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28/11/2019 | LUXEMBOURG | N°43803

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2019, 43803


Tribunal administratif N° 43803 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2019 Audience publique du 28 novembre 2019 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par … par rapport à des décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 43803 du rôle et déposée le 19 novembre 2019 au greffe du tribun

al administratif par la société BONN STEICHEN & PARTNERS, société en commandite simple, établ...

Tribunal administratif N° 43803 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2019 Audience publique du 28 novembre 2019 Requête en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par … par rapport à des décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 43803 du rôle et déposée le 19 novembre 2019 au greffe du tribunal administratif par la société BONN STEICHEN & PARTNERS, société en commandite simple, établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, inscrite à la liste V du Tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, à savoir la société à responsabilité limitée BSP S.AR.L., établie et ayant son siège social à Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, représentée aux fins de la présente procédure par son gérant, Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de :

… tendant à voir instituer un sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport à 1) une décision du directeur de l’administration des Contributions directes datée du 24 septembre 2019 enjoignant à la société … de lui fournir, pour le 29 octobre 2019 au plus tard, certains renseignements concernant diverses personnes physiques et morales, dont les parties requérantes et 2) une décision du directeur de l’administration des Contributions directes de transmettre aux autorités fiscales islandaises les informations reprises dans la prédite décision d’injonction, un recours en annulation, inscrit sous le numéro 43697 du rôle, dirigé contre les mêmes décisions ayant été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 octobre 2019 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 19 novembre 2019, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société … ;

Vu l’ordonnance du 7 novembre 2019, n° 43698 du rôle ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision d’injonction critiquée au fond ;

Maître Pol MELLINA, en représentation de la société BONN STEICHEN & PARTNERS, pour les parties requérantes, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2019.

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Par courrier du 24 septembre 2019, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la banque … de lui fournir pour le 29 octobre 2019 au plus tard, certains renseignements concernant diverses personnes physiques et morales, ladite injonction étant libellée comme suit :

« En date du 29 août 2019, l’autorité compétente de l’administration fiscale islandaise nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et l’Islande du 4 octobre 1999, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation du Protocole et de l’échange de lettres relatif à ladite convention ainsi que de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signée le 29 mai 2013, et approuvée par la loi du 26 mai 2014.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

Les personnes physiques concernées par la demande sont :

… Les personnes morales concernées par la demande sont :

… Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017 pour les renseignements concernant … et pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2016 pour les renseignements concernant …, les renseignements et documents suivants pour le 29 octobre 2019 au plus tard.

Pour des raisons de meilleure lisibilité, nous avons repris le questionnaire anglais de la demande d’information des autorités islandaises pour les points suivants.

Please provide information in relation to the bank account(s) held by the above mentioned companies, including but not limited to documents relating to the establishment of the bank account(s) and information on origin of the funds transferred therein upon establishment and information on any and all transfers to and from the bank account(s) during the referred period. Please provide portfolio summaries and portfolio valuations of the account(s) as of December 31, 2012, December 31, 2013, December 31, 2014, December 31, 2015, December 31, 2016 and December 31, 2017.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du système d’envoi de fichiers par OTX (voir à cet effet https://impotsdirects.public.lu/fr/echanges_electroniques/Echangederenseignementssurdema nde.html pour le guide d’utilisateur).

Conformément à l’article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l’encontre de la présente décision d’injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. » Par requête déposée le 23 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif et enrôlée sous le n° 43697 Monsieur … ainsi que les sociétés … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’injonction précitée du 24 septembre 2019 ainsi que de la décision, ainsi qualifiée, de transmission des informations concernées aux autorités islandaises.

Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 43698 du rôle, les mêmes parties firent introduire une demande tendant à voir prononcer que le recours au fond produise un effet suspensif quant à l’exécution de l’injonction et de la décision de transmission précitées, sinon à voir interdire à l’administration des Contributions directes de communiquer aux autorités fiscales islandaises toutes informations collectées ou à collecter, en exécution de la décision d’injonction, se rapportant à l’année fiscale 2012 et à la période postérieure au 4 novembre 2016, requête dont elles furent déboutées par ordonnance du président du tribunal administratif du 7 novembre 2019.

Par une seconde requête déposée en date 19 novembre 2019, inscrite sous le numéro 43803 du rôle, les mêmes parties ont réitéré leur demande tendant à voir prononcer que le recours au fond produise un effet suspensif quant à l’exécution de l’injonction et de la décision de transmission précitées, sinon à voir interdire à l’administration des Contributions directes de communiquer aux autorités fiscales islandaises toutes informations collectées ou à collecter, en exécution de la décision d’injonction, se rapportant à l’année fiscale 2012 et à la période postérieure au 4 novembre 2016.

La société …, quoique valablement informée par acte d’huissier de la requête en obtention d’une mesure provisoire et du recours en annulation, ne s’est pas fait valablement représenter. Nonobstant ce fait, le soussigné statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Les parties requérantes exposent d’abord que leur requête serait basée à titre principal sur l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et à titre subsidiaire sur les articles 8 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après la « CEDH ») ainsi que sur le principe général à valeur constitutionnelle d’Etat de droit.

Elles estiment en effet que l’absence d’effet suspensif de l’instance au fond les priverait de tout recours effectif à l’encontre de la décision d’injonction et de la décision de transmission.

A ce titre elles font plaider que la fourniture des informations aux autorités fiscales luxembourgeoises en exécution de la décision d’injonction et, en vertu de l’obligation légale de ces dernières de transmettre automatiquement les informations aux autorités islandaises entraînerait une violation de leurs droits fondamentaux, à savoir leur droit au respect de la vie privée et leur droit à la protection des données à caractère personnel en application de l’article 8 de la CEDH.

Elles rappellent encore que l’article 8 de la CEDH comporte l’exigence d’un cadre réglementaire offrant une protection effective des droits garantis, notamment contre les atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la CEDH, ce qui implique, en substance, de prévoir des garanties procédurales afin d’assurer une protection effective de ces droits, voire de mettre en place des voies de recours effectives.

Or, l’exigence d’un recours effectif, permettant d’assurer une protection effective des droits à la vie privée et à la protection des données personnelles, tels que découlant de la CEDH, impliquerait nécessairement qu’un succès au fond dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision administrative constitutive d’une atteinte aux droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne soit pas privé de tout effet utile en pratique. Comme en matière d’échange de renseignements sur demande à des fins fiscales, l’atteinte au droit à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel résulterait de la prise de connaissance de données bancaires, par une autorité nationale et/ou étrangère, en violation d’un accord entre deux Etats en matière d’échange de renseignements sur demande à des fins fiscales, un recours en la matière ne pourrait être effectif que s’il permettrait d’éviter dans l’hypothèse d’un succès une telle prise de connaissance.

Partant et concrètement, en matière d’échange de renseignements sur demande à des fins fiscales, ce serait l’effet suspensif du recours qui assurerait son effectivité, alors qu’en l’absence d’effet suspensif, la prise de connaissance des données bancaires par l’autorité compétente nationale, et, le cas échéant, par l’autorité étrangère, en violation des accords internationaux, aurait lieu de manière irréversible, malgré un éventuel succès ultérieur devant les juges du fond.

Les parties requérantes soulignent à cet effet que le législateur serait nécessairement conscient de cette exigence, puisque l’ensemble des voies de recours spécifiques prévues en matière d’échange de renseignements sur demande à des fins fiscales seraient, respectivement auraient été toutes explicitement assorties d’un effet suspensif. Ainsi, le recours ouvert au détenteur de renseignements à l’encontre d’une décision d’injonction, en vertu de l’article 6 (1) de la loi modifié du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, dans sa teneur actuelle, aurait un effet suspensif, tandis que la même chose aurait été vraie pour le recours en annulation ouvert contre les mêmes types de décisions « à toute personne visée et à tout tiers concerné » sous l’empire de l’ancienne loi du 31 mars 2010 portant approbation de certaines conventions bilatérales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande.

Toutefois, ce recours spécifique, explicitement suspensif, serait réservé au seul tiers détenteur de renseignements, de sorte à exclure en l’espèce les parties requérantes, lesquelles pourraient uniquement se prévaloir du recours de droit commun de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, qui n’a, d’après l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », en principe pas d’effet suspensif, sauf ordonnance contraire.

Or, et en substance, comme les conditions posées, et en particulier le risque d’un préjudice grave et irréparable, seraient à apprécier de façon stricte, les parties requérantes estiment qu’en matière d’échange de renseignements sur demande dans le domaine fiscal, ce régime de droit commun, posé par l’article 11, paragraphes 1 et 2, serait trop restrictif pour garantir en toutes hypothèses à l’administré, dont la vie privée et les données à caractère personnel sont en cause, un recours effectif à l’encontre d’une atteinte injustifiée, les parties requérantes soulignant encore que l’exigence procédurale découlant des articles 8 et 13 de la CEDH est inconditionnelle et ne saurait notamment dépendre de la nécessité de démontrer l’existence d’un préjudice grave.

Elles en concluent que le régime institué par l’article 11, paragraphes 1 et 2 de la loi du 21 juin 1999, c’est-à-dire l’effet non suspensif du recours par principe et la possibilité d’un sursis à exécution exceptionnel, sous certaines conditions sévèrement appréciées, serait à écarter de l’ordonnancement juridique en matière d’échange de renseignements sur demande dans le domaine fiscal, pour être contraire au principe général à valeur constitutionnelle d’Etat de droit ainsi qu’au droit supranational, notamment à l’exigence procédurale de recours effectif découlant des articles 8 et 13 de la CEDH, de sorte que le droit commun administratif, lequel n’exclurait plus de manière explicite l’effet suspensif de plein droit d’un recours en annulation introduit conformément à l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, devrait s’imposer, à savoir l’instauration d’un recours suspensif de plein droit.

Comme par ailleurs l’exécution matérielle des décisions attaquées au fond dépendrait non pas des parties requérantes, mais de deux parties tierces, à savoir la Banque … d’une part et l’administration des Contributions directes d’autre part, l’effet suspensif de plein droit devrait encore être opposable à ces parties tierces, afin de garantir l’effectivité du recours des parties requérantes.

Enfin, les parties requérantes estiment que compte tenu de la situation procédurale complexe, et plus particulièrement eu égard à l’absence de disposition légale prévoyant de manière explicite un effet suspensif de plein droit, il appartiendrait au juge du provisoire de constater, par le biais d’une ordonnance et en présence de l’ensemble des parties impliquées, l’effet suspensif de plein droit de l’instance au fond, sinon d’ordonner, à titre de mesure provisoire, une interdiction à la société … de procéder à la transmission des renseignements sollicités par les autorités fiscales.

A cette fin, elles font plaider que comme l’application de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 devrait être écartée, il en serait de même de de son régime restrictif exigeant notamment la démonstration d’un préjudice grave et irréparable : aussi le recours à l’article 12 de la même loi deviendrait nécessaire, les parties requérantes considérant à cet égard qu’il conviendrait en l’espèce de s’écarter de la jurisprudence qui soumet l’application de l’article 12 précité aux mêmes conditions que l’application de l’article 11, à savoir l’exigence d’un risque de préjudice grave et définitif, et ce au motif de la contrariété de l’article 11, paragraphes 1 et 2, au principe d’Etat de droit et aux normes supranationales des articles 8 et 13 de la CEDH.

Même si les parties requérantes estiment que le caractère suspensif de l’instance au fond découlerait de plein droit du droit supranational des articles 8 et 13 de la CEDH, ainsi que du principe d’Etat de droit à valeur constitutionnelle, sans que la démonstration de l’existence de moyens sérieux au fond ne soit nécessaire dans le cadre d’une procédure de référé, comme la présente, elles tiennent néanmoins à détailler le sérieux des moyens développés dans l’instance au fond.

Ainsi, après avoir soutenu le caractère recevable de leur recours au fond au vu notamment de la jurisprudence de la Cour administrative et des exigences de l’article 8 CEDH, qui s’opposeraient à l’interdiction de tout recours du contribuable visé par une demande d’échange de renseignements en matière fiscale, interdiction que les parties requérantes décèlent dans l’article 6 (1) de la loi modifié du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, les parties requérantes dénient ensuite aux informations sollicitées toute pertinence vraisemblable en soulignant l’absence complète d’indication quant au but fiscal de la demande.

Ainsi, elles critiquent la décision d’injonction pour se contenter d’indiquer une liste d’informations à transmettre par le détenteur de renseignements, sans déterminer en quoi lesdites informations pourraient être utiles pour une quelconque enquête fiscale menée en Islande par les autorités locales.

Pour ce qui concerne les informations relatives aux sociétés, parties requérantes, celles-ci relèvent être résidentes, et partant sujets fiscaux, de juridictions étrangères, de sorte que l’intérêt du fisc islandais, tant du point de vue de la collecte des impôts que du point de vue du respect des lois fiscales islandaises et/ou de la convention fiscale entre le Luxembourg et l’Islande, par rapport à des sociétés non soumises à l’impôt en Islande de façon illimitée, ne serait pas clair. Si elles concèdent que l’on pourrait imaginer que les autorités fiscales islandaises s’intéressent aux revenus de source islandaise desdites sociétés, elles relèvent toutefois que la décision d’injonction exigerait, sans limitation quelconque, la communication d’informations concernant les comptes bancaires des sociétés, concernant toutes les transactions en provenance et vers ces comptes bancaires et des informations concernant la valorisation des portefeuilles de titres détenus dans ces comptes. Or, en l’absence d’un but fiscal précisé, une demande de ce type, concernant une telle quantité d’informations, ne pourrait s’analyser que comme une pêche aux renseignements prohibée par la convention fiscale entre le Luxembourg et l’Islande et la convention d’assistance mutuelle, précitée.

En ce qui concerne ensuite les informations relatives à Monsieur … pour la période du 4 novembre 2016 jusqu’au 31 décembre 2016, les parties requérantes relèvent que l’intéressé n’était plus résident fiscal islandais, tel que cela résulterait d’ailleurs de la décision d’injonction elle-même : or, le droit fiscal islandais permettrait aux autorités fiscales islandaises de redresser un contribuable seulement sur les six années précédant l’année de réexamen de la situation fiscale dudit contribuable, de sorte que s’agissant en l’espèce d’une enquête de 2019, les autorités fiscales islandaises seraient forcloses à réimposer l’année 2012 : partant, la finalité fiscale de l’ensemble des informations demandées au titre de l’année 2012 serait difficilement retraçable.

Le délégué du gouvernement soulevé l’irrecevabilité de cette seconde requête pour atteinte à l’autorité de chose jugée dont serait revêtue l’ordonnance du 7 novembre 2019 ; il relève encore que la nouvelle argumentation produite dans la requête sous analyse ne figurerait pas dans le recours au fond. Enfin, il estime que la mesure sollicitée, à savoir le constat de l'effet suspensif de plein droit de l'instance au fond ne constituerait pas une mesure provisoire, mais une mesure définitive, empiétant sur les compétences des juges du fond.

Force est d’emblée au soussigné de constater que la requête sous analyse pose en effet une question de recevabilité, respectivement d’irrecevabilité, question soulevées d’office conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En effet, comme indiqué ci-dessus, il appert que par requête déposée en date du 23 octobre 2019, inscrite sous le numéro 43698 du rôle, les parties requérantes ont d’ores et déjà introduit une demande tendant à voir prononcer que le recours au fond produise un effet suspensif quant à l’exécution de l’injonction et de la décision de transmission précitées, sinon à voir interdire à l’administration des Contributions directes de communiquer aux autorités fiscales islandaises toutes informations collectées ou à collecter, en exécution de la décision d’injonction, se rapportant à l’année fiscale 2012 et à la période postérieure au 4 novembre 2016.

Il appert encore que les parties requérantes ont été déboutées de cette requête en obtention de mesures provisoires par ordonnance du président du tribunal administratif du 7 novembre 2019.

S’il est vrai que les ordonnances rendues au provisoire par le président du tribunal administratif ne bénéficient pas, au principal, de l’autorité de la chose jugée, dans ce sens que le tribunal administratif, statuant au fond, n’est pas lié par les constatations en fait et en droit faites par le président statuant au provisoire, les ordonnances en question bénéficient cependant de l’autorité de chose jugée au provisoire, dans ce sens qu’une ordonnance rendue s’impose tant aux parties qu’au président du tribunal administratif lui-même aussi longtemps que les circonstances à la base de l’ordonnance ne se trouvent pas modifiées. Si ces circonstances peuvent consister dans des faits nouveaux, des moyens ou arguments nouveaux ne sont pas de nature à ébranler l’autorité qui s’attache provisoirement à une ordonnance, sous peine de permettre la remise en question indéfinie d’une décision rendue au provisoire1, l’autorité de chose jugée ne pouvant en effet dépendre de la seule ingénuité du requérant à trouver de nouveaux moyens.

En tout état de cause, encore faut-il que le fait nouveau, pour être susceptible d’entraîner la révision de la première décision, ait une incidence concrète au niveau de l’appréciation que le juge des mesures provisoires est appelé à faire en ce qui concerne l’existence d’un préjudice grave et définitif ou le sérieux des moyens invoqués au fond2 Aussi, il n’est pas possible de remettre en question les ordonnances présidentielles tant que le tribunal n’a pas statué au fond et sans que de nouveaux éléments, qui impliquent 1 Trib. adm. (prés.) 30 mai 2000, n° 12019 ; trib. adm. (prés.). 18 juillet 2012, n° 30847; trib. adm. (prés.).29 juin 2015, n° 36473 ; trib. adm. (prés.) 30 août 201, n° 31142; trib. adm. (prés.). 11 octobre 2016, n° 38554, Pas.

adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 584.

2 Trib. adm. (prés.) 20 décembre 2012, n° 31808 ; trib. adm. (prés.). 29 juin 2015, n° 36473, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 584.

un nouvel examen de l’affaire en droit et en fait, se soient produits depuis la première ordonnance. De tels éléments nouveaux ne sauraient se résumer à une nouvelle appréciation d’une situation déjà existante lors de la première ordonnance, mais doivent s’être produits après la première décision et ainsi traduire une évolution de la situation à la base du litige3.

En l’espèce, force est de constater que les parties requérantes formulent - dans le seul cadre de leur seconde requête en obtention de mesures provisoires - un nouvel argumentaire consistant en substance à critiquer les voies de recours, qu’elles considèrent comme leur actuellement a priori ouvertes, pour défaut d’effet suspensif de l’instance au fond, ce qui les priverait de tout recours effectif - encore que la partie gouvernementale leur dénie toute possibilité de recours générale au vu de l’article 6, alinéa 1er, de de la loi du 25 novembre 2014, telle que modifiée par la loi du 1er mars 2019.

Si les parties requérantes semblent situer ce nouvel argumentaire, du moins tel que cela résulte de l’ordre de présentation de leur seconde requête en obtention de mesures provisoires, en-dehors ou au-dessus des conditions présidant à l’obtention d’une mesure provisoire, à savoir l’existence d’un risque grave et définitif et l’existence de moyens sérieux au fond, il n’en demeure pas moins que la critique des voies de recours existantes et de leur effectivité au vu d’absence d’effet suspensif de plein droit, constitue un moyen ne visant pas spécifiquement le recours en obtention d’une mesure provisoire, mais le recours introduit au fond contre les décisions que les parties requérantes entendent voir réformer ou annuler, et plus particulièrement l’effectivité de ce recours.

Il s’agit partant d’un moyen touchant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond, susceptible d’aboutir le cas échéant, éventuellement, à l’annulation pure et simple des décisions déférées - à admettre l’existence d’une décision « de transmission » - pour non-respect d’une garantie procédurale essentielle4 et il serait à examiner sous ce rapport.

Or, comme indiqué ci-avant, l’introduction d’une nouvelle, itérative, requête en obtention d’une mesure provisoire se heurte l’autorité de chose jugée au provisoire attachée à l’ordonnance présidentielle du 7 novembre 2019, le nouveau moyen soumis au soussigné ne se justifiant par aucun nouvel élément apparu entre-temps, mais vise en fait à amener le soussigné à une nouvelle appréciation de la même demande sur base d’une nouvelle argumentation juridique, laquelle aurait pu être produite dès le recours initial.

La production d’une nouvelle argumentation juridique se rapportant à une situation juridique ayant existé au moment de la première décision ne saurait en effet répondre aux exigences légales d’éléments nouveaux permettant au juge du provisoire de statuer à nouveau.

3 Trib. adm. (prés.) 12 septembre 2002, n° 15326; trib. adm. (prés.) 22 novembre 2004, n° 18866 ; trib. adm.

(prés.) 26 juin 2006, n° 20946, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 548.

4 Voir par analogie Cour adm. 26 octobre 2017, n° 36893Ca du rôle.

Aussi, pareille façon de procéder ne saurait être admise sous peine de permettre la remise en question indéfinie d’une décision rendue au provisoire5 : il échet dès lors de rejeter ce moyen.

La société requérante entend certes néanmoins prospérer dans son action en insistant sur le fait que ses demandes, telles que formulées dans sa seconde requête introduite le 19 novembre 2019, seraient différentes de celles ayant fait l’objet de l’ordonnance du 7 novembre 2019.

Il est vrai que la première requête visait, aux termes de son dispositif à voir « ordonner qu’il soit sursis à l’exécution, pendant toute la durée de l’Instance au Fond introduite devant le Tribunal administratif, de la Décision d’Injonction et de la Décision de Transmission » et à titre subsidiaire voir interdire à l’administration des Contributions directes de communiquer aux autorités fiscales islandaises toutes les informations en cause, tandis que la requête sous analyse demande à voir constater l’effet suspensif « de plein droit » de l’instance au fond et partant à voir dire qu’il sera sursis, de plein droit, pendant toute la durée de l’instance au fond, à l’exécution des deux mêmes décisions, et, à titre subsidiaire, de voir interdire à la société … de transmettre les informations sollicitées au fisc luxembourgeois.

Force est dès lors de constater qu’en dépit d’un habillage juridique différent, les demandes principales sont identiques, à savoir voir ordonner l’effet suspensif des décisions déférées - que ce dernier soit considéré comme étant à ordonner en application de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 ou « de plein droit » n’important pas - ; la chose demandée étant la même, la demande étant fondée sur la même cause et la demande ayant été formée entre les mêmes parties, revêtues des mêmes qualités, la première ordonnance doit être considérée comme revêtue de l’autorité de chose jugée faisant échec à l’itération de la première demande.

Partant, une seconde demande fondée sur le même complexe factuel, mais présentant une autre qualification juridique, doit être déclarée irrecevable, faute de quoi plusieurs demandes pourraient se succéder si le requérant prenait la précaution de modifier le fondement de ses prétentions.

En ce qui concerne les demandes formulées à titre subsidiaire, force est de constater qu’elles visent dans les deux requêtes introduites successivement la même chose, à savoir d’interdire la transmission des informations le cas échéant collectées. S’il est vrai que l’interdiction sollicitée vise dans la première requête les autorités fiscales luxembourgeoises et dans la seconde requête la …, cette distinction doit être considérée comme purement artificielle et ayant pour seul but d’éviter l’écueil de l’autorité de chose jugée au provisoire, le soussigné ne pouvant évidemment, en tant que juge administratif, pas adresser d’interdiction à un tiers qui n’est ni l’autorité administrative ayant pris la décision en cause, ni une autorité administrative tout court, une telle compétence relevant plutôt des prérogatives du juge judiciaire.

5 Trib. adm. (prés.) 30 mai 2000, n° 12019 ; trib. adm. (prés.) 18 juillet 2012, n° 30847 ; trib. adm. (prés.) 9 avril 2015, n° 36108 ; trib. adm. (prés.). 11 octobre 2016, n° 38554, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 548, ainsi que trib. adm. (prés.) 28 février 2017, n° 39114.

Cette demande doit par conséquent également être rejetée comme étant irrecevable pour atteinte à l’autorité de la chose jugée.

Force est ensuite de relever, à titre superfétatoire, que le nouvel argumentaire produit dans le cadre de cette seconde requête n’a, comme d’ores et déjà indiqué ci-dessus, pas été produit devant les juges du fond puisqu’il ne figure pas dans la requête déposée le 23 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif, enrôlée sous le n° 43697, et visant l’annulation de l’injonction précitée du 24 septembre 2019 ainsi que de la décision, ainsi qualifiée, de transmission des informations concernées aux autorités islandaises.

Or, il échet de rappeler que la juridiction du magistrat appelé à prendre une mesure provisoire s’inscrit étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond6. En effet, toute requête en institution d’une mesure provisoire s’appuie directement et uniquement sur les moyens invoqués au fond, le juge statuant au provisoire étant seulement appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués au fond et non pas à se prononcer par rapport à des moyens qui pourraient venir s’intégrer, postérieurement à sa saisine, dans de futurs et hypothétiques mémoires ampliatifs7.

Aussi, le soussigné ne saurait de toute façon pas tenir compte d’un tel moyen et d’une telle argumentation n’ayant pas été développés dans la requête introductive d’instance relative au recours en annulation déposé au fond.

Partant et en tout état de cause, l’itérative requête en obtention d’une mesure provisoire, reposant sur une nouvelle argumentation juridique, ne figurant pas dans le recours au fond, doit être rejetée.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire ;

condamne les parties requérantes aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 novembre 2019 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 6 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2002, n° 15086 ; trib. adm. (prés.) 30 août 2012, n° 31142 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36826 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36753 ; trib. adm. (prés.) 18 août 2015, n° 36754 ; trib.

adm. (prés.) 18 mars 2016, n° 37644 ; trib. adm. (prés.) 22 avril 2016, n° 37766, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 544.

7 Trib. adm. (prés.). 30 mai 2013, n° 32344 ; trib. adm. (prés.) 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. (prés.) 14 mai 2014, n° 34060 ; trib. adm. (prés.) 22 avril 2016, n° 37766 ; trib. adm. (prés.) 15 septembre 2017, n° 40095, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 544.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 novembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 43803
Date de la décision : 28/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-11-28;43803 ?

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