Tribunal administratif N° 45776 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mars 2021 Audience publique du 17 mars 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 45776 du rôle et déposée le 12 mars 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 février 2021 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 26 février 2021, inscrit sous le numéro 45775, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Françoise NSAN NWET et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 23 décembre 2020, Monsieur …, de nationalité guinéenne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale de la circonscription régionale SPJ, unité de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment introduit deux demandes de protection internationale, à savoir en Suisse en date du 18 janvier 2017 et en Allemagne en date du 31 janvier 2017.
Le 23 décembre 2020, il passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par décision du 31 décembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
Par décision du 26 février 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressé que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il serait transféré vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, la décision étant libellée comme suit :
«Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 décembre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »), En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 23 décembre 2020 et le rapport d’entretien Dublin sur votre demande de protection internationale du 23 décembre 2020.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 23 décembre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration, La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale, dont une en Suisse en date du 18 janvier 2017 et une en Allemagne en date du 31 janvier 2017.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 23 décembre 2020.
Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 6 janvier 2021une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 13 janvier 2021 sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII.
2.
Quant aux bases légales 2En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection Internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande .auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3.
Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 23 décembre 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale, dont une en Suisse en date du 18 janvier 2017 et une en Allemagne en date du 31 janvier 2017.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Guinée en mars 2016 en direction de la Libye où vous seriez resté pendant deux mois et où vous auriez subi des maltraitances de la part de vos passeurs. En été 2016, vous seriez monté à bord d’un bateau en direction de l’Italie.
Vous auriez été secouru en mer par un navire et déposé à Lampedusa. Après un mois et demi, vous auriez quitté l’Italie dans l’intention de venir au Luxembourg. Vous vous seriez d’abord rendu en Suisse où vous auriez introduit une demande de protection internationale. Comme vous auriez voulu venir au Luxembourg, vous auriez quitté la Suisse après deux semaines sans attendre la réponse à votre demande de protection internationale. Vous auriez continué votre voyage vers l’Allemagne où vous auriez introduit une deuxième demande de protection internationale. Après trois ans en Allemagne sans réponse à votre demande de protection internationale, vous seriez parti en direction du Luxembourg qui aurait été la destination de votre choix et vous y seriez arrivé en date du 22 décembre 2020.
Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Allemagne parce que vous préfériez faire votre vie au Luxembourg.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 23 décembre 2020, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne, qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 23 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités allemandes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv.
torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées.
4.
Quant aux voies de recours Contre la présente décision, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Le recours doit être introduit moyennant requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le jugement du tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel.
Le recours prévu à l’article 35(3), n’a pas d’effet suspensif. Une requête en référé signée d’un avocat à la Cour peut être déposée devant le président du tribunal administratif afin d’obtenir le sursis à l’exécution ou une mesure de sauvegarde. La décision du ministre n’est pas exécutée tant que l’ordonnance de référé n’a pas été prononcée. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2021, inscrite sous le numéro 45775 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 26 février 2021. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 45776 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à l’autoriser à résider au Grand-Duché de Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
A l’appui de son recours en obtention d’une mesure provisoire, Monsieur … relate avoir dû fuir son pays d’origine, la Guinée Conakry, où il aurait régulièrement fait l’objet de menaces de mort et où il aurait été qualifié de traître en raison de son appartenance à l’ethnie Sousou.
Il affirme que son transfert vers l’Allemagne l’exposerait à des risques de préjudices graves et définitif : à cet égard, après avoir souligné l’importance accordée par « les textes et la jurisprudence » à la dignité humaine, il donne à considérer que le fait pour un demandeur de protection internationale tel que lui, atteint de la tuberculose, de se retrouver à la rue, sans garantie quant à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires (accès aux soins d’hygiène, sanitaires, nourriture), scenario le plus probable en cas de transfert vers l’Allemagne, constituerait en soi un préjudice grave et définitif.
Il considère encore que ses moyens, tels qu’avancés devant les juges du fond, seraient « extrêmement sérieux » dans la mesure où il s’agirait de la violation de son droit fondamental à ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant, le requérant se rapporte aux moyens de son recours au fond.
Dans ce contexte, le requérant, après avoir invoqué l’article 3 (2), 2e alinéa, et l’article 17, paragraphe 1er, du règlement Dublin III, et après avoir reconnu qu’il n’existe aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de Justice de l’Union européenne, de même qu’il n’existe aucun rapport ou avis de l’UHNCR relatif à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, estime néanmoins que les autorités allemandes « pourraient » limiter ou lui retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, alors qu’il admet avoir quitté sa résidence en Allemagne sans en avoir informé les autorités.
Il estime en effet qu’en cas de transfert vers l’Allemagne, il y serait considéré comme un migrant en situation irrégulière, de sorte qu’il ne pourrait pas prétendre à une aide matérielle, ni à un accès à un logement décent. A cet égard, le requérant rappelle qu’il serait atteint de la tuberculose, tandis que son transfert en Allemagne le conduirait à vivre dans la rue dans des lieux insalubres où il serait soumis à des difficultés d’accès à l’hygiène et aux soins.
Il en conclut que les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale ne seraient pas garanties en Allemagne, le requérant affirmant craindre tout particulièrement ne pas pouvoir accéder à un logement décent en Allemagne, de sorte que son transfert en Allemagne l’exposerait à des violations de ses droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par les articles 4 de la Charte des droit fondamentaux et l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours.
Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
L’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 12 mars 2021, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », endéans 2 mois de l’introduction de la requête - la date des plaidoiries étant d’ailleurs fixée au 28 avril 2021 -, de sorte qu’elle doit être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Le soussigné constate ensuite qu’en l’espèce, la décision litigieuse semble avoir été prise par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 18, paragraphe 1d) du règlement Dublin III, au motif que le Luxembourg ne serait pas compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par le requérant, mais l’Allemagne, l’Allemagne ayant d’ailleurs accepté en date du 13 janvier 2021 la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18 paragraphe 1d), du règlement Dublin III, disposition qui vise le cas d’un demandeur de protection internationale « dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
Or, à cet égard, le requérant reste en défaut de prouver en quoi la décision de transfert vers l’Allemagne risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.
En effet, en ce qui concerne la matière plus particulièrement sous analyse, ce ne serait que lorsqu’un demandeur d’asile produit des éléments objectifs de nature à démontrer la gravité particulière de son état et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre concerné, y compris ses juridictions, doivent tenir compte de ces éléments, ces autorités étant alors tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci.
En effet, il se dégage de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne1 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), 2ème alinéa, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de cette jurisprudence, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine2. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant3.
Il convient ensuite de relever qu’il résulte de la jurisprudence des juges du fond que comme le système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au requérant de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées.
Enfin, l’Allemagne respecte a priori en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que plus particulièrement le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Par ailleurs, concrètement, force est de constater que le requérant, en dehors de supputations et d’affirmations, ne produit aucune pièce, voire ne fournit aucun indice permettant de renverser la présomption, réfragable, exposée ci-avant.
Il ne produit ainsi aucun élément suggérant qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse bénéficier en Allemagne d’une assistance minimale lui permettant de faire face à ses besoins élémentaires, de même que le requérant n’apporte aucun indice suggérant qu’un demandeur de protection internationale ayant quitté irrégulièrement la résidence lui attribuée - circonstance soulevant par ailleurs en l’espèce la question de la légitimité d’un préjudice le cas échéant manifestement provoqué par le requérant lui-même -
soit sanctionné par une réduction de l’aide disponible.
1 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 91.
2 Ibidem., point 92.
3 Ibidem., point 93.
Par ailleurs, factuellement, il résulte du dossier administratif et en particulier de l’accord de reprise en charge des autorités allemandes que le requérant sera accueilli au centre d’accueil pour primo-arrivants (« Erstaufnahmeeinrichtung ») à Bochum.
Enfin, s’il se prévaut d’une prétendue tuberculose, force est de constater que le test IGRA utilisé n’a détecté qu’une possible infection tuberculeuse latente qu’il convient certes de surveiller, mais qui n’appelle à première vue aucun traitement particulier.
Si le requérant devait estimer que le système d’aide allemand serait à tel point déficient, dans la mesure où il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates4. Il en va de même si le requérant devait estimer que le système allemand ne serait pas conforme aux normes européennes : dans ce cas, il appartiendrait au requérant de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure ») ainsi que la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil ») directement auprès des autorités allemandes.
Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire ;
condamne le requérant aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mars 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier en chef.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 4 Trib. adm. 30 novembre 2020, n° 45070.