Tribunal administratif N° 45212 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2020 Audience publique du 2 décembre 2020 Recours formé par Monsieur …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45212 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 novembre 2020 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne, ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire sise à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 octobre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2020 ;
Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;
Vu la communication de Maître Nicky STOFFEL du 19 novembre 2020 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Laurent THYES en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.
Le 15 janvier 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, ci-après désigné le « ministère » une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Par courrier du 24 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre » informa Monsieur … que sa demande en obtention d’une protection internationale était considérée comme implicitement retirée conformément à l’article 23, paragraphe (2), b) de la loi du 18 décembre 2015.
En date du 9 octobre 2020, Monsieur … se présenta auprès du ministère afin de solliciter 1 la réouverture de son dossier.
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la Police Judiciaire dans un rapport du même jour.
En date du 20 octobre 2020, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 octobre 2020, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 octobre 2020 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 20 octobre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez été enregistré en France le 18 novembre 2002 et que vous êtes en possession d’un permis de conduire français obtenu le même jour. Vous signalez avoir à plusieurs reprises quitté votre pays d’origine. En 1997, vous vous seriez installé en France et vous y auriez obtenu le statut de réfugié. Après avoir été « discriminé » en France, vous seriez retourné en Géorgie en 2003. Après la « révolution » qui a eu lieu en Géorgie quelques mois plus tard, vous auriez été agressé plusieurs fois dans votre fonction de journaliste, raison pour laquelle vous auriez décidé d’à nouveau quitter votre pays en 2019. Le 28 août 2019, vous seriez monté à bord d’un avion pour Barcelone, où vous seriez resté deux jours, avant de prendre un autre avion en direction de la Belgique et finalement arriver au Luxembourg, en train, le 30 août 2019.
Le 8 septembre 2019, vous vous êtes présenté à la Direction de l’immigration pour obtenir un titre de séjour; or, comme celui-ci vous a été refusé, vous avez décidé en janvier 2020, d’introduire une demande de protection internationale « mais je suis finalement reparti sans compléter ma demande ».
Il résulte de vos déclarations auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que vous seriez divorcé et que vous auriez vécu avec vos parents, vos enfants et vos petits-enfants dans une maison à … (région de …), où vous auriez subvenu à vos besoins en étant « patron de vignoble ». Vous précisez que votre dernier emploi aurait été journaliste et que vous auriez été un parlementaire avant le « putsch » de 1992.
Vous avez introduit une demande de protection internationale pour sauver votre vie, alors que le 31 mai 2019, vous auriez été « agressé à la colonne vertébrale » dans votre vignoble par deux « agresseurs spéciaux » équipés de barres métalliques. Vous précisez connaître vos deux agresseurs, alors qu’ils habiteraient le même village que vous. Vous n’auriez aucune idée des raisons ayant motivées ces personnes à vous agresser mais vous précisez en même temps que vous seriez persuadé que le Général pro-russe … les auraient « dirigées » contre vous à cause de votre patriotisme géorgien. Avant de quitter la Géorgie, vous auriez, à une date inconnue, déposé plainte contre ces deux agresseurs grâce à un certificat médical qui vous aurait été remis par le « bureau d’expertise » à …, mais vous n’auriez pas reçu de réponse, ni du Ministère de l’Intérieur, ni du Procureur Général.
Vous ajoutez avoir par le passé travaillé comme journaliste et avoir publié beaucoup d’articles concernant la désoccupation. Ainsi, vous craindriez pour votre liberté alors que 2 plusieurs journalistes auraient été arrêtés et emprisonnés en Géorgie. Dans ce contexte, vous précisez avoir une fois été placé en prison, pour un jour, le 15 juin 2016, pour une raison inconnue. Vous confirmez ne pas posséder la moindre preuve concernant tous ces articles que vous auriez écrits, mais que le journal pour lequel vous auriez travaillé existerait toujours;
vous auriez toutefois oublié le nom de ce journal.
Concernant la période de votre premier passage à la Direction de l’immigration jusqu’à l’introduction de votre demande de protection internationale 15 janvier 2020, vous auriez passé votre temps à envoyer des informations sur « facebook ». Il ne ressort pas du rapport d’entretien pourquoi vous avez par la suite décidé de ne plus vous présenter à la Direction de l’immigration jusqu’à la réouverture de votre demande de protection internationale en octobre 2020.
Vous présentez un passeport géorgien et versez plusieurs pièces à l’appui de vos dires:
- Un certificat médical établi au Luxembourg le 3 septembre 2019.
- La copie d’un certificat médical géorgien qui serait daté au 31 mai 2019.
- La copie d’une attestation de la « Section Nationale Géorgienne de la Société Internationale des Droits de l’Homme », datée au 29 avril 2000, informant que vous travaillé entre … et …, comme envoyé spécial dans la « publication trimestrielle d’information et d’analyse » ….
- Une feuille DinA4, montrant des photos de différents badges qu’on vous aurait remis qui comprend à plusieurs endroits l’emblème du « Centre de formation des journalistes de … ». Les copies de photos de badges font état de votre participation du …, en …, à l’« … (…) http://… », d’un badge qui vous aurait été remis par « … », qui aurait expiré en avril 2003, d’un badge qui vous aurait été remis par le « … » à une date inconnue et un badge daté au 9 mai 2002, émis par … à … vous qualifiant de « journaliste … ».
A noter que votre dossier administratif fait encore état d’une « plainte » que vous avez écrite au Ministre de l’Intérieur du Luxembourg le 28 janvier 2020, à cause de « l’attaque piratique » que vous auriez subie dans la Direction de l’immigration le 15 janvier 2020, de la part du « Directeur » et d’une agente et qui vous aurait causé le début d’une crise cardiaque.
Vous demandez à Madame le Ministre de faire arrêter ces deux personnes, suivie de la phrase incompréhensible « La prévention nécessaire. Le tribunal administratif n’est effectivement pas pour moi ».
Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), points a), b) et h) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2020, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 octobre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
A titre liminaire, le délégué du gouvernement a soulevé dans son mémoire en réponse que le demandeur n’aurait pas formulé de recours contre la décision ministérielle statuant sur 3 le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
L’article 35, paragraphe (2), alinéa 1er, de la loi du 18 décembre 2015 dispose que :
« Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. […] ».
Force est de constater qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et h) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que :
« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] h) le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités ou n’a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée ; […] ».
En l’espèce, la soussignée constate que dans sa requête introductive d’instance, Monsieur … s’est limité à attaquer la décision ministérielle lui refusant la protection internationale et celle lui ordonnant de quitter le territoire. Il n’a ainsi pas pris position ni dans l’introduction, ni dans le corps de sa requête, ni dans son dispositif quant à la décision de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
La soussignée n’est, dès lors, pas saisie d’un recours contre la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans le cadre d’une procédure accélérée et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé exclusivement contre la décision du ministre du 27 octobre 4 2020 portant refus de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale de Monsieur … et contre l’ordre de quitter le territoire.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a encore soulevé l’irrecevabilité ratione temporis du recours.
Le demandeur n’a pas pris position quant au moyen d’irrecevabilité lui ainsi opposé.
En vertu de l’article 35, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015, le recours à diriger contre une décision ministérielle ayant pour objet de faire application de la procédure accélérée, en application de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, « doit être introduit dans un délai de 15 jours à partir de la notification ».
En l’espèce, il est constant en cause que les décisions du 27 octobre 2020 ont été notifiées au demandeur en mains propres en date du même jour, tel que cela ressort de la dernière page des décisions litigieuses.
Force est ainsi à la soussignée de constater que le délai légal de 15 jours pour introduire le recours contentieux a commencé à courir le 28 octobre 2020 pour expirer 15 jours plus tard, à savoir le mercredi 11 novembre 2020. Or, le recours sous examen a été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 novembre 2020, de sorte qu’il a été déposé au-delà du délai légal, entraînant son irrecevabilité en raison de son dépôt tardif.
Il suit partant de l’ensemble des développements qui précèdent, et sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les moyens invoqués à l’appui du recours sous examen, que ledit recours est irrecevable ratione temporis.
Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 décembre 2020, par la soussignée, Géraldine Anelli, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Géraldine Anelli Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 5