Tribunal administratif N° 45149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2020 Audience publique du 13 novembre 2020 Requête en obtention d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par la société …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en présence de la société …, …, en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 45149 du rôle et déposée le 29 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société …, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de commerce et des sociétés du Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à l’arrêté du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 16 octobre 2020, présenté comme n’ayant « pas retenu l’offre de la société requérante déposée pour le marché public selon la procédure ouverte du 17 juin 2020 relatif à la fourniture d’équipement de sport et accessoires (lot 34) pour l’Ecole internationale à Differdange (enseignement secondaire) », un recours en annulation ayant par ailleurs été introduit contre ledit arrêté ministériel par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45148 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Tessy SIEDLER, en remplacement de l’huissier de justice Gilles HOFFMANN, demeurant à Luxembourg, du 4 novembre 2020, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société …, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de commerce et des sociétés du Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté ministériel déféré ;
Maître Laurent HEISTEN, en remplacement de Maître François MOYSE, pour la société requérante, Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM ainsi que Maître Jean TONNAR, pour la société …, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 novembre 2020.
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1 Par avis de marché du 4 mai 2020, le ministère de la Mobilité et des Travaux publics, département des Travaux publics, annonça l’ouverture d’une procédure de soumission ouverte en vue de l’attribution du marché public relatif à la fourniture d’équipement de sport et accessoires (lot 34) pour l’Ecole internationale à Differdange (enseignement secondaire).
L’association momentanée constituée de la société … et de la société …, ainsi que l’association momentanée constituée de la société … et la société … déposèrent une offre y relative. Lors de l’ouverture des soumissions, l’association momentanée … apparut être la moins-disante des concurrents en lice, tandis que l’association momentanée … présenta la seconde meilleure offre.
Par arrêté du 16 octobre 2020, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, dénommé ci-après le « ministre », sur proposition du directeur de l’administration des Bâtiments publics du 1er octobre 2020, approuva le procès-verbal d’adjudication publique, suivant lequel la société …, mandataire de l’association momentanée … s’engage à exécuter les prestations mises en soumission publique moyennant le paiement d’un prix de … euros (TTC).
Par courrier du 21 octobre 2020, le ministre informa la société …, mandataire de l’association momentanée …, que l’offre soumise par elle n’avait pas pu être retenue, faute d’avoir été conforme aux dispositions de l’article 61 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi sur les marchés publics étant donné que les positions 6.1, 6.2, 7.1 à 7.3 du bordereau de soumission n’auraient pas été remplies.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2020, inscrite sous le numéro 45148 du rôle, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 16 octobre 2020 portant prétendument rejet de son offre. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45149 du rôle, la société … sollicita encore le sursis à exécution, sinon l’instauration d’une mesure de sauvegarde de la décision attaquée dans le cadre du recours au fond.
La société … estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir qu’elle aurait un intérêt légitime, né et actuel à introduire un recours alors qu’elle serait lésée par la décision en question qui n’aurait pas retenu son offre, alors qu’elle aurait été l’offre économiquement la plus avantageuse sur base du prix. Elle donne encore à considérer que la décision attaquée aurait une incidence sur sa situation personnelle, de sorte que son intérêt serait certain, né et actuel, la société requérante précisant encore que la valeur du marché public en cause correspondrait à 20 % de son chiffre d’affaires annuel des dernières années, la société … SA relevant encore que la présente année serait particulièrement difficile pour les entreprises en raison de la pandémie liée à la COVID-19, qui aurait entraîné une diminution considérable du chiffre d’affaires des entreprises.
La société … estime encore que le caractère définitif du préjudice serait également donné en l’espèce, alors qu’en cas de signature du contrat, le juge administratif serait incompétent pour annuler le marché et que le recours en réformation sinon en annulation serait dépourvu de 2 tout effet utile, étant donné que la seule réparation par équivalent du dommage ne pouvant être considérée comme empêchant la réalisation du préjudice définitif.
Par ailleurs, elle fait plaider que le risque d’un préjudice grave et définitif pourrait être retenu par essence même, alors que dans le cadre d’une procédure de soumission publique, le soumissionnaire le moins disant écarté revêtirait, par essence même, un intérêt suffisant à agir, quelques soient les mérites de son argumentaire, mérites dont l’appréciation relèverait du fond de l’affaire.
Enfin, elle souligne que la fourniture de l’équipement de sport à l’Ecole internationale à Differdange lui aurait permis de disposer d’un marché qui aurait contribué à sa compétitivité et sa notoriété sur le territoire luxembourgeois. Or, la perte du marché public en cause nuirait à sa compétitivité et sa notoriété comme elle ne pourrait pas s’établir comme une des entreprises qui fournissent de l’équipement de sport à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.
La société requérante, à l’appui de son recours au fond, expose ensuite, en s’appuyant sur une ordonnance de référé, que si elle a certes omis d’indiquer des prix pour les positions 6.1, 6.2, 7.1 à 7.3 du bordereau de soumission, qu’une telle omission, qui ne constituerait pas une irrégularité substantielle, devrait pouvoir être régularisée.
Elle explique que si elle n’a certes pas renseigné de prix ni pour l’établissement de la documentation « As-built » (position 6.1. du bordereau de soumission), ni pour les manuels d’instruction (position 6.2. du bordereau de soumission), ni pour des travaux en régie d’un artisan avec CATP (position 7.1. du bordereau de soumission), ni pour des travaux en régie d’un ouvrier qualifié sans CATP (position 7.2. du bordereau de soumission), ni pour des travaux en régie d’un ouvrier non qualifié (position 7.3. du bordereau de soumission), ce défaut d’indication de ces prix s’expliquerait toutefois par la nature du marché public et des stipulations du cahier des charges.
En effet, concernant la documentation « As-built », cette documentation découlerait en général des manuels d’instruction fournis avec les différents outils de sport commandés, raison pour laquelle la constitution de cette documentation n’aurait pas engendré de frais supplémentaires et le renseignement d’un prix dans le bordereau de soumission n’aurait pas été pertinent, puisqu’il n’aurait correspondu à la réalité économique.
Quant aux manuels d’instruction, elle expose que chaque outil de sport faisant 1’objet du marché public serait accompagné d’un manuel d’instruction, livré par ses soins. Aussi, elle estime que faire suivre ces documents au pouvoir adjudicateur n’engendrerait pas de frais supplémentaires, de sorte qu’il n’y aurait pas eu lieu d’indiquer un prix dans le bordereau de soumission, l’indication d’un tel prix ayant selon elle faussé l’offre et violé le principe de transparence.
En ce qui concerne les positions 7.1., 7.2. et 7.3. du bordereau de soumission, elle estime que ces positions ne seraient, en principe, pas pertinentes pour le marché public en cause, puisque ce dernier porterait essentiellement sur la livraison de l’équipement de sport et des accessoires en cause, de sorte qu’il n’y aurait aucune raison pour laquelle il n’y aurait pas lieu d’indiquer des prix pour la main-d’œuvre. Elle estime encore que le bordereau de soumission serait équivoque, puisqu’il demanderait pour chaque élément de l’équipement sportif et pour chaque accessoire un prix qui porte aussi sur les « Lieferung und Montage, bzw. Auspacken und 3 fachgerechtes Einräumen ». Or, sur base de cette formulation, la partie requérante aurait légitimement pu considérer qu’il fallait intégrer le prix de la main-d’œuvre pour le montage des outils dans le prix respectif des outils, tout en précisant que ce montant s’élèverait à des montants faibles par outil, vu le nombre d’outils à fournir. En conséquence, la partie requérante aurait intégré le coût de la main-d’œuvre dans les prix des différents outils de sport, conformément au bordereau de soumission en vertu duquel le prix de la main-d’œuvre aurait été à intégrer dans le prix des éléments de l’équipement sportif à fournir. La société … SA expose que ce serait pour cette raison qu’elle n’aurait pas indiqué de prix pour les positions 7.1., 7.2. et 7.3. du bordereau de soumission, alors que l’ajout d’un tel prix aurait de surcroît faussé l’offre et aurait été au détriment du pouvoir adjudicateur, qui se serait confronté de toute façon à des montants fictifs et donc dépourvus de toute contrepartie économique réelle.
Dès lors, la société … considère qu’une régularisation de son offre n’aurait pas changé l’offre initiale, puisque dans le cadre d’une régularisation de l’offre soumise, la société requérante n’aurait pas modifié les prix renseignés pour les différentes positions. Elle aurait maintenu son offre en cas de régularisation, de sorte que son offre serait restée l’offre économiquement la plus avantageuse en raison du prix.
Subsidiairement, même si la partie requérante avait été obligée d’indiquer des prix pour les positions litigieuses du bordereau de soumission, elle estime que le montant à ajouter aurait été tellement limité que son offre aurait toujours été nettement en dessous de l’offre de l’autre soumissionnaire. Dans ce contexte, elle explique qu’en cas de régularisation, elle aurait ajouté au maximum 2.000.- euros à son offre, ce qui aurait fait un montant total à hauteur de … euros HTVA, ce qui serait demeuré très largement inférieur à l’offre de l’autre soumissionnaire s’élevant à … euros HTVA.
Partant, elle donne à considérer qu’une régularisation ex post de son offre n’aurait pas lésé le pouvoir adjudicateur, puisque celui-ci aurait pu bénéficier d’une offre largement plus avantageuse que celle finalement retenue. De même, en raison du maintien de l’offre initial, l’autre soumissionnaire n’aurait pas été lésé, puisque la partie requérante n’aurait bénéficié d’aucun avantage. Subsidiairement, elle relève que même après une éventuelle régularisation de l’offre litigieuse par l’indication de prix spécifiques pour les positions litigieuses du bordereau de soumission, le pouvoir adjudicateur aurait pu épargner le montant considérable de … euros.
La société … fait encore plaider que le pouvoir adjudicateur aurait commis un excès de pouvoir, alors que bien qu’ayant eu la possibilité de la contacter afin d’obtenir des explications par rapport à l’absence de prix renseignés pour les positions litigieuses du bordereau de soumission sur base de l’article 80 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018. Elle estime à cet égard qu’en demandant des clarifications, le pouvoir adjudicateur n’aurait pas violé les principes de traitement et de transparence dans la mesure où la partie requérante n’aurait bénéficié d’aucun avantage ou désavantage. En outre, cette démarche n’aurait pas favorisé ou défavorisé la requérante, puisqu’elle aurait maintenu son offre. Elle se serait limitée à préciser que les positions litigieuses du bordereau de soumission ne sont pas pertinentes ou ont été prises en compte au niveau d’autres positions, ceci en vertu du bordereau lui-même. Finalement, cette démarche n’aurait pas abouti à une violation de l’article 63 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, puisque la partie requérante n’aurait pas soumis une nouvelle offre, les montants déjà renseignés n’étant dans cette hypothèse pas modifiés.
4 L’Etat soulève d’abord un moyen d’irrecevabilité tiré du fait que le recours émanerait de la seule société … SA, alors qu’elle n’a pas participé personnellement à la procédure de soumission litigieuse, mais ensemble avec son partenaire de droit belge, la société …, au sein de l’association momentanée et que dès lors que l’action concernerait un intérêt commun, la présence de son partenaire serait requise, moyen ayant également été abordé antérieurement contradictoirement à l’audience conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Ensuite, rejoint en ses plaidoiries par le représentant de la société …, l’Etat contre l’argumentation de la société … en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, en contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société ….
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété par le président du tribunal ou le juge qui le remplace qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 29 octobre 2020 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne ensuite la condition du préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.
En l’espèce, l’exécution immédiate de la décision attaquée - dans la mesure où celle-ci, en dépit des termes impropres utilisés dans les deux requêtes, constitue en fait formellement l’arrêté ministériel portant adjudication au soumissionnaire concurrent, et non pas le rejet pour non-conformité de l’offre de la société …, moyennant la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’association momentanée adjudicatrice avant que le tribunal administratif se soit prononcé par rapport au recours au fond, implique certes le risque pour la société requérante de perdre toute chance de se voir attribuer le marché en question, perte qui n’est pas nécessairement indemnisable par le biais de l’allocation éventuelle ultérieure de dommages et intérêts, de sorte que le soussigné peut admettre, en dépit du défaut de toute précision afférente apportée par la société requérante, que le préjudice afférent soit définitif, sinon à tout le moins difficilement réparable.
En revanche, en ce qui concerne le caractère grave du préjudice, le soussigné relève que le préjudice a priori envisageable serait essentiellement, voire exclusivement d’ordre pécuniaire.
5 A cet égard, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques ; en ce qui concerne plus particulièrement la matière des marchés publics, un préjudice peut être qualifié de grave notamment lorsqu’il est d’une envergure telle qu’il menace la survie même d’une entreprise, ou lui impose une restructuration néfaste, lorsqu’il résulte de la perte d’un marché de référence ou encore lorsque les circonstances du refus d’attribution entraînent une perte de réputation pour l’entrepreneur du fait de la publicité donnée à la mesure.
Toutefois, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice1.
Or, en l’espèce, la société requérante se borne à affirmer que l’exécution immédiate de la décision d’adjudication déférée avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé sur le recours au fond impliquerait nécessairement, c’est-à-dire ipso facto, l’existence d’un risque tant définitif que grave, sans pour autant préciser d’une quelconque façon la nature et l’ampleur du préjudice allégué, si ce n’est de faire état du montant de son offre, la société requérante n’ayant pas non plus précisé sa situation financière, ni procédé à une mise en perspective de la perte du marché en question par rapport à sa situation patrimoniale : la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales. Dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience2.
Aussi, faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.
En tout état de cause, le soussigné relève encore que la société … n’est pas intervenue de manière indépendante et autonome dans la soumission publique litigieuse, mais en tant qu’associé de la société …, laquelle est intervenue dans le cadre de ladite soumission publique, conformément à la formule d’engagement figurant au dossier administratif, à hauteur de 80 % du marché, la société requérante n’assumant en tout état de cause que 20 % dudit marché :
l’ampleur du préjudice en tant que manque à gagner éventuel ne constituerait dès lors pas l’intégralité de la somme de l’offre rejetée, mais, a priori, seulement 20 % de celle-ci. Il en va de même de la prétendue perte de notoriété, alors que la société requérante, du fait de sa participation éminemment minoritaire à l’association momentanée, n’aurait que difficilement pu se prévaloir, en cas d’attribution du marché, comme constituant une des entreprises établies fournissant de l’équipement de sport à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.
Faute de toute information plus détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.
1 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 626.
2 Trib. adm. (prés.) 18 mars 2019, n° 42408, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 623, et autres références y citées.
6 Cette conclusion n’est pas énervée par la référence à une ordonnance3 dont il résulterait qu’en matière de marchés publics, le préjudice résultant de l’exécution immédiate d’une décision d’adjudication serait quasiment automatiquement définitif et grave, ladite ordonnance ayant été rendue en réponse à une argumentation concrète de la part de l’adjudicataire évincé relative à l’importance des marchés respectifs, dont la perte risquait notamment de compromettre sa santé financière et lui faire perdre un marché de référence dans son domaine d’activité.
En ce qui concerne l’examen, superfétatoire, de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
Il convient tout particulièrement de souligner que comme la requête en effet suspensif, en ce qu’elle sollicite une mesure provisoire, s’appuie directement et uniquement sur les moyens invoqués au fond, le juge statuant au provisoire est uniquement appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués au fond : il n’est partant appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond, c’est-à-dire les moyens figurant à ce stade dans la requête introductive d’instance enrôlée devant le juge au fond, le juge du provisoire ne pouvant plus particulièrement pas tenir compte de moyens qui pourraient figurer postérieurement à sa saisine dans de futurs et hypothétiques mémoires ampliatifs.
Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont 3 Trib. adm. (prés.) 16 avril 2009, n° 25593.
7 été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie demanderesse apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.
C’est pourquoi le juge du provisoire doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.
Le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement, ne visant pas spécifiquement la mesure de sursis à exécution, mais le recours introduit au fond contre la décision que la société … entend voir réformer ou annuler, touche partant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et il est à examiner sous ce rapport.
Ceci dit, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen devrait être favorablement accueilli par les juges du fond.
En effet, si la jurisprudence dessine certes une tendance essentiellement large au niveau de la reconnaissance d’une qualité et d’un intérêt à agir dans le chef d’un demandeur, la Cour administrative4 a toutefois retenu, dans un cas d’espèce analogue à celui sous analyse, qu’individuellement, les membres d’un consortium, en raison de leur spécialisation ou du volume du marché, ne sont normalement pas capables de réaliser la totalité du marché et que si tout associé d’une association momentanée a un intérêt à la réussite économique du consortium auquel il participe, un membre de ce consortium a cependant uniquement un intérêt à ce que l’association se voie attribuer le marché, mais non à se le voir attribuer à soi-même seul. A cela s’ajouterait encore que les différents membres d’un consortium peuvent avoir des intérêts divergents et des opinions différentes, y compris quant à la question de l’introduction d’un recours contentieux en cas de rejet de l’offre collective. Ainsi, reconnaître qualité pour agir à chaque membre ut singulis d’un consortium à titre individuel pourrait également avoir pour conséquence que les autres membres soient impliqués de manière indirecte à ce litige, notamment en ce qui concerne la divulgation de documents contentant des secrets d’affaires, alors qu’ils avaient pourtant décidé, de leur côté, de ne pas se laisser entraîner sur cette voie contentieuse, comme le semble par ailleurs démontrer l’attitude passive de la société … dans le cas d’espèce.
4 Cour adm. 6 octobre 2015, n° 35994C.
8 La Cour administrative, s’appuyant encore sur la doctrine et la jurisprudence du Conseil d’Etat belge, a partant retenu que dans le cadre d’un recours contentieux, un membre d’une association momentanée n’agit pas comme une entité dépourvue de tout lien avec le consortium mais en tant que membre de ce dernier et une société agissant en justice à titre individuel risque aussi de se voir imputer ou opposer d’une manière ou d’une autre le comportement d’autres membres dudit consortium, de sorte que l’action en justice introduite par un seul membre d’une association momentanée serait irrecevable dès la requête introductive d’instance pour défaut de qualité à agir dans le chef de celui-ci.
Le soussigné estime dès lors qu’il se peut fort bien que les juges du fond, au vu de cet arrêt et en l’état actuel d’instruction du dossier - la société … restant en défaut de produire un éventuel contrat d’association conclu avec la société … réglant les conditions de participation des deux membres du consortium ayant participé au marché public litigieux et elle n’invoque dès lors pas une éventuelle clause de représentation en justice, ni ne prétend-elle disposer d’un mandat spécial de son associée belge -, retiennent l’irrecevabilité du recours au fond, irrecevabilité rejaillissant négativement sur le caractère sérieux de la requête en obtention d’une mesure provisoire.
Ce n’est partant qu’à titre tout à fait superfétatoire que le soussigné procèdera à l’analyse succincte des moyens d’annulation.
Il échet d’abord de constater qu’il n’est pas contesté en cause que la société requérante a omis de remplir les positions 6.1, 6.2, 7.1 à 7.3 du bordereau de soumission.
Il échet ensuite de constater que le règlement grand-ducal modifié du 8 avril 2018 prévoit en son article 63 que les offres non conformes, notamment celles dont toutes les positions du bordereau n’ont pas été remplies, ne sont pas prises en considération.
Or, il convient de relever que la rectification de pareille omission ne paraît pas possible puisqu’elle risque d’affecter les règles interdisant ou restreignant les possibilités de modifications des offres et l’égalité de traitement des soumissionnaires, la jurisprudence des juges du fond en la matière étant à cet égard stricte, en ce qu’elle refuse la régularisation ex post de non-conformités, respectivement qu’elle exclut de passer outre à une non-conformité constatée, qu’elle soit de forme ou de fond, les juges du fond ayant retenu à cet égard que la formulation impérative des dispositions pertinentes de l’ancien règlement grand-ducal du 3 août 2009 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, à savoir les articles 59 et 715, « ne confère pas une faculté au pouvoir adjudicateur pour écarter une offre en cas de constat de sa non-conformité mais pose le principe que dans cette hypothèse l’offre non conforme « n’est pas prise en considération », de sorte à exclure tout pouvoir d’appréciation dans le chef du pouvoir adjudicateur, et, a fortiori, tout risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires face à une soumission, en exigeant de tous les soumissionnaires qu’ils respectent scrupuleusement les dispositions légales, règlementaires et conventionnelles, toutes les entreprises devant en effet faire l’objet d’un traitement identique »6.
5 Correspondant aux articles 63 et 80 de l’actuel règlement grand-ducal du 8 avril 2018, l’article 60 de ce dernier correspondant à l’article 56 de l’ancien règlement grand-ducal du 3 août 2009.
6 Trib. adm. 26 avril 2014, n° 32374 ; trib. adm. 12 mai 2014, n° 32343 ; trib. adm. 6 octobre 2014, n° 33221 ; trib.
adm. 14 janvier 2015, n° 33594 ; trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 et trib. adm. 1er avril 2015, n° 34059.
9 Plus précisément, la Cour administrative7 a retenu qu’une offre non conforme doit être éliminée, de sorte à exclure tout pouvoir d’appréciation dans le chef du pouvoir adjudicateur, et, a fortiori, tout risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires, la Cour administrative ayant pris soin de souligner que la législation sur les marchés publics pose le principe de l’immutabilité des offres après l’ouverture des soumissions, posant l’interdiction de principe de la possibilité de modification des offres une fois déposées, les seules exceptions étant limitées au redressement d’erreurs matérielles ou arithmétiques que le pouvoir adjudicateur est susceptible de constater, dont la rectification n’est pas susceptible de fausser le libre jeu de la concurrence.
Par ailleurs, une analyse succincte et comparative de la jurisprudence française8 révèle qu’a priori, la régularisation doit porter uniquement sur des pièces « absentes ou incomplètes », de sorte que la demande de précisions et de compléments pourrait conduire soit à préciser son offre, notamment pour expliciter les détails de son offre, soit à apporter des rectifications minimes ; ainsi serait uniquement autorisée la rectification d’erreurs purement matérielles :
erreurs d’opérations (erreurs de report, de multiplication, ou d’addition), discordances entre indications en lettres ou en chiffres, ou encore incohérences entre le prix du bordereau des prix et le détail estimatif quantitatif.
Enfin, en sus des développements ci-avant, il n’appert pas que les omissions existantes aient pu faire spécifiquement l’objet d’une régularisation ex post sur base de l’article 80 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 tel qu’invoqué par la société requérante, ledit article précisant en effet que « Lorsque les informations ou les documents qui doivent être soumis par les opérateurs économiques sont ou semblent incomplets ou erronés ou lorsque certains documents sont manquants, les pouvoirs adjudicateurs peuvent, sauf clause contraire du cahier spécial des charges ou sauf mention du cahier spécial des charges qu’il s’agit d’informations ou de documents qui doivent être joints aux offres sous peine d’exclusion, demander aux opérateurs économiques concernés de présenter, compléter, clarifier ou préciser les informations ou les documents concernés dans un délai approprié, à condition que : a) ces demandes respectent pleinement les principes d’égalité de traitement et de transparence, et b) qu’elles ne conduisent pas indûment à favoriser ou défavoriser le ou les candidats ou soumissionnaires auxquels lesdites demandes ont été adressées et c) qu’elles n’aboutissent pas à permettre qu’il soit dérogé aux articles 63, 80, paragraphe 1er, et 83, paragraphe 1er, de sorte à aboutir à la présentation, par les soumissionnaires concernés, d’une offre nouvelle », l’article 63, comme exposé ci-avant, visant spécifiquement les offres non conformes, notamment celles dont toutes les positions du bordereau n’ont pas été remplies.
Si l’argumentation de la société … repose certes intégralement sur une ordonnance du juge du provisoire9, il convient d’abord de souligner que la solution y envisagée n’a pas fait l’objet d’une confirmation par les juges du fond, le litige au fond ayant en cette espèce disparu suite au désistement déposé par le requérant.
Il convient ensuite et surtout de souligner que la situation visée par la prédite ordonnance diffère fondamentalement des omissions de la société ….
7 Cour adm. 8 mai 2018, n° 40528C.
8 Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, éd. Le Moniteur, T.I, III.215.-6, p.34., cité dans trib.adm.
(prés.) 13 mars 2017, n° 39150.
9 Trib. adm. (prés.) 10 janvier 2019, n° 42125.
10 En effet, dans le cas d’espèce ayant donné lieu à l’ordonnance invoquée par la société …, le soumissionnaire évincé avait omis d’indiquer les prix d’unité en toutes lettres dans le bordereau, les mêmes prix ayant toutefois été indiqués de manière claire et non équivoque et de manière parfaitement lisible en chiffres, alors qu’en l’espèce, la société requérante a purement et simplement omis de remplir certaines positions du bordereau, et ce, tel que souligné à juste titre par le délégué du gouvernement, à dessein : il ne saurait partant et à première vue être question d’une erreur, et encore moins d’une simple erreur matérielle, mais plutôt d’une omission délibérée, basée sur une appréciation personnelle du cahier des charges par la société requérante.
Si elle entend actuellement en effet expliquer cette omission par le fait, en ce qui concerne la position 6.1. du bordereau de soumission relative à la documentation « As-built », qu’il s’agirait en fait de données figurant dans les manuels d’instruction fournis gratuitement avec les différents outils de sport, cette explication ne saurait toutefois, au-delà des réserves émises ci-avant quant à la possibilité d’une régularisation, convaincre, le bordereau de soumission détaillant à travers ses articles 2.6 et 3.2.4 des clauses contractuelles de manière précise et technique la présentation obligatoire du dossier « As-built », l’article 3.2.4 précisant d’ailleurs que l’établissement du dossier « As-Built » selon les modalités présentes constitue « une prestation spéciale qui est repris dans des positions spéciales dans les bordereaux des prix ». Il appert encore que ce dossier « As-built » doit être remis sous forme papier et sous forme électronique, le dossier sous forme électronique devant être sécurisé, identifiable et interopérable avec les logiciels de dessin, de calcul et de traitement de texte du maître d’œuvre et du maître de l’ouvrage. Vouloir réduire cette documentation, telle qu’exigée contractuellement, aux manuels d’instruction livrés gratuitement paraît dès lors hasardeux ; il appert de surcroît que suivre l’argumentation de la société requérante devrait exposer celle-ci à une autre non-conformité éliminatoire, puisque la société … n’aurait dans cette hypothèse pas communiqué la documentation telle qu’exigée.
Ce constat provisoire semble à lui seul de nature à justifier la décision d’écarter pour non-conformité l’offre de l’association momentanée …, de sorte à énerver globalement le caractère sérieux de la requête en obtention d’une mesure provisoire, étant rappelé qu’en cas de pluralité de motifs invoqués, la décision administrative est justifiée si l’un d’eux est de nature à la fonder, emportant ainsi le rejet du recours dirigé contre elle10.
En ce qui concerne les positions 7.1., 7.2. et 7.3. du bordereau de soumission, si la société requérante estime, d’une part, que ces positions ne seraient pas pertinentes pour le marché public en cause, et, d’autre part, que leur libellé serait équivoque, il résulte toutefois de la jurisprudence régulière des juges du fond, sur base de l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, au contenu identique à l’actuel article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, aux termes duquel « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », que cette disposition implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, 10 Trib. adm. 15 mai 2000, n° 11767, Pas. adm. 2020, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 75.
11 de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres.
Les juges du fond insistent à ce égard plus particulièrement sur le fait que cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’achèvement des travaux publics.
En aucun cas, d’après cette jurisprudence, il ne serait admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue, un tel soumissionnaire pouvant se voir reprocher une attitude incohérente et contradictoire, consistant à accepter dans un premier temps, du moins en apparence, les règles régissant une soumission publique, pour ensuite, en se prévalant de prétendues illégalités à ce point criantes et évidentes qu’elles ne pouvaient pas lui avoir précédemment échappé, chercher à annuler l’intégralité de ladite soumission alors que son offre n’a pas été retenue, faisant ainsi encore preuve de mauvaise foi manifeste, violant ainsi l’exigence de bonne foi entre parties, et ce tant au niveau précontentieux que contentieux. Un tel comportement doit, selon les juges du fond, être sanctionné en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant11.
De même, la jurisprudence a encore retenu qu’une contestation du cadre légal choisi par le pouvoir adjudicateur levée par un soumissionnaire qui a participé sans réserve à la procédure de soumission publique querellée constitue l’adoption d’une attitude incohérente et contradictoire et une violation de l’exigence de bonne foi entre parties12.
Il est dès lors possible que les juges du fond, plutôt que d’annuler la décision déférée du fait du prétendu caractère inutile ou équivoque des dispositions non respectées, renvoient le soumissionnaire à son obligation telle que figurant à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité, et ce d’autant plus que la société requérante disposait spécifiquement, tel que prévu à l’article 2.9.5. des clauses contractuelles particulières, de la possibilité de signaler des ambiguïtés par l’intermédiaire du portail des marchés publics, ledit article 2.9.5., ensemble l’article 1.9.5., renvoyant d’ailleurs directement à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité.
11 Trib. adm. 26 mai 2014, n° 32374; trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 ;
trib. adm. 16 mars 2016, n° 35736, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 83.
12 Trib. adm. 26 janvier 2015, n° 33531, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 218.
12 Il s’ensuit que l’argumentation de la société … ne parait pas, en l’état actuel d’instruction du dossier et au terme d’un examen nécessairement sommaire, présenter le sérieux nécessaire, étant rappelé que l’examen du caractère sérieux d’un moyen se caractérise, dans les affaires de suspension, par son caractère prima facie : aussi, pour qu’un moyen soit sérieux, il faut qu’à première vue et eu égard aux circonstances de la cause, il puisse être déclaré recevable et fondé, ce qui en l’espèce n’est pas le cas.
En ce qui concerne la demande formulée à titre subsidiaire et portant sur l’octroi d’une mesure de sauvegarde, la société requérante fait plaider que les conditions pour prétendre à une mesure de sauvegarde ne seraient pas les mêmes que celles pour prétendre à l’obtention d’un sursis à exécution, la société … soutenant plus particulièrement qu’une demande de mesure de sauvegarde ne pourrait pas se voir appliquer la double condition prévue à l’article 11, paragraphe 2, au même titre et avec la même intensité que ceux avec lesquels cette double condition est requise pour fonder une demande en sursis à exécution de la décision attaquée par le recours au fond; pour en déduire que dans le cadre d’une demande de mesure de sauvegarde le préjudice et le caractère sérieux des moyens invoqués au principal seraient à contrôler par le juge « de manière superficiel[le] simplement et avec un degré d’appréciation moins rigoureux », le juge pouvant, selon elle, se contenter de constater le seul caractère manifestement non irrecevable de la demande principale et manifestement non dépourvu de tout fondement en droit étant suffisant et que la preuve négative, selon laquelle le risque d’un préjudice grave et définitif n’est pas manifestement absent, serait suffisante.
Cette argumentation est toutefois à rejeter.
En effet, outre que le soussigné a déjà été amené à réfuter une argumentation semblable basée sur la notion de « fumus boni juris », notion tirée du contentieux communautaire13, il convient de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde14.
Il convient encore de rappeler que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution15, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative. La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend 13 Trib. adm. (prés.) 23 septembre 2016, n° 38387.
14 Trib. adm. (prés.) 14 janvier 2000, n° 11735, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 553 et 722.
15 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.
13 dès lors comme une procédure complémentaire16 à celle de l’effet suspensif, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes. En effet, comme indiqué en début d’ordonnance, le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde, doivent rester une procédure exceptionnelle dans la mesure où ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives.
L’argumentation de la partie requérante, visant à vouloir contourner les conditions prévues pour l’obtention d’un sursis à exécution et à voir admettre par le soussigné un préjudice non définitif ou irréparable ainsi que des moyens superficiellement non dépourvus de tout fondement, tout en sollicitant sous couvert d’une mesure de sauvegarde une suspension, est partant à rejeter.
Aussi, les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant pas non plus comme suffisamment sérieux pour justifier la mesure de sauvegarde sollicitée à titre subsidiaire par la société ….
Il y a dès lors lieu de débouter la société … de sa demande, prise en son double volet, aucune des conditions légales requises n’étant remplies en l’espèce.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, pris en son double volet ;
condamne la société requérante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 novembre 2020 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 16 Ibidem.