Tribunal administratif N° 45792 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2021 Audience publique du 23 mars 2021 Requête en sursis à exécution et en obtention d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, par rapport à deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 45792 du rôle et déposée le 18 mars 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iraq), de nationalité iraquienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à voir ordonner un sursis à exécution et une mesure de sauvegarde par rapport à deux décisions prises par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en dates des 19 février 2021 et 26 février 2021, la première ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de cette décision et la seconde portant ordre de transfert de l’intéressé vers l’Allemagne, un recours en annulation dirigé contre les deux prédites décisions ministérielles, inscrit sous le numéro 45791 du rôle, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Chloé PONCIN, en remplacement de Maître Sanae IGRI et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 19 février 2021, Monsieur …, de nationalité iraquienne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Le même jour, il passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ». Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait d’ores et déjà fait l’objet de deux transferts à destination de l’Allemagne en date des 2 août 2018 et 25 novembre 2019 en vertu du règlement Dublin III.
Il résulte du dossier administratif que Monsieur … retira le même jour sa demande de protection internationale, de sorte que le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », prit une décision de retour à son encontre sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi qu’au vu de l’absence de passeport ou de visa en cours de validité, de l’absence d’autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’autorisation de travail et qu’il existerait un risque de fuite dans son chef.
Le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
Le 26 février 2021, le ministre arrêta le transfert de Monsieur … vers l’Allemagne.
L’arrêté ministériel en question est basé sur le règlement Dublin III, la décision de retour précitée du 19 février 2021, ensemble le fait que les autorités allemandes auraient été contactées le 22 février 2021 en vue de la reprise en charge de l’intéressé et qu’elles auraient accordées cette reprise en charge en date du 25 février 2021.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2021, inscrite sous le numéro 45791 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre les deux décisions ministérielles précitées portant respectivement placement en rétention, d’une part, et ordre de transfert vers l’Allemagne, d’autre part.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45792 du rôle, Monsieur … a encore introduit une demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution respectivement à voir instaurer une mesure de sauvegarde par rapport à ces décisions en cause, le dispositif afférent demandant à voir : « dire qu’en attendant que ledit recours soit toisé, que le requérant soit autorisé à demeurer au Luxembourg, dire qu’il soit sursis à son renvoi vers l’Allemagne ».
Le requérant fait en substance soutenir que l’exécution des deux décisions attaquées au fond l’exposerait à un risque de préjudice grave et définitif.
A cet égard, il affirme que l’exécution « de la décision attaquée par le prédit recours en annulation » risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, alors qu’il serait actuellement inquiet et dans une situation de stress éprouvante, le requérant faisant plaider que son renvoi vers l’Allemagne risquerait de lui causer un traumatisme important et de le mettre dans une situation de mal-être et d’errance. En effet, d’une part, aucune garantie ne lui serait offerte en ce qui concerne sa prise en charge, son logement et des moyens de subsistance dont il pourrait bénéficier et, d’autre part, il vivrait dans la peur constante d’être renvoyé en Iraq où sa vie serait en danger.
Il prétend encore que cette peur ferait peser sur lui une énorme pression mentale qui commencerait même à l’affecter physiquement, le requérant rappelant être sous médicaments contre l’insomnie et les troubles psychiatriques : dès lors, la peur constante et la menace d’être renvoyé en Iraq pourraient être qualifiées de torture mentale, de sorte que l’article 3 de la Convention des droits de l’homme aurait été violé par les autorités allemandes.
Enfin, il donne à considérer que si l’Allemagne décidait de le renvoyer en Iraq avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé sur le fond par rapport à son recours en annulation des décisions ministérielles, il se retrouverait dans l’impossibilité de retourner au Luxembourg, situation qu’il estime être parfaitement injuste et disproportionnée.
Au fond, le requérant, en substance, fait plaider que les décisions ministérielles telles que déférées devraient être annulées pour violation des articles 2, 3, 8 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (« CEDH »), ainsi que pour violation de l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, prévoyant le principe de non-refoulement, le requérant reprochant finalement à l’Etat luxembourgeois de ne pas avoir examiné sa demande de protection internationale en application de l’article 17 du règlement Dublin III.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, d’une part, au vu des nombreuses irrecevabilités affectant le recours au fond, et, d’autre part, en ce qui concerne la demande en obtention de mesures provisoires, au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Force est d’abord de constater que la requête soumise au soussigné est émaillée de problèmes de recevabilité, problèmes soulevés d’office et débattus contradictoirement conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999.
Il convient d’abord de relever que le requérant a soumis tant aux juges du fond qu’au juge du provisoire chaque fois un recours unique, dirigé pourtant contre deux décisions distinctes.
Il convient en effet de relever que la première décision, à savoir la décision de rétention du 19 février 2021, relève d’une procédure spéciale, dérogatoire au droit commun, ouvert par le biais d’un recours en réformation - et non comme en l’espèce un recours en annulation -, procédure ne prévoyant conformément à l’article 123 (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration qu’un seul mémoire par partie, tandis que l’article 123 (4) de la même loi impose au tribunal administratif de trancher le recours afférent dans les dix jours du dépôt de la requête afférente, de sorte que ce recours sera en l’espèce plaidé à brève échéance, à savoir en date du 24 mars 2021. La seconde décision, datée du 26 février 2021, prise en exécution du règlement Dublin III, ayant pour objet le seul transfert de l’intéressé vers l’Allemagne, bénéficie en revanche d’une procédure de droit commun, articulée autour d’un recours en annulation et l’échange ultérieur de mémoires en réponse, en réplique et en duplique, sans délai légal de prononcé.
Deux conclusions, l’une provisoire, et l’autre définitive s’imposent dès lors :
Le requérant ayant soumis aux juges du fond indistinctement deux décisions distinctes, soumises à des bases légales et à des procédures contentieuses différentes dans une seule requête, il est probable que les juges du fond décident, conformément à la jurisprudence qui exige qu’en principe tout recours doit être introduit par une requête séparée, de déclarer ledit recours irrecevable. Il convient à cet égard de constater que les juges du fond, confrontés à une requête unique visant deux décisions bien distinctes, dont l’une bénéficie d’une procédure accélérée, voire urgente, ont manifestement été obligés, à défaut de toute demande ou précision du litismandataire du requérant, de fixer l’ensemble du litige selon la procédure urgente prévue à l’article 123 de la loi du 29 août 2008 sous peine de violer ladite loi : or, ce faisant, la partie étatique se voit nécessairement privée non seulement des délais d’instruction de droit commun, mais encore de la possibilité de déposer le cas échéant un mémoire en duplique, de sorte que ses droits de la défense se voient lésés, justifiant ainsi encore potentiellement une irrecevabilité au vu de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999.
La recevabilité du recours au fond étant dès lors sujette à de forts doutes, le recours tendant à l’obtention de mesures provisoires doit en conséquence être considéré comme globalement peu sérieux.
Il convient ensuite de relever que l’affaire au fond étant fixée pour plaidoiries du 24 mars 2021, à savoir le lendemain du prononcé de la présente audience, elle doit être considérée comme en état d’être plaidée à très brève échéance, de sorte qu’à défaut de toute circonstance particulière, la requête en obtention de mesures provisoires doit être rejetée, une demande en obtention d’une mesure provisoire étant en effet rejetée si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Ensuite, et à titre tout à fait superfétatoire, il convient de relever que si le requérant a saisi tant les juges du fond que le juge du provisoire indistinctement de deux décisions pourtant distinctes à travers à chaque fois d’un seul recours, il s’est de même indistinctement prévalu de divers moyens d’annulation par rapport à ces deux décisions, sans indiquer ou préciser quels moyens juridiques viseraient quelle décision. Si une telle façon de procéder expose le requérant devant les juges du fond au risque que ceux-ci écartent, au vu de l’imprécision de sa requête introductive d’instance, des moyens dans la mesure où il n’est pas clairement dégageable à l’encontre de quelle décision précise ils sont dirigés1, la situation est différente devant le juge du provisoire, où une telle imprécision entraîne le rejet pur et simple de la requête.
En effet, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère, le juge statuant au provisoire est en droit d’attendre du rédacteur de la requête, avocat et partant professionnel de la postulation, un acte de procédure intelligible et cohérent, ne requérant pas une analyse poussée aux seules fins de comprendre la finalité et l’argumentation de la requête : or, à cet égard, force est en l’espèce de constater le caractère imprécis et difficilement intelligible de l’argumentaire lui soumis, le requérant faisant manifestement un amalgame entre les différentes décisions déférées.
Enfin, et à titre infiniment plus superfétatoire, il appert que si le requérant entend, au travers de la requête en obtention de mesures provisoires, être autorisé à demeurer au Luxembourg jusqu’à ce que son recours au fond ait été toisé, que le soussigné ne saurait en tout état de cause pas accorder pareille mesure.
Il appert, comme relevé ci-dessus, que l’arrêté ministériel de transfert en question est basé sur le règlement Dublin III, sur la décision de retour précitée du 19 février 2021, ensemble le fait que les autorités allemandes ont accordé la reprise en charge de l’intéressé. Il résulte encore du dossier administratif que le transfert du requérant a été accepté par l’Allemagne sur base de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III, à savoir au vu du fait que le requérant est « le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre », une inspection sommaire du dossier administratif, tel que communiqué à l’avocat du requérant, révélant par ailleurs que le requérant a effectivement été définitivement débouté de ses demandes de protection internationale introduites précédemment en Allemagne.
1 Trrib. adm. 15 décembre 2004, n° 18044, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 351.
Il appert ensuite que la décision de retour précitée du 19 février 2021 a quant à elle été prise sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, ainsi qu’au vu de l’absence de passeport ou de visa en cours de validité, de l’absence d’autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’autorisation de travail et qu’il existerait un risque de fuite dans son chef, ladite décision comportant outre l’obligation dans le chef de l’intéressé de quitter sans délai le territoire luxembourgeois.
Or, cette décision de retour, ayant constaté le séjour irrégulier du requérant au Luxembourg et lui ayant imputé l’ordre de quitter immédiatement le territoire luxembourgeois sans délai, doit, à défaut manifeste de tout recours, être considérée comme non énervée, de sorte que la question du maintien du requérant sur le territoire ne se pose en l’espèce pas.
Quant à la décision de transfert, dont le seul objet est manifestement de retenir la nécessité du transfert du requérant vers l’Allemagne, force est de constater que le requérant ne prend pas non plus position par rapport à la base légale indiquée dans la décision ministérielle de transfert, à savoir le règlement Dublin III, pour justifier ses prétentions quant à son maintien sur le territoire luxembourgeois, de même qu’il n’indique pas quelles règles de détermination précises de l’Etat membre responsable n’auraient pas été respectées, le requérant omettant toute discussion relative au cadre juridique de son transfert, à savoir le règlement Dublin III, si ce n’est d’invoquer l’article 17 du règlement Dublin III. Or, comme le requérant a selon le dossier administratif et tel qu’explicitement confirmé par son avocat lors de l’audience publique de ce jour retiré sa demande de protection internationale au Luxembourg, il ne saurait a priori être considéré comme demandeur de demande de protection internationale au Luxembourg et en conséquence il ne saurait a priori se prévaloir de l’article 17 du règlement Dublin III.
Enfin, si le requérant met en avant le risque d’un préjudice grave résultant de son transfert vers l’Allemagne en raison du risque d’une expulsion en cascade vers l’Iraq, il convient d’abord de souligner que d’une manière générale, un sursis ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours2.
Il convient ensuite de relever que, d’une manière générale et à défaut de circonstances particulières, un tel risque n’existe a priori pas en présence d’un transfert vers un Etat membre.
En effet, la jurisprudence des juges du fond relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance 2 Trrib. adm. (prés.) 9 avril 2015, n° 36115, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 591, et autres références y citées.
mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4 5.
Il n’appert encore pas que l’Allemagne ait refusé ou omis de traiter sa demande de protection internationale.
Bien au contraire, le soussigné constate que le requérant a bien vu ses deux demandes de protection internationale examinées en Allemagne, de même qu’il a pu avoir accès à la justice en Allemagne, le requérant ayant été débouté de son recours dirigé contre le refus de sa première demande de protection internationale par jugement du tribunal administratif de Regensburg en date du 18 juillet 2019 et du recours dirigé contre la décision de rejet de sa seconde demande de protection internationale par jugement du même tribunal en date du8 octobre 2020. Il convient encore de relever que ce même jugement a toisé les arguments du requérant, actuellement réitérés devant le soussigné, devant faire obstacle à son éloignement vers l’Iraq.
Enfin, il appert que le requérant n’a pas profité de la possibilité de faire appel à l’encontre de ce dernier jugement.
Par ailleurs, et toujours d’une manière générale, le soussigné relève, en ce qui concerne le risque allégué d’une expulsion en cascade, que l’acte entrepris n’implique pas un retour au pays d’origine, mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, soit en l’espèce l’Allemagne, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, point n’étant d’ailleurs pas contesté.
Toutefois, il ressort, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 CEDH -
similaire à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte » -, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable6. Dans ces 3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
4 Ibidem, point. 79.
5 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.
6 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
conditions, l’article 3 CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays7.
Afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la partie requérante encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après « la CourEDH », a jugé que pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles de l’éloignement du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres au cas de la partie requérante8.
Le soussigné constate ensuite que dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH9 a toutefois précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant10.
Toutefois, compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH11, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine12, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux13.
Il résulte dès lors de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 CEDH qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit, qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable de l’examen de sa demande d’asile, à savoir en l’espèce en Allemagne.
7 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 75.
8 CEDH 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 78 ; CEDH 28 février 2008, Saadi/Italie, n° 37201/06 points 128-129 ; CEDH 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n° 13448/87, point 108 in fine.
9 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, point 286.
10 Ibidem, point 289 ; voir également trib. adm. 30 novembre 2018, n° 41764.
11 Ibidem, point 293.
12 Ibidem, point 298.
13 CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Allemagne, n° 43611/11, point 118.
Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de la santé de l’intéressé.
Comme en l’espèce, le risque n’est pas inhérent à la situation dans l’Etat membre responsable de la prise en charge de la demande de protection internationale, mais résulte d’un refoulement par ricochet vers le pays d’origine, il convient de vérifier l’existence d’une protection effective contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire de transfert où il serait exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant.
Or, à cet égard, si le requérant a manifestement été définitivement débouté de sa seconde demande de protection internationale en Allemagne, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les autorités allemandes n’auraient pas évalué les risques réels de mauvais traitements qui naîtraient pour lui du seul fait de son éventuel retour en Iraq, le dernier jugement allemand ayant au contraire manifestement explicitement analysé les prétendus risques résultant de sa prétendue conversion au christianisme.
Le soussigné note encore, à cet égard, que l’Allemagne a tant signé la Convention de Genève relative au statut des réfugiés que la CEDH.
Aucun indice sérieux n’indique par ailleurs que les autorités allemandes compétentes auraient violé le droit de l’intéressé à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus dans son pays d’origine, ou encore qu’il n’aurait pas pu y bénéficier d’une protection contre son refoulement vers l’Iraq, Monsieur … n’ayant en effet avancé aucun élément concret qui permettrait de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
Ainsi, il n’appert pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherche en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.
Or en l’espèce, force est de constater que le requérant, confronté à un refus définitif d’asile lui opposé par les autorités allemandes, tente dans les faits de faire réexaminer sa demande de protection internationale par les autorités luxembourgeoises, en soumettant en quelque sorte au juge luxembourgeois à nouveau la question de son refoulement et des persécutions prétendument subies en Iraq : il s’agit dans les faits d’un exemple type de « forum shopping ».
Dans ces circonstances et compte tenu des éléments soumis actuellement au soussigné, le transfert de l’intéressé vers l’Allemagne ne semble pas l’exposer à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement, ancré à l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant de l’article 4 de la Charte ou encore de l’article 3 CEDH.
Enfin, si par impossible les autorités allemandes devaient néanmoins décider de rapatrier le requérant, même le cas échéant, comme soutenu, en violation de l’article 3 CEDH, à supposer que le requérant soit effectivement exposé à un risque concret et grave en cas de retour en Iraq, il lui appartiendrait, tous recours épuisés, de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme et lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités allemandes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
En ce qui concerne ensuite l’état de santé du requérant, cet état n’est, à défaut d’autres éléments, pas de nature à justifier l’existence d’un préjudice grave et définitif, le requérant ne fournissant d’ailleurs aucun élément ni que le voyage en tant que tel risquerait de causer un tel préjudice, ni que son état de santé ne puisse pas être traité en Allemagne.
Plus particulièrement, aucune pièce ne vient documenter une raison médicale justifiant soit un report du transfert, soit une suspension de ce dernier.
Par ailleurs, le requérant n’a pas établi, ni même allégué, que les autorités allemandes lui refuseraient en cas de transfert l’accès aux soins médicaux nécessaires. Plus particulièrement, rien n’indique que le requérant ne puisse trouver en Allemagne une aide spécifique au vu des besoins particuliers en matière d’accueil requis le cas échéant par son état de santé en sa qualité de « demandeur ayant des besoins particuliers en matière d’accueil », et tels qu’exigés par les articles 21 et 22 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
Il convient enfin de souligner que si le requérant devait estimer que le système d’aide allemand serait à tel point déficient, dans la mesure où il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le requérant devait estimer que le système allemand ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait au requérant de faire valoir ses droits sur base des directives n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ainsi que n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé qu’aux termes de cette directive 2013/33/UE - la « directive Accueil » -, les Etats membres doivent faire en sorte que les demandeurs de protection internationale reçoivent les soins médicaux nécessaires qui comportent, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves, et fournir l’assistance médicale ou autre nécessaire aux demandeurs ayant des besoins particuliers en matière d’accueil, y compris, s’il y a lieu, des soins de santé mentale appropriés.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la requête en obtention d’une mesure provisoire ;
condamne le requérant aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mars 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier en chef.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 11