Tribunal administratif N° 45311 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2020 Audience publique du 9 décembre 2020 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)
__________________________________________________________________________
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 45311 du rôle et déposée le 3 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par la société CERNO SARL, inscrite à la liste V du Tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2449 Luxembourg, 25A, Boulevard Royal, représentée par Maître Cora MAGLO, avocat à la cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 novembre 2020 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la France, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 18 novembre 2020, inscrit sous le numéro 45310, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Cora MAGLO et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
___________________________________________________________________________
Le 11 septembre 2020, Monsieur …, de nationalité togolaise, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale de la circonscription régionale SPJ, unité de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que la France lui avait délivré en date du 29 avril 2019 un visa type D long séjour, valable du 17 mai 2019 au 17 mars 2020 lui ayant permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre.
Le 16 septembre 2020, il passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par décision du 18 novembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressé que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il serait transféré vers la France, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement l’article 12, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, la décision étant libellée comme suit :
« Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 septembre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(4) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 11 septembre 2020 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 16 septembre 2020.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 11 septembre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’Immigration.
Il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré en date du 29 avril 2019 un visa type D long séjour, valable du 17/05/2019 au 17/03/2020 vous ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 16 septembre 2020.
Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 24 septembre 2020 une demande de prise en charge aux autorités françaises sur base de l’article 12(4) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 13 octobre 2020.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
La responsabilité de la France est acquise suivant l’article 12(4) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d’un visa périmé depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré en date du 29 avril 2019 un visa type D long séjour, valable du 17/05/2019 au 17/03/2020 vous ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Togo en date du 17 mai 2019 par voie aérienne en direction de la France, muni d’un visa vous permettant de faire un stage comme … auprès de l’armée française, Vous auriez séjourné à … en France entre le 17 mai 2019 et le 26 février 2020, Vous dites que vous seriez recherché au Togo par l’armée togolaise et que vous ne vous seriez pas senti en sécurité en France. C’est pourquoi vous seriez venu au Luxembourg en date du 9 septembre 2020.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 16 septembre 2020, vous avez fait mention de souffrir de sinusite. Cependant, vous n’avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte) (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de fa Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.
Par ailleurs, il n’existe aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en France, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités françaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes françaises, notamment judiciaires.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9,10 et 11 du règlement DIII.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dili et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Au regard de votre état de santé, il n’existe aucune raison de croire que l’exécution du transfert-même vers la France rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d’une violation de l’article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n’est pas d’une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement Dili serait d’ores et déjà voué à échec.
Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dili à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées.
4. Quant aux voies de recours Contre la présente décision, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Le recours doit être introduit moyennant requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le jugement du tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel.
Le recours prévu à l’article 35(3) n’a pas d’effet suspensif. Une requête en référé signée d’un avocat à la Cour peut être déposée devant le président du tribunal administratif afin d’obtenir le sursis à l’exécution ou une mesure de sauvegarde. La décision du ministre n’est pas exécutée tant que l’ordonnance de référé n’a pas été prononcée. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2020, inscrite sous le numéro 45310 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 18 novembre 2020. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 45311 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la France et à l’autoriser à résider au Grand-Duché de Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
A l’appui de son recours en obtention d’une mesure provisoire, Monsieur … relate avoir dû quitter contre son gré son pays d’origine pour se rendre en France afin de fuir les persécutions dont il aurait fait l’objet au Togo et dont il risquerait à nouveau de faire l’objet en sa qualité de militaire et d’opposant politique.
Le requérant soutient qu’il subira du fait de la décision attaquée par le recours au fond un préjudice grave et définitif, alors que compte tenu de l’existence de fortes relations diplomatiques depuis 1977 entre la France et le Togo, il craindrait en sa qualité de militaire de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine, le Togo, alors même que les risques pour sa vie seraient fondés, le requérant affirmant avoir reçu en France un message dans lequel figurait un avis de recherche togolais le concernant.
Il estime de surcroît que les moyens invoqués à l’appui du recours en annulation tendant au contrôle de la légalité de la décision déférée apparaîtraient comme sérieux.
Dans ce contexte, il énonce, pour tout moyen, que si la France est liée à la Charte UE et partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié dite Convention de Genève, il conviendrait tout de même de rappeler les relations diplomatiques entre la France et le Togo, qui le mettraient à mal en sa qualité de militaire, alors même qu’il ne serait pas assuré d’être protégé en cette qualité et de ne pas faire l’objet d’un transfert dans son pays d’origine.
Il s’empare ensuite de l’article 17(1) du règlement Dublin III, aux termes duquel chaque Etat membre a la possibilité de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée notamment par un ressortissant d’un pays tiers, alors même que cet examen ne lui incomberait pas, pour soutenir qu’il ressortirait des éléments de son dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à cet article, alors qu’il aurait fait valoir des éléments humanitaires et exceptionnels non couvert par les dispositions du règlement Dublin III, qui auraient dû amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables du traitement de sa demande de protection internationale.
Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours.
Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
L’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 3 décembre 2020, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », endéans 2 mois de l’introduction de la requête - la date des plaidoiries étant d’ailleurs fixée au 20 janvier 2021 -, de sorte qu’elle doit être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Le soussigné constate ensuite qu’en l’espèce, la décision litigieuse semble avoir été prise par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 12 paragraphe 4) du règlement Dublin III, au motif que le Luxembourg ne serait pas compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par le requérant, mais la France, la France ayant d’ailleurs accepté en date du 12 janvier 2018 la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 12, paragraphe 4), du règlement Dublin III, disposition qui vise le cas d’un demandeur qui est « titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre ».
Or, à cet égard, le requérant reste en défaut de prouver en quoi la décision d’incompétence, respectivement de transfert, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, étant souligné qu’en la présente matière la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif est étroitement liée à celle du caractère sérieux des moyens avancés au fond.
Le soussigné tient encore à rappeler qu’en ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, un sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde, ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours1 : or, il appert en l’espèce que la situation de fait critiquée, à la base du présent litige, se situe dans l’éloignement redouté du requérant vers le Togo, retour qui ne fait toutefois pas l’objet de la décision présentement déférée, laquelle ne porte que sur le transfert du requérant vers la France, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, point n’étant d’ailleurs pas contesté.
Si la Cour européenne des droits de l’homme insiste certes sur l’obligation de ne pas éloigner une personne vers un pays donné2 lorsque l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 CEDH, la préoccupation essentielle de la CourEDH est toutefois de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou 1 Trib. adm. (prés.) 9 avril 2015, n° 36115, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 591, et autres références y citées.
2 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 75.
indirect, vers son pays d’origine3, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux4.
Il résulte dès lors de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 CEDH qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit, qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable de l’examen de sa demande d’asile, à savoir en l’espèce en France.
Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de la santé de l’intéressé.
Comme en l’espèce, le risque n’est pas inhérent à la situation dans l’Etat membre responsable de la prise en charge de la demande de protection internationale, mais résulterait d’un refoulement par ricochet vers le pays d’origine, il convient de vérifier l’existence d’une protection effective contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire de transfert où il serait exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant.
Or, la France respecte a priori - le requérant ne fournissant aucun indice tangible permettant au soussigné d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que plus particulièrement le respect du principe de non-
refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Aucun indice sérieux n’indique par ailleurs que les autorités françaises compétentes entendraient violer le droit de l’intéressé à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou entendraient lui refuser une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus dans son pays d’origine, ou encore qu’il ne pourrait y bénéficier d’une protection contre son refoulement vers le Togo, Monsieur … n’ayant en effet avancé aucun élément concret qui permettrait de conclure que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
3 Ibidem, point 298.
4 CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Allemagne, n° 43611/11, point 118.
Ainsi, il n’appert pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherche en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.
Dans ces circonstances et compte tenu des éléments soumis actuellement au soussigné, le transfert de l’intéressé vers la France ne semble pas l’exposer à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement, ancré à l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant de l’article 4 de la Charte ou encore de l’article 3 CEDH.
Enfin, si par impossible les autorités françaises devaient néanmoins décider de rapatrier le requérant, même le cas échéant, comme soutenu, en violation de l’article 3 CEDH, à supposer que le requérant soit effectivement exposé à un risque concret et grave en cas de retour au Togo, il lui appartiendrait, tous recours épuisés, de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme et lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités françaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire ;
condamne le requérant aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 décembre 2020 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier en chef.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 9