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30/11/2020 | LUXEMBOURG | N°45220

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 novembre 2020, 45220


Tribunal administratif N° 45220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2020 Audience publique du 30 novembre 2020 Requête en obtention d’un sursis à exécution et d’une mesure de sauvegarde introduite par la société X, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en présence de la société Y, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45220 du rôle et déposée le 13 novembre 2020 au

greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tablea...

Tribunal administratif N° 45220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2020 Audience publique du 30 novembre 2020 Requête en obtention d’un sursis à exécution et d’une mesure de sauvegarde introduite par la société X, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en présence de la société Y, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45220 du rôle et déposée le 13 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société X, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution et à l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à l’arrêté du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 21 octobre 2020, portant attribution au profit de la société Y du marché de travaux d’entretien du réseau autoroutier partie … à exécuter dans le cadre du développement durable et de la réinsertion sociale et, corrélativement, rejet de son offre comme n’étant pas moins-disante, un recours en annulation, sinon en réformation, ayant par ailleurs été introduit contre ledit arrêté ministériel par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45219 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Nadine TAPELLA, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 16 novembre 2020, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société Y, société anonyme et société d’impact sociétal, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

Vu la note de plaidoiries versée au greffe du tribunal administratif par Maître Thibault CHEVRIER pour la société Y en date du 23 novembre 2020 ;

Vu la note de plaidoiries versée au greffe du tribunal administratif par Maître Benjamin MARTHOZ pour l’Etat en date du 24 novembre 2020 ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté ministériel déféré ;

Maître Rachel JAZBINSEK, en remplacement de Maître Albert RODESCH, pour la société requérante, Maître Benjamin MARTHOZ, pour l’Etat, ainsi que Maître Thibault CHEVRIER, pour la société Y, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 novembre 2020.

1

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Par avis de marché du 18 mai 2020 le ministère de la Mobilité et des Travaux publics, administration des Ponts et Chaussées, annonça l’ouverture d’une procédure de soumission ouverte en vue de l’attribution du marché public concernant les travaux d’entretien du réseau autoroutier partie … à exécuter dans le cadre du développement durable et de la réinsertion sociale.

La société X, ci-après « la société X », la société Y, ci-après « la société Y », ainsi que la société Z déposèrent des offres. Lors de l’ouverture des soumissions, la société X constata que l’enveloppe remise par la société Y aurait été fermée d’un simple collant facilement manipulable et n’aurait pas été scellée, tandis que le titre du bordereau à écrire sur l’enveloppe aurait été incomplet et n’aurait pas permis une identification complète, tandis que le nom du soumissionnaire Y aurait encore figuré sur l’enveloppe. Ces défauts auraient été constatés par les représentants de l’administration des Ponts et Chaussées présents.

La société X dénonça ces irrégularités par courrier recommandé du 30 juin 2020 et par mail.

Il apparut ensuite toutefois que la société Y serait la moins-disante des concurrents en lice, tandis que la société X présenta la seconde meilleure offre.

Par arrêté du 21 octobre 2020, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, dénommé ci-après le « ministre », sur avis de la commission des soumissions du 18 septembre 2020, approuva le procès-verbal d’adjudication publique, suivant lequel la société Y s’engage à exécuter les prestations mises en soumission publique moyennant le paiement d’un prix de … euros (TTC).

Par courrier du 27 octobre 2020, le ministre informa la société X que l’offre soumise par elle n’avait pas pu être retenue, faute de ne pas avoir été l’offre économique la plus favorable.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2020, inscrite sous le numéro 45219 du rôle, la société X a fait introduire un recours tendant à l’annulation et subsidiairement à la réformation de l’arrêté ministériel du 21 octobre 2020 portant attribution du marché litigieux à un autre soumissionnaire et rejet de son offre. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45220 du rôle, la société X sollicita encore le sursis à exécution ainsi que l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision attaquée dans le cadre du recours au fond.

La société X estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation, sinon de réformation, à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

Dans le cadre de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la société X, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, fait valoir qu’elle aurait en sa qualité de participante à une 2 opération de sélection en vue de la passation d’un marché public un intérêt à agir suffisant pour contester le rejet de son offre et l’adjudication du marché à un autre soumissionnaire.

Elle subirait encore un préjudice grave et définitif en cas d’exécution de l’arrêté ministériel querellé, alors que la signature du contrat en découlant avec un concurrent constituerait une perte de chance pour elle de conclure un marché d’envergure qu’elle exécuterait d’ailleurs depuis plusieurs années. Elle perdrait ainsi un marché de référence inscrit en outre dans un processus d’insertion sociale suivi depuis de nombreuses années par elle.

Financièrement, l’exécution de cette décision aurait pour conséquence une perte importante de son chiffre d’affaires, la société X relevant que son prix proposé était de … euros. Au-delà de ces conséquences financières, la perte de ce marché donnerait encore lieu à une restructuration tant au niveau des personnes en réinsertion prévues pour ce marché qui y sont actives depuis quelques années que pour le personnel qui n’est pas en réinsertion. Ainsi, elle évalue la perte d’emploi pour le dossier « … » à environ 26 postes, soit 20 % du personnel du département et concernerait concrètement 5 chefs d’équipes, dont 2 en reclassement, et 1 personne de plus de 60 ans, 4 ouvriers (tous en reclassement), 1 personne d’encadrement et 16 ouvriers en réinsertion difficilement transférables, cette restructuration touchant ainsi tant les personnes plus âgées qu’en réinsertion et les chefs d’équipe.

Elle expose encore que l’impact indirect serait également conséquent au niveau du service des ressources humaines pour lequel tant ce chantier « … » qu’un second chantier, où son offre n’a pas non plus été retenue, représenteraient environ 1/4 temps plein (encodage des prestations, calcule des payes, recrutement, suivi social et administratif, …) ainsi qu’au niveau administratif (suivi des prestations et facturation Ponts et Chaussées).

Enfin, elle donne à considérer qu’en 2020 elle aurait investi plus de … euros en matériel pour ces 2 chantiers, le solde à amortir s’élevant à un minimum de … euros.

Au-delà de ces conséquences concrètes, elle relève encore qu’il s’agirait dans son chef d’une question d’image de marque et de référence, alors qu’elle œuvrerait depuis de longues années dans ce domaine spécial, ce qui serait démontré notamment par son expérience précisément sur ce chantier d’envergure depuis des années.

Enfin, elle fait plaider que si le contrat était signé, le juge administratif serait incompétent pour annuler le marché, ce qui occasionnerait un préjudice définitif dans son chef, alors que la possibilité de pouvoir solliciter des dommages et intérêts devant le juge civil, en cas d’annulation de l’adjudication la société Y n’enlèverait pas ce caractère définitif au préjudice alors que seule une perte de chance pourrait être indemnisée et en tout état cause les dégâts du fait de la restructuration nécessaire seraient irréversibles.

La société requérante, à l’appui de son recours au fond, expose ensuite que la décision ministérielle déférée porterait violation du principe de transparence et d’égalité de traitement au travers notamment de la violation de l’article 70 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, en affirmant que l’enveloppe de la société Y n’aurait pas été fermée de sorte à en préserver son intégrité et qu’en outre les inscriptions prescrites ne figuraient pas. De surcroît, l’enveloppe contentant l’offre de la société Y aurait été identifiable comme telle, la société X soulignant qu’il n’y aurait pas eu deux enveloppes, mais bien une seule enveloppe contenant les offres avec des inscriptions incomplètes, permettant l’identification du soumissionnaire ayant déposé l’offre, et surtout non 3 cachetée dans les règles de l’art, alors qu’en général les soumissionnaires utiliseraient un « scotch » spécial garantissant l’intégrité des offres.

La société X entend encore établir ces irrégularités par la production d’une attestation testimoniale.

Elle rappelle ensuite que l’article 70 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, portant concrétisation des principes de transparence et d’égalité, prévoirait la nullité de l’offre ne respectant pas les formalités non respectées en l’espèce ; toutefois, malgré le constat de ces éléments et une réclamation en ce sens par la société X par courrier recommandé du 30 juin 2020, le pouvoir adjudicateur n’aurait pas écarté l’offre de Y qui remporta le marché public.

La société X s’empare ensuite d’une violation de l’article 30 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Ainsi, premièrement, la société Y ne remplirait pas la condition minimale de chiffre d’affaires annuel minimum dans le métier concerné pour les 3 derniers exercices, fixée à l’article 9.2.6 des conditions minima de participation à un montant de 1.250.000 euros.

La société X considère en effet à ce sujet que la société Y ne disposerait d’aucune compétence « dans le métier concerné », à savoir celui des travaux d’entretien autoroutier : si la société Y procéderait bien au déblayage de chantiers, à l’entretien d’espaces verts et au salage hivernal, elle n’aurait jamais eu d’activité d’entretien autoroutier, la société X se référant à ce sujet aux trois derniers exercices de la société Y pour soutenir que son chiffre d’affaires serait lié à l’activité de la société hors activité entretien autoroutier dans le cadre du développement durable et la réinsertion sociale et partant étranger au métier concerné, de sorte que ce critère ne serait manifestement pas rempli.

Deuxièmement, elle relève que si l’article 9.2.6 des conditions de l’appel d’offres exigerait qu’au moment de l’appel d’offres, et non au moment de son exécution, le soumissionnaire doit disposer d’un ingénieur paysagiste, forestier ou environnemental ou d’un jardinier pouvant démontrer d’une expérience dans le domaine visé : or, elle conteste que la société Y ait pu remplir cette condition au moment de l’appel d’offres alors que sa concurrente n’aurait aucune expérience dans le domaine du nettoyage autoroutier et dans le domaine de la réinsertion sociale.

Troisièmement, elle souligne que conformément à l’article 9.2.6 des conditions de l’appel d’offres, tout soumissionnaire devrait également disposer au moment de l’appel d’offres d’un agrément en tant que société d’impact sociétal (SIS). Or, si l’appel d’offres a été effectué le 18 mai 2020, la société Y n’aurait sollicité son agrément qu’en date du 10 juillet 2020 soit après l’appel d’offres et après la remise des offres, ledit statut ne lui ayant été conféré qu’en date du 27 août 2020 par arrêté ministériel et le statut sociétal de la société Y n’ayant été adapté que le 16 septembre 2020.

La société X en conclut que la société Y n’aurait pas rempli les critères de sélection. Or, il aurait appartenu au pouvoir adjudicateur de vérifier d’abord la recevabilité ou le mérite d’une offre soumise dans le cadre d’une mise en adjudication publique, avant de prendre la décision d’attribution d’un marché public entre les divers soumissionnaires dont l’offre aura été déclarée recevable, le pouvoir adjudicateur devant ainsi d’abord examiner et vérifier les dossiers de soumission quant à leur conformité technique et à leur valeur économique, notamment quant 4 au bien-fondé des prix et quant à l’exactitude des calculs, alors que les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables devraient être éliminées, le choix de l’adjudicataire ne pouvant se porter que sur des soumissionnaires qui se trouvent dans les conditions visées par les conditions de l’appel d’offres quant à la compétence, l’expérience et les capacités techniques et financières, la situation fiscale et parafiscale, les moyens d’organisation en outillage, matériel et personnel qualifié, le degré d’occupation ainsi que la probité commerciale.

Or, comme la société Y n’aurait eu ni le statut de SIS au moment de l’appel d’offres, ni la compétence et le chiffre d’affaires exigés, son offre n’aurait pas été régulière, sans que ces défauts n’aient pu être corrigés a posteriori sans violer le principe d’égalité entre les soumissionnaires et le principe de transparence, la société X soulignant que le statut SIS serait d’ailleurs inhérent au marché qui viserait spécifiquement la réinsertion sociale et aurait été obligatoirement prévu.

La société X, au titre de troisième moyen, soulève sur base de l’article 23 (3) de la loi du 8 avril 2018 une distorsion manifeste de la concurrence, et ce au motif que la société Y se serait manifestement servie de ses propres chiffres de l’année 2019 pour fixer ses prix, la société Y proposant ainsi exactement le double de son chiffre de 2019, pour s’adapter à la durée de deux années, moins 2,5 %.

Elle relève encore que tant sa propre offre que celle d’une société tierce soumissionnaire accuseraient une légère hausse de leurs tarifs entre 2019 et 2020, alors que l’offre de la société Y accuserait une baisse de son tarif de 42 % par rapport à l’année 2019, la société X soutenant que la société Y aurait réussi à baisser ses coûts en une année d’un montant de … euros sur un marché de … euros environ, sans avoir la moindre connaissance de l’exécution de cette sorte de marché. La société Y n’aurait ainsi eu aucun chiffre d’affaires en cette matière, et même en tenant compte du chiffre d’affaire global pour la société Y lié à ses autres activités, il apparaîtrait que la société Y aurait négocié une baisse de tarif vertigineuse correspondant à plus du quart de son chiffre d’affaires sur un seul marché public dont elle n’aurait pas l’expérience : la société requérante estime qu’il s’agirait d’une manœuvre manifeste pour l’obtention du marché alors qu’une telle baisse serait difficilement justifiable, surtout avec le contexte de l’actuelle crise sanitaire qui au contraire aurait fait augmenter les contraintes et les coûts.

La société X estime que cet écart de prix aurait dû amener le pouvoir adjudicateur à s’interroger et à exiger une analyse de prix de l’offre de la société Y pour vérifier en détail l’offre soumise du fait de cet écart extrêmement important sur base de l’article 88, alinéa 2, de la loi du 8 avril 2018, tandis que cette manœuvre constituerait dans le chef de la société Y une faute professionnelle grave violant la bonne foi inhérente à tout contrat et dès lors à la participation à un appel d’offre, la société requérante estimant encore que le marché ne saurait être réalistement exécuté pour le prix offert par la société Y.

S’appuyant encore sur l’article 29 (3) de la loi du 8 avril 2018, elle estime que la société Y aurait dû être exclue en tant que soumissionnaire pour conflit d’intérêts au sens de l’article 13 de la même loi.

Sur le fondement de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la société X demande ensuite, cumulativement avec sa demande en obtention d’un sursis à exécution basée sur l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, l’instauration d’une double mesure de sauvegarde, consistant, d’une part, 5 en la communication pour consultation auprès du tribunal administratif de l’original de l’enveloppe ayant contenue l’offre de la société Y, et, d’autre part, l’établissement d’une justification des prix pour vérifier le calcul de la société Y au vu de la baisse drastique de 42 % de son tarif.

Après avoir soulevé l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt, l’Etat, rejoint en ses plaidoiries par le représentant de la société Y, contre l’argumentation de la société X en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, en contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société X.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété par le président du tribunal ou le juge qui le remplace qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 13 novembre 2020 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.

6 L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge des référés ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1.

Le soussigné tient encore à rappeler que, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Ainsi, le Conseil d’Etat français a rappelé2 que le caractère exécutoire des actes administratifs est « la règle fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n’est pour le juge qu’une simple faculté, alors même qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable ». Pour cette raison, le sursis reste pour la Haute juridiction française « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »3.

Le juge des référés appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.

Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été.

Le juge des référés ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie. Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée 1 Jean-Paul Lagasse, Le référé administratif, 1992, p.48.

2 Conseil d’Etat fr., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. p. 257.

3 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190 7 devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction4.

A cet égard, le premier moyen de la société requérante, basé sur l’article 70 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ne présente à ce stade du litige pas le sérieux nécessaire.

L’article 70, 1er paragraphe, tel qu’invoqué, prévoit certes que « (1) Les offres remises en personne doivent, sous peine de nullité, être enfermées dans une enveloppe dont les rebords principaux sont fermés par tout moyen permettant à l’agent présidant la séance d’ouverture d’en contrôler l’intégrité », tandis qu’il semble encore établi, du moins dans la jurisprudence étrangère5, les juridictions luxembourgeoises n’ayant pas encore eu à se prononcer par rapport à cette question, que la manière dont une offre doit être déposée constitue une exigence de forme substantielle. La doctrine étrangère, pour sa part, semble également considérer qu’une telle formalité, visant à « garantir le secret de la soumission jusqu’à l’ouverture des offres et d’éviter des fuites, précaution qui joue en faveur de tous les soumissionnaires, comme de l’Administration » présente un caractère substantiel6, cette formalité, respectivement les formalités comparables prévues par des législations étrangères, visant à éviter des « manipulations et l’atteinte à la confidentialité de l’offre », de sorte que « tout pli ne permettant pas le respect des objectifs devrait être écartée pour irrégularité substantielle. Est ainsi exclue, par exemple, l’utilisation d’enveloppes autocollantes pouvant être ouvertes par n’importe qui sans être endommagées »7.

La doctrine luxembourgeoise, de même, semble considérer que la formalité prévue à l’article 70 précité constitue une formalité substantielle « et que son non-respect entrainera la nullité de l’offre »8.

4 Piasecki Julien, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

5 Voir p.ex. C.E. belge, 26 janvier 2012, n° 217.564.

6 Voir M.-A., Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 4e éd., n° 187.

7 M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 6e éd, T.1a, p.939.

8 Jacques-Yves Henckes, Précis de droit des marchés publics, Legitech, 2010, p.158.

8 Enfin, il résulte du « Vademecum de la nouvelle législation sur les marchés publics »9 publié à l’occasion de la promulgation de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et de son règlement grand-ducal d’exécution, que si la (alors) nouvelle législation ne requiert plus « le cachet à la cire et le ruban bleu » pour assurer l’intégrité et la confidentialité de l’enveloppe, l’agent présidant à la séance d’ouverture a l’obligation de contrôler s’il y a présomption que l’enveloppe a été ouverte ex ante, les auteurs, à l’époque membres de la Commission des soumissions, donnant comme exemple qu’une « offre contenue dans une enveloppe à rebord « auto-collant » ne sera pas ouverte, si ce pli peut être ouvert sans laisser de traces sur l’enveloppe ».

En l’espèce, il appert que l’offre de la société Y a effectivement été déposée dans une enveloppe munie d’un simple auto-collant, de sorte à, formellement, ne pas être théoriquement et a priori conforme à l’exigence de l’article 70 précité, un rebord auto-collant pouvant à première vue être décollé et recollé sans laisser nécessairement de traces.

Toutefois, les circonstances mêmes du dépôt de l’offre permettent à première vue d’écarter tout risque d’ouverture de l’offre antérieurement à son ouverture officielle et contradictoire, alors qu’il résulte des explications non énervées de la partie Y que l’offre de celle-ci n’a pas été remise par la voie postale, mais en mains propres par l’un de ses employés qui s’est rendu à la séance d’ouverture des offres pour y amener l’offre de son employeur et ensuite assister à l’ouverture officielle des différentes offres concurrentes, de sorte à permettre au président de retenir que les enveloppes déposées en ses mains n’avaient pas été ouvertes, une manipulation éventuelle entre la remise de l’enveloppe et son ouverture officielle ne paraissant matériellement guère possible.

Cette circonstance d’une remise de l’offre en mains propres permet encore d’écarter au provisoire la violation alléguée de la formalité du recours à la double enveloppe, formalité qui ne semble requise, aux termes mêmes de l’article 71, 1er paragraphe, du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, que « pour les envois postaux ».

La société requérante reproche ensuite, en substance, à l’offre de la société Y, d’avoir fait figurer sur l’enveloppe le titre incomplet du bordereau.

Si, d’un côté, l’article 70, paragraphe 2, exige certes que « (2) Les enveloppes dans lesquelles les offres sont enfermées portent les inscriptions suivantes : 1° la mention « Soumission pour … », complétée de l’intitulé exact du marché, tel qu’il figure dans l’avis de marché ; 2° les indications précises relatives au destinataire de l’offre et à son adresse, telles qu’elles figurent dans l’avis de marché », et que l’autre côté, il paraît établi que l’enveloppe contenant l’offre de la société Y portait une indication incomplète, dans la mesure où le soumissionnaire en question avait omis d’indiquer sur l’enveloppe en fin d’intitulé du marché les termes « dans le cadre du développement durable et de la réinsertion sociale », cette omission ne paraît pas devoir être sanctionnée par les juges du fond, alors, d’une part, qu’il apparaît manifestement que l’offre, nonobstant le libellé incomplet de l’intitulé du marché visé, pouvait être identifiée à suffisance, et, d’autre part, que l’article 70, paragraphe 3, prévoit explicitement l’admissibilité de telles offres dont l’enveloppe présenterait des indications incomplètes : « Les enveloppes ne respectant pas les formalités prévues au paragraphe 2, mais qui sont néanmoins parvenues aux mains du président de la séance d’ouverture (…), avant la date et l’heure fixés dans l’avis de marché, sont prises en considération ».

9 Georges Hilger et Claude Pauly, « Vademecum de la nouvelle législation sur les marchés publics », Revue technique luxembourgeoise, Octobre-Décembre 2003, p. 207 9 Quant au reproche que l’enveloppe contenant l’offre de la société Y mentionnerait l’identité du soumissionnaire, la partie requérante n’indique aucune disposition légale, règlementaire ou contractuelle qui imposerait l’anonymat de l’enveloppe contenant une offre ;

il convient par ailleurs de relever que l’offre ayant en l’espèce été déposée en mains propres par un représentant de la société Y, parallèlement au dépôt des offres des deux autres concurrents, exiger l’anonymat des offres paraîtrait à tout le moins relever d’un formalisme stérile.

Le moyen afférent, pris en son triple volet, ne paraît dès lors pas présenter le sérieux nécessaire.

En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 30 de la loi du 8 avril 2018, la requérante reproche au soumissionnaire retenu de ne pas remplir les conditions minima de participation fixées dans les cahiers des charges, par rapport à son chiffre d’affaires, son personnel et au recours à une société d’impact sociétal.

En ce qui concerne le chiffre d’affaires requis en tant que condition minima de participation, le soussigné constate que l’article 9.2.6. des conditions d’appels d’offres exige d’abord10 en tant que condition minima de participation le « chiffre d’affaires minimum dans le métier concerné pour les trois (3) derniers exercices légalement disponibles : 1.250.000 € », pour ensuite exiger dans le tableau IV11, où les conditions minima de participation doivent être cochées, une « déclaration concernant le chiffre d’affaires global de l’entreprise et, le cas échéant, le chiffre d’affaires du domaine d’activités faisant l’objet du marché, portant au maximum sur les trois (3) derniers exercices disponibles disponibles en fonction de la date de création de l’entreprise ou du début d’activités de l’opérateur économique, dans la mesure où les informations sur ces chiffres d’affaires sont disponibles » Il appert d’abord une certaine incohérence au niveau de la détermination de cette condition, s’agissant tantôt du chiffre d’affaires minimum dans le métier concerné, tantôt du chiffre d’affaires global de l’entreprise et, « le cas échéant » seulement, le chiffre d’affaires du domaine d’activités faisant l’objet du marché, dans la mesure où une telle information est disponible.

Il est constant en cause que la société Y a fait état des chiffres d’affaires globaux suivants : … euros pour l’année 2017, … euros pour l’année 2018 et … euros pour l’année 2019, de sorte à présenter des chiffres largement supérieurs au minimum de 1.250.000 euros.

Il n’est dès lors pas certain que les juges du fond acceptent de sanctionner une offre rencontrant au moins l’une des formulations de la condition minima de participation en cause.

Ensuite, à admettre que le chiffre d’affaires visé soit bien uniquement celui du « métier concerné », il est probable que, plutôt que de retenir l’interprétation restrictive de la société requérante selon laquelle ces termes viseraient spécifiquement les travaux d’entretien autoroutier, les juges du fond estiment que les termes de « métier concerné » visent concrètement les travaux à effectuer sur le terrain, soit, en l’espèce, tel que se dégageant de l’appel d’offres, des travaux d’entretien de la végétation, la localisation de ces travaux (« le long et aux alentours des tronçons autoroutiers ») n’étant à première vue pas autrement pertinente du point de vue de la compétence professionnelle.

10 P.18 des CAO.

11 P.19 des CAO.

10 Or, l’objet social de la société Y apparaissant comme couvrant les prestations requises pour ce genre de travaux, à savoir des travaux de jardinage et d’entretien des espaces verts suivi du nettoyage et du déblayage des sites, il ne paraît a priori pas exclu qu’elle soit habilitée - à l’instar apparemment de l’offre présentée par la société X - à se référer à son chiffre d’affaires global.

Le deuxième reproche ne paraît en l’espèce non plus suffisamment sérieux.

En effet, si la société X reproche à la société Y de ne pas disposer « d’un ingénieur paysagiste, forestier ou environnemental ou d’un jardinier qui est embauché qui pourra démontrer d’une expérience dans le domaine visé », tel que requis par l’article 9.2.6., relatif aux conditions minima de participation, des conditions d’appels d’offres (« CAO »), il résulte des explications, dûment documentées, de la partie étatique et de la société Y, que cette dernière dispose - et disposait au moment du dépôt de son offre - d’un « Technicien espaces verts » disposant d’un Brevet d’Etudes Professionnelles Agricoles avec option Aménagement de l’espace, Spécialité : Travaux Paysagers, ainsi que d’un Baccalauréat Professionnel « Travaux Paysagers ».

Quant au reproche selon lequel la société Y n’aurait pas disposé au moment de l’appel d’offres d’un agrément comme société d’impact sociétal, requis par l’article 9.2.6., in fine, des CAO, il appert que la société Y a à cet égard fait appel à un sous-traitant, possibilité expressément admise par les CAO, sous-traitant disposant à la date du dépôt de l’offre de l’agrément requis pour assurer le volet d’encadrement social et professionnel des ouvriers sous contrat d’initiation social (CIE), respectivement sous contrat de réinsertion sociale (CRE), alors qu’agréé depuis le 5 octobre 2017.

Enfin, la société X estime que le soumissionnaire Y aurait dû être exclu sur le fondement de l’article 29 (3) 3) de la loi du 8 avril 2018 pour avoir provoqué une distorsion manifeste de la concurrence, dans la mesure où la société Y se serait directement inspirée des chiffres de la société X de l’année 2019 pour chiffrer son offre actuelle à la baisse, de sorte que l’offre de la société Y accuserait une baisse de son tarif de 42 % par rapport à l’année 2019, de sorte que cet écart de prix aurait dû interpeler le pouvoir adjudicateur et l’amener à exiger l’obtention d’une analyse de prix de l’offre de Y.

Conformément à l’article 29 (3) de la loi du 8 avril 2018 « Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants : (…) c) le pouvoir adjudicateur peut démontrer par tout moyen approprié que l’opérateur économique a commis une faute professionnelle grave qui remet en cause son intégrité ».

Il appert toutefois des explications fournies en cause que la différence entre l’offre remise par la société Y et celle remise par la société X ne serait que de 6,02 %.

Selon l’article 88 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, « (1) La remise d’une analyse de prix doit être demandée par le pouvoir adjudicateur aux soumissionnaires dont les offres sont de plus de 15 pour cent inférieures à la moyenne arithmétique des prix de toutes les offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation reçues, y non compris l’offre la plus chère et l’offre la moins chère. (2) Le paragraphe 1er n’est pas d’application si moins de cinq offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation ont été 11 reçues. Toutefois, dans ce cas, il est loisible au pouvoir adjudicateur de demander une analyse de prix, ceci de son initiative ou à la demande d’un soumissionnaire ».

Il appert au terme d’un examen nécessairement superficiel que le premier alinéa de ladite disposition, prévoyant le recours obligatoire à une analyse des prix, n’est pas en l’espèce applicable, les conditions afférentes n’étant pas remplies, de sorte que la discussion devrait se limiter à l’alinéa second de l’article 88, aux termes duquel « il est loisible au pouvoir adjudicateur de demander une analyse de prix, ceci de son initiative ou à la demande d’un soumissionnaire ».

Il est encore constant en cause que dans ces circonstances, l’application de cette disposition relève d’une simple faculté dans le chef de l’autorité adjudicatrice, qui dispose à cet égard d’un pouvoir discrétionnaire.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le moyen de la société X est à analyser, à première vue, comme un reproche adressé au ministre de ne pas avoir correctement exercé son pouvoir discrétionnaire.

Or, il résulte à cet égard de la jurisprudence des juges du fond que si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge, le contrôle afférent à exercer par le juge de l’annulation est limité aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité, alors que ce contrôle ne saurait avoir pour but de priver le ministre, ni l’autorité, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation12. En d’autres termes, lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il ne saurait pas, sous peine de méconnaître le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée en ce qu’il dispose d’une marge d’appréciation, se placer tout simplement en lieu et place de l’administration et substituer son appréciation à celle de l’administration. Cependant, dans le cadre du contrôle de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation est appelé à vérifier s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée13.

Il découle de cette limitation apportée au pouvoir de contrôle du juge de l’annulation, qu’en ce qui concerne plus particulièrement le juge du provisoire, que celui-ci doit user avec une parcimonie extrême de ses pouvoirs lorsqu’une erreur d’appréciation manifeste ou la violation du caractère proportionné d’une décision administrative est reprochée à son auteur14 ;

ainsi, un moyen reprochant à une autorité une erreur d’appréciation non manifeste, là où l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, voire d’un pouvoir discrétionnaire, ne constitue pas un moyen sérieux au sens de la loi modifiée du 21 juin 1999, puisqu’un moyen sérieux doit faire pressentir une annulation au terme d’un examen prima facie et qu’un simple doute quant à l’issue du recours n’est à cet égard pas suffisant.

12 Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 54.

13 Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28611C et 28617C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 35, et les autres références y citées.

14 Trib. adm. prés. 14 novembre 2006, n° 22110 ; trib. adm. prés. 30 mai 2013, n° 32344, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 605.

12 En l’espèce, il est constant en cause que la différence des prix entre les deux offres de prix concurrentes est de 6,02 %, de sorte que la différence de prix n’appert pas, a priori, comme étant importante.

Or, il semble ressortir de la jurisprudence15 que la simple différence de prix, même importante (de l’ordre de 20 %), entre deux offres n’est en tout état de cause pas à elle seule déterminante pour permettre de qualifier une offre d’anormalement basse, son caractère normal pouvant se dégager d’autres éléments ; aussi, toujours d’après les solutions retenues par les juges du fond, s’il incombe certes au pouvoir adjudicateur de s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l’ensemble des exigences formulées dans le dossier de consultation, le pouvoir adjudicateur ne peut toutefois se fonder sur le seul écart de prix entre deux offres pour qualifier une offre d’anormalement basse, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué, c’est-à-dire susceptible de compromettre la bonne exécution du marché16.

En l’espèce, il appert des explications de la partie étatique que l’Etat n’avait à ce stade eu aucune raison de douter de la possibilité pour la société Y d’assumer l’exécution de ce marché, l’Etat s’interrogeant plutôt si les offres reçues antérieurement dans le cadre des appels d’offres des années antérieures n’avaient pas plutôt été surévaluées par les soumissionnaires et adjudicataires habituels, dont la société X, en charge de ces travaux depuis des années, notamment en y incorporant l’amortissement de matériel pouvant également être utilisé dans d’autres marchés.

Il n’appert dès lors pas, dans le cadre de l’analyse sommaire et prudente à effectuer par le juge du provisoire, que l’existence de l’écart de prix sus-indiqué ait dû nécessairement amener le ministre à exiger une analyse de prix et que l’absence d’analyse des prix soit de nature à établir dans le chef du ministre une erreur manifeste d’appréciation.

Il appert encore que la modicité de cette différence de prix qu’il ne paraît guère justifié de reprocher à la société Y d’avoir commis une faute professionnelle grave qui remettrait en cause son intégrité, tandis que le fait pour un concurrent, désireux de pénétrer sur un marché déterminé, dans le cadre d’un marché public qui se renouvelle, de se positionner légèrement en dessous des autres soumissionnaires en s’inspirant, directement ou indirectement, des prix pratiqués antérieurement, ne paraît pas pouvoir sérieusement être qualifié de distorsion de concurrence gravement fautive, du moment que les prix offerts sont économiquement viables.

Le soussigné ne décèle pas non plus, à ce stade et au terme d’une analyse sommaire du moyen afférent, de conflit d’intérêts.

En effet, si l’article 29 (3) de la loi du 8 avril 2018 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché lorsque « e) il ne peut être remédié à un conflit d’intérêts au sens de l’article 13 par d’autres mesures moins intrusives », l’article 13 de la loi du 8 avril 2018 précisant que « (1) Les pouvoirs adjudicateurs prennent les mesures appropriées permettant de prévenir, de détecter et de corriger de manière efficace des conflits d’intérêts survenant lors des procédures 15 Trib. adm. 23 avril 2013, n° 32217, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 109.

16 CE fr., 29 mai 2013, Min. Int. c/ Sté Artéis, n° 366606, ainsi que CE fr., 3 novembre 2014, Office national des forêts, n°382413, cités dans trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; voir aussi trib. adm. prés. 7 décembre 2016, n° 38722.

13 de passation de marché afin d’éviter toute distorsion de concurrence et d’assurer l’égalité de traitement de tous les opérateurs économiques. (2) La notion de conflit d’intérêts vise au moins toute situation dans laquelle des membres du personnel du pouvoir adjudicateur ou d’un prestataire de services de passation de marché agissant au nom du pouvoir adjudicateur qui participent au déroulement de la procédure ou sont susceptibles d’en influencer l’issue ont, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou un autre intérêt personnel qui pourrait être perçu comme compromettant leur impartialité ou leur indépendance dans le cadre de la procédure de passation de marché », le seul fait que l’administration compétente utilise d’un appel d’offres à l’autre des bordereaux identiques ne permet pas d’y déceler un quelconque indice de conflit d’intérêts au sens de la disposition légale susvisée, le soussigné ne voyant en particulier pas où, ce faisant, un quelconque membre du personnel du pouvoir adjudicateur aurait, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou autre intérêt personnel qui serait de compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation de marché.

Ce moyen ne présente dès lors non plus, au stade actuel d’instruction de l’affaire et au terme d’une analyse nécessairement sommaire, le sérieux requis.

En ce qui concerne la demande formulée à titre connexe et portant sur l’instauration de mesures de sauvegarde, il convient de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde17.

Il convient encore de rappeler que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution18, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative. La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend dès lors comme une procédure complémentaire19 à celle de l’effet suspensif, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes. En effet, comme indiqué en début d’ordonnance, le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde, doivent rester une procédure exceptionnelle dans la mesure où ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives.

17 Trib. adm. (prés.) 14 janvier 2000, n° 11735, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 553 et 722.

18 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.

19 Ibidem.

14 Aussi, les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant pas non plus comme suffisamment sérieux pour justifier les mesures de sauvegarde sollicitées par la société X.

Il s’ensuit que l’argumentation globale de la société X ne paraît pas, en l’état actuel d’instruction du dossier et au terme d’un examen nécessairement sommaire, présenter le sérieux nécessaire, étant rappelé que l’examen du caractère sérieux d’un moyen se caractérise, dans les affaires de suspension, par son caractère prima facie : aussi, pour qu’un moyen soit sérieux, il faut qu’à première vue et eu égard aux circonstances de la cause, il puisse être déclaré recevable et fondé, ce qui en l’espèce n’est pas le cas.

Au vu de cette conclusion, l’examen de la question de l’intérêt à agir de la société X, question relevant du fond, est superflu.

La partie requérante doit partant être déboutée de sa demande en obtention d’une mesure provisoire, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser la question du risque de préjudice grave et définitif, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne l’échec de la demande.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par la société X laisse également d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause La demande reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par la société Y laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause. Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la société Y n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, - étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles20 -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, pris en son double volet ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la société X ;

rejette encore la demande en allocation d’indemnités de procédure telle que formulée par la société Y ;

condamne la société requérante aux frais.

20 Cass. 9 février 2012, n° 5/12.

15 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 novembre 2020 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45220
Date de la décision : 30/11/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-11-30;45220 ?

Source

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