Tribunal administratif N° 44525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2020 Audience publique du 22 juillet 2020 Requête en institution d’un sursis à exécution sinon de mesures de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du bourgmestre de la commune de Frisange en présence de Monsieur …, …, en matière de permis de construire
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 44525 du rôle et déposée le 12 juin 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître David GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision du bourgmestre de la commune de Frisange du 28 février 2020, référencée n° …, autorisant Monsieur … à procéder à des travaux de transformation sur la parcelle cadastrale no … de la section … de …, Commune de Frisange, sise à …, cette autorisation étant encore attaquée au fond par une requête en annulation introduite le 12 juin 2020, portant le numéro 44524 du rôle ;
Vu l’avis urgent adressé le 6 juillet 2020 par le greffe du tribunal administratif à Maître David GROSS l’invitant à communiquer les exploits de signification des requêtes au fond et en référé ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Tom NILLES, demeurant à Luxembourg, du 3 juillet 2020, portant signification desdites requêtes en annulation, respectivement en institution d’un sursis à exécution à l’administration communale de Frisange ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Yves TAPPELLA, demeurant à Luxembourg, du 10 juillet 2020, portant signification desdites requêtes en annulation, respectivement en institution d’un sursis à exécution à Monsieur … et à son épouse, Madame … ;
Vu les articles 11, 12, 15 et 18 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Laurent LIMPACH, en remplacement de Maître David GROSS, pour le requérant, ainsi que Maître Isabelle BOULTGEN, en remplacement de Maître Claude SCHMARTZ, pour la commune de Frisange, et Maître Marion FERRON, en remplacement de Maître Lex THIELEN, pour Monsieur …, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 juillet 2020.
Par requête déposée le 12 juin 2020 et inscrite sous le numéro 44524 du rôle, Monsieur …, voisin de Monsieur …, a introduit un recours en annulation contre une autorisation de construire délivrée le 28 février 2020 par le bourgmestre de la commune de Frisange, autorisant Monsieur … à procéder à divers travaux d’aménagement sur sa propriété, inscrite au cadastre sous le n° … de la section … de …, Commune de Frisange, sise à …, , et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 44525 du rôle, il a demandé à voir prononcer un sursis à exécution de l’autorisation de construire déférée en attendant la solution de son recours au fond, sinon à voir ordonner toute mesure de sauvegarde qui s’imposerait afin de lui éviter de subir un préjudice irrémédiable suite à cette décision manifestement illégale.
En effet, Monsieur … estime que l’autorisation déférée violerait en plusieurs points le règlement sur les bâtisses de la commune de Frisange.
Il explique d’abord que l’autorisation litigieuse porterait sur l’installation de panneaux coupe-vue d’une hauteur de 1,80 mètres sur une longueur de 21 mètres avec fondations en limite de propriété, sur l’installation d’un abri de jardin, sur la pose d’une clôture d’une hauteur de 1 mètre et d’une longueur de 6,50 mètres en fond du jardin et à la construction d’un mur d’une hauteur de 80 centimètres, sur une longueur de 14 mètres et placée devant la maison et du mur porteur au trottoir. Ladite autorisation aurait encore autorisé la pose d’une terrasse en bois posée sur une dalle en béton, l’installation d’un mur de soutènement d’une hauteur de 2,20 mètres et sur une longueur de 6 mètres, la pose d’une porte et de panneaux d’une hauteur de 1,80 mètres et sur une longueur de 6 mètres à installer sur le côté de l’immeuble de Monsieur … et finalement la construction d’un mur de soutènement d’une hauteur de 2,20 mètres et sur une longueur de 4 mètres avec une fondation en blocs coffrant.
Il estime qu’il conviendrait de prononcer le sursis à exécution de la décision attaquée, car l’exécution de ladite décision risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, alors que si la procédure initiée par Monsieur … poursuivait son cours, « le non-respect des dispositions légales n’aura pas de le moindre effet », le requérant considérant qu’en outre, ses moyens invoqués devant les juges du fond apparaîtraient comme sérieux.
Ainsi, l’autorisation violerait les articles 41 et suivants du règlement sur les bâtisses de la commune de Frisange (« RB ») relatives à l’introduction d’une autorisation de bâtir, dans la mesure où Monsieur … n’aurait pas joint à son autorisation de construire les documents et renseignements stipulés dans le règlement des bâtisses.
L’autorisation violerait encore les articles 11.1 et 11.2 RB, relatives aux clôtures et coupe-vues, puisque les clôtures et coupe-vues prévus par le voisin dépasseraient les dimensions maximales prévues ; l’illégalité serait d’autant plus flagrante que les dispositions relatives au plan d’aménagement particulier (« PAP ») … » ne prévoyaient pas de coupe-vue afin de permettre à tous les habitants des différents lots d’avoir une vue dégagée et de la lumière naturelle. Le requérant estime de surcroît que les clôtures et coupe-vues projetés ne seraient pas nécessaires en raison de la destination du terrain et que lui-même aurait des objections « d’ordre esthétique » à leur opposer.
Le requérant s’empare ensuite d’une violation de l’article 10.3 RB, relatif aux remblais, alors que ladite disposition interdirait tous travaux de déblai et de remblai si ces travaux risquent de gêner le voisinage ou l’aspect du quartier ou du site, interdiction qui serait encore relayée par l’autorisation de construire elle-même en sa condition 14 qui imposerait à Monsieur … « de ne pas remblayer le terrain autour du bâtiment d’un volume qui dépasse les 50m3 de terre, sans être en possession de l’autorisation spéciale de la part de la commune de Frisange ». Or, Monsieur … n’aurait pas demandé de telle autorisation pour le remblai tandis que les 2 travaux de remblais auraient d’ores et déjà été engagés, le requérant considérant encore que les travaux prévus dans le cadre de l’autorisation attaquée impliqueraient un tel remblai. Aussi, faute pour Monsieur … « d’avoir sollicité une telle autorisation et faute pour l’administration communale de Frisange d’avoir exigé une autorisation pour le remblai alors que les travaux envisagés impliquent un remblayage massif du terrain, l’autorisation encourt l’annulation ».
Monsieur … estime également que l’autorisation violerait les articles 18.1, 18.2 et 19.1 RB, relatifs à la solidité, salubrité et sécurité des constructions, et plus particulièrement à la construction des murs, et ce alors que les panneaux coupe-vue d’une taille importante prévus par son voisin ne reposeraient pas sur des fondations suffisantes et que le fonds devant les accueillir ne disposerait pas d’un drainage et n’aurait pas été suffisamment compacté, de sorte que les murs et clôtures ne reposeraient pas sur un terrain suffisamment solide. Il critique encore le fait que tout calcul statique ferait défaut et que dans la mesure où il existerait un risque que la construction autorisée s’effondre sur sa propre terrasse faute de fondation suffisante, l’autorisation devrait encourir l’annulation.
Enfin, il excipe d’une violation de l’article 22.1 RB, relatif à la salubrité des pièces destinées au séjour prolongé de personnes, en soutenant que du fait des panneaux coupe-vue, ses propres pièces servant au séjour prolongé de personnes dans son immeuble se verraient privées de lumière naturelle, le requérant soulignant la hauteur de ces panneaux qui dépasseraient le niveau de son terrain d’approximativement 4 mètres, le requérant soulignant à nouveau l’aspect inesthétique de ces constructions qui obstrueraient sa vue.
L’administration communale de Frisange, rejointe en son argumentation par Monsieur …, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
Si le requérant entend principalement asseoir sa demande sur l’article 18 ainsi que l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il convient de souligner l’article 18 vise la possibilité pour le président du tribunal ou le magistrat qui le remplace d’ordonner l’effet suspensif du recours dirigé contre les actes administratifs à caractère réglementaire : l’autorisation de bâtir constituant toutefois un acte administratif à caractère individuel, la demande telle que basée sur l’article 18 est irrecevable.
En ce qui concerne la demande subsidiaire basée sur les articles 15 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, force est de constater que l’article 15 vise également, spécifiquement, les recours dirigés contre les actes administratifs à caractère réglementaire, de sorte que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce.
Quant à la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde sur base de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, celle-ci n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative.
3 L’autorisation de bâtir déférée ne constituant pas un acte négatif, la demande subsidiaire en obtention de mesures de sauvegarde telle que basée sur l’article 12 est irrecevable.
En ce qui concerne l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, seul applicable au présent litige, il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 11, (2), le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 12 juin 2020 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne la condition d’un préjudice grave et définitif il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi prévisée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Toutefois, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice1.
Or, en l’espèce, le requérant se borne à affirmer que l’exécution immédiate de l’autorisation de construire risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, dans la mesure où si les travaux entamés venaient à être continués « le non-respect des dispositions légales n’aura pas de le moindre effet ».
Il convient à cet égard de souligner tout particulièrement que si, en ce qui concerne la seconde condition, à savoir l’existence de moyens sérieux, le juge du provisoire est appelé à se référer aux moyens invoqués au fond, même si ceux-ci ne sont pas explicitement développés dans la requête en obtention d’une mesure provisoire, il en va différemment de la condition tendant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, s’agissant d’un élément propre et spécifique au référé, conditionnant l’office du juge statuant au provisoire : la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience.
Ainsi, la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales.
1 Trib. adm. prés. 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 595.
4 Il convient ensuite de relever que d’après la jurisprudence la plus récente2, la seule et simple qualité de voisin ne suffit en tout état de cause pas à établir l’intérêt pour agir - encore que cette notion soit plus large que celle du préjudice grave et définitif - contre un permis de construire, alors que pour disposer d’un intérêt à agir suffisant devant les juridictions administratives, il doit établir une atteinte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de sa propre propriété3 ; c’est en effet au regard de l’incidence concrète4 du projet sur la situation du demandeur que l’intérêt pour agir de ce demandeur devant le juge de l’excès de pouvoir doit être apprécié. En effet, le juge tiendra compte pour apprécier la qualité de voisins d’une construction autorisée par le permis de construire querellé, à la fois, de la distance entre le projet et leurs domiciles respectifs, de la nature et de l’importance du projet, ainsi que de la configuration des lieux.
La seule situation de voisin, même direct, n’implique dès lors pas, ipso facto, automatiquement, l’existence d’un préjudice grave et définitif.
Faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est par conséquent pas justifié à suffisance de droit.
Il convient par ailleurs de relever en ce qui concerne la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif en cas d’exécution immédiate de la décision communale déférée, lorsqu’une mesure dont le sursis à exécution est demandé a d’ores et déjà été exécutée au moment où le président du tribunal est appelé à statuer, la demande de sursis à exécution a perdu son objet et elle doit être déclarée irrecevable. En effet, il n’y a pas lieu de faire droit à des conclusions à fin de sursis dès lors que la décision est déjà exécutée et que la mesure n’est plus susceptible de produire d’effet utile. En d’autres termes, même à admettre que l’exécution de la mesure incriminée ait été susceptible de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, qu’il s’agissait de prévenir, ce préjudice est consommé par l’exécution de la mesure litigieuse et la juridiction du président du tribunal est dès lors épuisée5.
En effet, la demande de suspension a pour objet d’empêcher, temporairement, la survenance d’un préjudice grave et définitif ; les effets de la suspension étant d’interdire à l’auteur de l’acte de poursuivre l’exécution de la décision suspendue. En matière d’autorisations de construire, le sursis à exécution n’a d’utilité que pour garantir que l’exécution et l’achèvement de travaux de construction ne créent un état de fait sur lequel il sera difficile par la suite de revenir au cas où l’autorisation de construire litigieuse serait annulée par la suite ; il ne s’agit en aucun cas d’une mesure tendant à sanctionner, au provisoire, une illégalité alléguée et encore moins d’un moyen devant permettre, par l’arrêt des travaux, de s’aménager une position avantageuse en vue d’éventuelles négociations indemnitaires.
Or, en l’espèce, force est au soussigné de constater à l’étude des photographies versées et illustrant l’état des lieux actuel, à savoir en juillet 2020 et des explications fournies à l’audience, que certains panneaux coupe-vue ont déjà été érigés le long de l’immeuble du requérant, que l’abri de jardin a été installé, que la clôture litigieuse a été posée, que la terrasse en bois sur une dalle de béton est installée. Il en va enfin de même, du moins en partie, du mur de soutènement litigieux.
2 Cour adm. 12 octobre 2017, n° 39490C ainsi que 17 octobre 2017, n° 39527C et 39542C.
3 Voir trib. adm. 21 février 2018, n° 38029 du rôle.
4 Cour adm. 12 décembre 2017, n° 39672C du rôle.
5 Trib. adm. 10 avril 2001, n° 13203, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 611, et autres références y citées.
5 Partant, compte tenu de ces circonstances, l’acte déféré au provisoire au soussigné doit être considéré comme ayant été largement matériellement exécuté en ses éléments faisant grief, entraînant l’épuisement de la juridiction du soussigné, le préjudice éventuel, non spécifié, étant d’ores et déjà réalisé.
Le soussigné ne saurait par ailleurs en tout état de cause considérer un éventuel préjudice comme grave ; en effet, le préjudice actuellement et tardivement mis en avant résulte essentiellement du seul fait que le requérant, bien que prétendument gravement importuné par les travaux litigieux, autorisés en date du 28 février 2020, a fait preuve de désinvolture en attendant le 12 juin 2020 pour introduire, au vu du préjudice grave et définitif allégué, une requête en obtention d’une mesure provisoire, requête par ailleurs signifiée à la partie défenderesse et au tiers-intéressé seulement en dates des 3 et 10 juillet 2020.
Enfin, le caractère irréversible d’un éventuel préjudice n’est pas non plus donné en l’espèce : en effet, contrairement à l’hypothèse d’un immeuble dont la légalité serait mise en doute, les éléments litigieux, et notamment le point de discorde essentiel, à savoir les panneaux coupe-vue, constituent des aménagements légers, de moindre envergure, et aisément démontables, de sorte qu’aucun obstacle à une éventuelle et ultérieure remise en pristin état n’existe : tout éventuel préjudice résultant des aménagements litigieux n’est partant pas irréversible et définitif.
A titre tout à fait superfétatoire, et ce aux seules fins de permettre au requérant d’analyser l’opportunité de maintenir son recours au fond et d’échapper le cas échéant à sa condamnation à une indemnité de procédure devant les juges du fond, il convient ensuite de rappeler que, concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
6 La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie demanderesse apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.
Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
En ce qui concerne les moyens du requérant développés devant les juges du fond, force est au soussigné de retenir qu’aucun de ces moyens ne convainc en l’état actuel du dossier.
Ainsi, si le requérant considère que l’autorisation violerait les articles 41 et suivants du règlement sur les bâtisses de la commune de Frisange (« RB ») relatives à l’introduction d’une autorisation de bâtir, dans la mesure où Monsieur … n’aurait pas joint à son autorisation de construire les documents et renseignements stipulés dans le règlement des bâtisses, il convient de relever qu’il résulte de la jurisprudence constante des juges du fond que les dispositions réglementaires régissant la nature et le contenu des plans à déposer en appui d’une demande d’autorisation constituent des dispositions qui ne sont non pas destinées à protéger les intérêts privés, mais de simples prescriptions de bonne administration prises dans l’intérêt de la commune appelée à instruire le dossier de demande, de sorte que cette dernière est certes en droit d’insister sur le dépôt des pièces en question, au cas où celles-ci feraient effectivement défaut et, le cas échéant, de suspendre l’instruction du dossier en attendant que le demandeur complète celui-ci, mais que ces manquements ne sauraient justifier un refus définitif du permis de bâtir par le bourgmestre, les juges du fond rappelant à cet égard que lors de la délivrance d’une autorisation de construire, le bourgmestre doit se limiter à vérifier la conformité du projet par rapport au plan d’aménagement général et d’autre part par rapport au règlement sur les bâtisses, de sorte qu’une éventuelle non-conformité formelle du dossier de demande par rapport aux prescriptions du règlement sur les bâtisses ne saurait remettre en cause la légalité du projet de construction, mais tout au plus suspendre l’instruction de la demande6.
Si le requérant affirme que du fait de ce défaut, il lui serait impossible de contrôler le respect de l’autorisation de construire, force est toutefois de constater que même si des plans d’architectes font défaut - étant douteux que l’envergure des travaux projetés justifient le recours à un architecte - le dossier administratif semble bien contenir un descriptif et des croquis détaillés des travaux envisagés sur base d’un pan 1/200, comprenant notamment leur localisation précise ainsi que leur hauteur et longueur, descriptif et croquis faisant manifestement partie intégrante de l’autorisation de construire et visés par le bourgmestre.
6 Trib. adm. 10 juillet 2006, n° 20977, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 700, et autres jurisprudences y citées.
7 Le requérant se prévaut ensuite d’une violation des articles 11.1 et 11.2 RB, relatives aux clôtures et coupe-vues, dans la mesure où ces clôtures et coupe-vues dépasseraient les dimensions maximales prévues. Or, un examen sommaire de ces dispositions permet de dégager que ces limitations s’imposent aux socles, murets et clôtures sis dans « les espaces libres entre les alignements de façade et les alignements de la voie » et que ces limitations sont notamment imposées pour des motifs de sécurité de la circulation : les dispositions visent dès lors a priori les clôtures et murs érigés le long de la voie publique et non, comme celles litigieuses en l’espèce, celles érigées entre deux propriétés privatives, la seule clôture autorisée le long de la voie publique devant, selon l’autorisation, mesurer 80 cm de haut.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 10.3 RB, relatif aux remblais, force est de constater l’incohérence du moyen, le requérant semblant reprocher à son voisin d’avoir procédé à des travaux de remblayage sans disposer d’autorisation spécifique, tout en admettant que l’autorisation de construire litigieuse interdirait de procéder à de tels travaux « sans être en possession de l’autorisation spéciale de la part de la commune de Frisange ». Aussi, il appert, au terme d’une analyse nécessairement superficielle, que la substance du litige sous analyse, en tout cas en ce qui concerne ce point, réside dans la crainte, par le requérant, d’un préjudice apporté à sa propre propriété par la réalisation de la construction autorisée ; plus précisément, le requérant ne semble pas critiquer la légalité même de l’autorisation par rapport aux législation et règlementation applicables, mais les effets concrets de la réalisation des travaux de remblayage, apparemment effectués sans autorisation.
Il s’avère dès lors qu’il s’agit, du moins sur ce point, d’un problème d’exécution : or, en règle générale, le tribunal statuant sur la légalité d’une autorisation de bâtir délivrée n’est point juge de l’exécution conforme des constructions autorisées7. En ce qui concerne plus particulièrement les compétences du soussigné, statuant en tant que juge du provisoire, la loi ne permet pas au président du tribunal administratif de prendre des mesures ayant pour objet des droits civils8. Toutefois, encore qu’il n’appartienne pas au soussigné de prodiguer des consultations juridiques, il importe, dans l’intérêt bien compris du requérant, d’attirer l’attention de celui-ci, respectivement de son avocat, sur les dispositions de l’article 933, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile aux termes duquel le juge judiciaire des référés peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble illicite visé par les dispositions légales précitées est la voie de fait. La commission d’une voie de fait est constituée par des actes matériels qui préjudicient aux droits, aux biens ou aux prétentions d’autrui par l’usurpation matérielle des droits que leur auteur n’a pas. Le trouble dont la cessation est réclamée doit être manifestement illicite, c’est-à-dire, constituer une violation flagrante et illégale du droit d’une partie, à condition que ce droit soit certain et évident9.
Monsieur … estime également que l’autorisation violerait les articles 18.1, 18.2 et 19.1 RB, relatifs à la solidité, salubrité et sécurité des constructions, et plus particulièrement à la construction des murs.
Or, il appert, suite à un examen sommaire des dispositions invoquées, que celles-ci visent les murs et piliers portants, respectivement les murs portants, c’est-à-dire les murs ayant une fonction de stabilité de la structure globale d’une construction et soutenant un plancher ou une charpente, tandis que les murs visés manifestement par le requérant sont les socles ou 7 Trib. adm. 17 avril 2002, n° 13801, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme 872.
8 Trib. adm. (prés.) 24 septembre 2008, n° 24817.
9 Cour d’appel, 16 janvier 1989, n°10792 du rôle.
8 murets extérieurs accueillant des panneaux coupe-vue, ne constituant a priori pas des murs portants et partant non visés par les dispositions invoquées.
S’il excipe encore d’une violation de l’article 22.1 RB, relatif à la salubrité des pièces destinées au séjour prolongé de personnes, alors que les panneaux coupe-vue installés par son voisin priveraient ses propres pièces servant au séjour prolongé de personnes de lumière naturelle, cette violation alléguée ne semble toutefois pas être de nature à affecter la légalité du permis de bâtir attaqué, alors que le projet autorisé par ladite décision ne semble pas enfreindre ladite disposition, l’immeuble de Monsieur … - ne faisant d’ailleurs pas l’objet de l’autorisation litigieuse - ne semblant pas affecté par ces panneaux coupe-vue. Dans la mesure où ces panneaux affecteraient l’accès à la lumière naturelle de Monsieur …, il ne s’agirait toutefois pas, à première vue, d’une question de légalité de l’autorisation en cause, du fait que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers : les droits généralement quelconques des tiers étant réservés, il leur appartient de les faire valoir devant le juge compétent, à savoir les juridictions civiles. Ainsi, le bourgmestre, en délivrant l’autorisation de bâtir, constate dans la forme passive d’une autorisation que la réalisation du projet est permise. Cet acte d’administration ne peut avoir pour l’administration aucune conséquence civile : si le bâtisseur construit sur le bien d’autrui, ou si le bien est grevé de servitudes civiles, la demande est néanmoins accueillie, parce que l’administration ignore le point de droit civil et qu’elle ne prend aucune responsabilité technique10.
Aussi, il appartiendrait plutôt au voisin concerné, en l’occurrence Monsieur …, de se pourvoir devant le juge judiciaire, soit sur la base indiquée ci-avant, soit sur base d’un trouble de voisinage et, le cas échéant, de tenter de demander un dédommagement.
Les différents moyens d’annulation ne présentent dès lors pas le sérieux requis pour justifier l’instauration d’une mesure provisoire et le requérant est à débouter de sa demande en institution d’un sursis à exécution.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la demande en obtention de mesures provisoires ;
condamne le requérant aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 juillet 2020 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 10 Cour adm. 17 décembre 2015, n° 36487C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 740 et les autres références y citées.
9 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10