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02/10/2020 | LUXEMBOURG | N°44991

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2020, 44991


Tribunal administratif N° 44991 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 septembre 2020 Audience publique du 2 octobre 2020 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … et Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la commune de Mamer en présence de Madame … et de Monsieur …, …, en matière de préemption

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 44991 du rôle

et déposée le 15 septembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle GIRAULT, ...

Tribunal administratif N° 44991 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 septembre 2020 Audience publique du 2 octobre 2020 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … et Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la commune de Mamer en présence de Madame … et de Monsieur …, …, en matière de préemption

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 44991 du rôle et déposée le 15 septembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1. Madame …, demeurant à …, et de 2. Monsieur …, demeurant à …, tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision du conseil communal de la commune de Mamer du 13 juillet 2020, notifiée par courrier du 16 juillet 2020, portant exercice du droit de préemption par rapport à la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Mamer, section … de … sous le numéro …, lieu-dit « … », place contenant …, cette décision ayant encore été attaquée au fond par une requête en annulation introduite le même jour, portant le numéro 44990 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLE, demeurant à Luxembourg, du 18 septembre 2020, portant signification de ladite requête à la commune de Mamer ainsi qu’à Madame … et Monsieur …, demeurant à …, vendeurs de la parcelle concernée ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Maître Isabelle GIRAULT, pour les parties requérantes, ainsi que Maître Charles HURT, en remplacement de Maître Anne FERRY, représentante de la société SCHILTZ & SCHILTZ S.A, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 24-26, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 220251, pour la commune de Mamer, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2020.

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1 Madame … et Monsieur … exposent être les propriétaires de la maison d’habitation sise à …, la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Mamer, section … de …, sous le numéro …, lieu-dit « … », contenant …, propriété de Madame …, l’épouse de Monsieur …, se trouvant directement à gauche du terrain accueillant la maisons d’habitation des parties requérantes.

En date du 8 juin 2020, les parties requérantes ont trouvé un accord avec les époux … pour l’acquisition de la parcelle inscrite sous le numéro … pour un prix de vente de … euros, accord dont ils ont informé le même jour le notaire ….

Par courrier du 16 juillet 2020, le notaire instrumentant a été informé de la délibération du conseil communal de la commune de Mamer du 13 juillet 2020 d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle précitée, ladite délibération étant motivée comme suit :

« Le conseil communal, Vu la loi modifiée du 22/10/2008 portant 1.

promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes ;

2.

sur le droit d’emphytéose et le droit de superficie ;

3.

modification a) de la loi modifiée du 16/10/1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs; b) de fa loi modifiée du 01/12/1936 sur l’impôt foncier; c) de la loi modifiée du 25/02/1979 concernant l’aide au logement; d) de la loi modifiée du 10/12/1998 portant création de l’établissement public dénommé « Fonds d’assainissement de la Cité Syrdall»; e) de la loi modifiée du 30/07/2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l’acquisition de terrains à bâtir et d’immeubles d’habitation; f) de la loi modifiée du 19/07/2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain; g) de la loi du 21/09/2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil ;

Vu la requête du 24/06/2020 de Me …, notaire de résidence à …, relative à la vente d’une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Marner, section … de … sous le numéro … au lieu-dit « …» ;

Vu la loi communale modifiée du 13/12/1988;

Après en avoir délibéré conformément à la loi, unanimement décide d’exercer le droit de préemption sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Mamer, section … de … sous le numéro … au lieu-dit « …» d’une contenance de … are au prix de … € ».

Par courrier de leur mandataire du 31 juillet 2020, les parties requérantes contestèrent la susdite délibération, ledit courrier ayant été adressé au conseil communal de Mamer ainsi qu’au collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer, tandis qu’ils firent encore adresser une copie de ce courrier au ministre de l’Intérieur, au notaire instrumentant ainsi qu’à chaque membre du Conseil communal de Mamer individuellement.

2 Par requête déposée le 15 septembre 2020 et inscrite sous le numéro 44990 du rôle, les parties requérantes ont introduit un recours en annulation contre la délibération du conseil communal de Mamer du 13 juillet 2020. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 44991, elles ont demandé à voir prononcer un sursis à exécution, sinon à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à la décision déférée en attendant la solution de leur recours au fond.

Les parties venderesses, principales intéressées à l’issue de la présente affaire, quoique valablement informée par acte d’huissier de la requête en obtention d’une mesure provisoire et du recours en annulation, ne s’est pas fait représenter. Nonobstant ce fait, le soussigné statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Les parties requérantes, après avoir rappelé les rétroactes de la présente affaire, donnent à considérer que l’exécution de la décision du conseil communal d’exercer son droit de préemption par rapport à une vente portant sur la parcelle portant le numéro cadastral …, risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, dans la mesure où cette décision de préemption constituerait une ingérence dans leur droit au respect de leurs biens.

En effet, si le sursis à exécution de la décision de préemption par rapport à la vente portant sur le terrain litigieux ne devait pas être ordonné, respectivement, si une mesure de sauvegarde par rapport à cette décision, tendant en substance à ce qu’il soit sursis à son exécution, ne devait pas être ordonnée, le pouvoir préemptant passera l’acte notarié de vente, ce certainement rapidement, de sorte que les parties requérantes se trouveraient alors, ce à côté de la procédure au fond déjà déposée devant le tribunal administratif, dans l’obligation d’agir au civil, pour voir prononcer la nullité de l’acte de vente conclu entre les vendeurs initiaux et le pouvoir préemptant ce qui engendrerait encore des coûts ainsi qu’une perte de temps supplémentaires, consistant également en un préjudice grave et définitif.

Les parties requérantes estiment encore que leur recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler la décision querellée et elles se prévalent en substance des moyens d’annulation suivants :

Elles invoquent ainsi en premier lieu une violation de l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dans la mesure où la commune ne les aurait jamais informé de sa décision d’exercer son droit de préemption, décision qui aurait été notifiée au notaire, de sorte qu’elles n’auraient pas pu faire valoir leurs observations avant l’exercice du droit de préemption, et ce nonobstant l’arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2020, n° 43240 du rôle, et d’une circulaire du ministre de l’Intérieur du 5 mars 2020 imposant tous deux le respect du prédit article 9.

Les parties requérantes considèrent encore que la délibération querellée violerait l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, tel que modifié par la loi dite « Omnibus » du 3 mars 2017, lequel limiterait l’exercice du droit de préemption à un but précis, à savoir la réalisation de logements visés par les dispositions relatives aux aides à la construction d’ensembles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement, ou encore la réalisation de travaux de voirie et d’équipements publics ainsi que de travaux visant à ériger des équipements collectifs conformément aux articles 23 et 24, paragraphe 2 de la loi modifiée du 3 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, de sorte que le pouvoir préemptant devrait énoncer les finalités poursuivies, finalités qui devraient être réelles et non abstraites, la préemption devant tendre à la réalisation d’un projet concret ou du moins en voie de concrétisation et les explications fournies ne pouvant pas se limiter à des considérations abstraites et hypothétiques.

Les parties requérantes se prévalent à cet égard d’un jugement du 22 juillet 2020, n° 42595 du rôle, du tribunal administratif ainsi que d’une circulaire du ministre de l’Intérieur y relative, du 2 septembre 2020, portant le numéro 3897.

Elles soutiennent en l’espèce qu’il n’existerait pas de plan ou de projet concret ou en cours de concrétisation permettant à la commune de Mamer d’intégrer la parcelle en question dans un aménagement futur, ladite parcelle étant inscrite en zone d’habitation 1, de sorte à ne pas être classée comme zone d’aménagement différé, ni comme servitudes « couloirs et espaces réservés » : on pourrait en conclure qu’il ne serait pas dans l’intention de la commune de Mamer d’intégrer cette parcelle dans un aménagement futur.

Les parties requérantes contestent également formellement les affirmations du bourgmestre de la commune de Mamer selon lesquelles les terrains se trouvant en prolongation de la parcelle litigieuse appartiendraient à une société de promotion immobilière, de sorte que la parcelle litigieuse gagnerait en valeur et pourrait s’avérer d’une utilité dans le cadre d’un futur projet de ce promoteur ; elles contestent de même les affirmations du même bourgmestre selon lesquelles la parcelle litigieuse, ensemble la parcelle postérieure n° …, devait déjà être en la possession de l’administration communale de Mamer et donc être en sa propriété depuis des décennies.

Elles considèrent que ces deux affirmations fausses tenues lors de la réunion du conseil communal du 13 juillet 2020 auraient indubitablement influencé le vote des membres du conseil communal.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

La commune de Mamer a d’abord soulevé l’incompétence du juge du provisoire pour connaître du recours sous analyse, en contestant en substance l’utilité de ce même recours au vu du fait que les parties requérantes n’auraient attaqué en justice, devant les juges du fond ainsi que devant le juge du provisoire, que la décision initiale d'exercer son droit de préemption, et non la décision confirmative du conseil communal, intervenue le 15 septembre 2020, et comprenant la motivation de la décision de préempter, par référence à un projet de création d’une zone de verdure.

Elle a ensuite encore conclu à l’incompétence du juge du provisoire, et ce au motif, en substance, que du fait de la rencontre des volontés respectivement du vendeur et du pouvoir préemptant, une vente aurait été conclue, de sorte que l’office du juge administratif statuant au provisoire serait épuisé.

4 Le premier moyen opposé par la commune au recours en obtention d’une mesure provisoire ne saurait être accueilli. En effet, une décision sur recours gracieux, purement confirmative d'une décision initiale, tire son existence de cette dernière et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un tout indivisible, de sorte qu'un recours introduit contre la seule décision initiale est valable1, l’annulation, respectivement la suspension de la décision initiale ayant nécessairement le même effet sur la décision purement confirmative.

Il est ensuite constant en cause que la décision de préemption n’a, en l’espèce, pas seulement été émise par le conseil communal de Mamer, mais qu’elle a encore été dûment notifiée au notaire instrumentant, de sorte qu’il y a lieu de considérer, tel que confirmé par la Cour administrative2, qu’en vertu de l’article 1583 du Code civil, ensemble l’article 1134 du même Code, il y a accord sur la chose et sur le prix et partant vente, à savoir une convention légalement formée qui vaut loi entre parties en droit civil général.

Il appert en effet tout particulièrement que l’exercice du droit de préemption légal par la commune de Mamer aux prix et conditions telles que mentionnés dans le dossier de notification et correspondant en fait, aux prix et conditions exigés par les parties venderesses, et en vertu de l’article 1583 du Code civil selon lequel une vente est parfaite et la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’il y a accord sur la chose et le prix, a opéré transfert de propriété de plein droit au profit de la commune, la vente, tel qu’argumenté par la commune, devant seulement être formalisée par acte authentique devant notaire.

L’invocation par le mandataire des parties requérantes du non-respect par la commune de l’article 9 de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, tel que modifié par la loi dite « Omnibus » du 3 mars 2017, ci-

après « la loi « Pacte logement », lequel précise que « Dans le mois de la notification effectuée en application de l'article 8, les pouvoirs préemptant délivrent un avis de réception du dossier de notification au notaire et lui précisent que le dossier est complet. A défaut de délivrer un avis de réception du dossier de notification au notaire dans le délai imparti, le pouvoir préemptant est considéré renoncer à l'exercice de son droit de préemption », les parties requérantes faisant en effet soutenir que comme la commune n’aurait pas délivré l’avis de réception prévu par la loi, elle aurait, en application de cette disposition, renoncé à l'exercice de son droit de préemption, de sorte que la condition suspensive serait tombé et le contrat civil aurait été conclu définitivement entre les acquéreurs initiaux et les parties venderesses, ne saurait toutefois être retenue.

En effet, s’il est constant en cause que la délivrance d'un avis de réception au notaire instrumentant par le pouvoir préemptant fait en l’espèce défaut, le pouvoir préemptant a toutefois notifié sa décision d’exercer son droit de préempter par courrier du 16 juillet 2020, soit dans le mois de la notification effectuée le 3 juillet 2020 en application de l'article 8 de la loi « Pacte logement » par le notaire : il ne saurait partant être soutenu que la commune aurait, à défaut d’émission d’avis de réception du dossier, renoncé à l’exercice de son droit de préemption.

Il convient par ailleurs de relever que l’émission d’un accusé de réception et de la certification que le dossier est complet par le pouvoir préemptant n’a pas été prévue par le législateur en tant que condition formelle préalable obligatoire, mais cette étape a été instauré, 1 Trib. adm. 31 janvier 2013, n° 28520, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 239.

2 Cour adm. 21 janvier 2020, n° 43240C.

5 d’une part, dans l’intérêt du pouvoir préemptant lui-même3, afin de lui permettre de signaler les éventuels éléments manquants au dossier, de telle sorte qu’en principe un mois après la notification du dossier, les pouvoirs préemptant soient en mesure de confirmer être en possession d’un dossier complet, et, d’autre part, dans l’intérêt du notaire, afin de l’informer que sa mission a été correctement remplie4 : le fait que la commune a fait abstraction de l’émission d’un tel accusé de réception, mais a immédiatement exercé son droit de préemption, implique nécessairement qu’elle était en possession d’un dossier complet.

Il y a encore lieu de souligner que si le soussigné devait suivre l’argumentation des parties requérantes, il serait néanmoins amené à rejeter leur requête : en effet, comme les requérantes soutiennent que la commune aurait renoncé à son droit de préemption et qu’il y aurait dès lors eu conclusion d’un contrat parfait entre elles-mêmes et les parties venderesses, le soussigné devrait alors constater l’absence de tout préjudice dans leur chef et rejeter leur requête.

Il convient dès lors de constater l’existence d’un accord entre les parties venderesses et le pouvoir préemptant sur la chose et le prix et partant d’un transfert de propriété de plein droit au profit de la commune, la vente devant seulement être encore formalisée par acte authentique devant notaire.

L’existence d’une décision administrative distincte, susceptible de recours, à l’instar de la solution dégagée par la Cour administrative, si elle a des conséquences directes sur la question de la compétence générale des juridictions administratives, demeure toutefois sans incidence sur la compétence du juge du provisoire, lequel ne saurait ordonner le sursis à exécution du contrat. Il ne saurait qu’ordonner le sursis par rapport à la décision de préemption et, de ce fait, factuellement, empêcher le pouvoir préemptant de conclure un contrat sur base de ladite décision de préemption. En revanche, le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution de la décision de préemption dès lors que le contrat civil est conclu. En effet, une telle mesure ne serait pas de nature à empêcher l’exécution du contrat5.

Même l’annulation de la décision administrative de préemption servant de base à la conclusion du contrat est dépourvue d’effet direct sur le contrat qui continue à exister, serait-ce de manière précaire puisque sa survie dépend de la décision du juge du contrat, c’est-à-dire du juge judiciaire qui doit cependant être saisi par une partie au contrat, sinon par l’acquéreur évincé, pour décider du sort de celui-ci. Alors que le juge administratif est en effet compétent pour annuler l’acte administratif servant de base à la conclusion du contrat, il appartient au seul juge civil, en vertu de l’article 84 de la Constitution, de décider du sort du contrat ainsi vicié quant à sa formation. En toute hypothèse, il n’appartient pas au juge administratif de constater, de manière incidente, comme suite à l’annulation de l’acte administratif préalable à la formation du contrat, l’absence de validité du contrat et d’en suspendre l’exécution. Le juge administratif ne saurait que prononcer l’annulation de l’acte administratif détachable et le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution que dudit acte administratif, mais non pas du contrat formé sur sa base6.

3 Cour d’appel, juillet 2014, n° 39996 du rôle.

4 Projet de loi n° 5696 promouvant l’habitat, créant un « pacte logement » avec les communes, instituant une politique active de maîtrise du foncier et modifiant certaines dispositions du Code civil, commentaire des articles, article 9.

5 Voir trib. adm. prés. 22 août 2006, n° 21820.

6 Idem.

6 Il est vrai qu’en dépit du constat par la jurisprudence de la Cour administrative de l’existence d’un acte administratif détachable, un acheteur évincé ne saurait, dans les faits, que très difficilement se pourvoir devant le juge administratif du provisoire à l’encontre de cet acte détachable avant la conclusion du contrat de vente entre le vendeur et le pouvoir préemptant, alors que la loi « Pacte Logement », contrairement à la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, ne prévoit pas de distinction temporelle entre la décision de préemption, respectivement la notification de celle-ci au notaire instrumentant, et la conclusion du contrat, ne prévoit pas de période de stand-still entre la notification de la décision de préemption au notaire instrumentant et la conclusion, même implicite, du contrat de vente :

il s’agit-là manifestement d’une lacune à laquelle le pouvoir législatif devrait remédier, et ce tant dans l’intérêt de l’acquéreur évincé que du pouvoir préemptant, l’acquéreur évincé disposant en effet toujours de la possibilité de demander l’annulation de la décision de préemption au juge administratif et de demander ensuite au juge civil, sur base de cette décision d’annulation, l’allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice lui causé par la décision illégale7, voire de demander, dans le cadre de l’article 932, alinéa 1er, du Nouveau Code de Procédure civile, la suspension des effets de la décision prise par le pouvoir préemptant d’exercer son droit de préemption et partant de lui faire défense de signer l’acte de vente notarié, le tout en attendant l’issue définitive du litige porté devant les juges du fond8.

Le soussigné relève encore, dans ce contexte, que si les juges du fond seront appelés à vérifier la proportionnalité de l’ingérence que constitue d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme l’exercice d’un droit de préemption par la puissance publique, l’existence de garanties procédurales suffisantes constitue également, aux yeux de cette Cour, un élément important de la réalisation du juste équilibre requis.

L’administration communale de Mamer conclut encore au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause, son litismandataire contestant tant le sérieux des moyens que l’existence d’un préjudice grave et définitif.

En ce qui concerne cette seconde condition d’un préjudice grave et définitif, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi prévisée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. En effet, la demande de suspension a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif, les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue. Par ailleurs, comme le sursis à exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisqu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

7 Voir sinon CE, fr., Sect. 26 février 2003, Bour, Rec. p. 59 ; CE, sect., 19 décembre 2008, Pereira dos Santos Maia, Req. n° 293853 : « Il appartient au titulaire du droit de préemption de proposer à l'acquéreur évincé puis, à défaut, au propriétaire initial d'acquérir le bien à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement injustifié de l’une quelconque des parties les conditions de la cession à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ».

8 Voir Trib. arr. Lux., référé, 31 mai 2019, n° TAL-2019-03214 du rôle.

7 Dès lors, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice9.

Il convient à cet égard encore de souligner tout particulièrement que si, en ce qui concerne la seconde condition, à savoir l’existence de moyens sérieux, le juge du provisoire est appelé à se référer aux moyens invoqués au fond, même si ceux-ci ne sont pas explicitement développés dans la requête en obtention d’une mesure provisoire, il en va différemment de la condition tendant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, s’agissant d’un élément propre et spécifique au référé, conditionnant l’office du juge statuant au provisoire : la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience.

Ainsi, la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales.

Si l’intérêt à agir des requérants en tant qu’acquéreurs évincés ne semble pas contestable, le seul fait de ne pouvoir acquérir le terrain visé ne constitue en revanche pas un préjudice grave, c’est-à-dire dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société ni comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. En effet, le fait de ne pas pouvoir acquérir un terrain donné, présentant certes un certain intérêt pour les acquéreurs évincés en tant que commodité ou en tant qu’agrandissement de leurs propres propriétés, sans indication d’un quelconque projet concret ou d’une quelconque impérieuse nécessité, peut certes constituer un désagrément, dans le sens que les parties requérantes sont contrariées dans la réalisation de leur projet d’acquisition mais ne constitue en aucun cas un préjudice particulièrement inique, le soussigné relevant à ce sujet que les parties requérantes n’affirment par ailleurs pas avoir besoin desdites parcelles pour une quelconque exploitation, ou encore envisager concrètement d’y réaliser un projet concret et, objectivement ou subjectivement, important voire indispensable, de sorte qu’aucune utilité voire nécessité imposant cette acquisition n’apparaît ; a fortiori, la non-réalisation de cette acquisition par les parties requérantes, si elle peut subjectivement être considérée comme contrariante, n’entraîne pas dans leur chef un préjudice grave.

Il convient encore de relever que l’exercice du droit de préemption a, en l’espèce, été institué comme mode d’acquisition d’un bien immobilier par priorité d’une personne publique, et ce dans un objectif de créations supplémentaires de logements s’inscrivant dans un contexte de pénurie de logements, résultant notamment d’un solde migratoire positif récurrent de haut niveau, impliquant une volonté des autorités publiques d’intervenir pour drainer dans le patrimoine d’entités publiques des terrains à bâtir voire des terrains pouvant à l’avenir suffire à cette fin10 : un tel objectif - indépendamment de la question du bien-fondé effectif et concret du recours par la commune en l’espèce au droit de préemption - ne saurait être entravé par la 9 Trib. adm. prés. 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 595.

10 Cour adm. 21 janvier2020, n° 43240.

8 seule volonté de particuliers de vouloir acquérir, sans indication d’autre utilité ou nécessité, un terrain donné.

Quant à l’invocation d’un hypothétique préjudice résultant éventuellement des dépenses nécessaires en vue de se faire indemniser - encore que toute perte financière doit en l’espèce être considérée actuellement comme non donnée, à moins que les requérants visent un éventuel manque à gagner résultant d’une future opération de spéculation -, il convient de relever qu’un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, compensable par l’allocation de dommages et intérêts. Or, pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait en effet à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 199911.

En tout état de cause, le seul fait de devoir, à défaut de mesure provisoire, poursuivre ensuite l’annulation de l’acte de vente conclu avec le pouvoir préemptant devant le juge civil ne saurait être considéré comme de nature à entraîner automatiquement un risque de préjudice grave et définitif, sous peine de devoir considérer qu’en matière de préemption la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif serait automatiquement et généralement donnée, de sorte à dénaturer le mécanisme exceptionnel des mesures provisoires en contentieux administratif.

En sus de l’incompétence du juge au provisoire, telle que retenue ci-avant, il convient encore de conclure à ce qu’à défaut de tout effet grave et immédiat, notamment sur leur situation économique12, de la décision de préemption, les parties requérantes sont à débouter de leur demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

11 Trib. adm. prés. 8 février 2006, n° 20973 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 590.

12 Voir Conseil d’Etat fr., 1ère et 6ème sous-sections réunies, 27 avril 2011, 342329.

9 Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde ;

condamne les parties requérantes aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 octobre 2020 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44991
Date de la décision : 02/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-02;44991 ?

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