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13/01/2021 | LUXEMBOURG | N°45418

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 janvier 2021, 45418


Tribunal administratif N° 45418 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2020 Audience publique du 13 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45418 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2020 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … ...

Tribunal administratif N° 45418 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2020 Audience publique du 13 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45418 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2020 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er décembre 2020 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.

Le 8 juin 2020, Monsieur …, de nationalité marocaine, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la Police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 6 août, 7 septembre et 8 octobre 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 1er décembre 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 3 décembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 juin 2020, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 6 août, 7 septembre et 8 octobre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous étiez en possession de visas émis par les Pays-Bas, valables du 15 octobre 2017 au 29 novembre 2017 et du 8 mars 2018 au 8 septembre 2018. Vous étiez encore en possession d'un titre de séjour, émis par les autorités ukrainiennes, valable du 16 juillet 2018 au 1er septembre 2020.

Il résulte de vos déclarations auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que vous seriez de nationalité marocaine, célibataire, de confession chiite et que vous auriez vécu seul à …, où vous auriez travaillé depuis 2016 en tant qu'« entrepreneur » assistant des jeunes désireux de partir étudier en Russie ou en Ukraine. Vous auriez dans ce contexte été employé entre 2016 et 2019 par deux entreprises ukrainiennes et en même temps, vous auriez travaillé au Maroc comme « contrôleur de travaux publics dans l'assainissement ». Vous n'auriez toutefois pas pu continuer dans cette voie alors qu'au Maroc, on n'aurait pas le droit d'exercer deux métiers différents, « il faut créer une SARL » (p. 2 du rapport d'entretien). Ainsi, fin 2018 ou début 2019, vous auriez arrêté d'assister les jeunes.

Vous continuez vos dires, en signalant qu'en 2018, vous auriez terminé vos études en ingénierie civile en Ukraine et vous auriez par la suite poursuivi vos études avec une « soutenance » passée à distance depuis le Maroc. En mai 2019, vous auriez arrêté de travailler comme contrôleur et en juin 2019, vous seriez « tombé » (p. 4 du rapport d'entretien), respectivement, vous auriez eu un « grave accident » (p. 4 du rapport d'entretien) dans lequel vous vous seriez fracturé le dos et vous auriez par la suite été opéré au Maroc.

Le 22 décembre 2019, vous seriez retourné en Ukraine, où vous auriez consulté plusieurs médecins dans différents hôpitaux pour trouver une solution à votre blessure de dos.

En même temps, vous auriez fait un « saut à l'université » pour voir si votre dossier est en règle, voire, pour passer des examens pour lesquels vous n'auriez toutefois pas pu vous inscrire, alors que vous vous seriez présenté tardivement.

En janvier 2020, vous auriez planifié de rentrer au Maroc à bord d'un avion, avec escale en Belgique, une information que vous réfutez par la suite, alors que vous indiquez que vous n'auriez jamais voulu rentrer chez vous. Quoi qu'il en soit, lors de votre pause en Belgique, vous vous seriez de nouveau fait mal au dos au point de nécessiter une hospitalisation, dans le cadre de laquelle on vous aurait fait comprendre que votre opération au Maroc n'aurait « pas réussi » et que vous nécessiteriez une opération d'urgence. Or, comme vous n'auriez pas possédé de document attestant d'une couverture médicale, vous vous seriez d'abord installé chez un membre de famille avant d'écrire au Ministère de l'immigration belge pour demander une régularisation de votre situation et le droit de vous faire opérer « correctement » en Belgique. On vous aurait répondu que cette procédure prendrait une vingtaine de jours, mais après trois jours, le membre de votre famille vous aurait demandé de partir et vous seriez alors allé vous installer chez votre frère en France le 8 janvier 2020.

Vous auriez par la suite consulté des médecins à Paris qui vous auraient conseillé d'aller voir les « spécialistes » à Rouen alors que le « taux de réussite » dans leur hôpital ne serait « pas bon ». A Rouen, où vous auriez de nouveau été logé par un membre de famille, on vous aurait expliqué que « cela va prendre du temps » et vous auriez alors estimé que la « solution » serait de venir au Luxembourg, étant donné qu'ici les professeurs chirurgiens seraient dotés d'une bonne expérience. En juin 2020, vous seriez arrivé au Luxembourg.

Vous n'avez pas demandé de protection internationale en Belgique parce que vous n'auriez pas été au courant que l'asile existerait. Or il découle de votre dossier que vous auriez recherché une protection internationale en France mais que les autorités auraient refusé d'enregistrer votre demande, respectivement, refusé l'accès à leur bâtiment. Vous ajoutez dans ce contexte que lors d'un voyage en avion vers la Maroc à une date inconnue, vous auriez fait une escale en Espagne, où vous auriez feinté des problèmes médicaux à l'aéroport pour pouvoir sortir de la zone internationale et ainsi pouvoir fumer. Vous auriez été hospitalisé en Espagne, « bien traité et soigné » et les autorités vous auraient remis une autorisation de séjour, mais vous auriez tout de même opté pour un retour au Maroc.

Vous confirmez avoir surtout introduit une demande de protection internationale à cause de vos problèmes de santé, aussi bien physiques que psychologiques et vous précisez que vous n'auriez pas bénéficié d'une assurance de santé au Maroc bien que la loi vous y donnerait droit; « ils ont dit que cette loi n'est pas encore entrée en vigueur ». Vous ajoutez que vous auriez été « maltraité » à l'hôpital parce qu'« ils » auraient su que vous seriez de confession chiite.

Ainsi, vous auriez « changé de branche » de religion en 2017, suite à des lectures et après avoir fait des recherches sur le sunnisme et compris que les communautés sunnites seraient en désaccord. Vous précisez toutefois qu'il n'existerait aucune démarche à suivre pour se convertir au chiisme, « il n'y à rien à faire. Juste la prière est différente » (p. 18 du rapport d'entretien). Vous n'auriez par ailleurs eu aucun contact avec la communauté chiite au Maroc et vous indiquez que votre seul lien avec le chiisme serait entretenu avec le courant du « … » qui serait installé à Londres et avec lequel vous communiqueriez par « WhatsApp ».

Vous précisez en outre que le Chiisme serait réprimé au Maroc et que les Chiites seraient obligés de faire « tout en cachette. Tout le monde a peur. Tu ne peux pas annoncer » (p. 19 du rapport d'entretien). En même temps, vous auriez toutefois expliqué à qui voulait l'entendre que vous vous seriez converti au Chiisme (p. 16 du rapport d'entretien), notamment au gardien de votre immeuble dont vous auriez su qu'il travaillerait comme informateur pour les autorités.

Dans ce contexte, vous prétendez que le « problème de sunnites », respectivement un problème avec les « partis sunnites » vous aurait égaiement fait quitter le pays, bien que « je me suis concentré plus sur mes problèmes de santé que sur ce problème » (p. 10 du rapport d'entretien) Interrogé quant à la nature de ces problèmes, vous expliquez qu'il s'agirait de « provocations ». Ainsi, des gens que vous ne connaîtriez pas, membres de l'organisation « … » qui aurait une « très bonne relation avec le gouvernement », seraient venus vous voir en décembre 2018 après avoir parlé audit gardien et vous auraient d'abord « longtemps » parlé de religion en vous invitant à venir prier avec eux à la mosquée le vendredi. Vous auriez refusé cela parce que ça ne serait pas « dans l'habitude des Chiites » d'aller à la mosquée les vendredis. Lesdits membres de cette organisation vous auraient ensuite provoqué, en touchant votre barbe, en vous expliquant que les Sunnites auraient « toujours raison » tandis que les Chiites seraient des « terroristes » ou en vous reprochant d'avoir sali l'image de l'islam tout en voulant vous « montrer la direction » pour revenir à la « bonne voie ». Vous auriez alors expliqué à ces gens que vous seriez devenu chiite suite à des recherches et parce que vous seriez convaincu: « il n'y a pas de terroristes » (p. 10 du rapport d'entretien).

En janvier 2019, lesdits membres auraient fouillé votre bureau et auraient voulu tout savoir sur vous. Vous auriez alors eu une bagarre avec eux, avant de réussir à vous enfuir et à les dénoncer auprès de la police. Or, l'agent de police à qui vous auriez préalablement expliqué que vous auriez changé de « branche » de religion en 2017, aurait refusé le dépôt de votre plainte, vous aurait reproché votre confession et menacé de vous incarcérer et de vous faire du mal, avant de vous laisser partir.

En janvier ou février 2019, des membres de ladite organisation seraient venus parler amicalement à votre père afin qu'il vous convainque de ne plus « rester dans cette branche ».

Pendant ce temps, vous auriez continué à travailler et ce jusqu'en mai 2019, lorsque vous auriez arrêté de vous « déplacer » parce qu'il n'y aurait plus eu « d'offre au marché public ».

Vers la même période, trois membres de cette organisation seraient entrés de force dans votre bureau et vous auraient de nouveau agressé. Pour vous enfuir, vous auriez sauté par la fenêtre et vous vous seriez alors blessé au dos.

Par la suite, les policiers et l'ambulance seraient arrivés et ces agents, les mêmes que ceux présents lors de la tentative de dépôt de votre plainte, auraient immédiatement voulu rédiger un rapport en classant l'affaire comme une tentative de suicide suite à une « désobéissance aux parents », une infraction qui serait punie par la loi par un an d'emprisonnement. Vous auriez ensuite été placé à l'hôpital mais vous n'auriez reçu aucun soin et le généraliste présent vous aurait expliqué que les médecins internes n'auraient pas d'expérience et qu'il vaudrait mieux vous faire soigner dans une clinique privée. Vous auriez ensuite été transféré dans un autre hôpital et auriez été opéré, mais vous précisez que les médecins auraient commis des « fautes professionnelles » pendant l'opération et qu'ils auraient omis de vous signaler que « cette opération n'existe pas au Maroc » (p. 13 du rapport d'entretien). Quant à la « maltraitante » subie pendant votre hospitalisation, vous précisez qu'elle aurait d'abord consisté dans le fait qu'on ne vous aurait pas pris en charge et pas administré de calmants, puis qu'on ne vous aurait pas changé de pansements, que « cela » aurait commencé à s'infecter et que votre opération n'aurait pas été réalisée correctement.

Après votre hospitalisation, une connaissance travaillant pour les services secrets vous aurait confié que vous seriez « fiché » par eux et vous aurait conseillé de ne plus « suivre les chiites ». En plus, en tant que personne fichée, vous ne pourriez plus postuler pour un emploi étatique et vous auriez été personnellement discriminé dans le cadre d'un contrôle ordonné par « le roi » pour voir à qui appartiendrait un certain terrain. Après avoir appris qu'il appartiendrait à votre famille, tous les membres portant le nom … auraient dû présenter leur carte d'identité pour pouvoir bénéficier du terrain « et ça allait pour tous, mais pas pour moi » (p. 20 du rapport d'entretien).

Etant donné qu'il n'y aurait « plus rien » eu pour vous au Maroc et que pour le surplus, il n'y existerait pas de liberté de religion, vous auriez décidé de partir en Europe et demander l'asile. Entre juin et décembre 2019, vous n'auriez plus rien fait au Maroc et vous auriez vécu alternativement chez votre soeur ou votre père avant de gagner l'Ukraine, où vous auriez tenté en vain de vous faire opérer ou soigner grâce à votre assurance maladie d'étudiant. Vous auriez cependant compris que vous devriez y payer beaucoup d'argent pour être soigné et après une semaine passée en Ukraine, vous seriez monté à bord d'un avion pour la Belgique, avant de gagner la France et finalement le Luxembourg.

Vous présentez un passeport marocain établi le 31 janvier 2017 et vous versez plusieurs documents à l'appui de vos dires:

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Une photo de votre plaie après votre opération ;

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Une carte d'embarquement pour un vol Kiev — Bruxelles ;

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Trois certificats médicaux ;

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Un compte-rendu concernant votre rééducation ;

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Une impression du ticket électronique pour un vol aller-retour Casablanca — Kiev. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2020, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 1er décembre 2020 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 1er décembre 2020 telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, de nationalité marocaine, déclare avoir dû quitter son pays d’origine en raison de ses raisons religieuses liées à sa conversion à la branche chiite de l’Islam.

Quant à sa demande de réformation de la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, Monsieur … souligne avoir, lors de ses auditions du 6 août, 7 septembre et 8 octobre 2020, relevé sincèrement les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale et se remet, « dans le cadre de son droit à un recours effectif », à la sagesse du soussigné quant à l’appréciation du choix ministériel de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder le statut de réfugié, le demandeur, « compte tenu de la brièveté et de la sincérité de ses propos », s’en remettrait là-aussi à la sagesse du soussigné quant à l’appréciation de la décision ministérielle de rejeter sa demande de protection internationale.

Quant à la décision ministérielle de ne pas lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, il se contente également de se rapporter à la sagesse du soussigné quant à l’appréciation faite par le ministre pour arriver à cette décision.

Finalement, le demandeur conclut encore à la réformation de l’ordre de quitter le territoire en raison du fait qu’il devrait bénéficier d’une protection internationale, tout en relevant qu’il faudrait prendre en considération « une actualité sanitaire INTERNATIONALE désastreuse liée à la propagation du virus COVID-19 « Corona Virus » » et en se prévalant du principe de précaution.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses volets, tout en relevant un défaut manifeste de motivation du recours du demandeur qui se limiterait à se rapporter à prudence de justice quant à la décision ministérielle de recourir à une procédure accélérée et quant à la décision ministérielle de rejeter sa demande de protection internationale dans ses deux volets. Il n’appartiendrait, en effet, ni à la partie étatique, ni au tribunal administratif de pallier à la carence du demandeur et de rechercher eux-mêmes les moyens juridiques à l’appui des prétentions de Monsieur ….

En vertu de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 :

« Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, il y a lieu de relever que la décision ministérielle est, en l’espèce fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Le soussigné est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par ce dernier ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande de protection internationale lui soumise dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur de protection internationale ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, force est de constater que concernant le recours contre la décision ministérielle de procéder à l’analyse de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la requête introductive d’instance ne prend aucunement position quant au reproche ministériel suivant lequel les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale seraient dénués de toute pertinence au regard de l’examen de celle-ci, le demandeur se limitant à prétendre que son récit aurait été présenté « de façon spontanée, sans ambages », tout en se contentant, pour le surplus, de s’en remettre à la sagesse du soussigné.

Or, à défaut d’avoir formulé le moindre moyen en fait ou en droit de nature à sous-tendre sa demande tendant à la réformation de la décision critiquée, respectivement faute d’une quelconque prise de position circonstanciée à cet égard dans la requête introductive d’instance, le constat du ministre selon lequel les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande ne se trouve manifestement pas énervé, étant relevé qu’il n’appartient pas au soussigné de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours tendant à la réformation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour être manifestement infondé.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder une protection internationale au demandeur, il convient de relever que là non plus le demandeur n’a pas formulé le moindre moyen en fait ou en droit de nature à sous-tendre sa demande tendant à la réformation de la décision critiquée, ni ne prend-il position par rapport aux motifs de refus lui concrètement opposés, mais qu’il se limite à s’en remettre à la sagesse du soussigné quant à l’appréciation du bien-fondé de la décision ministérielle lui refusant l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Etant donné cependant, tel que relevé ci-avant, qu’il n’appartient pas au soussigné de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, et en l’absence de toute contestation utile des motifs à la base du refus ministériel de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, le soussigné ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure que l’appréciation ministérielle suivant laquelle le demandeur n’a pas apporté le moindre élément de nature à établir qu’il existerait dans son chef des raisons sérieuses de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi, pour arriver à la conclusion qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, n’a manifestement pas été utilement énervée.

Au vu de ces considérations, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à rejeter pour être manifestement infondé.

Il s’ensuit que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir ci-dessus que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation, de la part du demandeur, de la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie du virus COVID-19, dans la mesure où celle-ci concerne exclusivement un problème d’exécution de l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’égard du demandeur, considération ne relevant pas de la compétence du tribunal administratif, et non pas la légalité ou le bien-fondé de ladite mesure.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er décembre 2020 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre celle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2021, par le soussigné, Marc Frantz, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto.

s.Paulo Aniceto s. Marc Frantz Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45418
Date de la décision : 13/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-13;45418 ?

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