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04/05/2021 | LUXEMBOURG | N°45933

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 mai 2021, 45933


Tribunal administratif N° 45933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2021 Audience publique du 4 mai 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45933 du rôle et déposée le 23 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine WARIN, avo

cat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 45933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2021 Audience publique du 4 mai 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45933 du rôle et déposée le 23 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), et de Madame …, née le … à …, agissant au nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le … à …, tous de nationalité syrienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à voir ordonner un sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 décembre 2020 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale de … sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et leur ayant ordonné de quitter le territoire, un recours en annulation dirigé contre la même décision, inscrit sous le numéro du rôle 45437, ayant été introduit le 28 décembre 2020, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître Catherine WARIN, pour les requérants, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2021.

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En date du 17 décembre 2019, Monsieur … introduisit tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de Madame … et de leurs enfants mineurs …, …, …, … et … une demande de protection internationale auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère ». Il s’avéra à cette occasion qu’ils avaient introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 11 mai 2017 et qu’un statut de protection internationale leur y avait été accordé en date du 16 novembre 2018, tel que cela se dégage de la banque de données EURODAC.

En date du 24 décembre 2019, Madame … et Monsieur … passèrent séparément un entretien auprès du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé le « règlement Dublin III ».

En date du 27 janvier 2020, une demande de protection internationale au nom de l’enfant …, né le … au Luxembourg, fut introduite au ministère par ses parents.

Par décision du 13 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … et Madame … de sa décision de déclarer irrecevable leurs demandes de protection internationale en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce.

Le 11 février 2020, les autorités luxembourgeoises requirent des autorités grecques la réadmission de Monsieur …, Madame … et leurs enfants mineurs …, …, …, …, … et … sur le territoire grec sur base de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », demande que les autorités grecques acceptèrent le 12 février 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2020, inscrite sous le numéro 44233 du rôle, Monsieur … et Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, …, …, … et … firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle prémentionnée du 13 février 2020.

Par jugement du 3 août 2020, inscrit sous le numéro 44233 du rôle, le tribunal administratif arriva à la conclusion que le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale des parents et des enfants, hormis pour l’enfant …, ainsi que contre l’ordre de quitter le territoire était non fondé et encourait le rejet en tous ses moyens. Il décida également que seul le volet de la prédite décision ministérielle concernant la demande de protection internationale de l’enfant … devait être annulé.

Le 27 août 2020, après des démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises auprès des autorités grecques, celles-ci confirmèrent que les huit membres de la famille … seraient réadmis sur le territoire grec et précisèrent, au sujet de l’enfant …, qu’à son arrivée et après avoir été enregistré, il se verrait remettre un titre de séjour équivalent à celui des autres membres de la famille et qu’il pourrait bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce.

Par décision du 8 décembre 2020, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 10 décembre 2020, le ministre déclara la demande de protection internationale introduite par Monsieur … et Madame … au nom de leur enfant … irrecevable en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’il serait bénéficiaire du statut de réfugié en Grèce.

Cette décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à la demande de protection internationale que vous avez introduite le 17 décembre 2019 pour le compte de votre fils … auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes par l’intermédiaire.

Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler que par décision ministérielle du 13 février 2020, les demandes de protection internationale concernant l’ensemble de la famille ont été déclarées irrecevables, alors que vous êtes bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce.

Par jugement du 3 août 2020 (N°44233 du rôle), le Tribunal administratif a retenu qu’ « En ce qui concerne, tout d’abord, le défaut de motivation dont se prévalent les demandeurs à l’égard de la décision concernant l’enfant … (…). Or, force est de constater que le délégué du gouvernement a utilement complété cette motivation par les explications selon lesquelles l’enfant …, étant né hors du territoire grec, n’aurait pas pu bénéficier automatiquement à sa naissance du statut octroyé à ses parents et qu’il pourrait en bénéficier à son retour en Grèce, et il a ajouté que les autorités grecques auraient précisé, dans un courrier du 12 février 2020, que l’enfant … était enregistré en Grèce. Il s’ensuit que le moyen fondé sur un défaut de motivation est à rejeter comme étant non fondé.

Quant à la légalité interne de la décision concernant l’enfant …, l’article 5 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (…) (3) Le mineur non émancipé a le droit de présenter une demande de protection internationale par l’intermédiaire de ses parents ou de tout autre membre adulte de sa famille, ou d’une personne adulte exerçant l’autorité parentale sur lui, ou par l’intermédiaire d’un administrateur ad hoc. (…) ». Etant donné que l’enfant … est un mineur non émancipé, ses parents pouvaient présenter en son nom une demande de protection internationale au Luxembourg, demande qui, même si selon le délégué du gouvernement n’est qu’une simple formalité et suit en pratique le sort réservé à celle de ses parents, n’en est pas moins distincte. (…) Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif qu’au jour de la prise de décision par le ministre, à savoir le 13 février 2020, l’enfant … s’était vu conféré le statut de réfugié par les autorités grecques. En effet, dans leur courrier électronique du 12 février 2020, les autorités grecques indiquent précisément qu’ils admettent sur leur territoire tous les membres de la famille … sur base de l’article 6 de la directive 2008/115/CE, en justifiant leur acceptation sur le fait que les membres de famille « 1-7 », à savoir tous les membres de la famille … sauf … - ce dernier étant le huitième de la liste -, se sont vu accorder le statut de réfugié. D’ailleurs, le délégué du gouvernement relève expressément dans son mémoire en réponse que l’enfant … ne serait pas encore officiellement bénéficiaire du statut de réfugié et qu’il ne lui serait octroyé en cas de retour en Grèce que lorsque les démarches administratives en ce sens seraient faites. Partant, l’enfant … doit être considéré comme n’étant pas bénéficiaire d’une protection internationale mais comme demandeur de protection internationale, la partie étatique ne fournissant d’ailleurs aucune base légale à l’appui de ses affirmations selon lesquelles un enfant se verrait automatiquement attribuer le statut de réfugié à l’obtention dudit statut par ses parents. Dans la mesure où le ministre a déclaré irrecevables les demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de la famille …, y compris celle de l’enfant (…), la décision litigieuse, en ce qu’elle vise …, est à annuler pour être illégale, sans qu’il ne soit nécessaire de toiser les moyens ayant trait à la violation des articles 19 de la loi du 18 décembre 2015, 24 de la Charte et 21 (1) du règlement Dublin III dans le chef de ce dernier, cet examen devenant surabondant. (…) Au vu des considérations qui précèdent, il doit dès lors être admis que les difficultés d’ordre matériel et médical invoquées par les demandeurs ne permettent pas de retenir qu’en cas de retour en Grèce, ils seraient confrontés à une grande précarité ou à une forte dégradation de leurs conditions de vie impliquant un dénuement matériel extrême les plaçant dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant, étant, à cet égard, encore relevé qu’une personne ne saurait choisir le pays dans lequel elle souhaite introduire une demande de protection internationale en fonction de la qualité de soins ou des aides financières dont elle pourra éventuellement bénéficier dans ce pays plutôt que dans un autre.

Il y a dès lors lieu de conclure que les demandeurs n’apportent pas la preuve que, dans leur cas précis, leurs droits, tels que garantis par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en Grèce, ni que, de manière générale, les droits des bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Grèce aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités grecques en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que la Grèce est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions. L’ensemble des considérations qui précédent amènent, dès lors, le tribunal à rejeter le moyen tiré d’une violation des articles 1er et 4 de la Charte. (…) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Les demandeurs ne font valoir aucun moyen particulier à l’égard de l’ordre de quitter le territoire. (…) Or, en ce qui concerne l’enfant …, le tribunal vient de conclure à l’annulation du volet de la décision le concernant, de sorte que l’ordre de quitter le territoire doit subir en conséquence le même sort et être également annulé. En ce qui concerne Monsieur…, Madame … et leurs enfants mineurs …, …, …, …, et …, étant donné que le tribunal a rejeté le recours en annulation dirigé contre la décision ayant déclaré leurs demandes de protection internationale irrecevables pour n’être fondé en aucun de ses moyens, et dans la mesure où, par ailleurs, aucun autre moyen n’a été avancé dons ce contexte, le recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé. ».

Le Tribunal administratif ayant décidé d’annuler uniquement le volet de la décision ministérielle concernant votre fils …, il échet de souligner que la décision d’irrecevabilité prononcée dans le cadre des demandes de protection internationales introduites par les sept autres membres de votre famille est coulée en force de chose jugée et est à ce jour exécutable.

Rappelons néanmoins qu’en date du 12 février 2020, les autorités grecques avaient une première fois confirmé aux autorités luxembourgeoises qu’elles délivreraient une autorisation de séjour à votre fils lors de votre retour en Grèce.

Le 27 août 2020, suite à des démarches supplémentaires entreprises par les autorités luxembourgeoises sur base du jugement précité, les autorités grecques ont encore une fois confirmé que tous les huit membres de votre famille seraient bien admis en Grèce et ont précisé au sujet de votre fils né au Luxembourg qu’il se verra remettre un titre de séjour équivalent aux vôtres et qu’il bénéficiera de tous les avantages liés au statut de réfugié en Grèce, conformément aux articles 24 à 35 de la Directive 2011/95/EU.

Enfin, le 4 novembre 2020, dans le cadre d’une demande de prise en charge adressée aux autorités grecques concernant uniquement votre fils … sur base du règlement Dublin III, celles-ci ont de nouveau confirmé que … bénéficiera de tous les droits liés au statut de réfugié suite à votre arrivée en Grèce et sur simple demande de ses parents. La Grèce a par ailleurs refusé sa reprise en charge sur base du règlement Dublin III étant donné que vous bénéficiez déjà du statut de réfugié et qu’un accord de réadmission en Grèce pour toute la famille y compris … a déjà été accordée.

Ainsi, je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, la demande de protection internationale de votre fils … est également irrecevable au motif que les autorités grecques ont, en date du 27 août 2020, non seulement une nouvelle fois confirmé aux autorités luxembourgeoises que vous seriez bien admis sur le territoire grec, mais surtout que « as a family member of beneficiary of international protection, he shall receive, upon his arrival of the family to Greece, at the request of his parents and the production of the child’s birth certificate, a residence permit with the duration of the validity of the permit of the beneficiary, and shall be entitled to all the benefits referred to in Articles 24 to 35 of the Directive 2011/95/EU, in line with the national legal framework, in particular the provisions of art. 24 (4) L.4636/2019 », ce qui démontre que votre fils bénéficiera des mêmes droits que vous et de la même protection dans l’absolu.

A cela s’ajoute qu’il est évidemment dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et donc dans l’intérêt de …, de vivre et de grandir auprès de ses parents, respectivement de maintenir l’unité familiale dans son chef. Or, vous êtes justement sous le couvert d’une obligation de quitter le territoire vers la Grèce et il est par conséquent clairement dans l’intérêt de … de rester auprès de ses parents et de vous accompagner dans le cadre de votre éloignement vers la Grèce, d’autant plus qu’il bénéficie de la garantie formelle et expresse de la part des autorités grecques du bénéfice des droits inhérents à la qualité de bénéficiaire d’une protection internationale.

Enfin, il convient de signaler qu’il ne ressort pas des éléments en notre possession que, ni vous, ni votre fils n’auraient à craindre un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, voire de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En outre, la Grèce respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à votre demande déclarée irrecevable.

Conformément à l’article 34 (2), le séjour de votre fils … étant illégal, il est dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Grèce, ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. […]».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2020, inscrite sous le numéro 45437 du rôle, Monsieur … et Madame …, agissant au nom et pour compte de leur enfant mineur …, ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 décembre 2020.

Par jugement du 1er mars 2021, la deuxième chambre du tribunal de céans, reçut le prédit recours en annulation en la forme, sursit à statuer et demanda à la Cour de justice de l’Union européenne de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :

« L’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu en combinaison avec l’article 23 de la directive 2011/95/UE concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ainsi qu’avec l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peut-il être interprété comme permettant de déclarer irrecevable la demande de protection internationale introduite par des parents au nom et pour le compte de leur enfant mineur dans un autre Etat membre (en l’espèce le Luxembourg) que celui ayant préalablement accordé une protection internationale aux seuls parents, ainsi qu’aux frères et sœurs de l’enfant (en l’espèce la Grèce) au motif que les autorités du pays ayant accordé une protection internationale à ces derniers, avant leur départ et la naissance de l’enfant, garantissent qu’à l’arrivée de l’enfant et au retour des autres membres de la famille, cet enfant pourra bénéficier d’un titre de séjour et des mêmes avantages que ceux octroyés aux bénéficiaires d’une protection internationale, sans qu’elles n’affirment pour autant qu’il se verra octroyer à titre personnel un statut de protection internationale ? ».

Par requête déposée le 23 avril 2021 et inscrite sous le numéro 45933 du rôle, Monsieur … et Madame … ont encore fait introduire un recours tendant à voir instituer un sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde par rapport à la décision ministérielle précitée, les requérants ayant demandé au juge du provisoire de voir autoriser l’ensemble de la famille … à se maintenir sur le territoire luxembourgeois dans l’attente du jugement final à intervenir au fond.

En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure provisoire est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours.

Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Au-delà de ces considérations, et comme relevé ci-avant, le sursis à exécution ne peut être institué que lorsque notamment (mais non exclusivement) l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, un préjudice étant grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

La soussignée constate que par rapport à la requête introduite devant les juges du fond les requérants font valoir que leurs moyens soulevés devant lesdits juges seraient sérieux en ce qu’ils seraient susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision ministérielle contestée.

Par ailleurs, ils soutiennent que l’exécution de la décision ministérielle 8 décembre 2020 leur causerait un préjudice grave et définitif, pour avoir comme conséquences i) d’arracher l’enfant …, ainsi que sa famille, à leur environnement habituel au Luxembourg, ii) d’exposer l’enfant … et le reste de sa famille à des violations graves de leurs droits fondamentaux en les privant de conditions de vie dignes, voire de conditions minimales de survie et iii) une violation de leurs droits de la défense et de leur droit à un recours juridictionnel effectif.

En ce qui concerne le préjudice grave et définitif dont se prévalent les requérants, la soussignée relève que par courrier électronique du 14 janvier 2021, le mandataire des requérants s’enquit auprès des services ministériels compétents si un éloignement de la famille … vers la Grèce serait prévu, respectivement envisagé avant que le recours au fond introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2020 ne soit définitivement toisé. Par courrier électronique du même jour, l’agent en charge du dossier informa les requérants que le ministre n’entendait pas procéder à leur éloignement vers la Grèce avant que les juges du fond n’aient rendu leur jugement définitif, courrier libellé comme suit :

« […] Je reviens vers vous suite à votre courriel afin de vous indiquer que nous n’avons pas l’intention de procéder à un quelconque retour de la famille … vers la Grèce avant que le jugement concernant l’enfant né au Luxembourg n’ait été rendu par le Tribunal administratif. […] ».

Après avoir encore refusé, par décision du 10 mars 2021, de faire droit à une demande en obtention d’un report à l’éloignement lui adressée le 29 décembre 2020 par le mandataire des requérants, le ministre réaffirma, par courrier du 23 avril 2021, sa volonté de ne pas procéder à l’exécution de la décision du 8 décembre 2020 avant que le tribunal ne se soit définitivement prononcé sur le recours au fond, tout en informant les requérants que l’ordre de quitter le territoire prononcé à leur encontre avait été prolongé jusqu’au 9 juin 2021, courrier formulé comme suit :

« […] Je me permets de revenir vers vous suite à mon courrier du 10 mars 2021 suivant lequel je vous ai informé ne pas être en mesure de réserver une suite favorable à la demande de report à l’éloignement que vous avez sollicitée pour le compte de vos mandants.

Ce refus n’entraîne évidemment pas un changement de ma position concernant la mise à exécution de ma décision du 8 décembre 2020 déclarant irrecevable la demande de protection internationale introduite par vos mandants pour le compte de leur fils … sur base de l’article 28 (2) a) de la Loi de 2015.

En effet, et tel que cela vous a été déjà confirmé à plusieurs reprises, aucun membre de la famille …-… ne sera éloigné vers la Grèce avant que le Tribunal administratif n’ait statué sur le fond de l’affaire concernant l’enfant … né au Luxembourg (affaire inscrite sous le n°45437 du rôle). […] ».

La soussignée relève encore que lors de l’audience des plaidoiries du 28 avril 2021, le délégué du gouvernement a réaffirmé que le gouvernement s’engage à ne pas procéder à l’exécution de la décision ministérielle du 8 décembre 2020 et de n’éloigner aucun membre de la famille … jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.

Ainsi, et indépendamment de la question de savoir si une mesure provisoire peut, dans le cadre du présent recours être sollicitée pour tous les membres de la famille …, alors que la décision du 8 décembre 2020 ne concerne que le seul enfant …, la soussignée retient que le risque de préjudice grave et définitif, tel qu’allégué en cas d’éloignement du territoire luxembourgeois, n’est actuellement plus donné dans le chef de l’enfant …, voir du reste de sa famille, alors que le délégué du gouvernement s’est expressément engagé de n’éloigner aucun membre de la famille … vers la Grèce jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond.

Les requérants sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Par ces motifs, la soussignée, vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution et en institution d’une mesure de sauvegarde ;

condamne les requérants aux frais et dépens ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mai 2021 par Thessy Kuborn, vice-

président du tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mai 2021 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45933
Date de la décision : 04/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-05-04;45933 ?

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