Tribunal administratif N° 45711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2021 Audience publique du 5 mars 2021 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur … et Madame …, …, par rapport à des décisions de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 45711 du rôle et déposée le 26 février 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à …, tendant à voir ordonner le sursis à exécution par rapport aux bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017 tous émis en date du 4 décembre 2019 ainsi que par rapport à la décision de refus implicite, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Contributions directes suite à la réclamation introduite par les requérants le 27 décembre 2019, ces bulletins et décision étant par ailleurs entrepris au fond par une requête en réformation sinon en annulation introduite le 16 octobre 2020, portant le numéro 45104 du rôle ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins déférés aux juges du fond ;
Maître Laurent LIMPACH, en remplacement de Maître Alain GROSS, pour les requérants, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mars 2021.
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Par courrier du 8 novembre 2019, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes informa Monsieur … et son épouse, Madame …, en exécution du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » qu’il entendait s’écarter des déclarations d’impôt des exercices 2016 et 2017 sur différents points, ledit courrier étant motivé comme suit :
« En vertu du paragraphe 205(3) de la loi générale des impôts, je vous informe préalablement aux impositions, qu’après instruction de votre dossier, il sera dérogé à vos déclarations fiscales sur les points suivants :
Bénéfice commercial Comme déjà suite à nos courriers en rapport avec les années d’impositions antérieures, le bureau estime que vos activités immobilières s’analysent en une activité commerciale. En conséquence, le bureau d’imposition a reclassé depuis l’année d’imposition 2013 vos opérations d’achat, de transformation, de vente et de location d’immeubles en activité 1commerciale imposable dans la catégorie du bénéfice commercial conformément à l’article 14 LIR.
Ainsi, les revenus en relation avec la transformation de l’immeuble … en résidence nommée « … » sont imposables en tant que bénéfice commercial.
2016 Modèle 190 : … et intérêts débiteurs lots non vendus : … Total: … 2017 Modèle 190 : … Bénéfice résultant de la vente d’un appartement : … Le bénéfice commercial ne prévoit pas une réévaluation du prix d’acquisition.
Prix de revient déclaré et admis: … Total : … Veuillez noter que ce bénéfice sera également soumis à l’impôt commercial.
Salaire conjoint 2017 Salaire brut : … Total salaire conjoint imposable : … Revenus provenant de la location de biens 2016 …, intérêts habitation privée (30%): … … : modèle 190: … N’est déductible comme frais d’obtention que la quote-part des frais en rapport avec les chambres louées (20,22%) et votre habitation privée prévue (20,22%), à l’exclusion du R-CH, dont vous ne touchez pas de loyer.
Façade : … Amortissement : … Intérêts : … Total … 2017 Annexe L: montants ligne … acceptés … : modèle 190 : … N’est déductible comme frais d’obtention que la quote-part des frais en rapport avec les chambres louées (20,22%) et votre habitation privée (20,22%), à l’exclusion du R-
CH, dont vous ne touchez pas de loyer.
Façade : … Amortissement : … Intérêts : … Total : … Je vous invite à fournir vos observations y afférentes pour le 22 novembre 2019 au plus tard. Ce délai passé, je me permets d’admettre votre approbation. (…) » Les contribuables s’opposèrent à cette rectification par courrier du 8 novembre 2019, libellé comme suit :
« Par la présente, nous accusons bonne réception de votre lettre du 8 novembre 2019 concernant vos objections par rapport aux déclarations d’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017.
Comme les années antérieures, votre bureau estime que nos activités immobilières s’analysent en activité commerciale. Nous vous avions déjà fait un courrier en date du 5 février 2018 afin de vous expliquer notre situation mais vous n’en aviez pas tenu compte.
Désormais, nous voudrions vous présenter notre situation actuelle concernant le plan financier, les activités commerciales et notre situation privée.
Comme vous pouvez le vérifier dans notre dossier, nous avons déjà réglé tout le solde d’impôts jusqu’à présent, qui s’élèvent à plus de …€.
Depuis juillet 2018, nous sommes dans une situation très, très difficile parce que tout notre bien matériel privé et personnel est détruit à cause de l’incendie qui a complètement ravagé l’immeuble au …. Nous avons perdu notre habitation principale, nos bureaux des entreprises, les revenus mensuels, les salaires et les loyers des locataires.
Cela fait déjà plus de 16 mois que nous sommes bloqués, nous attendons la régularisation de l’affaire entre les assurances. Notre avocat est en train de préparer le dossier devant le tribunal, et cela peut durer longtemps.
Madame, j’espère que vous comprendrez notre situation improbable. À cause de tout ce qui précède, je vous demande, de ne pas considérer notre situation comme une activité commerciale concernant les années 2016 et 2017.
Nous avions juste vendu un appartement en 2017 afin, comme nous l’avions précisé lors de notre lettre du 5 février 2018, de transférer notre patrimoine immobilier de … à …. Je vous précise que le total du solde de la vente cet appartement du … étage sis au … a servi pour solder le prêt bancaire.
Afin de régler la somme importante des impôts pour les années 2014 et 2015, ainsi que le redressement des cotisations sociales, nous avions vendu le bureau transformé en logement avec 2 caves et 3 emplacements à … en 2018. 70% du produit de la vente de cet appartement est parti pour le paiement des impôts.
Notre fiduciaire a finalisé la déclaration privée pour l’année 2018 et vous la recevrez très prochainement.
Nous comptons sur votre indulgence et nous attendons une réponse positive de votre part, nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos salutations les meilleures ».
Le 4 décembre 2020, le bureau d’imposition émit les bulletins d’impôts sur le revenu pour les années d’imposition 2016 et 2017.
Monsieur … et Madame … firent introduire en date du 27 décembre 2019 une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », réclamation libellée comme suit :
« (…) Au nom et pour le compte de mes mandants, je conteste par la présente les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019 - ceci notamment au vu du fait que mes mandants se voient imposer un montant de … euros au titre de prétendu bénéfice commercial suite à la vente d’un appartement qui leur appartenait sis à ….
C’est en effet à tort que la vente de l’appartement des époux … est en l’espèce considérée et imposée comme bénéfice commercial ! L’article 14, alinéa 1er LIR dispose qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale — définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale (..) ».
Les quatre critères énoncés par cette définition étant l’indépendance, le but de lucre, le caractère de permanence ainsi que la participation à la vie économique générale — critères qui doivent être cumulativement réunis pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal.
La vente de l’appartement litigieux au cours de l’année 2017 par les époux … ne remplit nullement ces critères en ce que notamment :
- les époux … ont toujours poursuivi une activité salariée et n’ont jamais fait de la vente de l’appartement litigieux ou d’un autre immeuble leur activité principale ou même accessoire.
- la vente ne dépasse pas les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé et n’est dès lors pas à qualifier de commerciale.
En effet « quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé » (Emile Stoffel, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14 à 18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14).
Selon la doctrine et la jurisprudence constantes, il y a administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé — au contraire, une telle vente dépasse le cadre de la gestion d’un patrimoine privé si le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.
En l’espèce, il n’y a pas eu transfert du patrimoine dans le chef des époux … alors que 70% du prix de vente a été viré directement par le notaire à l’Administration des contributions directes pour régler les impôts des années 2014 et 2015 ! La vente de l’appartement n’était donc pas motivée par un but de transfert du patrimoine et ne constitue pas une activité commerciale.
- le critère de permanence reste aussi à être rempli.
En vertu des travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’article 14 LIR « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète.
Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées » et « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale (…) d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable ».
En l’espèce il n’y a pas de permanence alors que les époux … ont fait la vente litigieuse à titre isolée et dans le seul but de payer leurs impôts auprès de l’Administration des contributions directes.
Il s’agissait dès lors d’une opération isolée.
Aussi le fait que la vente a eu lieu après une période très longue de détention de l’immeuble cédé, soit ici plus de 10 ans (!), démontre que le but recherché n’était pas la réalisation d’un bénéfice commercial.
En effet un bénéfice commercial est réalisé par une valorisation rapide du patrimoine moyennant des opérations d’achat et vente très rapprochés ! La jurisprudence administrative constante retient en effet que « le fait que les ventes ont eu lieu après une période assez courte de détention […] fait ressortir que le but recherché […] semble être […] essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale » (Tribunal adm., rôle 25.466).
En l’espèce l’appartement litigieux avait été acquis en vue d’une conservation et d’une jouissance à long terme - pour preuve les époux … ont eux-mêmes habités pendant de longues années dans l’immeuble.
La très longue période de détention de l’immeuble démontre ici l’absence d’entreprise commerciale.
Le soussigné tient à préciser que selon le Bundesfinanzhof, c’est essentiellement le fait que les immeubles soient rapidement achetés et revendus qui est déterminant pour distinguer la gestion d’un patrimoine privé d’une entreprise commerciale. La revente rapide des objets (« enger zeitlicher Zusammenhang zwischen Kauf und Verkauf von Wohnungen ») étant définie, par une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof, comme une revente dans un délai maximal de cinq ans à partir de l’acquisition de l’objet en question ! En l’espèce les époux … ont très largement dépassé ce délai maximal de cinq ans et le fruit de la vente isolée de 2017 ne saurait être qualifié et imposé comme bénéfice commercial ! Au vu de ce qui précède le critère de permanence n’est pas rempli en l’espèce.
- finalement le critère du but de lucre est également contesté et non-rempli en l’espèce.
Les époux … n’ont pas cédé l’appartement litigieux pour en tirer une plus-value ou pour réinvestir le prix de vente dans d’autres immeubles ! Mes mandants ont utilisé 70% des fonds pour régler les impôts réclamés par l’Administration des contributions directes - le prix de vente de l’appartement litigieux réalisé en 2017 ne peut donc pas être imposé comme bénéfice commercial.
Je tiens aussi à vous rendre attentif à la situation personnelle de mes mandants qui, depuis qu’un feu ayant pris ses débuts sur l’immeuble voisin a complètement détruit leur maison sise à … en date du … juillet 2018, se trouvent sans revenu locatif et sans habitation principale.
En effet les époux … et leurs … enfants vivent actuellement du salaire du sieur … d’un montant de … euros et de la dame … de … euros et doivent faire face à un prêt hypothécaire mensuel d’approximativement … euros (pour l’immeuble qui est devenu inhabitable) et d’un loyer pour se loger.
Les travaux de reconstruction de leur immeuble dureront probablement encore jusqu’en 2021, la situation financière des époux … est très précaire.
Au vu de ce qui précède, je vous prie de revoir le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019 - ceci notamment au vu du fait que c’est à tort que mes mandants se voient imposer un montant de … euros au titre de prétendu bénéfice commercial.
Tout en vous remerciant pour les bons soins réservés à la présente, je reste à votre disposition pour toute question supplémentaire et vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur des contributions directes, l’expression de mes sentiments très distingués. » Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après « les époux … », ont fait introduire le 16 octobre 2020 par requête enrôlée sous le numéro 45104 du rôle un recours tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation du « bulletin de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017 datant du 4 décembre 2019, émis par l’administration des contributions directes et demandant notamment aux requérants de s’acquitter des montants de … euros et … euros, calculés sur base d’un prétendu bénéfice commercial de … euros suite à la vente d’un appartement qui leur appartenait sis à … » ainsi que de « la décision de refus implicite du Directeur de l’administration des Contributions directes suite au recours des requérants du 27 décembre 2019 ».
Par requête déposée le 26 février 2021, inscrite sous le numéro 45711 du rôle, les requérants ont encore introduit un recours tendant à voir ordonner par le président du tribunal administratif, statuant au provisoire, le sursis à exécution par rapport aux décisions en question.
A l’appui de leur requête en obtention d’un sursis à exécution, les requérants soutiennent que l’affaire ne serait pas en état d’être plaidée et décidée à brève échéance, que l’exécution immédiate des décisions déférées risquerait de leur causer un préjudice grave et irréparable et que leurs moyens tels qu’invoqués à l’appui du recours au fond présenteraient un caractère de sérieux.
En ce qui concerne plus particulièrement l’allégation d’un préjudice grave et définitif, les époux … exposent que malgré connaissance de l’existence de leur recours au fond, l’administration des Contributions directes poursuivrait actuellement l’exécution des bulletins et aurait, en date du 24 février 2021, procédé à deux saisies sur des comptes bancaires détenus par eux pour les montants de … euros au titre de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017 et de … euros au titre de l’impôt commercial de l’année 2017.
Ils affirment qu’en raison de ces saisies, ils se verraient actuellement privés d’un montant total conséquent de plus de … euros, soustraits à un montant de … euros versés par leur assureur à titre de provision sur des indemnités à percevoir suite à l’incendie de leur l’immeuble sis à …, indemnités destinées à en financer la reconstruction : aussi, ils soutiennent que les saisies pratiquées sur leurs comptes bancaires par l’administration des Contributions directes les empêcheraient d’honorer les entreprises chargés des travaux de reconstruction et de continuer les travaux pour voir achever l’immeuble endéans un délai raisonnable. Partant, en raison de l’indisponibilité des fonds versés par l’assurance, la reconstruction de l’immeuble et leur emménagement dans celui-ci serait retardé, ce qui leur causerait un préjudice en ce qu’ils devraient rester en location et payer chaque mois un loyer conséquent pour se loger avec leurs … enfants. Les époux … estiment que cette mesure d’exécution forcée serait d’autant plus grave alors qu’elle ne serait pas justifiée comme ils se seraient dans le passé toujours acquittés de toutes leurs dettes auprès de l’administration des Contributions directes et que rien ne laisserait présumer qu’au cas où leur demande en réformation au fond serait déclarée non-fondée ils ne paieraient pas ce qui est dû.
Les époux … considèrent encore que les moyens invoqués à l’appui du recours au fond seraient suffisamment sérieux pour justifier une mesure de sursis à exécution en attendant la solution du litige par les juges du fond.
A cet égard, ils font plaider que ce serait à tort que la vente de leur appartement aurait été considérée et imposée comme bénéfice commercial. S’emparant de la notion de bénéfice commercial telle que définie par l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », ils soutiennent que la vente de l’appartement litigieux sis dans une maison d’habitation située à …, ne remplirait aucun des critères prévus à l’article 14 LIR.
En substance, ils exposent d’abord avoir toujours poursuivi une activité salariée et n’auraient jamais fait de la vente de l’appartement litigieux ou d’un autre immeuble leur activité principale ou même accessoire, par ailleurs la vente ne dépasserait pas les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé et ne serait dès lors pas à qualifier de commerciale, les requérants soulignant à cet égard qu’il n’y aurait pas eu transfert du patrimoine dans leur chef alors que 70% du prix de vente aurait été directement viré par le notaire instrumentant à l’administration des Contributions directes pour régler les impôts des années 2014 et 2015, de sorte que la vente de l’appartement n’aurait pas été motivée par un but de transfert du patrimoine et ne constituerait pas une activité commerciale.
Ils estiment que le critère de permanence dégagé par la loi ne serait pas non plus rempli, étant donné qu’ils auraient réalisé la vente litigieuse à titre isolée et dans le seul but de payer leurs impôts, les requérants soulignant par ailleurs que la vente en question aurait eu lieu après une période très longue de détention de l’immeuble cédé, soit ici plus de 10 ans, ce qui démontrerait que le but recherché n’aurait pas été la réalisation d’un bénéfice commercial, mais que l’appartement litigieux aurait été acquis en vue d’une conservation et d’une jouissance à long terme, eux-mêmes ayant d’ailleurs habités pendant de longues années dans l’immeuble.
Enfin, ils contestent tout but de lucre, en réaffirmant qu’ils n’auraient pas cédé l’appartement litigieux pour en tirer une plus-value ou pour réinvestir le prix de vente dans d’autres immeubles, alors qu’ils auraient utilisé 70% des fonds pour régler les impôts réclamés par l’administration des Contributions directes, de sorte que le prix de vente de l’appartement litigieux réalisé en 2017 ne pourrait pas être imposé comme bénéfice commercial.
Le délégué du gouvernement soutient quant à lui qu’aucune des conditions requises pour l’institution d’une mesure provisoire ne serait remplie en l’espèce.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 16 octobre 2020 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Il convient de prime abord d’examiner différentes questions affectant potentiellement le recours au fond, questions abordées contradictoirement à l’audience conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999. S’il s’agit certes de questions ne visant pas, de manière spécifique, l’(ir)recevabilité de la mesure de sursis à exécution, mais celle du recours introduit au fond, de sorte à constituer des questions relevant ainsi plus spécifiquement du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et devant le cas échéant être examinées sous ce rapport, la réponse à y apporter au provisoire a toutefois directement une incidence sur l’examen à effectuer par le juge du provisoire à l’aune des conditions découlant de l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999.
Ainsi, au-delà de la manifeste irrecevabilité du recours au fond tel que dirigé contre une prétendue décision implicite de refus directoriale - il résulte en effet de la jurisprudence unanime et constante basée sur l’article 8 (3) 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif qu’en cas de silence du directeur des contributions suite à une réclamation, le recours est à diriger, non contre une décision implicite de rejet du directeur, mais contre la décision qui fait l’objet de la réclamation, c’est-à-dire le bulletin d’impôt attaqué - se pose la question de la portée exacte du recours au fond, et en conséquence, du recours en obtention d’un sursis à exécution, portée conditionnant également l’analyse du préjudice grave et définitif.
A cet égard, le soussigné constate que les requérants, dans leur réclamation adressée le 27 décembre 2019 au directeur, ont entendu voir « revoir le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019 », alors que dans leur recours au fond, ils critiquent notamment « le bulletin de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017 datant du 4 décembre 2019 » : or, il résulte de la jurisprudence constante émise sur base du paragraphe 228 de la loi générale des impôts (AO) qu’un recours dirigé contre un bulletin d’imposition dressé par le bureau d’imposition est irrecevable omisso medio si ledit bulletin et les contestations formulées n’ont pas été soumis préalablement pour examen et décision au directeur.
Le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, également émis le 4 décembre 2019, n’ayant manifestement pas fait l’objet d’une réclamation auprès du directeur, il ne saurait faire l’objet d’un recours contentieux : le préjudice doit par conséquent être analysé par rapport au seul acte a priori valablement déféré aux juges du fond, à savoir le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019.
Force est ensuite de souligner qu’une mesure provisoire ne saurait être ordonnée que si le préjudice invoqué par le requérant résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué : en d’autres termes, c’est la décision contestée qui doit porter préjudice ou atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, aux intérêts du requérant.
En l’espèce, les requérants se prévalent de saisies exécutées sur leurs comptes bancaires « pour les montants de … euros au titre de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, respectivement … euros au titre de l’impôt commercial de l’année 2017 » : or, le bulletin de l’impôt communal commercial de l’année 2017 n’ayant pas fait l’objet d’un recours au fond - ni d’ailleurs d’une réclamation - l’impôt communal commercial ne saurait non plus être invoqué au titre de préjudice, l’impôt communal commercial ne résultant en effet pas du seul acte attaqué, à savoir le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 ; il en va de même en ce qui concerne les montants relatifs à l’impôt sur le revenu de l’année 2016, à savoir … euros en principal et … euros en intérêts de retard.
En ce qui concerne finalement l’impôt sur le revenu de l’année 2017, reposant sur le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017, il convient d’abord de souligner que le préjudice éventuel ne s’élève pas au montant total de … euros, mais, le cas échéant, uniquement à la différence - à supposer l’argumentation des requérants fondée - entre les impôts redus du fait de la qualification de la plus-value résultant de la vente de l’appartement en revenu commercial et les impôts redus le cas échéant du fait de la qualification de cette même plus-value en tant que revenus divers, ladite plus-value n’étant en tout état de cause pas destinée à être entièrement exemptée d’impôts.
Il convient ensuite de relever que le recours doit en tout état de cause être rejeté pour défaut de préjudice grave et définitif.
A cet égard, si les requérants soutiennent certes que les saisies opérées par l’administration des Contributions directes de leurs comptes bancaires les priveraient d’honorer leurs engagements relatifs à la reconstruction de leur immeuble incendié, les contraignant à louer un appartement à des fins d’habitation, il appert toutefois des explications du délégué du gouvernement que l’institut bancaire visé par la sommation à tiers détenteur du 24 février 2021 y a répondu par une déclaration négative, de sorte que le montant de … euros, résultant d’un acompte prévisionnel leur accordé en date du 5 février 2021 par leur assureur, semble avoir été soit transféré par ceux-ci auprès d’un autre institut bancaire, soit immédiatement retiré de leur compte et, éventuellement, affecté au paiement des dépenses relatives à la reconstruction de leur immeuble incendié, les requérants ayant à cet égard versé un rapport d’expertise de leur assureur dont il résulte, notamment, qu’une partie de l’acompte prévisionnel est à verser au vu de factures établies par les sociétés de Monsieur … - les sociétés … et … -, factures que l’expert estime toutefois incontrôlables, les requérants ayant par ailleurs d’ores et déjà perçu en juin 2020 un premier acompte de … euros, manifestement aussi déjà dépensé.
Il n’appert dès lors pas que le risque de préjudice ainsi invoqué d’un retard de reconstruction soit susceptible de se réaliser, le montant provisionnel de …. euros s’étant manifestement volatilisé.
Au-delà de ce constat, il convient encore de relever que l’argumentation des requérants relative au préjudice, telle que figurant dans la requête introductive d’instance, demeure essentiellement abstraite, les contribuables n’ayant aucunement précisé leur propre situation financière, que ce soit en actifs (avoirs en banque, revenus divers, rémunérations etc) ou en passif (dettes, loyers etc) ni procédé à une mise en perspective de leurs dettes fiscales par rapport à leur situation patrimoniale : la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience.
S’il est vrai qu’un préjudice financier, notamment du fait d’une dépense importante que le requérant serait contraint de faire en cas d’exécution de l’acte administratif querellé, est susceptible de constituer un préjudice grave et difficilement réparable, il n’en reste pas moins qu’il lui incombe de démontrer concrètement non seulement l’envergure de la dépense, mais aussi les répercussions graves risquant de le placer dans une situation financière intenable : or, les seuls arguments avancés à ce propos, non étayés par une quelconque pièce, s’ils permettent certes de constater éventuellement un risque de retard dans l’avancement du chantier de reconstruction de l’immeuble incendié et, corrélativement, la nécessité de continuer à louer un appartement à des fins d’habitation, ne permettent toutefois pas de déceler un risque de préjudice irréversible - puisqu’en cas de réformation du bulletin déférée au fond, les requérants seront a priori rétroactivement remis dans une situation telle que toutes les conséquences de l’imposition éventuellement indue seront effacées - et surtout grave, c’est-à-
dire de nature à les précipiter dans une situation financière précaire.
Faute de toute information détaillée et de toute pièce afférente fournies par les requérants, susceptibles d’étayer le risque financier mis en avant, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est en tout état de cause par conséquent pas justifié à suffisance de droit.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, condamne les requérants aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 mars 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 11