé par la Cour de Justice de l’Union européenne22 en vertu duquel une partie ne saurait invoquer en justice les irrégularités qui peuvent avoir été la conséquence de son propre comportement.

La jurisprudence semble encore dégager un second critère, à savoir que l’erreur purement matérielle ne doit pas être de nature à affecter la base des calculs nécessaires à la soumission23.

Or, il résulte de la requête sous analyse que la société requérante a dû, après avoir elle-

même constaté l’erreur commise, procéder à une rectification des prix unitaires offerts.

Il apparaît toutefois à cet égard, comme relevé dans la décision ministérielle et retenu explicitement à l’article A.6.3 du cahier spécial des charges, que le marché litigieux « est placé sous le régime de l’offre à prix unitaires tel que définis à l’article 9 du RGD MP. Le soumissionnaire doit remplir en chiffres les prix unitaires du bordereau de soumission de façon à obtenir le montant total de l’offre. Ce montant sera porté dans la soumission et fournira le montant estimatif du contrat ».

Il appert donc qu’en modifiant le prix unitaire, l’offre elle-même est modifiée en son essence, puisque, comme exposé de manière convaincante par le ministre dans sa décision, ce sont les prix unitaires du bordereau qui serviront à déterminer le montant des prestations mensuelles et annuelles à facturer, par application des quantités de service réellement exécutées, de sorte que les corrections proposées par la société A auraient un impact sur le prix d’exécution du marché.

L’argumentation proposée à cet égard par la société A sur base d’autres dispositions du cahier spécial des charges (notamment les articles A.7.1., A.7.2. et A.7.4.1) - ces dispositions visant à première vue l’évaluation des différentes offres par le biais d’une pondération appliquée à différents éléments, dont le prix total de l’offre, le ministre ayant à cet égard expliqué sur base de l’article A.6.3. que le montant total de l’offre sert à la comparaison des offres - ne convainquent au terme d’une analyse nécessairement sommaire guère, alors que la 21 Cour adm. 8 mai 2018, n° 40528C.

22 CJUE 13 juillet 1972, Bernardi/Parlement, n° 90/71, point 10.

23 Trib. adm. 21 février 2001, n° 12238, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 79, et autres références.

21 valeur économique de l’offre et partant son coût final pour le pouvoir adjudicateur et les finances publiques ne sont manifestement pas déterminés par le prix total de l’offre, élément non contractuel, mais par le prix unitaire multiplié par les unités horaires effectivement prestées.

Il résulte encore de manière convaincante des représentants de l’Etat que la modification suggérée par la société A, même si elle ne devait pas porter sur le prix global et à première vue non préjudicier à la comparabilité à ce stade des différentes offres, se répercutera toutefois au niveau de l’exécution du marché en faussant le montant finalement et effectivement à débourser par l’Etat, ce montant contractuel dépendant directement du prix unitaire, et non du prix global.

La solution préconisée par la société A, consistant à ne se baser que sur le prix global, aboutirait ainsi in fine à ce que ses offres rectifiées soient comparées avec les offres de ses concurrents au regard du prix global offert, de sorte, le cas échéant, à lui permettre de se classer mieux-disant, mais, après exécution du marché, à exiger le paiement d’un prix unitaire sensiblement augmenté par rapport à celui initialement offert, faussant ainsi le choix opéré.

Le soussigné relève encore que selon la jurisprudence nationale, s’il est vrai qu’il est permis de procéder, dans certains cas limitativement énumérés, à la correction d’erreurs matérielles, à partir du moment où celles-ci apparaissent manifestement au moment de l’examen des offres pour ressortir directement des documents soumis au pouvoir adjudicateur, il n’en est pas de même des erreurs qu’a pu commettre le soumissionnaire au moment de remplir le bordereau de soumission, à partir du moment où les erreurs ainsi commises ne peuvent être décelées à partir du bordereau de soumission lui-même : « Ainsi, toute erreur commise dans l’indication des prix par rapport à l’une ou l’autre rubrique du bordereau de soumission ne saurait être considérée comme constituant une erreur matérielle pouvant être corrigée après l’ouverture de la soumission »24, cette solution, retenue dans un marché portant sur des travaux de régie où l’erreur aurait nécessité la rectification du prix par heure de travail, pouvant être transposée au présent cas.

Cette même solution transparaît également dans la jurisprudence étrangère.

Ainsi, dans une affaire similaire, relative à un marché à prix unitaires, le pouvoir adjudicateur avait cru identifier des prix anormalement bas. Interrogé sur ces prix apparemment anormalement bas, le soumissionnaire s’était justifié en invoquant une erreur matérielle, à savoir une « simple erreur de retranscription de la part du secrétariat » qui n’avait pas été décelée par le pouvoir adjudicateur avant de l’interroger.

Dans l’arrêt afférent du Conseil d’Etat belge25, saisi d’un recours en suspension d’une décision d’attribution du marché à ce soumissionnaire, la haute juridiction administrative belge a considéré qu’il se déduit de l’obligation de rechercher l’intention réelle du soumissionnaire, comme de l’interdiction de modifier l’offre, que l’erreur matérielle doit s’entendre comme celle qui a manifestement pour effet d’aboutir à un résultat contraire à celui qu’entendait poursuivre le soumissionnaire : il faut donc que l’erreur soit telle que sa réalité ne prête pas à discussion, pour en déduire que ne constitue pas une telle erreur matérielle une « simple erreur de retranscription de la part du secrétariat commise à six reprises » du soumissionnaire, divulguée par ce soumissionnaire après avoir été interrogé sur la normalité de ses prix, sans que le pouvoir adjudicateur ne l’ait aperçue lors de l’analyse des offres.

24 Trib. adm. 12 novembre 2007, n° 21624, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 82.

25 CE b., 7 mars 2016, n°234.045, S.A. Sotraliège.

22 Il convient encore de relever que dans cette affaire précise, l’avocat général avait précisé que la correction de l’erreur matérielle du prix unitaire qui a pour effet de modifier l’offre déposée, puisque cette correction a majoré l’offre d’un montant important « ne peut, en tout état de cause, être confondue avec une simple précision ou un complément, qui pour rappel ne peuvent avoir pour effet de remplacer par de nouvelles données, des indications fournies antérieurement ».

Une solution analogue semble encore pouvoir être dégagée de la jurisprudence française qui retient que la rectification de l’erreur matérielle, ou qualifiée de telle par le soumissionnaire, ne doit pas permettre aux parties de modifier l’offre initiale. Le Conseil d’Etat français26 a ainsi sanctionné cette pratique dans une affaire où un candidat avait chiffré des coûts d’intervention journaliers au lieu des coûts horaires demandés. Suite à la demande de précision effectuée par le pouvoir adjudicateur, l’entreprise avait fourni des coûts horaires qui ne correspondaient pas aux coûts journaliers divisés par le nombre d’heures de travail prescrit, de sorte qu’au lieu de se contenter de corriger une erreur d’unité, le candidat avait profité pour modifier ses coûts horaires et donc son offre.

Afin de bien cadrer le principe et le mécanisme de cette possibilité de régulariser sans remettre en cause le principe d’intangibilité des offres, le Conseil d’Etat français a dans cet arrêt précisé qu’il ne pouvait effectivement s’agir que d’une pure rectification d’une pure erreur matérielle, cette possibilité ne permettant que de procéder à une « précision » ou à une « traduction » de ce qui a été initialement mentionné dans l’offre, mais en aucun cas de modifier son offre.

Le Conseil d’Etat français27 n’a encore pas accepté qu’une entreprise complète sur demande de précision sa gamme de prix unitaires pour des prestations qu’elle avait omis de chiffrer.

Une solution identique semble encore être dégageable de la jurisprudence communautaire.

Ainsi, il résulte de l’arrêt28 cité par l’Etat que la Cour de Justice de l’Union européenne admet que le pouvoir adjudicateur puisse inviter un soumissionnaire à clarifier une offre ou à rectifier une erreur matérielle manifeste sans toutefois, notamment, que cette clarification ou cette rectification ne puissent être assimilées à la présentation d’une nouvelle offre. Elle admet ainsi plus particulièrement de demandes constituant « , à l’évidence, de simples demandes de clarification d’offres nécessitant d’être ponctuellement corrigées ou complétées ou de faire l’objet d’une correction d’erreurs matérielles manifestes », sans qu’elles ne puissent « aboutir à la présentation, par un soumissionnaire concerné, de ce qui apparaîtrait en réalité comme une nouvelle offre ».

Cette jurisprudence communautaire semble être régulièrement répétée.29 Aussi, le soussigné, sur base d’un examen nécessairement sommaire des argumentations respectives échangées et des circonstances de la cause, ne parvient pas à dégager de manière 26 CE fr., 16 janvier 2012, n° 353629.

27 CE fr., 20 mai 2009, n° 318871.

28 CJUE, 28 février 2018, C-523/16 et C-536/16.

Voir notamment 29CJUE 11 mai 2017, C‑131/16.

23 évidente une probable ou possible annulation de la décision querellée alors qu’il ne paraît pas de manière suffisamment patente que les juges du fond entérineront la thèse de la partie requérante consistant à soutenir qu’il se serait agi d’une simple erreur matérielle régularisable.

Du fait qu’il a été précisément considéré, dans le cas d’espèce, que l’erreur invoquée ne peut, prima facie, pas être considérée comme une « erreur purement matérielle », il n’y a dès lors pas lieu d’examiner si, comme soutenu par la société requérante, une telle prétendue « erreur purement matérielle » aurait pu, respectivement aurait dû, être régularisée, étant toutefois souligné qu’en tout état de cause - au-delà des conclusions à première vue fort appropriées de l’avocat général belge citées ci-avant - il semble encore se dégager de la jurisprudence française que le terme « régularisation », admis dans le cadre du constat d’une erreur purement matérielle, doit s’entendre dans le sens d’une simple précision ou rectification, notamment lorsqu’il s’agit de rectifier une erreur purement matérielle30 ou d’inviter le candidat à rectifier ou compléter une offre ambiguë ou incertaine, sous réserve toutefois de ne pas en modifier la teneur31.

Il n’y a de même pas lieu d’examiner la question d’une éventuelle atteinte par le ministre de son obligation de loyauté et de bonne foi, une telle obligation ne s’inscrivant manifestement que dans le contexte d’une erreur matérielle, hypothèse ne s’imposant en l’espèce pas d’évidence, la jurisprudence nationale ayant en effet retenu que la rectification des erreurs matérielles manifestes ne serait autre chose que la manifestation de l’obligation de bonne foi et de loyauté incombant au pouvoir adjudicateur32.

Quant à la violation alléguée de l’article 146 de la loi du 18 avril 2018, relative aux offres anormalement basses, il n’appert pas de manière évidente que la société A puisse être suivie en son argumentation, consistant à soutenir que comme elle aurait à suffisance porté à connaissance du pouvoir adjudicateur l’erreur matérielle, explication satisfaisant à ses yeux au caractère anormalement bas des prix, le ministre n’aurait pas eu la possibilité de rejeter l’offre mais aurait au contraire été tenu de la rectifier et d’en consacrer l’admission.

Il convient d’abord de relever que cette argumentation semble reposer sur une confusion entre deux situations distinctes mais pouvant se recouper, la première étant l’hypothèse du constat d’une erreur purement matérielle régularisable dans le sens dégagé ci-avant, hypothèse ne s’imposant toutefois pas d’évidence en l’espèce, et la seconde étant celle d’une demande d’explication formulée par rapport à une offre anormalement basse.

Or, il n’appert pas que dans le cadre d’un constat d’une offre anormalement basse, l’article 146 de la loi du 18 avril 2018 autorise le soumissionnaire à rectifier ou à régulariser son offre.

En effet, l’article 146, invoqué par la société requérante, précise que « (1) Les entités adjudicatrices demandent aux opérateurs économiques d’expliquer le prix ou les coûts proposés dans leurs offres lorsque celles-ci apparaissent anormalement basses en fonction des travaux, fournitures ou services. (…) (3) L’entité adjudicatrice évalue les informations fournies, en consultant le soumissionnaire. Elle ne peut rejeter l’offre que si les éléments de 30 CE fr . 21 septembre 2011, req. n° 349149.

31 CE fr. 25 mars 2013, req. n° 364824.

32 Trib. adm. 21 février 2001, n° 12238, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 79, et autres références.

24 preuve fournis n’expliquent pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés. (…) ».

Il n’appert pas d’évidence que - sous réserve de l’existence d’une erreur purement matérielle, hypothèse non retenue au provisoire - que cette disposition légale autorise une régularisation ex post de l’offre, voire d’une modification de celle-ci, le texte n’entrevoyant que la possibilité de fournir des explications du prix.

La jurisprudence33 a retenu à l’égard de ce mécanisme qu’il s’agit d’une disposition qui prévoit uniquement que le pouvoir adjudicataire, lorsqu’il entend faire état d’une offre anormalement basse afin de rejeter celle-ci, soumette cette question préalablement au soumissionnaire concerné pour discussion et afin de permettre à celui-ci de prendre position y relativement : il s’agit partant d’une disposition à rapprocher de l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce sens qu’il s’agit d’une disposition visant essentiellement à protéger les droits d’un soumissionnaire ayant présenté l’offre apparaissant présenter une anomalie au niveau de son prix, lequel risque de se voir écarter de ce chef : « Après avoir identifié les offres susceptibles d’être anormalement basses, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de demander des explications à leurs auteurs et d’en apprécier la pertinence, afin de prendre une décision d’admission ou de rejet. C’est ainsi que le pouvoir adjudicateur doit procéder à un examen attentif des explications fournies par l’entreprise pour justifier son prix. Si ces éléments sont convaincants, le pouvoir adjudicateur peut requalifier l’offre de « normale », en reconnaissant son caractère particulièrement compétitif et l’inclure dans le processus d’analyse sur la base des critères d’attribution annoncés et de leur pondération. En revanche, si les explications demandées ne permettent pas d’établir le caractère économiquement viable de l’offre eu égard aux capacités économiques, techniques et financières de l’entreprise et de démontrer que le marché ne peut être exécuté dans les conditions prévues, le pouvoir adjudicateur est tenu de la rejeter par décision motivée ».

Le pouvoir adjudicateur serait ainsi appelé à apprécier la pertinence des explications fournies par le candidat, et aux termes de cet examen, soit de considérer que l’offre suspectée originellement d’être anormalement basse est finalement celle qui est économiquement la plus avantageuse, soit d’écarter l’offre en question pour être effectivement anormalement basse, la jurisprudence ayant encore retenu que ce mécanisme vise à permettre au pouvoir adjudicateur, dans l’optique d’une bonne administration et d’une bonne gestion des finances publiques, de s’assurer « de la viabilité de l’offre lui soumise, en différenciant une offre anormalement basse d’une offre concurrentielle, et ce afin de se protéger d’offres financièrement séduisantes mais dont la solidité pourrait ne pas être assurée ».

Il en résulte qu’à première vue ladite disposition ne vise pas à offrir au soumissionnaire dont l’offre est pressentie comme étant anormalement basse la possibilité de rectifier cette offre, mais de justifier économiquement la différence constatée, sans pouvoir la modifier, la jurisprudence étrangère citée par la société A allant manifestement dans le même sens.

Il ne paraît dès lors pas que l’article 146 de la loi du 18 avril 2018 autorise le soumissionnaire à rectifier ou régulariser son offre.

33 Trib. adm. 2 février 2015, n° 33722.

25 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens actuellement invoqués à l’appui de la demande d’annulation des décisions attaquées n’est pas remplie en cause.

Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence de moyens sérieux, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Finalement et à titre superfétatoire, en ce qui concerne les différentes demandes de constater et de dire figurant au dispositif de la requête sous analyse, il n’y a pas lieu de faire droit à ces demandes, le tribunal n’étant pas tenu de donner acte aux parties du contenu de leurs conclusions, la mission du juge étant par ailleurs de trancher les litiges qui lui sont soumis et non de constater des faits ou des actes dont se prévalent les parties, les demandes de constat/de dire ne constituant pas des demandes en justice tendant en contentieux administratif uniquement à voir une décision réformée ou annulée, de sorte que le soussigné n’a pas à y répondre spécifiquement.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros telle que demandée par la société A laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

La demande reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros telle que sollicitée par l’Etat laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause. Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie défenderesse n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, - étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles34 -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;

rejette le recours tendant à l’obtention d’un sursis à exécution ;

rejette les demandes réciproques en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées par la société requérante et par l’Etat ;

condamne la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

34 Cass. 9 février 2012, n° 5/12.

26 s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2021 Le greffier du tribunal administratif 27


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45888
Date de la décision : 06/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-05-06;45888 ?

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